B. UN BUDGET PLUS CRÉDIBLE

La mise en place de l'euro mettra les finances publiques des Etats participants sous surveillance mutuelle. Les institutions européennes (Commission, Conseil), mais aussi chaque Etat membre surveilleront l'évolution des finances publiques des autres Etats. Cela nécessitera que les budgets publics soient crédibles, ainsi que la recommandation du Conseil d'Amsterdam le précise : " Il faut que les programmes d'ajustement budgétaire soient crédibles et durables. La charge de l'ajustement devrait être répartie de manière juste et équitable. Pour être crédibles, ces programmes doivent être transparents . La transparence exige que les règles comptables et les principes économiques arrêtés en commun soient strictement appliqués. En outre, les budgets annuels et les projections budgétaires à moyen terme devraient indiquer clairement les hypothèses économiques sur lesquelles ils se fondent. Pour avoir un effet durable, il est primordial que les mesures de réduction du déficit s'inscrivent dans une stratégie à moyen terme clairement définie, comportant de nécessaires réformes structurelles, comme indiqué dans les programmes de convergence et, dès le début de la troisième phase, dans les programmes de stabilité ou de convergence. Ces programmes devraient être étroitement surveillés au niveau communautaire" .

Cette crédibilité ne reposera pas seulement sur la vraisemblance des hypothèses économiques, et des niveaux de recettes et de dépenses retenus. La quasi-certitude que l'exécution d'un budget sera conforme à la loi de finances sera également requise, ainsi que le prescrit le règlement européen du 7 juillet 1997 dans son article 5 : "Le Conseil examine si l'objectif budgétaire à moyen terme fixé par le programme de stabilité offre une marge de sécurité pour assurer la prévention d'un déficit excessif , si les hypothèses économiques sur lesquelles se fonde le programme sont réalistes et si les mesures mises en oeuvre et/ou envisagées sont suffisantes pour réaliser la trajectoire d'ajustement visée, qui doit conduire à la réalisation de l'objectif budgétaire à moyen terme" .

Les méthodes budgétaires de la France sont aujourd'hui loin de correspondre à ces critères. Le projet de loi de finances est comparé à une loi de finances initiale dont l'exécution, quasiment achevée au moment du débat budgétaire, est en général très éloignée. La construction du projet de loi de finances repose sur la certitude que les hypothèses économiques qui le sous-tendent se réaliseront, alors que l'on sait que les aléas sont nombreux et les erreurs de prévision plus fréquentes que les prévisions exactes. Le débat budgétaire ne porte jamais sur les moyens que le gouvernement entend mettre en oeuvre pour garantir l'exécution fidèle de la loi de finances, et l'on tient pour certaines des dépenses ou des recettes qui ne seront en grande partie pas exécutées.

Il est bien évident que l'euro va remettre en cause le caractère quelque peu irréel de cet exercice.

Quelques préconisations simples, qui méritent un débat, peuvent être avancées :

rendre la loi de finances moins sensible aux aléas conjoncturels . La seule solution pour cela consiste à réduire la part des dépenses de structure, qui sont les plus rigides, afin de pouvoir ajuster les baisses de dépenses aux éventuelles baisses de recettes (celles-ci ne peuvent, par nature, évoluer très différemment de l'ensemble de l'économie). Cette solution, proposée par votre commission pour le budget 1999, est également proposée par le Conseil européen pour conduire les Etats membres vers l'équilibre. A moyen terme, une politique budgétaire est en effet crédible si elle prévoit d'éviter l'augmentation des charges d'endettement ;

construire le budget sur une hypothèse de croissance nominale inférieure (d'un point, par exemple) au consensus des prévisionnistes. C'était la méthode appliquée aux Pays-Bas jusqu'en 1999 sous le nom de "norme Zalm".

