B. LA PERSISTANCE D'INCERTITUDES

A supposer le diagnostic conjoncturel exact pour la fin de l'année et ainsi acquis le maintien d'une consommation des ménages dynamique malgré les signaux contraires observés au mois de septembre et en dépit de la hausse des prélèvements directs pesant sur le revenu, les perspectives de l'économie française, qui dépendent beaucoup, rappelons-le, de l'environnement international, paraissent obscurcies par la persistance d'incertitudes sur le comportement des agent et de freins structurels à la croissance qu'il importe de desserrer.

1. La persistance de handicaps structurels

Les perspectives d'un essor de l'activité sont altérées par la persistance d'obstacles structurels qu'il importe de lever.

Une croissance durable suppose notamment d'apporter des améliorations au fonctionnement du marché du travail. Elle impose aussi de réduire les incertitudes associées à la gestion d'un secteur public mal maîtrisé et de réorienter l'épargne vers des emplois plus productifs, objectif dont plusieurs travaux récents de votre commission ont rappelé le caractère stratégique.

a) L'augmentation de l'emploi repose sur des bases ambiguës

La progression du nombre d'emplois s'explique par des facteurs divers dont le rapport économique, social et financier présente une synthèse sommaire rappelée dans le tableau ci-dessous.

Contributions à la croissance de l'emploi marchand entre juin 1997 et juin 1999

Emplois liés à la croissance

420.000

Allégements de charge

80.000

Réduction du temps de travail

40.000

Autres mesures

20.000

Il présente une situation où l'essentiel des créations d'emplois marchands a été engendré par la croissance, les mesures de politique économique n'expliquant que le quart des créations d'emplois.

Ce diagnostic qui rappelle opportunément le lien entre croissance et emplois occulte cependant une donnée essentielle, le renforcement de ce lien intervenu sous l'effet de l'enrichissement de la croissance en emplois. Celui-ci est intervenu principalement grâce à une diminution des gains de productivité du travail qui a conduit à un partage du travail de fait. Ces phénomènes ne témoignent pas d'un dynamisme économique et de l'emploi nécessaire à la résorption du chômage.

Il faut d'abord rappeler qu'une partie importante des emplois qui seraient finalement créés au cours de la période 1998-2000 correspondraient à des emplois non marchands, ce dont témoignent les données ci-dessous.

Evolution de l'emploi
(glissements annuels)

 

1998

1999

2000

Cumul

Emplois salariés marchands

325.000

222.000

292.000

839.000

Emplois salariés non marchands

91.000

134.000

85.000

310.000

Totaux

416.000

356.000

377.000

1.149.000

Part de l'emploi salarié non marchand dans les créations d'emplois

(en %)

1998

1999

2000

21,9

37,6

22,5

Les emplois non marchands en cause sont, pour l'essentiel, liés à l'instauration des emplois-jeunes. Leur développement suppose un financement public qui opère un prélèvement sur l'économie et se traduit en contrepartie par une destruction d'emplois que certaines études ont chiffré à plus de 50.000 unités. Le bilan de la mesure, favorable à court terme pour l'emploi, ne l'est toutefois pas dans les proportions que l'affichage des créations brutes d'emplois voudrait accréditer. Mais, il faut ajouter qu'un bilan économique complet suppose de se pencher sur les effets de moyen terme du dispositif et d'enrichir le raisonnement.

La productivité des emplois créés est assurément inférieure à celle des emplois sacrifiés si bien que le bilan des emplois-jeunes sur le potentiel de croissance économique est d'ores et déjà douteux.

Il est surtout susceptible de s'alourdir considérablement à l'avenir puisque se posera à un terme désormais proche le problème de la pérennisation des emplois-jeunes, et en particulier celui de leur intégration à la fonction publique.

S'agissant des emplois marchands, leur essor a été favorisé par une baisse des gains de productivité apparente du travail au terme de laquelle l'économie française crée désormais des emplois dès que sa croissance en volume avoisine 1,5 %.

