II. LA POLITIQUE FAMILIALE : UNE ABSENCE D'AMBITION

A. DES AVANCÉES MODESTES

Un certain nombre de facteurs auraient pu contribuer à faire de l'année 2000 une grande année pour la politique familiale.

Sur le plan politique, l'occasion était donnée au Gouvernement de rattraper les errements des deux dernières années marquées, rappelons-le, par la multiplication de mesures défavorables aux familles : suppression puis rétablissement de l'universalité des allocations familiales, diminution du plafond du quotient familial, réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED), report de 10 à 11 ans et de 15 à 16 ans des majorations pour âge des allocations familiales...

Sur le plan financier, la situation saine et excédentaire de la branche famille permettait, on l'a analysé plus haut, de dégager les moyens de financer de nouvelles priorités.

Sur le plan technique, enfin, il convenait d'esquisser la suite de la loi famille de 1994, qui couvrait la période 1994-1999 et prévoyait notamment un certain nombre d'amélioration des prestations familiales et des prestations logement avant le 31 décembre 1999.

On était donc en droit d'attendre cette année un discours politique ambitieux sur l'avenir de notre politique familiale. Sans doute échaudé par ces expériences passées, le Gouvernement fait au contraire preuve d'une grande prudence qui rime presque avec l'inaction.

Le dossier de presse qui accompagnait le projet de loi détaille les thèmes prioritaires de la politique familiale du Gouvernement, laquelle s'articule autour d'un slogan : " poursuivre la rénovation ".

Il est ainsi expliqué que " depuis deux ans, le Gouvernement rénove progressivement et en profondeur notre politique familiale ".

Les mesures déjà prises ou à venir s'organisent selon quatre thèmes majeurs :

- conforter les parents dans leur rôle éducatif ;

- soutenir les familles les plus modestes ;

- améliorer l'accueil des jeunes enfants ;

- aider à la prise en charge des jeunes adultes.

1. Des mesures positives mais de portée limitée

Les principales mesures trouvent leur traduction législative dans le présent projet de loi.

Malgré leur caractère indéniablement positif, ces mesures ne traduisent aucun engagement politique fort. La juxtaposition de simples mesures techniques d'aménagement, de consolidation, d'ouvertures de chantiers ne saurait remplacer un plan ou un engagement à moyen ou long terme.

Le recul de 20 à 21 ans de l'âge limite d'ouverture du droit au complément familial et aux aides au logement

L'article 8 du projet de loi permet de reculer, par voie réglementaire, de 20 à 21 ans l'âge limite d'ouverture du droit au complément familial et aux aides au logement.

Cet article est la traduction législative d'une mesure annoncée par le Gouvernement lors de la Conférence de la famille du 7 juillet 1999. Le Gouvernement avait alors indiqué qu'il entendait accentuer, en 2000, l'effort de justice sociale en portant de 20 à 21 ans, au 1 er janvier 2000, l'âge limite d'ouverture du droit au complément familial et aux allocations de logement.

Ces mesures devaient, selon le Gouvernement, permettre de mieux tenir compte de l'allongement de la durée de cohabitation des jeunes chez leurs parents, 73 % des jeunes de 20 ans habitant encore chez leurs parents. Elles avaient également pour objectif de réduire la diminution des ressources des familles lorsque l'enfant atteint 20 ans, notamment pour les familles modestes et nombreuses.

Pour comprendre cette disposition, il convient de rappeler que l'article 22 de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille prévoyait déjà que les limites d'âge des enfants ouvrant droit aux prestations familiales seraient progressivement et successivement relevées à 22 ans, au plus tard le 31 décembre 1999, afin de tenir compte du fait que les enfants demeurent plus longtemps qu'autrefois à la charge de leurs parents, notamment en raison de l'allongement de la durée des études.

Le projet de loi prévoyait que ces mesures, qui normalement relèvent du domaine réglementaire, interviendraient après constatation d'un excédent de ressources disponibles de la branche famille pour l'exercice précédent. Cette hypothèse semblant trop incertaine au Parlement, le Gouvernement avait accepté de fixer une date butoir pour la mise en place de ces mesures : le 31 décembre 1999.

L'article 22 de la loi famille de 1994 a connu un début d'application : deux décrets successifs (n° 97-1245 du 29 décembre 1997 et n° 98-1213 du 29 décembre 1998) ont en effet progressivement relevé la limite d'âge pour l'ensemble des prestations familiales de 18 à 19 ans puis de 19 à 20 ans pour les enfants dont la rémunération éventuelle n'excède pas un plafond fixé à 55 % du SMIC calculé sur 169 heures.

