2. Une personnalisation excessive du fait du préfet Bonnet

Le préfet Bonnet a incarné sans nul doute, vis à vis de l'opinion publique, la politique de rétablissement de l'Etat de droit. Lorsqu'il a rencontré des résistances, il s'est appuyé sur l'opinion publique nationale à travers les médias. Il a utilisé ce procédé, aussi bien dans sa conduite de la politique de sécurité que dans ses relations avec la justice, non sans générer de multiples tensions.

a) Un accaparement de la politique de sécurité

Le préfet Bonnet a véritablement accaparé la politique de sécurité dans l'île, au détriment tant du préfet adjoint, M. Francis Spitzer, qui a été relégué au rang de simple exécutant, que du préfet du département de Haute-Corse, M. Bernard Lemaire, qui bien qu'étant en parfaite cohérence de vue avec le préfet Bonnet sur l'objectif de rétablissement de l'Etat de droit, en a maintes fois contesté les modalités de mise en oeuvre.

(1) Le préfet Bonnet s'est réservé la maîtrise de la politique de sécurité

Le préfet Bonnet s'est personnellement impliqué, et de manière excessive, dans les questions de sécurité, court-circuitant de fait le préfet adjoint à la sécurité.

Le préfet de région présidait en personne deux réunions de police par semaine à la préfecture de Corse-du-Sud. Ces réunions se déroulaient chaque mardi et jeudi à 18 heures et regroupaient les représentants de la sécurité publique, de la police judiciaire, des renseignements généraux ainsi que le commandant de la légion départementale de gendarmerie, en présence du préfet adjoint et du directeur de cabinet, M. Pardini.

Chaque lundi, mercredi et vendredi, il tenait une réunion restreinte à laquelle n'assistaient que le préfet adjoint, le directeur de cabinet et le commandant de la légion de gendarmerie, le colonel Mazères. En dehors des ces réunions, ce dernier était fréquemment reçu personnellement par le préfet.

Le préfet adjoint à la sécurité tenait néanmoins deux réunions de police hebdomadaires, l'une le mercredi matin à Ajaccio et l'autre le vendredi à Bastia. Outre les renseignements généraux, la police judiciaire et la sécurité publique, y assistaient également les représentants des CRS, de la douane et de la police de l'air et des frontières.

(2) Une politique qui s'est exercée au détriment des deux autres préfets

Le préfet adjoint à la sécurité était donc bien loin d'apparaître, en dépit des termes de l'instruction en date du 31 octobre 1994 fixant ses pouvoirs, comme le « responsable de la politique de sécurité » et, encore moins « comme le représentant privilégié du gouvernement en la matière ». Il ne lui revenait dans les faits, ni de « diriger les services de la police nationale » ni « de coordonner l'action de tous les services ».

Le préfet adjoint, de son propre aveu était relégué au deuxième plan et cantonné dans des tâches purement administratives. Il a indiqué à la commission qu'il était en position « très significativement subordonnée » tant d'ailleurs à l'égard du préfet de Haute-Corse, Bernard Lemaire, que du préfet Bonnet, et qu'il ne « faisait pas partie du premier cercle du préfet Bonnet », composé du directeur de cabinet et du commandant de légion de gendarmerie.

Le préfet Bonnet apparaissait comme le véritable responsable de la politique de sécurité dans l'ensemble de l'île, étant, de fait, le seul représentant privilégié du gouvernement en la matière et se présentant comme tel aux yeux de l'opinion publique .

La dévolution au préfet de région des pouvoirs d'un préfet de zone de défense par le décret du 3 juin 1998 a en effet été présentée à l'opinion comme l'attribution des pleins pouvoirs de police au préfet Bonnet.

Si la notion de crise menaçant gravement l'ordre public avait été interprétée de façon extensive, le préfet de région aurait en fait pu exercer l'intégralité des pouvoirs en matière de sécurité, y compris ceux revenant normalement au préfet de Haute-Corse.

Le ministre de l'intérieur n'a pas souhaité s'engager dans une telle interprétation. A la suite de trois attentats intervenus contre des bâtiments des services fiscaux, une dépêche de l'AFP, publiée le 13 octobre 1998, avait annoncé que le préfet de région demandait à pouvoir coordonner la sécurité dans toute l'île, avant même que le ministre de l'intérieur par intérim, M. Jean-Jack Queyranne, à qui il serait revenu de prendre une telle décision, n'ait été averti de cette demande. Le ministre a indiqué à la commission qu'après avoir admonesté le préfet pour cette procédure « cavalière », il avait refusé d'accéder à sa demande, estimant que la situation de crise grave n'était pas caractérisée et qu'il convenait de « rester dans la légalité républicaine ».

