CONCLUSION

Si l'esprit général du projet de loi, conforme aux orientations arrêtées par le Président de la République, mérite, sous réserve des points amendés par votre commission, l'approbation, il demeure plusieurs interrogations quant à la mise en oeuvre effective de la réforme des réserves.

La loi en effet ne fixe qu'un cadre. Elle fournit le socle sur lequel il conviendra de bâtir une politique des réserves dynamique et ambitieuse. Il faudra mettre en place un système efficace qui soit aussi l'expression privilégiée du lien Armées-Nation.

Aussi, votre rapporteur commentera-t-il en conclusion les priorités majeures qui doivent retenir l'attention du Gouvernement dans les mois à venir.

1. Assurer un recrutement satisfaisant de volontaires

Sans doute la loi garantit-elle que dans des circonstances exceptionnelles, les armées pourront disposer, pour assurer la sécurité de la Nation, des effectifs prévus par la loi de programmation grâce à l'obligation de disponibilité. Il n'en reste pas moins que cette obligation constitue une clause de sauvegarde. En temps de paix, les réserves ont vocation à s'appuyer sur le volontariat . Votre commission a d'ailleurs mis encore davantage l'accent sur cette dimension, la plus novatrice, sans doute, du projet de loi.

Toutefois, le recrutement des volontaires représente une gageure de plus en plus difficile à relever au fur et à mesure que la culture militaire liée à l'accomplissement des obligations du service national s'affaiblira. Comme l'a souligné une récente étude de l'observatoire social de la défense, la réserve " active " est aujourd'hui constituée à hauteur de 62 % d'anciens appelés 7( * ) Beaucoup d'entre eux ont en effet au terme de leurs obligations souhaité maintenir un lien avec la défense .

Les préoccupations portent du reste moins sur le recrutement des cadres de réserve et les spécialistes que sur les moyens de susciter un volontariat pour occuper des fonctions de militaires du rang .

Un effort de sensibilisation est accompli pendant les journées d'appel de préparation à la défense. Dans ce cadre, cependant, si le volontariat suscite un écho certain auprès des jeunes préoccupés par la recherche d'un emploi, les réserves souffrent encore d'un manque d'intérêt.

La nature de l'emploi exercé conditionnera pour une très large part l'intérêt des volontaires. Il faudra en conséquence y porter une attention vigilante .

De manière générale, les armées doivent poursuivre un véritable effort de valorisation des tâches confiées aux réservistes qui ne doivent en aucun cas être considérés comme des militaires de " deuxième zone " ou de simples supplétifs des hommes de l'armée professionnelle. De ce point de vue, la réforme des réserves requiert aussi une profonde évolution des mentalités .

Compte tenu des incertitudes, dans la période nouvelle ouverte par la suspension du service national, quant à la perception par les nouvelles générations de la défense nationale, on peut estimer qu'une forte majorité de volontaires dans les réserves se recruteront à moyenne échéance parmi d'anciens militaires.

Certes, la possibilité pour les anciens militaires de continuer à servir sous une autre forme les armées et les intérêts supérieurs de notre pays constitue une chance pour la Nation et doit être encouragée. Il ne faudrait pas toutefois, sauf à donner moins de poids au lien Armées-Nation, se résigner à l'absence de réservistes sans formation militaire initiale. C'est pourquoi il est indispensable qu'une véritable politique de communication soit rapidement mise en oeuvre afin de mieux faire connaître les réserves au-delà du cercle des initiés.

2. Mettre en place une politique de communication ambitieuse en faveur des réserves

Incontestablement, les réserves demeurent très largement méconnues par l'opinion publique française. Il est vrai que l'ancien système de masse dont les implications pour les anciens conscrits apparaissaient très théoriques, n'avait pas favorisé une bonne connaissance du rôle et de l'organisation des réserves.

Aussi le défi le plus urgent pour le Gouvernement est-il sans doute de conduire une politique de communication adaptée pour mieux informer nos concitoyens sur les réserves.