Ce ralentissement de la productivité du travail, qui appelle des investigations complémentaires, résulte probablement d'une combinaison de facteurs ou la faiblesse relative de l'investissement, la désindustrialisation et la montée en charge corrélative du secteur des services, ainsi que les modifications de la structure des emplois jouent des rôles congruents.

Elle a des effets positifs sur l'emploi d'un point de vue quantitatif mais son bilan qualitatif est moins favorable tandis que son impact économique est, lui, négatif.

La nature des emplois créés conduit en effet à nuancer beaucoup l'impression plutôt favorable qui ressort des données strictement quantitatives.

La contribution des emplois d'intérim à la création d'emplois apparaît très importante de même que, plus globalement, celle des emplois à temps partiel.

Ainsi, le volume de travail temporaire qui s'était déjà accru de 23,4 % entre 1996 et 1997 a progressé de 26,6 % en 1998.

La proportion des emplois à temps partiel s'accroît donc considérablement, la situation de la France tendant sur ce point à dépasser la moyenne observée en Europe alors qu'elle en était très éloignée au début de la décennie.

Proportion d'emplois à temps partiel dans l'emploi total

(en %)

 

1983

1992

1997

Allemagne

12,6

15,1

17,5

Belgique

8,1

12,4

14,7

Danemark

23,8

22,5

22,3

Espagne

-

5,8

8,2

France

9,6

12,7

16,8

Italie

4,6

5,9

7,1

Norvège

29,6

27,1 (1)

26,6 (2)

Pays-Bas

21

34,5

38

Portugal

-

7,3

9,9

Royaume-Uni

18,9

23,5

24,9

Suède

24,8

24,9 (1)

24,5

Etats-Unis

18,4

17,6 (1)

18,3 (2)

Union européenne (à 12 ou 15)

-

14,2

16,9

Notes : Pour les pays de l'Union européenne, en 1992 et 1997, la classification entre temps partiel et temps plein dépend d'une question directe dans l'Enquête sur les Forces de travail, sauf en Autriche et aux Pays-Bas où elle dépend du nombre d'heures habituellement travaillées. Quand on demande aux personnes ayant un emploi si elles exercent un emploi à temps partiel, elles comparent leur nombre d'heures habituellement effectuées avec le nombre normal d'heures dans leur profession et leur activité en tenant compte des conventions appliquées dans l'Etat membre concerné (par exemple, l'obligation d'un accord formel avec l'employeur).

(1)Chiffre de 1993

(2) Chiffre de 1996

Sources : pour les pays de l'Union européenne, en 1992 et 1997, Eurostat, Enquêtes Forces de travail, sinon OCDE


Cependant, à l'inverse de la situation moyenne en Europe, le développement du temps partiel apparaît en France largement involontaire.

Proportion de temps partiel " involontaire " en 1997

(en %)

 

Total

Hommes

Femmes

Allemagne

13

18

13

Autriche

8 (1)

9

8

Belgique

26 (1)

40

24

Danemark

14

13

13

Espagne

24 (1)

23

25

Finlande

38 (1)

33

40

France (2)

41

53

39

(3)

31

45

27

Grèce

41 (1)

50

36

Irlande

25 (1)

46

18

Italie

38 (1)

46

35

Pays-Bas

6

8

5

Portugal

22 (1)

16

24

Royaume-Uni

12

24

10

Suède

32

35

31

Union européenne (à 12 ou 15)

20

27

18

Notes : Raison de temps partiel : modalité 4 " emploi à temps complet non trouvé "

(1) Pays pour lesquels la modalité " autres raisons " est supérieure à 10 %

(2) Publication Eurostat

(3) Après correction de l'algorithme français

Source : Commission européenne (1995) et OCDE (1999)


Les créations d'emplois ne sont donc pas, loin de là, entièrement équivalentes à un recul du sous-emploi, ce dont témoignent les données ci-dessous.