Le préfet de Haute-Corse a néanmoins constaté à plusieurs reprises une ingérence du préfet Bonnet dans les affaires de sécurité concernant le département de Haute-Corse. Il s'est plusieurs fois heurté au préfet de région, par l'intermédiaire du préfet adjoint, concernant la mise à disposition de forces mobiles en Haute-Corse.

Il a de plus été tenu complètement à l'écart du très important dispositif de sécurité déployé dans son département lors des journées internationales de Corte au mois d'août 1998, dispositif qu'il a jugé tout à fait excessif.

Enfin, il a particulièrement déploré de ne pas avoir été averti du fait que, à l'initiative du préfet Bonnet, un piège avait été tendu en Haute-Corse autour d'une brigade de gendarmerie, dans l'attente d'une action éventuelle des assassins mêmes du préfet Erignac.

b) Les relations difficiles du préfet Bonnet avec les magistrats
(1) Une utilisation controversée de l'article 40 du Code de procédure pénale

Depuis 1998, on a pu décompter une soixantaine d'infractions signalées à la justice au titre de « l'article 40 » du code de procédure pénale qui ont été constatées notamment en matière de marchés publics, d'urbanisme, de versement de prestations sociales, et d'utilisation de fonds publics.

C'est ainsi que « le parquet d'Ajaccio a été destinataire d'une quarantaine de dénonciations de faits émanant de la préfecture en 18 mois » comme l'a confirmé un magistrat entendu en Corse par la commission.

Le tableau ci-après retrace quelques faits signalés au titre de l'article 40 depuis l'arrivée du préfet Bonnet.

Transmissions au parquet d'informations
au titre de l'article 40 du code de procédure pénale

Date saisie du parquet

Parquet

Motifs saisie

Remarque

Etat d'avancement

15.03.1998

Ajaccio

Commune d'Ajaccio - permis de construire illégal

pétitionnaire inexistant, fourniture de faux, diverses infractions au code de l'urbanisme, concerne la SCI Mérimée et M. Castellini

Aucune information

07.04.1998

Bastia

Marchés de travaux publics. Présomption de favoritisme par utilisation d'un sous-traitant fictif

concerne l'entreprise Torre T.P. - Ville di Pietrabugno

Eléments complémentaires demandés par le parquet à la préfecture 2B, le 9.04.98

25.05.1998

Bastia

Présomption de détournement de fonds publics (perception d'indemnités ASSEDIC et primes agricoles)

concerne M. Daniel Vernier à Luri

Aucune information

06.09.1998

Ajaccio

Présomption de délit de favoritisme sur les marchés du port de plaisance de Propriano

Mise en examen du maire de Propriano

Transmission au parquet le 6/02.99 du rapport I.G. sur Galloni d'Istria ancien subdivisionnaire

17.02.1999

Ajaccio

Emplois fictifs à la mairie de Propriano

maire : M. Emile Mocchi

Aucune information

Source : Chancellerie

Le préfet Bonnet a justifié le recours à cette méthode devant la commission d'enquête par le souci de « faire face à une situation exceptionnelle, celle d'une société un peu en marge de la loi » : « compte tenu des problèmes de prescription des délais en matière de contrôle de légalité, [l'article 40 du code de procédure pénale donnait] l'opportunité de démontrer précisément la volonté de changer de comportement ou d'attitude » .

Celui-ci aurait ainsi utilisé cet article « à cinquante ou soixante reprises » . Comme il a déjà été souligné précédemment, une forte augmentation du nombre des procédures pénales soumises au pôle économique et financier, a résulté de ce recours accru à la procédure de l'article 40 du code de procédure pénale.

Il a néanmoins reconnu devant votre commission d'enquête que « cela conduisait à une pénalisation excessive de l'action publique » et ne pouvait donc pas constituer « une réponse durable de l'administration » .

Les réactions des magistrats

Comme l'a justement remarqué un haut magistrat lors du déplacement en Corse de votre commission, ce n'est qu'après l'assassinat du préfet Erignac qu'une multitude d'affaires financières ont été soumises à l'institution judiciaire. Il a cependant tenu à souligner « qu'à l'examen, il s'avère que ces affaires ne sont malheureusement pas très récentes, même souvent très anciennes, à tel point que nous nous heurtons à la prescription de l'action publique » .