Un groupe de travail " communication " du CSER a été chargé, en étroite collaboration avec la Délégation à l'information et à la communication de la défense, de préparer un plan d'action et de communication sur les réserves. Ce plan, qui sera soumis au ministre de la défense, vise quatre objectifs :

- compenser le grave déficit de communication dont souffrent les réserves tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des armées ;

- banaliser le principe du recours aux réserves dès le temps de paix ;

- mieux faire reconnaître la place du réserviste comme militaire, d'une part, et comme acteur privilégié du lien entre les forces armées et la Nation, d'autre part ;

- souligner l'apport pour les employeurs des compétences et de l'expérience acquises par le salarié réserviste dans le cadre de ses activités militaires.

La mise en place du plan de communication présente un double enjeu : à l'extérieur, donner une image positive des réserves qui favorise le volontariat pour servir dans la réserve et, au sein même des réserves, redonner confiance aux réservistes. Ces derniers aspirent en effet, comme en a témoigné l'étude de l'Observatoire social de la défense citée ci-dessus, à une meilleure considération générale, notamment au sein des armées.

Sans doute l'action de communication doit également comprendre un volet décentralisé . Ainsi, il conviendrait d'encourager des relais locaux associant au niveau du chef-lieu de département, par exemple, des représentants de réservistes, des pouvoirs publics et de l'autorité militaire -notamment le commandant de groupement de la gendarmerie départementale- mais aussi des membres de la société civile : chefs d'entreprise, professions libérales... Ces clubs " réserve " représenteraient un relais précieux pour une politique de communication sur les réserves. Aussi, serait-il souhaitable que soit examinée par le Gouvernement, les conditions dans lesquelles les préfets pourraient prendre des initiatives tendant à la création de telles organisations.

3. Promouvoir un véritable partenariat avec les entreprises

Aujourd'hui, d'après les estimations faites par le ministère de la Défense, 75 % des réservistes travaillent dans le secteur privé . Ils connaissent une situation contrastée. La moitié d'entre eux continuent de bénéficier de leur rémunération. D'autres, en revanche, continuent de taire leur activité militaire de peur qu'elle ne les pénalise dans leur emploi. En la matière, beaucoup dépend de la taille et de l'activité de l'entreprise. Une PME, soumise à des contraintes plus pesantes, donnera sans doute moins de facilités à son salarié réserviste. Une grande société se montrera en principe plus libérale.

L'effort d'ouverture vis-à-vis des entreprises par la défense, dans le cadre du plan " Réserve 2000 ", à l'initiative, en particulier, du préfet di Chiara, avait porté ses fruits. 162 conventions ont ainsi été signées depuis 1996 par le précédent Gouvernement avec des organismes privés et publics parmi lesquels on compte 191 entreprises, 39 syndicats d'employeurs, 19 chambres de commerce, 12 conseillers régionaux ou généraux, 50 autres personnes morales de nature diverse, 10 municipalités et 8 associations.

L'ensemble des textes ainsi signés présente un caractère assez hétérogène. L'effort doit aujourd'hui être relancé dans la perspective de la mise en oeuvre de la présente loi. En effet la nouvelle réserve des armées, plus opérationnelle, sera aussi plus exigeante pour les réservistes volontaires et, par conséquent, pour les organismes employeurs. Dans le même temps, l'esprit qui anime le texte, fondé sur la mise en valeur du volontariat, conduit à ne pas fixer des contraintes trop pesantes sur les entreprises. Il aurait été en effet paradoxal d'attacher à un acte volontaire du salarié des effets obligatoires pour les entreprises .

Comment dès lors concilier la volonté des armées de disposer de réservistes plus disponibles et le souci de ne pas contraindre les employeurs. Le cadre conventionnel constitue le moyen privilégié de résoudre ce dilemme.

La nouvelle génération des conventions pourra s'appuyer, à la différence du dispositif contractuel antérieur, sur des dispositions légales qui, pour la première fois, prévoient des garanties sociales et financières en faveur du réserviste. La démarche à entreprendre dès lors doit s'inspirer de la logique pratiquée en droit du travail : au-delà des règles minimales fixées par la loi, la convention permettra de déterminer les modalités pratiques relatives à la mise en oeuvre de la politique des réserves et d'établir un cadre plus favorable.

