EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
(Art. 77 de la Constitution)
Définition du corps électoral pour les élections
aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie

Ce premier article a pour objet de régler une question incidente par rapport au coeur du dispositif du projet de loi constitutionnelle consacré à la Polynésie française  : il s'agit de préciser, au sein même de la Constitution, la définition du corps électoral admis à participer aux élections aux assemblées de province et au congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Il est ainsi proposé de compléter l'article 77 de la Constitution qui confie au législateur organique le soin de déterminer les règles relatives à la citoyenneté et au régime électoral applicables en Nouvelle-Calédonie " dans le respect des orientations définies " par l'accord de Nouméa et " selon les modalités nécessaires à sa mise en oeuvre ", afin de revenir sur l'interprétation donnée par le Conseil constitutionnel de l'article 188 de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 définissant le corps électoral admis à participer aux élections au congrès et aux assemblées de province.

Dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, le Conseil constitutionnel a en effet formulé une réserve d'interprétation concernant la définition de ce corps électoral spécial. Il a estimé qu'il devait être compris comme étant un " corps électoral glissant " : " il ressort des dispositions combinées des articles 188 et 189 que doivent notamment participer à l'élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l'élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l'article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ".

Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que le tableau annexe auquel il est fait référence à l'article 188 était celui visé à l'article 189, révisé annuellement et recensant l'ensemble des personnes établies en Nouvelle-Calédonie quelle que soit la date de leur arrivée ayant la qualité d'électeur au regard du droit électoral général mais ne remplissant pas les conditions requises pour participer à l'élection des assemblées locales.

Or, cette interprétation ne correspond pas à celle qui ressort des travaux parlementaires lors de la discussion du projet de loi organique statutaire : ceux-ci font apparaître que le corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province, prévu par l'article 77 de la Constitution, était alors conçu comme ne devant prendre en compte, pour l'application de la condition de dix ans de résidence, que les personnes entrées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998, c'est-à-dire celles inscrites au tableau annexe arrêté en vue de la consultation du 8 novembre 1998.

Le rapport de notre collègue Jean-Jacques Hyest fait au nom de la commission des Lois du Sénat 10( * ) , dans son commentaire de l'article 177 du projet de loi organique, devenu l'article 188 de la loi statutaire, indique ainsi :

" Faisant référence au tableau annexe mentionné au I de l'article 178 devenu l'article 189 de la loi statutaire , c'est-à-dire le tableau annexe des électeurs non admis à participer au scrutin et pris en considération pour dresser la liste électorale spéciale à l'élection du congrès et des assemblées de province, ce b) de l'article 177 devenu l'article 188 de la loi statutaire pouvait être interprété comme prévoyant une intégration progressive dans la liste figurant sur ce tableau des personnes nouvellement domiciliées en Nouvelle-Calédonie dans l'attente de remplir la condition de dix ans de domiciliation pour accéder à la qualité d'électeur. Or, selon les informations délivrées à votre rapporteur, l'intention sous-jacente à l'Accord de Nouméa n'est pas d'instaurer un corps électoral glissant, s'enrichissant au fil du temps des personnes dont l'inscription serait progressivement portée au tableau annexe et qui en sortiraient pour devenir des électeurs au moment où elles pourraient justifier de dix ans de résidence. Aussi l'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des Lois et avec l'accord du Gouvernement, a-t-elle préféré supprimer ce renvoi au I de l'article 178 afin de lever toute ambiguïté. Reste cependant à déterminer quel est le tableau annexe visé par l'article 177 qui aura vocation à se vider de sa substance au fur et à mesure que les personnes qui y seront inscrites pourront justifier de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie et accéderont ainsi à la qualité d'électeur. Selon le rapport de l'Assemblée nationale, il s'agit du tableau annexe prévu en 1988 pour le référendum de 1998 et arrêté à cette date, retenue comme date de référence. Le tableau annexe visé est celui qui a été établi en application de l'article premier du décret n° 90-1163 du 24 décembre 1990 pris pour la mise en oeuvre des articles 2 et 3 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 en vertu de l'article 7 du décret n° 98-733 du 20 août 1998 portant organisation de cette consultation. "