Votre rapporteur accueille de manière favorable les I, II et IV de l'article 8 relatifs au relèvement de 20 à 21 ans de l'âge limite d'ouverture du droit au complément familial et aux aides au logement. Ces dispositions s'inscrivent dans la droite ligne des objectifs définis par l'article 22 de la loi famille de 1994.

Votre rapporteur relève cependant que ces prestations, placées sous condition de ressources, ne bénéficient qu'à un nombre limité de personnes.

Selon le relevé de décisions de la Conférence de la famille du 7 juillet dernier, la mesure concernant l'allocation de logement familial et l'aide personnalisée au logement devrait concerner 175.000 familles et coûtera 800 millions de francs en année pleine. Compte tenu de sa montée en charge progressive, elle se traduira par une dépense supplémentaire de 220 millions de francs pour la branche famille en 2000 (cf. annexe C du projet de loi).

Le recul de 20 à 21 ans de l'âge limite pour le versement du complément familial concernera 60.000 familles et coûtera 700 millions de francs à la branche famille en année pleine. Cette mesure se traduira en 2000 par une dépense supplémentaire de 330 millions de francs (cf. annexe C du projet de loi).

Le " coup de pouce " de 0,3 % accordé aux prestations familiales

Les prestations familiales, à l'exception des aides au logement, de l'allocation de garde d'enfant à domicile (AGED) et de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée (AFEAMA) hors majoration, sont calculées en fonction d'un pourcentage de la base mensuelle de calcul des allocations familiales (BMAF).

L'article 36 de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille prévoyait, pour une période allant du 1 er janvier 1995 au 31 décembre 1999, que la BMAF serait revalorisée " une ou plusieurs fois par an conformément à l'évolution des prix à la consommation hors tabac prévue dans le rapport économique et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année civile à venir ".

Le second alinéa de cet article précisait cependant que " si l'évolution constatée des prix à la consommation hors tabac est différente de celle qui avait été initialement prévue, il est procédé à un ajustement destiné à assurer pour l'année civile suivante une évolution des bases mensuelles conforme à l'évolution des prix à la consommation hors tabac ".

L'article 7 du présent projet de loi confère un caractère pérenne à ce dispositif qui remplace désormais à l'article L. 551-1 du code de la sécurité sociale les dispositions en vigueur avant 1995. La rédaction retenue est identique à celle figurant dans la loi de 1994 : elle prévoit une possibilité d'ajustement positif ou négatif en fonction de l'évolution observée des prix l'année précédente. Lors de ces dernières années, l'évolution observée des prix a été systématiquement inférieure à l'évolution prévisionnelle : l'ajustement a donc toujours été négatif.

Ce mécanisme a donné lieu à une revalorisation de :

•  1,1 % au 1 er janvier 1998, compte tenu d'une hypothèse prévisionnelle d'évolution des prix hors tabac de 1,3 % et de la révision à la baisse de la prévision pour 1997 (1,1 % au lieu de 1,3 % initialement prévu) ;

•  0,71 % au 1 er janvier 1999, compte tenu d'une évolution prévisionnelle des prix hors tabac de 1,2 % et de la révision à la baisse de la prévision pour 1998 (0,8 % au lieu de 1,3 %).

En application de l'article 8 du projet de loi, la revalorisation de la BMAF serait donc de 0,2 % au 1 er janvier 2000, compte tenu d'une évolution prévisionnelle des prix de 0,9 % et d'une nouvelle révision à la baisse de la prévision pour 1999 (0,5 % au lieu de 1,2 %).

Le Gouvernement, " souhaitant en 2000 faire participer les familles à la croissance ", propose de majorer de 0,3 point la revalorisation telle qu'elle découle des règles définies à l'article L. 551-1 du code de la sécurité sociale. Grâce à ce " coup de pouce ", la revalorisation sera donc finalement de 0,5 % au 1 er janvier 2000.

Cette majoration exceptionnelle se traduira par une augmentation des dépenses de la branche famille de 340 millions de francs en 2000 6( * ) .

