CHAPITRE PREMIER

LA CROISSANCE ET LES INCERTITUDES

La prévision économique est un art de plus en plus difficile, les outils du prévisionniste paraissant soumis à une obsolescence rapide du fait de la survenance de nouvelles réalités économiques.

Les modèles macro-économiques ont été de précieux réducteurs d'incertitude. Fondés sur l'utilisation d'études économétriques aptes à mettre en relation certaines évolution avec diverses variables explicatives, ils ont contribué à préciser les problématiques et à asseoir les prévisions.

Mais, outre que les grands modèles disponibles ont toujours nécessité qu'on pose, pour les utiliser, des hypothèses " hors-modèle ", il semble que, sous l'effet d'évolutions économiques majeures, les relations économétriques, qui en constituent le squelette, se soient de plus en plus distendues :

Dans un monde devenu très interdépendant l'incapacité de la plupart des modèles à dépasser le cadre national constitue une première infirmité.

Dans un monde où les sphères réelle et financière, cette dernière en expansion instable, s'entremêlent, l'absence de capacité à modéliser avec efficacité les événements financiers est évidemment un handicap de taille.

Enfin, dans un monde où les comportements évoluent et se modifient rapidement, le recours à la " série longue " ne garantit plus contre la contestation de l'instrument.

C'est évidemment lorsque le contexte économique est agité que le modèle est le plus fragile et la prévision tout particulièrement difficile. Et c'est bien un tel contexte qui se présente à l'orée de 1999. Aux crises des pays émergents, du Japon, de la finance, s'ajoutent le retournement escompté du cycle américain et un événement monétaire et financier majeur, l'avènement de l'euro.

Dans ces conditions, il est bien périlleux de prévoir quelle tournure prendra l'économie française en 1999. Mais il est encore plus périlleux de faire comme si une prévision donnée allait se vérifier.

Il est sage de garder à l'esprit les aléas qui pourraient constituer autant d'écueils sur lesquels viendrait se heurter la prévision du gouvernement. Nul ne souhaite évidemment que ces aléas se réalisent. Bien au contraire, la croissance économique est nécessaire pour résorber les difficultés du pays. Mais il faut conserver la lucidité indispensable à la formulation d'une bonne politique économique. Dans ce contexte, la pertinence de nos outils de politique économique et tout particulièrement de nos méthodes budgétaires ne paraît pas établie.

Regards sur 1998

Ressources et emplois de biens et services

en milliards de francs et en pourcentage de variation t/t-1

 

En volume

En valeur

 

1998

 
 

1998

 
 
 

T1

T2

1997

Acquis1998

T1

T2

1997

Acquis 1998

Produit intérieur brut

992,4

998,8

3.889,8

 

2.081,1

2.102,6

8.127,6

 

en % t/t-1

0,7

0,6

2,3

2,5

0,8

1,1

3,3

3,2

Importations

320,7

322,2

1.206,3

 

494,8

496,4

1.853,3

 

en % t/t-1

2,5

0,5

7,7

6,7

2,3

0,3

9,5

7,0

Total des ressources

1.313,1

1.321,0

5.096,0

 

2.575,0

2.598,9

9.980,9

 

en % t/t-1

1,2

0,6

3,6

3,5

1,1

0,9

4,4

3,9

Consommation finale des ménages


590,6


596,7


2.315,5

 


1.243,2


1.257,6


4.858,3

 

en % t/t-1

0,7

1,0

0,9

2,9

0,7

1,2

2,0

3,2

Consommation finale des adm.