Le rapport établi par M. René Dosière au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale est tout aussi explicite 11( * ) sur ce point : " A quel tableau annexe fait-on référence dans l'accord de Nouméa ? Il est clair qu'il s'agit du tableau qui a été constitué en vue de la consultation référendaire de 1998. Figurent sur ce tableau - et sont donc exclues de la liste électorale spéciale - les personnes qui ne respectent pas la condition fixée par l'article 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1998, c'est-à-dire celles qui n'ont pas eu leur domicile en Nouvelle-Calédonie de la date du référendum du 9 novembre 1988 jusqu'à la date de consultation, qui aurait dû être celle relative à l'autodétermination, de 1998. ... Les personnes installées en Nouvelle-Calédonie, après le référendum de 1998 jusqu'à la consultation de 1998, pourront donc voter aux élections provinciales dès qu'elles auront rempli la condition de domicile. Les premières retrouveront ce droit de suffrage en 1999, les dernières à la fin de 2008. "

Ainsi, alors qu'il s'agissait au moment de la révision constitutionnelle d'autoriser la définition d'un corps électoral restreint pour les élections au congrès et aux assemblées de province, le législateur organique a précisé lors de l'examen des textes statutaires que ce corps électoral devait être conçu comme étant figé, en prenant comme référence la liste des personnes inscrites au tableau annexe dressé en vue de la consultation du 8 novembre 1998 tendant à l'approbation de l'Accord de Nouméa.

Observons en outre que retenir le critère du tableau annexe glissant reviendrait à rendre difficilement intelligibles certaines des conditions alternatives figurant à l'article 188 dont le libellé reproduit pourtant fidèlement les termes de l'Accord de Nouméa. En effet, quelle serait la portée de la référence au tableau annexe pour la deuxième catégorie visée (être inscrit au tableau annexe et justifier de dix années de résidence en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection) s'il s'agit du tableau annexe courant, c'est-à-dire celui qui s'enrichit chaque année des personnes entrées en Nouvelle-Calédonie qui ne remplissent pas les conditions requises pour participer au scrutin local, sachant que cette condition est précisément le fait de pouvoir justifier d'une durée de résidence de dix ans ? En revanche, si le tableau annexe est celui arrêté en 1998, la référence à ce tableau retrouve une signification substantielle puisque la condition de résidence ne s'applique alors qu'aux personnes entrées en Nouvelle-Calédonie entre 1989 et 1998.

Cela aurait de même pour effet de vider de son sens le troisième critère alternatif retenu au c) de l'article 188 (nécessité pour la personne atteignant la majorité après la consultation du 8 novembre 1998 d'avoir un de ses parents inscrit au tableau annexe et de justifier de dix années de domicile à la date de l'élection). Si le tableau annexe en question était le tableau courant, il suffirait à cette personne de se prévaloir de l'application du b) de l'article 188 pour accéder à la qualité d'électeur (être elle-même inscrite au tableau annexe et justifier de dix années de domicile en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection). En revanche, si le tableau annexe ici visé est celui qui a été établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998, le troisième critère mentionné au c) concernant l'inscription de l'un des parents reprend son sens dans la mesure où la personne concernée n'ayant atteint l'âge de la majorité qu'après le 8 novembre 1998, il lui est impossible d'être inscrit sur ce tableau ; seul le recours au critère de l'inscription de l'un de ses parents lui permettra d'accéder à la qualité d'électeur.

Enfin, pourquoi les signataires de l'Accord de Nouméa auraient-ils éprouvé la nécessité d'indiquer que les électeurs à la consultation du 8 novembre 1998 feraient partie du corps électoral spécial aux élections aux assemblées de province et au congrès si la seule condition applicable était le fait de pouvoir justifier d'une durée de résidence de dix ans en Nouvelle-Calédonie ? En effet, les électeurs ayant participé à cette consultation remplissaient obligatoirement, dès 1998, cette condition de résidence.