Votre rapporteur considère que le dispositif de revalorisation de la BMAF institué en 1994 a permis de garantir aux familles une évolution des prestations familiales au moins égale à celle des prix. Ce dispositif laisse en outre au Gouvernement la possibilité de donner un " coup de pouce " à la BMAF, afin de faire bénéficier les familles d'un gain de pouvoir d'achat.

Votre rapporteur est donc favorable à sa reconduction. Il remarque cependant que des mécanismes plus avantageux, fondés sur l'évolution de la richesse nationale ou des salaires, auraient pu être envisagés mais n'ont pas été retenus par le Gouvernement.

Evolution de la BMAF

 

1 er janvier

1 er juillet

Moyenne annuelle

Prix*

Année

Montant

Evolution

Montant

Evolution

Evolution

Evolution

1990

1.848,40

2,24

1.873,35

1,35

3,3

3,4

1991

1.905,20

1,70

1.920,44

0,80

2,9

3,2

1992

1.939,64

1,00

1.974,55

1,80

2,3

2,3

1993

2.014,04

2,00

2.014,06

0,00

3,0

1,8

1994

2.054,32

2,00

2.054,32

0,00

2,0

1,4

1995

2.078,97

1,20

2.096,64 **

0,00

1,7

1,7

1996

2.078,97

0,00

2.078,97

0,00

0,0

1,9

1997

2.108,49

1,42

2.108,49

0,00

1,3

1,1

1998

2.131,68

1,10

2.131,68

0,00

1,1

0,6

1999

2.146,81

0,71

2.146,81

0,00

0,7

0,5 ***

2000

2.157,54

0,50

2.157,54

0,00

0,5

0,9 ***

* Prix à la consommation de l'ensemble des ménages en moyenne annuelle, hors tabac depuis 1992, base 100 en 1990.

** Suite au contentieux 1995, revalorisation au 1 er juin 1995 de 0,85 %.

*** Evolution prévisionnelle 1999 et 2000 estimée en septembre 1999.

Source : Direction de la sécurité sociale (SDPEF/6A)

Il accueille favorablement le " coup de pouce " de 0,3 % accordé en 2000 qui témoigne d'un changement de méthode bienvenu.

En 1999, le Gouvernement avait fait le choix, pour la deuxième année consécutive, d'opérer un rattrapage négatif sur l'évolution de la BMAF et de ne revaloriser les prestations familiales que de 0,71 %, contre 1,2 % pour les pensions de retraite. Il avait en effet décidé de ne pas proroger le mécanisme de revalorisation des retraites institué par la loi de 1993 pour éviter d'appliquer aux pensions de retraites le rattrapage négatif de 0,5 % qu'il imposait pourtant aux prestations familiales.

Votre rapporteur a la satisfaction de constater qu'en 2000 les retraités et les familles bénéficieront des mêmes conditions, soit une revalorisation de 0,5 % intégrant une " coup de pouce " de 0,3 %.

L'augmentation des moyens de l'action sociale de la branche famille

En complément des prestations qu'elle verse, la branche famille mène une action sociale importante en direction notamment des familles qui ont les plus lourdes charges, ont les ressources les plus modestes ou rencontrent des difficultés dans leur vie.

Le budget de l'action sociale de la branche famille relève du Fonds national d'action sociale (FNAS) de la caisse nationale des allocations familiales. Il est substantiel et en croissance soutenue. L'action sociale occupe une place plus importante dans la politique de la branche famille que dans celle des autres branches du régime général. Représentant environ 7,5 % des prestations légales, elle contribue fortement dans certains domaines stratégiques -par exemple l'accueil des jeunes enfants- à la politique familiale.

Le budget du FNAS est en forte progression depuis plusieurs années. Selon le rapport de la Commission des comptes, les dépenses du FNAS atteindront 13,447 milliards de francs en 1999, en progression importante (+ 8,3 %) par rapport à l'année précédente, qui avait déjà enregistré une augmentation de 6 %.

Evolution des dépenses du FNAS

(en millions de francs)

 

Montant

% d'évolution

1996

11.455

5,5

1997

11.720

2,3

1998

12.419

6,0

1999

13.447

8,3

2000 (1)

13.904

3,4

2000 (2)

14.154

5,3

(1) avant projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000

(2) après projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000


Le rapport de la Commission des comptes prévoit un accroissement de 3,4 % en 2000 des moyens du Fonds national d'action sociale, portés à 13,904 milliards de francs.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 prévoit une dotation supplémentaire de 250 millions de francs au Fonds national d'action sociale, qui viendrait s'ajouter à cette augmentation prévisionnelle.