Taux de sous-emploi parmi les emplois à temps partiel en 1998

(en %)

Ensemble

Hommes

Femmes

38,5

51,5

35,6

Sources : Enquêtes Emploi, INSEE

A côté de ses conséquences mitigées sur le marché du travail, la réduction des gains de productivité apparente du travail a par ailleurs un impact économique négatif. Elle réduit le sentier de croissance potentielle et affecte ainsi les capacités de l'économie française à dégager des surplus.

Cette contrainte doit impérativement être prise en considération dans toute réflexion sur les perspectives de croissance en France et sur les conditions de répartition de ses fruits.

b) La réduction du temps de travail planifiée par les lois sur les " 35 heures " ne va pas dans le sens d'une amélioration du fonctionnement du marché du travail

La première loi de réduction du temps de travail aurait permis la création de 40.000 emplois, chiffre qui contraste pour le moins fortement avec celui du rapport du ministère de l'emploi du 20 septembre 1999 mentionnant 120.273 emplois liés à cette loi. Ce dernier chiffre est pourtant celui des créations d'emplois attendus en 2000 du fait de la réduction du temps de travail dans le rapport économique, social et financier associé au projet de loi de finances.

Les prévisions du gouvernement apparaissent en très net retrait par rapport aux annonces qui avaient accompagné la présentation du premier projet de loi. Elles s'inscrivent pourtant dans le cadre d'un jeu d'hypothèses où toutes les conditions d'une réduction réussie du temps de travail sont réunies :

- les coûts unitaires de production n'augmenteraient pas, la réduction du temps de travail étant neutre pour les entreprises ;

- les capacités de production seraient maintenues ;

- la consommation des ménages, donc la masse salariale, ne serait pas réduite ;

- l'équilibre des finances publiques prises dans leur ensemble ne serait pas dégradé.

Ce scénario, de convenance, ne doit pas dissimuler les risques importants résultant de l'introduction impérative des " 35 heures ".

Ils concernent d'abord le coût unitaire du travail qui pourrait être sensiblement accru au détriment des capacités des entreprises à investir 3( * ) . Un rapport de notre collègue Joël Bourdin au nom de la Délégation du Sénat pour la planification rappelle que, selon le ministère de l'Emploi, seul un accord d'entreprise aidé sur deux prévoit une baisse initiale ou un gel des salaires (la durée de ce gel s'établissant en moyenne à deux ans), tandis qu'un accord aidé sur quatre prévoit une moindre augmentation des salaires et qu'un accord aidé sur cinq ne prévoit aucune forme de modération salariale.

En moyenne, les efforts de modération salariale pourraient ainsi s'avérer modestes, d'autant plus que les entreprises ne semblent pas avoir freiné les salaires en 1998 dans la perspective des négociations relatives aux 35 heures.

Comme la baisse du chômage induite à partir de 2001 par la réduction du temps de travail qui s'ajouterait à celle suscitée par une croissance dynamique renforcera la position des salariés lors des négociations salariales, les travaux de projection réalisés par la Délégation du Sénat décrivent une vive accélération des salaires horaires en fin de période. En dépit de la baisse de la durée du travail, les salaires mensuels réels retrouveraient ainsi rapidement un niveau proche de leur niveau tendanciel.

" La mise en oeuvre des 35 heures accélère donc spontanément le revenu des ménages . A l'inverse elle détériore progressivement la capacité de financement des entreprises (d'environ 32 milliards de francs en 2005) et ce, avant même l'instauration de prélèvements supplémentaires 4( * ) . Il en résulte à moyen terme un risque pour la pérennité des emplois créés par la réduction du temps de travail ".

Le second risque concerne les finances publiques. Les mêmes travaux rappellent judicieusement que le montant des allégements de charge envisagés pour faciliter les 35 heures dépasse sensiblement l'effet favorable de la réduction du temps de travail pour les finances publiques (1.250 francs par an par salarié et par heure de réduction de la durée effective du travail selon le rapport du ministère de l'Emploi).