188,3

189,1

747,3

 

404,2

408,1

1.595,3

 

en % t/t-0,3

0,3

0,4

1,2

1,1

0,3

1,0

2,3

2,1

FCBF totale

194,3

196,2

756,9

 

356,8

360,6

1.389,0

 

en % t/t-1

1,9

1,0

0,0

3,4

1,6

1,1

1,2

3,6

Exportations

338,0

336,7

1.287,6

 

573,3

572,0

2.169,2

 

en % t/t-1

0,8

- 0,4

12,5

4,7

0,9

- 0,2

14,3

5,5

Variations de stocks

1,9

2,2

- 9,3

 

- 2,5

0,6

- 30,9

 

Total des emplois

1.313,1

1.321,0

5.096,0

 

2.575,0

2.598,9

9.980,9

 

en % t/t-1

1,2

0,6

3,6

3,5

1,1

0,9

4,4

3,9

La croissance du PIB au premier trimestre 1998 a été proche de 3 % en rythme annuel sous l'effet d'un dynamisme à peu près maintenu de la consommation des ménages et, en voie d'accélération, de l'investissement des entreprises.

Autrement dit, la demande intérieure compense les effets défavorables du commerce extérieur sur la croissance. En effet, les importations ont augmenté sensiblement plus vite que les exportations au premier semestre même si leur progression se ralentit. Ces dernières se sont même contractées de 0,2 % au deuxième trimestre, alors qu'à la même période elles s'accroissaient en 1997 de 6,6 %. Le tassement du commerce mondial consécutif à la crise traversée par nombre de pays est à l'oeuvre dans l'économie française.

A l'issue du premier semestre l'acquis de croissance -qui mesure ce que serait la croissance annuelle d'une variable économique si celle-ci restait au cours du reste de l'année à son dernier niveau observé- s'élève à 2,5 % en volume. La réalisation d'une croissance de 3,1 % pour l'année en cours suppose donc une accélération de l'activité au cours du second semestre.

Les prévisions de l'INSEE rendent, de fait, compte d'une accélération de la croissance au troisième trimestre suivie d'une légère inflexion à la fin de l'année. Au quatrième trimestre, le rythme de la croissance annuelle décélérerait, passant à 2,5 %.

A l'aube de 1999, l'acquis de croissance ne serait plus que de 1 %.

I. LES HYPOTHESES DE CROISSANCE

La prévision de croissance pour 1999 associée par le gouvernement au projet de loi de finances s'élève à 3,8 % en valeur , résultat d'une progression en volume de 2,7 % et d'une augmentation du prix du produit intérieur brut de 1,1 %.

Equilibre des ressources et emplois de biens et services

(en milliards de francs et en indices)

 

1996

1997

1998

1999

 

Valeur aux prix courants

Indice
de
volume

Valeur aux prix courants

Indice de volume

Valeur aux prix courants

Indice de volume

Valeur aux prix courants

Ressources

 
 
 
 
 
 
 

Produit intérieur brut

7.871,7

102,2

8.137,1

103,1

8.495,9

102,7

8.821,4

Importations

1.692,2

107,9

1.848,0

108,3

1.996,1

105,2

2.130,9

TOTAL DES RESSOURCES

9.663,9

103,2

9.985,1

104,1

10.492,0

103,1

10.952,3

Emplois

 
 
 
 
 
 
 

Consommation finale des ménages

4.763,5

100,7

4.857,3

103,1

5.052,9

102,7

5.256,8

Consommation finale des administrations

1.559,0

101,1

1.593,7

101,8

1.650,7

101,7

1.704,7

Formation brute de capital fixe

1.372,1

100,2

1.388,1

103,8

1.457,5

104,2

1.534,2

dont :

 
 
 
 
 
 
 

Sociétés et E.I. (1)

765,6

99,9

763,6

105,7

816,9

105,7

872,1

Ménages hors E.I. (1)

351,1

99,8

362,2

100,4

368,0

102,0

379,1

Administrations publiques

227,5

100,1

230,1

102,3

238,2

102,8

247,3

Administrations privées

5,1

101,7

5,2

102,3

5,4

102,8

5,6

Institutions de crédit et assurances

22,9

118,8

27,0

106,3

29,1

102,8

30,2

Variations de stocks

- 28,3

 

- 22,5

 

2,2

 

6,1

Exportations

1.897,7

113,0

2.168,5

106,8

2.328,7

104,2

2.450,4

TOTAL DES EMPLOIS

9.563,9

103,2

9.985,1

104,1

10.492,0

103,1

10.952,3

dont :

