CONCLUSION

Le processus d'élargissement qui s'engage ouvre, certes, des interrogations :

. L'élargissement renforcera-t-il ou fragilisera-t-il l'identité européenne de défense au sein de l'OTAN ?

Les adaptations internes de l'Alliance, décidées en décembre 1997, ont fait droit à certaines des demandes en faveur de l'identification d'un pôle européen de défense au sein de l'Alliance : les GFIM en sont une illustration, de même que la mise à disposition éventuelle de l'UEO de moyens de l'OTAN. Cependant, le rééquilibrage des responsabilités entre européens et américains au sein de l'Alliance reste à faire, dans des conditions qui, demain, pourraient d'ailleurs se révéler plus difficiles :

- en entrant dans l'OTAN, les nouveaux membres semblent souscrire davantage à une garantie américaine qu'à une protection européenne, dont ils discernent encore mal les contours politiques, institutionnels et militaires ;

- ensuite, le fonctionnement du Conseil permanent conjoint OTAN-Russie sera-t-il de nature, comme le redoutent certains experts, à conduire, de fait, à un "double parrainage" Etats-Unis-Russie du futur ordre politique européen, ressuscitant "sinon la réalité, du moins la tentation ou l'apparence de condominium d'antan" 14( * ) ? Une telle marginalisation des Européens dans la construction sécuritaire du continent irait à rebours des efforts déployés depuis des années par la France et ses partenaires de l'Union. Dans ce domaine comme dans d'autres, une cohésion européenne doit s'exprimer.

. Jusqu'à quel point le futur concept stratégique de l'OTAN pourrait-il modifier l'architecture générale de la sécurité européenne ?

- La gestion des crises internationales, surtout lorsqu'elles impliquent des engagements militaires relèvent prioritairement de la compétence du Conseil de sécurité de l'ONU. Or ce principe, auquel souscrivent de nombreux pays, à commencer par la France, est l'un des sujets sensibles de la négociation engagée sur le futur concept stratégique. Au sein de l'Alliance, on rappelle qu'aucun texte formel ne requiert l'aval du Conseil de sécurité pour une intervention de l'OTAN, celle-ci pouvant dès lors s'affranchir d'un veto du Conseil de sécurité sur tel ou tel projet d'opération. L'inscription d'un tel principe dans un document de l'Alliance modifierait gravement les règles d'action de la communauté internationale.

- Dans une logique de "sécurité globale", une tendance se confirme de faire de l'OTAN l'instance centrale de coopération diplomatique et de gestion militaire des crises. Or, sans méconnaître le rôle de l'OTAN , celle-ci ne saurait éclipser ni l'ONU, ni l'OSCE , enceintes au sein desquelles la répartition plus équilibrée du poids politique de chaque nation préserve l'expression des souverainetés nationales ou régionales. Un tel transfert de fait, vers l'OTAN, de compétences exercées par ces organisations pourrait affecter la spécificité diplomatique que l'Europe doit se donner les moyens d'exprimer.

. Enfin, comment évoluera désormais la position de la France à l'égard de l'OTAN ? Si notre pays, depuis les décisions du 5 décembre 1995, a repris une place active et délibérative au sein des instances intergouvernementales qu'il avait quittées en 1966 (Conseil des ministres de défense, comité militaire...), il a décidé, en décembre 1997, de ne pas poursuivre la démarche en ce qui concerne la structure militaire intégrée, arguant notamment de son rééquilibrage insuffisant entre Américains et Européens.

L'Espagne ayant pour sa part intégré la structure militaire, et les trois nouveaux pays ayant vocation à le faire sans réserve, la France gardera une position dont la singularité n'en sera que plus visible.