En d'autres termes, les allégements de charge " surfinancent " la réduction effective du temps de travail. Pour mettre en oeuvre les 35 heures sans dégrader l'équilibre des finances publiques, le gouvernement doit donc ou bien réduire d'autres dépenses, ou bien instituer de nouveaux prélèvements, cette seconde option revenant à reprendre d'une main ce que l'on octroie de l'autre.

Cette analyse est étayée par les travaux de projection réalisés par l'OFCE à la demande de notre Délégation pour la planification qui établissent que le creusement du déficit des administrations publiques résultant des " 35 heures " serait d'environ 15 milliards de francs à l'horizon 2003.

Coût des 35 heures pour les administrations publiques
après bouclage macro-économique

(en milliards de francs)

Allégements de charges

- 65,5

Retour de cotisations sociales

+ 31,5

Baisse des prestations chômage

+ 14,5

Surcroît de recettes fiscales

+ 4,8

Coût net ex post

- 14,7

Source : OFCE, modèle MOSAIQUE

c) La situation du marché du travail est illustrée par le paradoxe de la formation de goulots d'étranglement en situation de sous-emploi

Ce paradoxe amène à poser la question de l'adaptation de la formation, du niveau du coût du travail peu qualifié et de la cohérence d'un maintien délibéré de ce coût à un haut niveau avec celui de prestations telles que le revenu minimum d'insertion (RMI) dont le volet insertion paraît ainsi condamné à l'avance.

Le niveau des prestations délivrées aux titulaires du RMI et aux chômeurs en fin de droits contraste en effet avec leur faible retour à l'activité, les prestations ne servant plus qu'à l'assistance. On peut dès lors des demander si le RMI n'est pas désormais " un revenu minimum d'inactivité ". Il est au demeurant frappant de rappeler que la charge du RMI pour l'Etat a augmenté de 30 % depuis 1996, malgré la vive croissance de l'économie et des emplois, parmi lesquels figure d'ailleurs une part importante d'emplois peu qualifiés.

Dans le même temps, de nombreux gisements d'emplois existent mais ne sont pas occupés car trop coûteux pour les entreprises (poids des charges sociales sur les bas salaires) et trop faiblement rémunérateurs pour les bénéficiaires de prestations d'assistance et notamment du RMI (leur revenu augmente, mais leur pouvoir d'achat peut diminuer en raison de la perte du bénéfice de certaines prestations ou bien des impositions nouvelles auxquelles ils deviennent assujettis, comme les taxes locales).

En ce sens, l'instauration d'un revenu minimum d'activité (RMA) pourrait renverser ces effets pervers en proposant une solution servant les intérêts des exclus comme des entreprises par une réorientation totale des aides publiques.

2. Les incertitudes sur le comportement des agents

a) Les ménages

La demande des ménages qui représente 59,3 % du PIB se compose de leur consommation (54,3 % du PIB) et de leurs investissements (5 % du PIB). Elle s'accroîtrait de 3,9 % entre 1999 et 2000 et contribuerait ainsi pour 1,7 point de PIB à la croissance prévue en 2000 (+ 2,8 %).

Les taux de croissance en valeur de la consommation des ménages montre que le dynamisme observé en 1998 ne se confirmerait pas pleinement cette année mais que l'année 2000 marquerait un regain . La progression moyenne en valeur en serait successivement de 4,35 % en 1998, 3,1 % en 1999 et 3,8 % en 2000.

Le tableau ci-dessous exprime ces chiffres en volume et retrace les principaux déterminants de la consommation.

Evolution du volume de la consommation des ménages
et de ses principaux déterminants

 

1998

Prévisions 1999

Prévisions 2000

Revenu disponible brut en pouvoir d'achat

2,5

2,6

2,6

Dépenses de consommation

3,4

2,4

2,7

Taux d'épargne

15,5

15,7

15,6

Les données ici récapitulées n'ont pas toutes le même statut. Celles qui concernent l'année 1998 résultent d'une observation rétrospective, les autres appartenant au domaine des prévisions. Or celles-ci qui sont pour partie hypothétiques ne s'appuient pas sur les mêmes enchaînements que ceux constatés en 1998.