Cette dimension nouvelle devrait d'ailleurs conduire non seulement à signer de nouvelles conventions mais aussi à procéder à une " mise à plat " des accords précédents afin de renforcer l'homogénéité du dispositif conventionnel, et éliminer en particulier les déclarations d'intention qui n'ont reçu aucune application pratique.

Comment, en amont, amener les entreprises à se rallier à cette politique contractuelle ? Ici aussi, une politique de communication en direction des entreprises , doit être développée. Un groupe de travail " convention " a d'ailleurs été créé au sein du Conseil supérieur d'Etude des réserves. Il conduit une réflexion sur cette question, décisive pour l'avenir des réserves. Sans doute faut-il d'abord présenter ces conventions comme le moyen de tisser des liens plus étroits entre trois partenaires -les entreprises, les réservistes, la défense- tout en faisant valoir les intérêts que chacun peut tirer de ce partenariat. Vis-à-vis des entreprises, l'argumentation doit surtout souligner le bénéfice que peut représenter pour l'employeur, l'expérience, les connaissances, le sens des responsabilités que le réserviste acquiert à l'occasion de ses périodes de réserve. Ces différents éléments valent en particulier pour les techniciens et les spécialistes qui trouvent dans les armées de nouveaux champs d'application à leur discipline et renforcent ainsi leur compétence. Cette catégorie de réserviste appelée à participer à des opérations civilo-militaires dans le cadre des processus de reconstruction après un conflit dans une région donnée, peuvent informer utilement leurs employeurs, sur de nouveaux marchés tout en acquérant, sur le terrain, une expérience qui pourra être valorisée ultérieurement.

Par ailleurs, une occasion nouvelle s'ouvre aujourd'hui avec la négociation des accords relatifs à l'aménagement et à la réduction du temps de travail pour introduire des dispositions favorables aux réservistes. Ainsi, dans le cadre d'un séminaire organisé récemment, les " groupes jeunes " des principales associations réservistes ont avancé plusieurs propositions intéressantes. Les modalités de participation des réservistes aux activités militaires pourraient par exemple être intégrées dans les accords sur l'aménagement et la réduction du temps de travail.

De même, les partenaires sociaux attribueraient des journées compensatoires comme solution d'aménagement du temps de travail des réservistes, ces journées pouvant être utilisées en fonction du calendrier de leurs activités militaires.

Sans doute faut-il encore ouvrir d'autres pistes. La prise en compte plus systématique de la situation des réservistes dans la négociation collective constituera un progrès évident.

4. Dégager les moyens financiers nécessaires

L'effort de valorisation n'aura de sens que s'il peut s'appuyer sur un système de réserve rénové et efficace et doté en conséquence des moyens financiers nécessaires. Comment, autrement, conduire la politique de communication que votre commission appelle de ses voeux et qui demandera d'ailleurs aussi un financement conséquent...

La formation d'une réserve vraiment opérationnelle représentera un coût supplémentaire pour les armées. Sans doute la charge pourra-t-elle être étalée compte tenu de la montée en puissance progressive du système. Sans doute aussi, la loi de programmation prévoit-elle un effort substantiel sur la période 1997-2002 avec une progression des crédits de 140 %. Toutefois, cette évolution doit s'apprécier au regard de la modestie de l'enveloppe budgétaire antérieure. En outre, il ne faut pas sous-estimer le coût représenté par la mise à niveau des équipements. Aussi les moyens prévus par la loi de programmation pourraient-ils se révéler insuffisants dans les années à venir. Quoi qu'il en soit, la réserve devra dans les prochaines lois de finances bénéficier d'une attention prioritaire.

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Les réponses qu'apportera le Gouvernement à ces quatre sujets de préoccupation majeurs détermineront pour une large part le succès de la réforme des réserves. Et ce succès lui-même a pour enjeu essentiel la pérennité du lien Armées-Nation.

Le présent projet de loi constitue un jalon dans la voie à suivre. Mais la détermination et la persévérance des pouvoirs publics représentent une condition indispensable pour que les réserves soient reconnues, à leur juste place, comme l'un des biens communs de la Nation.

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