Au total, les moyens du Fonds national d'action sociale augmenteraient, en 2000, après le projet de loi de financement, d'un milliard de francs pour atteindre 14,154 milliards de francs, soit une progression de 5,3 %.


Ces crédits sont destinés à développer les actions en faveur de la petite enfance, avec un accent particulier sur l'accueil en crèches.

Dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 1999 7( * ) , la Cour des comptes observe que les crédits du FNAS sont déployés sur le terrain par deux canaux d'égale importance.

Premier canal : la CNAF met en oeuvre des prestations de service qui constituent une contribution financière réglementaire à de nombreux équipements et services gérés par les associations et surtout les communes : crèches, centres de loisirs sans hébergement, haltes-garderies, foyers de jeunes travailleurs,... Elle prend en charge le plus souvent 30 % des dépenses dans la limite d'un plafond. Ce système des prestations de service obéit donc à deux principes étroitement liés :

- ce sont les communes et les associations qui sont les vrais ordonnateurs de la dépense ; certes, les caisses ont la responsabilité d'agréer les équipements et services et, à la limite, la possibilité de les déconventionner si leur gestion ne respecte pas les règles convenues. Mais dans la généralité des cas, la prestation de service est accordée et maintenue, lui donnant de fait le caractère d'une dépense quasi obligatoire pour la branche ;

- le budget des prestations de service n'a pas de caractère limitatif et la dépense réelle " suit " les choix des communes. Sans doute la CNAF peut-elle influencer les choix des promoteurs communaux (en fixant le montant de la prestation de service ou en associant à son versement des règles qui limitent l'autonomie des gestionnaires) ; mais c'est une influence à la marge. Il résulte de ces caractéristiques juridiques que le système ne garantit aucune homogénéité géographique des actions financées par les prestations de service.

Le second canal de l'action sociale consiste en une dotation limitative donnée aux CAF, et dont elles ont le libre emploi. Sans doute l'arrêté prévoit-il que ces caisses doivent suivre les orientations définies par la CNAF. Mais cette dernière n'a pas décidé de mesures obligatoires et se contente de recommandations. On constate que la branche dégage, sans tension majeure, des références d'action sur lesquelles se réalise une réelle convergence. Le niveau de la dotation n'a pas, il est vrai, contraint les caisses à des arbitrages trop difficiles. L'intensité des échanges entre les CAF et les services de la CNAF permet le plus souvent de parvenir à des solutions consensuelles. Enfin, le poids des prestations de service (premier canal), dont la politique est définie par la CNAF à l'échelle nationale et qui complètent ou structurent nombre d'actions des caisses, donne à la caisse nationale les bases réelles de pilotage de l'action conduite sur le terrain par les caisses.

La Cour des comptes juge pour sa part positif ce mode de fonctionnement : les caisses ont une vraie marge de manoeuvre dont les conseils d'administration locaux s'emparent avec soin et une forte motivation ; cette gestion sur le mode de la " décentralisation encadrée " ne se traduit pas par de fortes divergences entre les caisses et la CNAF.

2. Le renoncement aux objectifs de la loi famille de 1994

Dans la droite ligne des objectifs définis par l'article 22 de la loi relative à la famille de 1994, le projet de loi autorise le relèvement de 20 à 21 ans de l'âge limite d'ouverture du droit au complément familial et aux aides au logement.

Ce relèvement ne constitue cependant, pour votre rapporteur, qu'une étape dans le processus prévu par ledit article.

L'article 22 expirera certes au 31 décembre 1999 ; les objectifs qu'il avait définis en 1994 -relèvement progressif jusqu'à 22 ans de l'âge limite d'ouverture de l'ensemble des prestations familiales- restent, pour votre commission tout à fait pertinents.


Or, telle ne semble pas être l'analyse du Gouvernement qui a clairement écarté, par la voix du Premier ministre, lors de la Conférence de la famille du 7 juillet dernier, tout " prolongement indéfini des allocations familiales ".

Soucieux de faire disparaître cet article dont la portée symbolique est évidente, le Gouvernement propose de l'abroger alors même qu'il cesse d'être applicable.

Votre rapporteur, qui est attaché au maintien de cet article, ne peut accepter cette logique. Il vous proposera par conséquent de supprimer l'abrogation de l'article 22 et de prolonger l'application de cet article de trois années, soit jusqu'au 31 décembre 2002.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page