 
 
 
 
 
 
 

Demande totale hors stocks

9.592,3

103,1

10.007,6

103,8

10.489,8

103,1

10.946,2

Demande intérieure totale

7.666,2

100,8

7.816,6

103,3

8.163,3

102,8

8.501,8

Demande intérieure hors stocks

7.694,6

100,7

7.839,1

103,0

8.161,2

102,8

8.495,8

Pour le Produit Intérieur Brut Marchand :

1996 : Indice de volume : 101,1 - Indice de prix : 101,3

1997 : Indice de volume : 102,4 - Indice de prix : 101,1

1998 : Indice de volume : 103,3 - Indice de prix : 101,2

1999 : Indice de volume : 102,8 - Indice de prix : 101,1

(1) E.I. : Entrepreneurs individuels.

Source : Rapport économique, social et financier. Projet de loi de finances pour 1999

Décomposition du supplément de croissance prévu pour 1999

 

En milliards de francs

En %

Emplois

 
 

Consommation des ménages

+ 203,9

+ 4

Consommation des administrations

+ 54

+ 3,3

Formation brute de capital fixe

+ 76,7

+ 5,3

dont :

 
 

Sociétés et E.I.

+ 55,2

+ 6,8

Ménages

+ 11,1

+ 3

Autres

+ 10,4

+ 3,8

Variations de stocks

+ 4

+ 2,8

Exportations

+ 121,7

+ 5,2

Total

+ 460,3

+ 4,4

Ressources

 
 

PIB

+ 325,5

+ 3,8

Importations

+ 134,8

+ 6,8

Total

+ 460,3

+ 4,4

La croissance serait soutenue par une forte progression de la demande intérieure qui augmenterait de 4,1 %. Le PIB s'accroîtrait sur un rythme un peu inférieur, de 3,8 %, du fait d'une pénétration accentuée des biens importés avec une croissance des importations de 6,8 %, plus rapide que celle de la production nationale. La variation des exportations serait moins importante, mais toutefois positive. Elles progresseraient de 5,2 % si bien que la contribution à la croissance du commerce extérieur serait un peu défavorable.

Le tableau suivant récapitule l'évolution de la structure des grandes composantes du PIB.

Principales contributions à la croissance du PIB

Taux de croissance annuel moyen en %

 

1995

1996

1997

1998

1999

Consommation des ménages

0,9

1,1

0,4

1,9

1,6

Consommation des administrations

0,0

0,5

0,2

0,4

0,3

Formation brute de capital fixe totale

0,4

- 0,2

0,0

0,6

0,7

Dont : sociétés et EI

0,3

0,0

0,0

0,5

0,5

Variations de stocks

0,4

- 0,6

0,1

0,3

0,0

Commerce extérieur

0,3

0,5

1,4

- 0,1

- 0,1

Dont : exportations

1,3

1,3

3,1

1,8

1,2

importations

- 1,0

- 0,7

- 1,7

- 1,9

- 1,3

PIB

2,0

1,3

2,2

3,1

2,7

Source : Rapport économique, social et financier. Projet de loi de finances pour 1999.

Dans un contexte de ralentissement de l'activité économique marqué par un infléchissement du rythme de croissance, passant de 3,1 % en 1998 à 2,7 % en 1999, le scénario économique retenu pour l'an prochain est analogue à celui de 1998 et prolonge la rupture alors constatée par rapport à 1997.

Si, en 1997, l'essentiel de la croissance est venu du commerce extérieur avec un dynamisme sans précédent des exportations, le relais pris en 1998 par la demande intérieure continuerait de produire ses effets en 1999 d'une façon très légèrement atténuée. Symétriquement, la contribution à la croissance du commerce extérieur faiblement négative en 1998 demeurerait telle en 1999, sans changement.