La "norme Zalm" aux Pays-Bas

Jusqu'aux dernières élections législatives, le ministre des finances avait défini les normes de rigueur qui s'appliquent théoriquement à la politique budgétaire connues communément sous le nom de "norme Zalm". Selon celle-ci, si le déficit budgétaire est supérieur à 0,75 % du PIB selon la définition de l'UEM, les trois-quarts des recettes budgétaires complémentaires seront affectées à la réduction du déficit budgétaire et le solde à un allégement de charges. Si le déficit est inférieur à 0,75 % du PIB, alors les recettes supplémentaires seront affectées pour moitié à la réduction du déficit et pour moitié à un allégement de charges. L'application de ce principe était associée dans le précédent gouvernement à une grande prudence qui consistait à faire des prévisions de croissance conservatoires susceptibles de dégager des recettes complémentaires en cours d'année. En outre, les recettes et les dépenses étant strictement séparées, toute économie réalisée dans un département ministériel revenait au budget général, tandis que toute dépense supplémentaire devrait être financée par des économies au sein du ministère dépensier.

Pour l'élaboration de son projet de budget pour l'année (n+1) et pour son cadrage budgétaire pluriannuel (jusqu'à n+4), le gouvernement néerlandais demande au Bureau central de la prévision néerlandais (BCPB, équivalent néerlandais de la Direction de la prévision) d'élaborer deux scénarios : l'un reposant sur une conjonction de faits favorables (ex. : reprise du commerce mondial, tenue du dollar, etc...) et l'autre dit "prudent". C'est ce dernier qui sert de cadre de référence au budget de l'année suivante.

Lors des quatre derniers projets de budget (premier gouvernement de coalition à direction sociale-démocrate), l'hypothèse de progression du PIB a ainsi toujours été fixée à 2 % l'an. Sur la période 1994-1997, le PIB a progressé en moyenne de 3,1 % l'an. Le surcroît de recettes ainsi dégagé a été alloué au remboursement de la dette (qui approchait les 80 % du PIB en début de législature et qui atteint 68 % en 1998) et a permis de nouvelles baisses d'impôts au bénéfice des entreprises (majoritairement) et des ménages.

Bien qu'elle paraisse comme une méthode efficace de réduction du déficit, la "norme Zalm" a toutefois été abandonnée par la nouvelle coalition au pouvoir.

Les difficultés d'application de la "norme Zalm" sont apparues dans la programmation budgétaire quadriennale 1999-2002, qui accompagne le budget 1999. Celle-ci laisse en effet apparaître un excédent des dépenses sur les recettes. Cet accroissement représente 1,6 milliard de florins, soit un accroissement prévisionnel du déficit de 0,49 % du total des dépenses budgétaires en fin de période. Cette projection est en totale opposition avec la pratique précédente : au cours des quatre budgets précédents, le déficit exprimé par rapport au total de la dépense publique avait régulièrement baissé. L'ambition affichée de réduction du déficit paraît dans conditions difficilement réalisable.

L'abandon de la "norme Zalm" n'est peut-être pas définitif.

Prévoir des lignes de réserve pour dépenses éventuelles

Votre commission des finances a déjà débattu de cette possibilité, que le précédent gouvernement s'était engagé à étudier.

Ainsi, lors du débat d'orientation budgétaire pour 1997, le ministre délégué au budget, M. Alain Lamassoure, avait déclaré :

" De la même manière, nous avons pris bonne note, Monsieur le Rapporteur général, de votre suggestion. Vous souhaitez que l'on introduise dans la loi de finances initiale une forme de "dotation pour charges imprévues" ou que l'on trouve une autre méthode pour éviter d'avoir à recourir à des gels de crédits en début d'année, procédés qui compliquent la gestion pour les ministres concernés et qui, en réalité, représentent une atteinte aux droits du Parlement".

Force est de reconnaître que des systèmes analogues avaient été mis en place par le passé, comme les "fonds d'action conjoncturelle" (1969-1974, 1977 et 1981) ou les "fonds de régulation budgétaire" (1978-1983) ; ces derniers constitués hors loi de finances, et ne se sont guère révélés probants.