Afin de sortir de l'impasse créée par la décision du Conseil constitutionnel, l'avant-projet de loi constitutionnelle transmis au Conseil d'État proposait une disposition à caractère interprétatif revenant à une conception figée du corps électoral précisant que les personnes justifiant de dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection accèdent à la qualité d'électeur à condition d'avoir été inscrites, le 8 novembre 1998, au tableau annexe.

Le Conseil d'État a préféré, ce qui paraît de meilleure méthode, commuer cette disposition interprétative en disposition normative en proposant de compléter l'article 77 de la Constitution pour préciser que le tableau annexe de référence pour déterminer le corps électoral admis à participer aux élections des assemblées locales (congrès et assemblées de province) est celui qui a été établi en vue de la consultation du 8 novembre 1998.

Lors de l'examen du texte en première lecture, l'Assemblée nationale a adopté sur l'article premier un amendement d'ordre rédactionnel proposé par sa commission des Lois. Le libellé de cet article reste cependant perfectible : il eût été préférable, au lieu de faire référence aux " assemblées de province " et au " congrès ", de retenir une dénomination générique (assemblées délibérantes des provinces et de la Nouvelle-Calédonie) comme le fait actuellement l'article 77 ; par ailleurs , l'expression " du corps électoral aux assemblées de province et au congrès " constitue une ellipse qui désigne en réalité " le corps électoral admis à participer aux élections aux assemblées délibérantes des provinces et de la Nouvelle-Calédonie ".

En dépit de cette rédaction qui n'apparaît pas très heureuse, votre commission des Lois, estimant nécessaire de trancher la question de la définition du corps électoral spécial dans les meilleurs délais, vous propose de confirmer l'interprétation approuvée par le Sénat lors du vote de la loi organique statutaire relative à la Nouvelle-Calédonie et d'adopter l'article premier sans modification .

Articles 2 et 3
Renumérotation des titres XIV, XV et XVI de la Constitution
et insertion d'un nouveau titre XIV

L'article 2, purement formel, renumérote les trois derniers titres de la Constitution pour permettre l'insertion d'un nouveau titre consacré à la Polynésie française après celui regroupant les dispositions relatives à la Nouvelle-Calédonie.

Ce nouveau titre XIV serait intitulé, aux termes de l'article 3 : " Dispositions relatives à la Polynésie française ".

Votre commission des Lois vous propose d'adopter les articles 2 et 3 sans modification .

Article 4
(Art. 78 de la Constitution)
Dispositions relatives à la Polynésie française

L'article 4 rétablit un article 78 au sein de ce titre XIV, regroupant les dispositions fondant le nouveau statut constitutionnel de la Polynésie française.

Comme pour la Nouvelle-Calédonie, ces dispositions sont donc rassemblées sous un titre nouveau, distinct de celui consacré aux collectivités territoriales (titre XII : articles 72 à 75).

Le premier alinéa de l'article 78 qualifie la Polynésie française de " pays d'outre-mer " tout en précisant qu'elle demeure " au sein de la République ". La Polynésie n'appartiendrait donc plus désormais à la catégorie des territoires d'outre-mer, l'appartenance à cette catégorie juridique résultant à ce jour de l'article 1er de la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

L'article 72 de la Constitution disposant que " toute autre collectivité territoriale " que les communes, les départements ou les territoires d'outre-mer " est créée par loi ", on pouvait s'interroger sur la nécessité de faire figurer cette nouvelle appellation dans la Constitution. La mention du maintien de la Polynésie " au sein de la République " et l'absence de disposition envisageant à terme une accession à la pleine souveraineté, à la différence de ce qui est prévu par l'article 77 de la Constitution pour la Nouvelle-Calédonie, aurait pu conduire à faire figurer le nouveau statut constitutionnel de la Polynésie sous le titre XII dans un article distinct (par exemple dans un article 74 bis). Toutefois, le caractère dérogatoire de ce nouveau statut, inspiré de celui désormais applicable à la Nouvelle-Calédonie, est de nature à justifier l'insertion d'un titre spécifique à la Polynésie française. Il convient en outre de rappeler que la quatrième partie du Traité de Rome et la décision d'association du 25 juillet 1991 prise pour son application utilisent l'expression de " pays d'outre-mer " puisqu'ils définissent le régime communautaire applicable aux " pays et territoires d'outre-mer " (PTOM).