A. UNE CONTRIBUTION DU COMMERCE EXTÉRIEUR À LA CROISSANCE MODÉRÉMENT NÉGATIVE

Comme en 1998, le scénario économique du gouvernement retient une contribution à la croissance du commerce extérieur négative. En un mot, le solde du commerce extérieur, qui resterait très largement positif, se dégraderait toutefois un peu sous l'effet d'une progression des importations (+ 6,8 %) plus rapide que celle des exportations (+ 5,2 %).

Il est instructif de mettre ces données en perspective.

Pour cela, on peut d'abord se reporter aux évolutions récentes des importations et des exportations.


En ce qui concerne les importations, le tableau ci-après en rappelle les évolutions depuis 1997 en distinguant les variations de leur volume et celle de leurs prix.

Variation des importations

(en %)

 

1997

1998

1999

Volume

7,9

8,3

5,2

Prix

1,2

- 0,3

1,5

Total

9,2

8

6,8

On peut alors souligner qu'en 1999 on attend une nette baisse de la croissance du volume des importations qui ne progresserait qu'à hauteur des 2/3 de leur variation en 1998, mais également une progression sensible des prix des biens importés. Au total, le ralentissement du rythme d'accroissement des importations en valeur nominale se traduirait par une augmentation inférieure de seulement 0,15 point par rapport à celle enregistrée en 1998.

Quant aux exportations, un tableau analogue leur est consacré ci-après :

Variation des exportations

(en %)

 

1997

1998

1999

Volume

13

6,8

4,2

Prix

1,1

0,5

1

Total

14,2

7,3

5,2

Il en ressort qu'entre 1997 et 1999 le rythme annuel de progression des exportations serait divisé par presque trois, mais surtout que la progression nominale des exportations en 1999, retenue dans la prévision du gouvernement, proviendrait pour beaucoup d'une hypothèse de prix plus favorable qu'en 1998.

Moyennant un maintien du rythme de croissance des prix des produits exportés au niveau atteint en 1998, la progression nominale des exportations ne serait que de 4,7 % l'an prochain, l'excédent extérieur s'en trouvant diminué de 11,5 milliards de francs, soit 0,13 point de PIB en moins.

On peut également mettre en perspective les données du commerce extérieur avec quelques grandes variables économiques.

S'agissant des importations, il est utile de mettre en rapport la variation de leur volume et celui du PIB.

 

1997

1998

1999

Variation 99/98 en %

Variation des importations en volume

7,9

8,3

5,2

- 37,3

Variation du PIB en volume

2,2

3,1

2,7

- 12,9

Dans l'ensemble, on peut observer une asymétrie entre les variations des rythmes de croissance du PIB et des importations . Autrement dit, il n'y a pas de parallélisme rigoureux entre les inflexions de l'activité économique intérieure et les évolutions du volume des importations qu'on peut constater. La très forte augmentation des importations en 1997 doit être gardée à l'esprit, même si elle a pu être considérée comme très atypique. Elle démontre en tout cas que des "accidents" peuvent survenir, même si la reprise de l'activité économique en 1997 a pu contribuer à expliquer la variation des importations cette année là.

En tout cas, on peut relever que la modération du rythme de croissance en volume des importations escomptée en 1999 suppose, de leur part, un infléchissement plus important que celui de l'activité intérieure. A son tour, ce résultat est conditionné par l'exactitude des hypothèses posées sur l'évolution des prix des importations en 1999 qui, dans le scénario du gouvernement, passeraient d'une baisse en 1998 (- 0,3 %) à une hausse de 1,5 % en 1999.

S'agissant des exportations, il faut les mettre en rapport avec la demande étrangère.

 

1997

1998

1999

Variation des exportations en volume

13

6;8

4,2

Variation du commerce mondial en volume

10,1

7,3

5,3

Variation de la demande adressée à la France

9,4

7,3

5,4

La croissance du commerce mondial serait divisée par 2 entre 1997 et 1999 et la demande adressée à la France connaîtrait un sort semblable. La baisse du volume des exportations décrite dans les budgets économiques apparaît cohérente avec ces hypothèses qui restent à évaluer.

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