Certes, cette position n'empêche pas la France d'être impliquée là où il faut l'être, en particulier dans les structures de commandement mises en place au cas par cas dans le cadre des "nouvelles missions" comme en Bosnie-Herzégovine, et notamment au sein des GFIM. Symétriquement, l'appartenance à une structure militaire intégrée, conçue et organisée dans le cadre de la guerre froide n'a plus la même signification ni la même utilité qu'autrefois. Militairement cohérente, la position de la France pourrait cependant s'avérer politiquement délicate, en tout cas difficilement compréhensible pour nos nouveaux partenaires. Une spécificité est souvent un atout, elle peut aussi être un poids si, aux yeux des autres, elle devient synonyme d'isolement.

Pour votre rapporteur, la position de la France demeure cohérente tout en restant spécifique en raison de son histoire stratégique.

A n'en pas douter, nos partenaires, y compris les nouveaux, continueront d'entériner cette spécificité, au service de l'Europe et qui n'a jamais entamé la solidarité de la France avec les autres Européens sur les différents théâtres d'intervention depuis quarante ans.

Le débat qui a eu lieu au sein de votre Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées a été l'occasion d'exprimer des interrogations, ces inquiétudes et des oppositions : quel sera, à l'avenir, le rôle de l'article 5 ? N'y a-t-il pas danger à élargir l'Alliance vers les frontières de la Russie ? L'élargissement contribuera-t-il vraiment à améliorer la sécurité en Europe ? Le processus engagé ne tend-il pas à ouvrir aux industries américaines de l'armement des nouveaux marchés au détriment des capacités européennes ?

Votre rapporteur ne conteste pas la légitimité des questions ainsi posées. Toutefois, s'il vous propose d'adopter les trois projets de loi qui nous sont soumis, c'est que l'élargissement de l'OTAN à la Pologne, à la République tchèque et à la Hongrie, en symbolisant à la réconciliation européenne, non seulement s'inscrit dans un déroulement positif de l'Histoire, mais participe également, au-delà même des trois nouveaux Etats, au renforcement de la sécurité et de la confiance sur l'ensemble du continent européen.

Pour votre rapporteur, trois raisons au moins justifient cette appréciation :

- l'OTAN -et la France a tenu à cet égard un rôle qui mérite d'être salué- est parvenue, en échange de contreparties justifiées et contrôlées, à réduire sinon à supprimer l'hostilité initiale de la Russie . Ce pays ne saurait en effet être tenu à l'écart d'aucune démarche tendant à consolider la sécurité en Europe. Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement, à l'heure où la libéralisation commerciale et économique conduit les partenaires de la Russie à multiplier les cadres de coopération avec ce pays, y compris dans le domaine militaire ?

- De même, à l'égard des pays qui n'ont pas été retenus pour ce premier élargissement, s'il ne faut pas en mésestimer les conséquences potentiellement déstabilisantes sur le plan politique, l'OTAN se devra de mettre à profit les mécanismes de coopération créés par le Partenariat pour la paix et le Conseil de Partenariat euro-atlantique et qui constituent le "deuxième cercle" de l'OTAN. Il reste que le processus engagé ne doit pas "marquer le pas" et que les négociations en vue de futures invitations à l'horizon du sommet de Washington d'avril 1999 devraient reprendre au plus vite pour ne pas faire de la politique de la "porte ouverte" une promesse n'engageant que ceux qui l'ont reçue.

- Enfin l'offre de sécurité par l'OTAN correspond aux besoins européens dans l'avenir prévisible . Plus que de moyens traditionnels de riposte à une agression territoriale caractérisée, les pays européens s'appuieront ensemble, dans le cadre de coalitions, sur des capacités de gestion de crises , avec des forces de réaction réduites, mobiles, flexibles et multinationales. Ce postulat est d'ailleurs cohérent avec les principes qui ont fondé notre propre réforme militaire. Aujourd'hui, l'élargissement de l'Alliance correspond surtout au souci d'associer pleinement les nouveaux membres aux responsabilités de la paix et de la stabilité en Europe.

Au bénéfice de ces observations, votre Commission vous invite à adopter les trois projets de loi qui nous sont soumis.

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