L'actuel gouvernement ne parait pas convaincu par l'utilisation d'une réserve de cette nature, ainsi qu'en atteste une réponse à une question posée par votre commission sur la loi de règlement 1995 au sujet d'une "dotation de réserve" éventuelle :

La Cour des Comptes envisage de constituer une dotation de réserve par prélèvements sur des crédits limitatifs, dont le montant et les modalités d'utilisation seraient examinés par le Parlement à l'occasion de la discussion budgétaire.

Cette proposition conduirait à fixer dès le stade du PLF le quantum de la régulation, alors que la Cour elle-même insiste particulièrement sur le souhait que la régulation soit strictement proportionnée à la dégradation prévisible des conditions d'exécution par rapport aux prévisions.

En outre, sauf à dégrader le solde du PLF, ce schéma conduirait à restreindre ab initio le montant des crédits limitatifs affectés aux lignes de dépenses des différents ministères, renvoyant à une éventuelle répartition en exécution, par ailleurs souvent critiquée par la Cour, l'utilisation de ces crédits si les conditions de l'exécution budgétaire le permettaient.

Enfin, les expériences étrangères en ce sens attestent que l'existence d'une telle provision ne constitue pas, en elle-même, une incitation à une meilleure gestion responsabilisante, chacun ayant la tentation de s'en remettre à cette provision plutôt que de prévenir à son niveau les dérapages de dépenses.

S'agissant des crédits reportables de droit, la date de leur mise à disposition des ministères a été considérablement avancée depuis 1995. Ainsi l'ensemble des mouvements de reports de 1996 sur 1997 ont été achevés à la fin du mois de mai 1997, trois mois plus tôt que pour les reports de 1995 sur 1996. La Cour des Comptes "accueille avec satisfaction" les progrès accomplis (p. 319 du rapport sur l'exécution des lois de finances pour 1996).

Tenir des débats réguliers sur l'exécution budgétaire

Depuis quelques années, l'information du Parlement s'est nettement améliorée sur l'exécution budgétaire.

Le gouvernement publie un état mensuel de la situation budgétaire. Il s'était également engagé, vis-à-vis de votre commission, à l'informer préalablement des mouvements de crédits qu'il serait amené à décider.

Il a tenu cet engagement sur le décret d'avance et l'arrêté d'annulation du 21 août dernier.

Ce n'est toutefois pas suffisant, car la crédibilité budgétaire exige non seulement que le gouvernement informe le Parlement sur l'exécution de la loi de finances, mais aussi qu'il débatte avec lui des moyens de garantir cette exécution.

Ainsi, dès le stade du débat budgétaire, il pourrait être envisagé que le gouvernement annonce ce qu'il proposerait en cas d'exécution non conforme à la loi de finances.

S'il y a excédent de recettes sur la prévision, entend-il les dépenser, les affecter au déficit, ou réduire les prélèvements ?

Si l'exécution se révèle au contraire difficile, proposera-t-il de relever les impôts ? Lesquels ? Procédera-t-il à des annulations de crédits ? Lesquels seraient touchés en priorité ? Si certaines dépenses tendent à déraper, a-t-il déjà prévu des mesures de redressement utilisables ? Etc...

Pour qu'un projet de loi de finances soit vraiment crédible, ces orientations devraient être soumises au Parlement.

Après le débat budgétaire, il serait nécessaire de tenir régulièrement des débats sur le déroulement de l'exécution, au moins en commission des finances.

Votre rapporteur général rappelle que l'article 3 du règlement européen de juillet 1997 précité prévoit notamment que le programme de stabilité annuel notifié par les Etats membres doit contenir :

" c) une description des mesures budgétaires et des autres mesures de politique économique qui sont mises en oeuvre et/ou envisagées pour réaliser les objectifs du programme et, dans le cas des principales mesures budgétaires, une évaluation de leurs effets quantitatifs sur le budget ;

d) une analyse de l'incidence que tout changement des principales hypothèses économiques aurait sur la situation budgétaire et la dette."


Il ne serait pas normal que de telles décisions, législatives par nature, soient soumises à la Commission européenne sans que le Parlement national en ait débattu.

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