Ces derniers ont été exceptionnels en effet même s'ils ont pu confirmer une donnée qui, elle est devenue habituelle c'est-à-dire la volatilité des comportements des ménages et les difficultés de prévision qui en résultent.

L'essor de la consommation des ménages en 1998 a, de fait, largement dépassé celui de leur revenu . Les gains de pouvoir d'achat se sont établis à 2,5 % et la croissance de la consommation en volume à 3,4 %. Cet écart a supposé une diminution très importante du taux d'épargne des ménages (-0,8 point).

Les prévisions pour 1999 et 2000 ne retiennent pas de tels enchaînements : la consommation varierait comme le revenu tandis que le taux d'épargne serait stabilisé.

Le revenu disponible brut des ménages bénéficierait en 2000 comme en 1999 d'une progression de son pouvoir d'achat de 2,6 %.

Evolution en termes réels* du revenu disponible des ménages

Taux de croissance annuel

 

Contrib. Croissance du RDB (1)

1995

1996

1997

1998

1999

2000

 

1995

1996

1997

1998

1999

2000

1,2

0,6

1,3

2,9

2,7

2,8

Revenus d'activité

1,0

0,5

1,1

2,4

2,3

2,4

 
 
 
 
 
 

dont :

 
 
 
 
 
 

1,6

0,8

1,3

3,0

3,0

2,6

Salaires bruts

0,9

0,5

0,7

1,7

1,7

1,5

0,3

0,0

1,3

2,8

2,1

3,4

EBE (y compris EI)

0,1

0,0

0,3

0,7

0,5

0,9

 
 
 
 
 
 

Transferts nets

0,4

- 0,3

0,2

- 0,5

- 0,2

- 0,4

 
 
 
 
 
 

dont :

 
 
 
 
 
 

1,7

2,5

1,3

1,8

2,5

1,4

Prestations sociales

0,6

0,8

0,4

0,6

0,8

0,5

0,8

4,9

1,0

4,7

4,2

3,5

Impôts et cotisations

- 0,2

- 1,1

- 0,2

- 1,1

- 1,0

- 0,9

 
 
 
 
 
 

dont :

 
 
 
 
 
 

1,5

4,3

- 3,7

- 19,5

3,8

2,6

Cotisations sociales

- 0,2

- 0,5

0,5

2,4

- 0,4

- 0,3

0,0

5,7

6,9

32,5

4,4

4,2

Impôts y compris CSG et RDS

0,0

- 0,6

- 0,7

- 3,5

- 0,6

- 0,6

19,1

- 0,4

4,9

7,2

6,5

7,2

Intérêts, dividendes et div. nets

1,3

0,0

0,4

0,6

0,6

0,6

2,7

0,2

1,6

2,5

2,6

2,6

Revenu disponible brut

2,7

0,2

1,6

2,5

2,6

2,6

(1) Aux arrondis près.

Les gains de pouvoir d'achat seraient donc stabilisés à un niveau proche de ceux atteints en 1995 et en 1998 mais sensiblement supérieur à ceux de 1997 et, plus encore, de 1996, année exceptionnelle au cours de laquelle la faible croissance des revenus d'activité, le bilan défavorable aux ménages de leurs relations avec les administrations publiques et la décrue des revenus de leur patrimoine s'étaient conjugués pour les réduire strictement.

Le pouvoir d'achat des ménages bénéficie depuis 1998 de la croissance des revenus d'activité et du patrimoine mais est sensiblement écorné par une croissance des prélèvements obligatoires supportés par les ménages plus rapide que celle des prestations qui leur sont versées.

Le bilan des transferts nets entre les ménages et les administrations publiques atteste les contraintes que la politique des finances publiques exerce sur les ménages.