Le premier alinéa de l'article 78 reprend des mentions figurant actuellement à l'article 1er de la loi statutaire du 12 avril 1996 12( * ) : les notions d'" autonomie " et d'" intérêts propres ". Si la notion d' " intérêts propres " figure déjà à l'article 74 de la Constitution relatif aux territoires d'outre-mer, celle d' " autonomie " sera nouvelle et de nature à justifier, en l'absence d'accord politique comparable à l'accord de Nouméa, un statut constitutionnel dérogatoire. L'expression " La Polynésie française se gouverne librement et démocratiquement " marque d'emblée une avancée vers davantage d'autonomie : le statut actuel affirme simplement que la Polynésie française " exerce librement et démocratiquement, par ses représentants élus, les compétences qui lui sont dévolues ".

Ce même alinéa renvoie à la loi organique, prise " après avis de l'assemblée de la Polynésie française ", le soin de définir son statut. Le libellé retenu par le projet de loi constitutionnelle appelle deux observations :

- il consacre tout d'abord dans la Constitution l'existence de l' " assemblée de la Polynésie française ". Comme cela a été souligné dans le commentaire de l'article premier pour la Nouvelle-Calédonie, il eût été également préférable à l'article 4 d'utiliser le terme générique d' " assemblée délibérante " plutôt que de figer, au niveau constitutionnel, la dénomination retenue par le statut actuellement en vigueur ;

- par ailleurs, on peut s'interroger sur le champ d'application et la portée de l'expression " après avis " de l'assemblée :

L'article 74 de la Constitution, qui prévoit l'obligation de consulter l'assemblée territoriale sur les lois organiques statutaires des territoires d'outre-mer, utilise l'expression " après consultation " : cela signifie que sur tout projet de loi de cette nature le Gouvernement doit consulter l'assemblée territoriale sur les points qui seront soumis au Parlement ; mais l'avis recueilli ne le lie pas : le projet de loi soumis au Parlement peut intégrer ou non les modifications proposées par cette assemblée, il peut correspondre au texte de l'avant-projet ayant fait l'objet de la consultation ou consister dans une rédaction différente. En outre, bien qu'il soit arrivé au Conseil d'État de refuser de rendre lui-même son avis avant d'avoir eu connaissance de celui de l'assemblée territoriale intéressée, il n'est pas exigé que l'avis de l'assemblée territoriale soit fourni avant l'adoption du projet de loi en Conseil des ministres.

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il suffit, mais il est nécessaire, que cet avis soit " porté à la connaissance des parlementaires (...) avant l'adoption en première lecture de la loi par l'Assemblée dont ils font partie " (décision du 27 juillet 1984).

La procédure prévue à l'article 78 pour la Polynésie française doit s'entendre de même comme une simple obligation de consultation préalable, conformément à ce qui est prévu pour la Nouvelle-Calédonie. Les expressions " après consultation ", figurant à l'article 74, et " après avis ", figurant à l'article 77 et dans la rédaction proposée pour l'article 78, doivent être interprétées comme ayant une portée équivalente : si la consultation est obligatoire, l'absence d'avis émis dans un délai imparti par la loi organique ne saurait bloquer la procédure et l'avis rendu dans ce délai est un avis simple.