Cette nouvelle pratique, participant de la démarche d'ensemble visant à rétablir l'Etat de droit, a suscité une vive réaction de la part des magistrats locaux et notamment du procureur général de la Cour d'appel de Bastia, M. Bernard Legras.

Ce dernier a souligné le « rythme propre et lent des instructions » qui s'opposait au caractère instantané de la signalisation » d'une infraction constatée par un préfet au titre de l'article 40. Il a déclaré dans la presse qu'il fallait « dix minutes  pour faire un article 40 et deux ans à la justice pour en faire un dossier qui tienne » , mettant en relief le décalage entre« le temps administratif » et « le temps judiciaire ».

Un haut responsable de la Chancellerie a fait état devant la commission des contraintes qu'engendrait chaque « article 40 » pour un magistrat du parquet, qui se retrouve « dans l'obligation de vérifier les éléments et traditionnellement fait une enquête préliminaire » . Il a, par ailleurs, évoqué une contrainte particulière qui pesait sur le procureur général : « gérer les priorités en termes de calendrier ».

Ce sentiment a d'ailleurs été partagé par le garde des sceaux lors de son audition par votre commission : « deux ou trois ans sont nécessaires pour bâtir un dossier judiciaire qui tienne la route devant les tribunaux » .

Comme l'a affirmé un conseiller du Premier ministre « lors de certaines des réunions de directeurs de cabinet, celui du garde des sceaux a fait part d'une préoccupation des magistrats, du parquet notamment, quant au fait d'être saisis d'un très grand nombre d'affaires dont ils avaient l'impression qu'ils ne pourraient pas de manière simultanée mener à bien l'instruction dans de brefs délais. »

D'après un magistrat entendu par la commission d'enquête, le préfet utilisait l'article 40 comme un « instrument de pédagogie » , conception qui ne saurait être partagée par les juges. Il s'agissait surtout pour le préfet de « faire comprendre à l'opinion publique locale que les choses avaient évolué » , alors que la justice devait ouvrir d'une enquête préliminaire, voire une information judiciaire. Ce même magistrat a estimé qu'il y avait eu « excès de pédagogie » à certains moments et que « certaines exploitations de certaines informations avaient fait plus de dégâts que de faits positifs en pédagogie » ; il a ajouté : « ce n'est pas un moyen mis à la disposition du représentant de l'Etat dans une situation de crise. »

Devant la commission d'enquête, le préfet Bonnet a admis que cette pratique avait suscité une profonde irritation des autorités judiciaires locales et un vif agacement transformé peu à peu en « hostilité ouverte » .

Comme certains magistrats l'ont expliqué en Corse à la commission, c'est moins le nombre d'« articles 40 » qui a gêné les magistrats que « leur qualité » c'est-à-dire leur fondement juridique, ainsi que la publicité qui en était faite.

Les magistrats exerçant en Corse ont affirmé « être très demandeurs d'article 40 » , qualifié d'excellent moyen pour la justice d'obtenir « des éléments qui lui permettent d'exercer l'action publique dans des conditions correctes » .

Dans le même sens, un responsable de la Chancellerie a indiqué à la commission « qu'il n'était pas question de faire du malthusianisme, partant du principe qu'il n'y a pas à dénoncer l'excès de saisines liées à cet « article 40 » , d'autant qu'aux termes de cet article, les fonctionnaires ont l'obligation de dénoncer les infractions, le parquet restant ensuite parfaitement libre d'apprécier les suites à donner, conformément au principe de l'opportunité des poursuites.

Un haut magistrat local a, en outre, tenu à préciser que les articles 40 n'émanaient pas tous du préfet Bonnet, saluant au passage le rôle de l'inspection générale des finances dans la mise en cause du Crédit agricole en mars 1998.

Cependant, d'après ce même témoignage, il s'est avéré que certains de ces « articles 40 » n'étaient pas fondés. Des décisions de classement sans suite, notifiées, à la préfecture de région, ont été prises par les procureurs de la République, sans provoquer d'ailleurs de réaction de la part de l'autorité administrative.

Une exploitation médiatique excessive

Un magistrat entendu à Ajaccio a indiqué qu'il n'était pas rare « de découvrir l'existence des articles 40 par la presse en lisant le Monde, le Figaro ou les journaux du dimanche.» Ce magistrat a d'ailleurs critiqué vivement cette méthode, considérant « qu'il n'était pas nécessaire de donner à certains mouvements nationalistes qui se gavent de ces informations de telles informations non vérifiées » et que cela ne servait qu'à « alimenter un discours populiste et démagogique sur le thème « tous pourris » .

Le même magistrat a illustré ses propos en faisant allusion aux déclarations du préfet devant l'Assemblée de Corse le 31 octobre 1998, dénonçant « l'homme aux vingt millions de dollars 65 ( * ) », qui ont suscité « des réactions négatives, y compris au plan économique » . Or, selon lui, ces déclarations « ne reposaient manifestement sur aucun élément sérieux » , ainsi que l'a confirmé l'administration fiscale après avoir examiné le dossier.

Désapprouvant également la médiatisation du recours à l'article 40 du code de procédure pénale, le garde des sceaux, a pour sa part estimé qu'il était « du devoir des fonctionnaires qui ont connaissance d'infractions de ne pas les communiquer à la presse » et d' « en réserver la teneur aux autorités judiciaires » .

(2) Des relations diverses avec les magistrats

Des relations ambivalentes avec les juges anti-terroristes

Les témoignages recueillis par la commission attestent de relations cordiales entre les magistrats anti-terroristes et le préfet Bonnet.

Un magistrat parisien entendu a indiqué avoir rencontré le préfet de région à plusieurs reprises pour faire le point sur la situation générale en Corse, et a déclaré « n'avoir pas eu le sentiment que [le préfet] ait cherché à s'immiscer dans le mécanisme du dossier judiciaire» dont il avait la charge .

Le préfet Bonnet a d'ailleurs invité à un déjeuner à la préfecture les trois magistrats anti-terroristes instructeurs chargés de l'enquête sur l'assassinat du préfet Erignac, lorsqu'ils se sont rendus à Ajaccio à la fin du mois de février 1998 pour préparer la reconstitution.

Certains magistrats anti-terroristes ont cependant ressenti une certaine incompréhension à l'égard du préfet Bonnet et la non-transmission de ses « notes » aux magistrats instructeurs les a laissés perplexes.

L'un d'eux d'ailleurs a fait part de sa surprise à la commission d'enquête et se demande toujours « pourquoi il n'a pas remis directement aux enquêteurs ses informations » .

Un autre magistrat anti-terroriste a en revanche porté une appréciation sévère sur l'attitude du préfet Bonnet dans l'enquête Erignac. Il a en effet regretté que le préfet ait pu revêtir dans certaines situations la casquette « d'un magistrat et d'un enquêteur bis » personnalisant sa fonction au point de sortir de son rôle de préfet. Or, « Chacun a sa place, chacun son domaine de compétence . C'est un problème de spécialistes et de professionnels » .

Ce même magistrat a souligné l'importance qu'il attachait au principe de la séparation des pouvoirs, indiquant « qu'il n'appartient pas à un préfet de diriger des enquêtes judiciaires, le préfet est une autorité administrative (...) M. Bonnet aurait-il trouvé à lui tout seul tous les assassins du préfet Erignac, comment aurait-il concrétisé tout cela puisqu'il ne pouvait pas faire le moindre acte sans qu'il soit frappé de nullité absolue ? » .

Il a ajouté : « si un préfet considère que le chirurgien affecté dans un établissement hospitalier de son ressort ne travaille pas bien, il peut éventuellement attirer l'attention des autorités sanitaires ou de l'Ordre des médecins sur cette difficulté. Mais au motif que le chirurgien ne serait pas bon, il ne va pas se mettre à opérer lui-même, ce qui serait de l'exercice illégal de la médecine et de la chirurgie. Il en est de même dans le domaine judiciaire » .

Des relations « complexes » avec les magistrats locaux

S'agissant des magistrats locaux, les relations nouées avec le préfet étaient empreintes d'une plus grande complexité.

Un magistrat du ressort du TGI d'Ajaccio entendu lors du déplacement en Corse a fait part de relations tout à fait « normales » avec le préfet Bonnet qu'il considérait « comme l'un des partenaires de l'autorité judiciaire dans un grand nombre de domaines, notamment la politique de la ville, la prévention de la délinquance, la sécurité routière, la violence scolaire » .

Il a expliqué que la politique du préfet Bonnet lui était apparue « très intéressante et dynamique » . Les magistrats du tribunal, en particulier ceux du parquet participaient à toutes les réunions organisées à la préfecture concernant la justice.

Des difficultés sont cependant rapidement apparues entre le préfet Bonnet et le nouveau procureur général, M. Bernard Legras, qui a été installé le 22 mai 1998.