Concernant le champ de l'obligation de consulter l'assemblée de la Polynésie française , on observera qu'en dehors du domaine statutaire ne figure pas dans le projet de loi constitutionnelle de disposition faisant référence au principe dit de " spécialité législative " qui, se déduisant pour les territoires d'outre-mer de l'article 74 de la Constitution, suppose une consultation de l'assemblée locale délibérante sur tous les projets de loi ou d'ordonnance touchant à l'organisation particulière de ces territoires ainsi qu'une mention expresse dès lors que ces textes introduisent, modifient ou suppriment des dispositions spécifiques à ces territoires. Pareille mention a également été omise à l'article 77 pour la Nouvelle-Calédonie mais, bien que dépourvues de fondement constitutionnel, les dispositions statutaires (article 90 de la loi organique du 19 mars 1999) prévoyant l'obligation de consulter le congrès sur les projets de textes modifiant des dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie n'ont pas été censurées par le Conseil constitutionnel. Il faut donc considérer qu'implicitement la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française continuent à bénéficier des mêmes garanties constitutionnelles que lorsqu'elles appartenaient à la catégorie des territoires d'outre-mer.

La fin du premier alinéa de l'article 78 précise que la loi statutaire déterminera les compétences de l'État qui seront transférées à la Polynésie française , le calendrier et les modalités de ces transferts, notamment la répartition des charges en résultant. Sont ainsi repris pour partie les termes de l'article 77 concernant la Nouvelle-Calédonie. L'article 78 se situe cependant en retrait dans la mesure où il ne prévoit pas que les transferts opérés seront définitifs. Les transferts de compétences de l'État vers la Nouvelle-Calédonie traduisant dans la réalité institutionnelle le principe d' " autonomie " désormais consacré par la Constitution, il ne sera pas envisageable de revenir sur les transferts opérés sans méconnaître ce principe.

• En cohérence avec la volonté de se maintenir " au sein de la République ", le deuxième alinéa de l'article 78 énumère les matières insusceptibles d'être transférées : " la nationalité, les garanties des libertés publiques, les droits civiques, le droit électoral, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, les relations extérieures, la défense, le maintien de l'ordre, la monnaie, le crédit et les changes " ; cette sanctuarisation des matières réputées régaliennes est cependant prévue " sous réserve des compétences déjà exercées en ces matières par la Polynésie française ", c'est-à-dire celles résultant de la loi organique statutaire du 12 avril 1996.

• Au-delà du cadre juridique des transferts de compétence (matières concernées, calendrier, répartition des charges afférentes), les quatre derniers alinéas de l'article 78 énoncent ce que la loi organique statutaire devra également définir :

1) Les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Polynésie française et les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée de la Polynésie française, ayant le caractère de lois du pays , pourront être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel avant publication :

Le quatrième alinéa de l'article 78 reproduit fidèlement les termes du troisième alinéa de l'article 77 pour :

- renvoyer à la loi organique la définition des règles relatives à l'organisation et au fonctionnement des institutions polynésiennes. Les règles statutaires régissant la Polynésie française relèvent aujourd'hui déjà de la loi organique en vertu de l'article 74 de la Constitution relatif au régime juridique des territoires d'outre-mer ;

- prévoir que certains actes émanant de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés comme en Nouvelle-Calédonie " lois du pays " (expression qui, consacrée par l'Accord de Nouméa pour la Nouvelle-Calédonie trouve ici son origine dans la transformation de la Polynésie française, territoire d'outre-mer, en pays d'outre-mer), pourront être soumis au contrôle du Conseil constitutionnel avant leur publication. A l'instar de ce qui a été accepté pour la Nouvelle-Calédonie, l'assemblée délibérante polynésienne disposerait désormais d'un pouvoir normatif initial et autonome dans les matières relevant de la compétence de la Polynésie française, ce qui nécessite une révision de la Constitution dans la mesure où cela heurte le principe du caractère indivisible de la République inscrit dans son article premier. Certaines délibérations dénommées " lois du pays " ne pourront ainsi être contestées qu'en amont devant le Conseil constitutionnel, à l'instar de ce qui est prévu pour les lois de la République.

2) Les conditions dans lesquelles le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux et du respect des lois :

Cette mention ne figurait pas dans l'avant-projet de loi : elle a été insérée par le Conseil d'État pour consacrer dans la Constitution l'existence du haut-commissaire en Polynésie française.

Traditionnellement, les lois statutaires organiques comportent des dispositions prévoyant l'existence d'un haut-commissaire, dépositaire des pouvoirs de la République et représentant le Gouvernement, chargé de veiller à l'exercice régulier des compétences dévolues aux institutions locales ainsi qu'à la légalité des actes qu'elles édictent. Concernant les départements et les territoires d'outre-mer, ces dispositions font écho au dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution aux termes duquel " le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ". Le Conseil d'État s'est donc manifestement inspiré de l'article 72 alors même que la référence au délégué du Gouvernement ne figure pas au titre XIII regroupant les dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie.

Dans la mesure où le deuxième alinéa définit un bloc de compétences réservées à l'État et n'ayant pas vocation à être transférées à la Polynésie française, il peut paraître logique de faire figurer à l'article 78 la mention du délégué du Gouvernement, chargé des intérêts nationaux et du respect des lois qui préciseront la répartition des compétences.

3) Les règles relatives à la citoyenneté polynésienne et à ses effets dans divers domaines (accès à l'emploi, droit d'établissement, patrimoine foncier) :

Comme l'article 77, l'article 78 habilite le législateur organique à définir le régime applicable en matière de " citoyenneté " locale et ses conséquences en matière d'accès à l'emploi. Le texte proposé pour l'article 78 ajoute cependant deux références : celle du " droit d'établissement pour l'exercice d'une activité économique " et celle de l' " accession à la propriété foncière ".

La notion de citoyenneté polynésienne pourra ainsi être retenue pour édicter des règles discriminatoires en matière d'accès à la propriété immobilière et en matière économique pour pouvoir s'établir et exercer une activité en Polynésie. De telles règles portant atteinte au principe d'égalité, la possibilité d'édicter de telles dérogations est subordonnée à une habilitation constitutionnelle.

On peut cependant s'interroger sur la compatibilité d'une modification de la Constitution autorisant des discriminations en matière de droit d'établissement avec le principe de non discrimination résultant actuellement du jeu combiné de l'article 132 § 5 de la quatrième partie du Traité de Rome 13( * ) et de l'article 232 de la décision d'association du 25 juillet 1991 14( * ) Notons toutefois que ce dernier article atténue la portée du principe en offrant aux autorités compétentes des PTOM la possibilité d'établir des réglementations dérogatoires " en faveur des habitants et des activités locales ", ces dérogations devant être " limitées à des secteurs sensibles dans l'économie du PTOM concerné " et s'inscrire " dans le but de promouvoir ou de soutenir l'emploi local ". Ces dérogations sont accordées par la Commission sur demande des autorités compétentes du PTOM concerné et après concertation dans le cadre du partenariat Commission - État membre - PTOM.

La décision du Conseil du 24 novembre 1997 portant révision à mi-parcours du régime d'association des PTOM a maintenu l'exigence de non-discrimination en matière de droit d'établissement. Une déclaration annexée au Traité d'Amsterdam prévoit cependant un réexamen de ce régime d'ici février 2000, les évolutions envisagées devant en particulier comporter des aménagements à la liberté d'établissement afin de permettre aux PTOM de mieux préserver l'emploi local.

4) Les conditions dans lesquelles la Polynésie française pourra intervenir dans le domaine des relations internationales :

Par dérogation au deuxième alinéa selon lequel " les relations extérieures " restent une compétence étatique insusceptible d'être transférée, le dernier alinéa dispose que la loi organique déterminera les conditions dans lesquelles la Polynésie française pourra " être membre d'une organisation internationale ", " disposer d'une représentation auprès des États du Pacifique " et " négocier avec ces États, dans son domaine de compétence, des accords internationaux dont la signature et l'approbation ou la ratification sont soumises aux dispositions des articles 52 et 53 " de la Constitution.