La polémique autour de l'utilisation de l'article 40 précédemment évoquée a rendu nécessaire « une période d'ajustement qui avait duré deux ou trois mois pendant lesquels il y a eu des conversations précises et fermes » comme l'a indiqué un ministre entendu par la commission.

D'après le procureur général, « il y a eu effectivement quelques échanges médiatisés par la force des choses, mais si on les analyse, ils ont été réduits » .

Celui-ci a indiqué qu'à partir du 15 juin 1998, date de la rencontre en présence d'un ministre, « il n'y a plus eu la moindre manifestation d'un éventuel désaccord » .

S'agissant de la période d'ajustement de l'été 1998, le procureur général a cependant relaté un incident caractéristique d'une phase critique avec le préfet. Une réunion avait été organisée 66 ( * ) en Corse sur les problèmes du terrorisme et la gestion de ces affaires. « C'était une réunion entre magistrats, pour des raisons que je n'ai pas comprises » a-t-il déclaré à votre commission , « M. Bonnet a demandé à être entendu le soir dans le cadre du journal FR3 Corse où il a proclamé que cette réunion était un non événement, que c'était la bulle de l'été ».

Sur un plan général, le procureur général Legras a fait état de rapports normaux qui s'étaient établis par la suite avec le préfet Bonnet, chacun rencontrant l'autre notamment à Bastia. « Il n'y a plus eu le moindre problème entre nous » . Il a indiqué qu'il ne prétendait pas avoir eu avec le préfet Bonnet « des rapports quasi-amoureux, mais ils n'étaient pas exécrables et nous avons eu des rapports normaux » .

Cette affection ne semble pas avoir été réciproque, car le préfet Bonnet a fait état d'une relation beaucoup plus tendue, pour ne pas dire houleuse, avec le procureur général de Bastia, qualifiant leurs relations « d'exécrables » . D'après le préfet, le procureur Legras « considérait qu'il avait été nommé en Corse pour rétablir l'Etat de droit et que la présence d'un préfet sur ce créneau-là était tout à fait inutile, qu'il avait brillamment réussi à la Réunion et que, par conséquent, il y en avait un de trop ! ».

Il a rappelé un incident qui avait eu lieu en janvier 1999 dans la salle d'audience du TGI d'Ajaccio à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée.

Le préfet avait souhaité assister à cette audience. Le procureur général lui a fait part de l'intention des chefs de juridiction de donner la parole au bâtonnier Me Antoine Sollacaro. Le préfet constatant que Me Sollacaro était allé trop loin dans ses propos, est sorti de la salle, estimant que l'Etat était mis en cause. Le procureur général Legras, sans désavouer la réaction du préfet, est resté dans l'enceinte judiciaire, estimant que c'était la place d'un magistrat. Le préfet lui aurait reproché « de ne pas l'avoir suivi et d'avoir manqué de solidarité » , d'après les propos rapportés par le procureur général devant la commission.

Afin d'améliorer les choses, les deux intéressés ont été reçus conjointement par le Premier ministre le 14 septembre, qui leur a dit « qu'ils devaient s'entendre et communiquer fréquemment », comme l'a rapporté à la commission un conseiller de Matignon.

D'autres témoignages recueillis corroborent cette mésentente liée aux personnalités très fortes de ces deux personnages également convaincus du rôle fondamental qu'ils avaient à jouer dans le rétablissement de l'Etat de droit.

« Le procureur général Legras est arrivé avec son aura » . Il dirigeait très fortement ses procureurs, a rapporté un ancien haut responsable de la gendarmerie en Corse ; quant aux relations entre ces deux hommes, il a indiqué : « Le préfet Bonnet était un Gouverneur, un proconsul ; il n'y avait pas la place pour deux proconsuls en Corse » .

Le président de l'Association du corps préfectoral a fait part à la commission de ses préoccupations sur un éventuel dépaysement de l'affaire des paillotes, tout en soulignant qu'il était nécessaire de veiller à ce que « la délocalisation ne soit pas interprétée comme une tentative de créer une justice particulière » . Néanmoins il lui est apparu « choquant que M. Bonnet soit jugé en Corse » .

Votre commission tient à rappeler que le procureur général Legras a récemment rejeté la requête en dépaysement de l'affaire des paillotes qui a été présentée par l'avocat de M. Bonnet, rien ne s'opposant selon lui à la poursuite normale de l'instruction en Corse.

* 65 Les propos du préfet Bonnet visaient à dénoncer une fraude fiscale portant sur 20 millions de francs

* 66 Il s'agissait de la réunion destinée à établir les critères de répartition des dossiers terroristes entre les parquets corses et parisien.

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