Pareille disposition ne figure pas à l'article 77 relatif à la Nouvelle-Calédonie alors même que le nouveau statut prévoit que, dans les domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie, le congrès peut autoriser le président du gouvernement à négocier, dans le respect des engagements internationaux de la République, des accords avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux du Pacifique et avec les organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations-Unies. Ce statut prévoit également que la Nouvelle-Calédonie peut, avec l'accord des autorités de la République, être membre, membre associé d'organisations internationales ou observateur auprès de celles-ci (articles 29 et 31 de la loi organique du 19 mars 1999, non remis en cause par le Conseil constitutionnel).

En outre, il résulte aujourd'hui de l'article 40 de la loi organique du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française que les autorités de la République peuvent délivrer pouvoir au président du gouvernement pour négocier et signer des accords dans les domaines de compétence de l'État ou du territoire avec un ou plusieurs États, territoires ou organismes régionaux du Pacifique et avec les organismes régionaux dépendant des institutions spécialisées des Nations-Unies, ces accords étant soumis à ratification ou approbation dans les conditions prévues aux articles 52 et 53 de la Constitution. Ce même article prévoit que le président du gouvernement peut être autorisé par les autorités de la République à représenter ce dernier au sein des organismes régionaux du Pacifique ou des organismes régionaux du Pacifique dépendant d'institutions spécialisées des Nations-Unies.

Le deuxième alinéa de l'article 78 garantissant la pérennité de ces compétences en matière de relations internationales telles que définies par le statut actuellement en vigueur (régime juridique d'autorisation émise par les autorités de la République), son dernier alinéa ouvre la porte à de nouvelles avancées statutaires en la matière :

- la Polynésie française pourrait être membre d'une organisation internationale. Cette mention figure d'ailleurs également dans le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie, sans habilitation expresse en la matière de l'article 77 de la Constitution, le point 3.2.1 de l'Accord de Nouméa y faisant cependant explicitement référence ;

- elle pourrait disposer d'une représentation auprès des États du Pacifique et non plus seulement auprès des organismes régionaux du Pacifique ;

- qu'il s'agisse de représentation ou d'accords internationaux, la rédaction proposée pour l'article 78 renvoie à la loi organique le soin de déterminer " les conditions " dans lesquelles la Polynésie française exercera ses compétences ; le terme " conditions " est tout à la fois neutre et imprécis, il ne fixe a priori aucune limite à l'étendue de la compétence susceptible d'être confiée à la Polynésie française : alors qu'une procédure d'autorisation est aujourd'hui en vigueur (article 40 de la loi du 12 avril 1996), la loi organique pourrait désormais aller jusqu'à prévoir une capacité d'initiative exercée librement par la Polynésie française dans son domaine de compétence en matière de négociation d'accords internationaux.

Pareille latitude d'action ne doit cependant pas aller jusqu'à vider de sa portée le principe énoncé par le deuxième alinéa de l'article 78 qui fait des " relations internationales " l'apanage de l'État. Cela explique que la rédaction proposée pour l'article 78 ne renvoie à la loi organique que pour la négociation des accords, la signature, qui constitue une formalité valant simple authentification ou engagement selon les cas, demeurant de la compétence des autorités étatiques, sauf délégation accordée aux autorités polynésiennes ce qui correspond au régime prévu par l'article 40 du statut actuel.

D'un point de vue formel, observons enfin que le renvoi aux articles 52 et 53 de la Constitution concernant la " signature " des accords n'est pas très heureuse dans la mesure où ces dispositions ne traitent que des procédures d'approbation et de ratification.

Sous réserve des observations qu'elle vous soumet, votre commission des Lois vous propose d'adopter sans modification l'article 4 qui, à l'Assemblée nationale, avait subi deux légères modifications rédactionnelles.

*

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page