Bilan des transferts nets entre les ménages
et les administrations publiques

(en points de pouvoir d'achat)

 

1998

1999

2000

Altération du pouvoir d'achat du revenu des ménages

- 0,5

- 0,2

- 0,4

dont

 
 
 

due aux prélèvements obligatoires

- 1,1

- 1,0

- 0,9

L'augmentation des revenus d'activité est d'abord venue de l'accélération de la masse salariale sous l'effet d'une croissance du salaire par tête et du nombre des effectifs salariés. Le pouvoir d'achat de la masse salariale, après avoir augmenté de 1,3 % en 1997, a progressé de 3 % en 1998 et devrait progresser à l'identique en 1999. Au cours de ces deux dernières années, les gains de pouvoir d'achat se partagent à peu près pour moitié entre un gain du pouvoir d'achat du salaire moyen par tête (1,4 % en 1998 et 1,6 % en 1999) et la croissance du nombre des emplois salariés.

Mais, l'an prochain, l'augmentation de la masse salariale ralentirait (+ 2,6 %). Le pouvoir d'achat du salaire moyen par tête augmenterait plus modestement (+ 1,2 %) une croissance un peu plus rapide du volume des emplois salariés compensant une partie de cette décélération.

Celle-ci traduirait le retour à une évolution moins favorable des salaires.

Cette orientation ne provient toutefois pas de la prévision du gouvernement sur la croissance nominale des salaires. Le salaire moyen par tête augmenterait en effet de 2,3 % après 2,2 % en 1999. Ainsi, nulle variation significative des comportement salariaux n'est incluse dans la prévision quand bien même plusieurs facteurs importants sont susceptibles d'intervenir (v. infra).

La diminution du pouvoir d'achat individuel est en effet attendue d'un supplément modéré d'inflation, celle-ci passant de 0,6 à 1 % entre 1999 et 2000.

La légère accélération des effectifs compenserait une partie de cette dégradation au regard de la masse salariale totale tandis que la forte augmentation des revenus des entrepreneurs individuels soutiendrait le revenu des ménages.

Leur consommation progresserait parallèlement à ce dernier avec toutefois une légère érosion de leur taux d'épargne (- 0,1 point).

Ces enchaînements décrivent une situation favorable où l'augmentation du salaire horaire (+ 3,1 % en 2000 contre 2,2 % en 1999) consécutive à la réduction de la durée du travail serait modérée mais suffisante aussi, et finalement compatible avec une augmentation du salaire par tête qui ne renchérirait pas excessivement le coût unitaire du travail.

En bref, les " 35 heures " n'accroîtraient pas sensiblement les coûts de production des entreprises -hors prélèvement public destiné à les financer (voir infra)- et n'alourdiraient pas notablement le coût du travail compte tenu des gains de productivité réalisés.

Du point de vue des salariés pris individuellement, la réduction du temps de travail serait ainsi indolore, la progression de leurs revenus d'activités individuels n'étant pas écornée. Cette innocuité sur le revenu individuel des salariés, combinée avec la progression anticipée des effectifs (+ 1,7 %) dont 1/3 viendrait de la réduction du temps de travail, favoriserait une progression soutenue du pouvoir d'achat de la masse salariale.

Deux dangers sont implicitement évacués :

Celui d'abord d'une hausse du coût unitaire du travail (voir infra pour ses effets sur le comportement des entreprises) dont les risques ont été exposés plus haut, qui pourrait défavoriser les embauches et, finalement, réduire l'augmentation de la masse salariale.

Celui ensuite, de sens contraire, d'une inflexion plus sensible des salaires individuels qui atténuerait la progression du volume des revenus d'activité et pèserait sur le pouvoir d'achat du revenu des ménages.

Quant au parallélisme entre la progression des revenus des ménages et leur consommation, il s'agit d'une hypothèse que l'évolution passée du taux d'épargne des ménages invite à considérer avec un certain scepticisme.

Evolution du taux d'épargne des ménages entre 1993 et 2000

(en %)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999 Prévisions

2000 Prévisions

Taux d'épargne global (1)

15,7

14,8

16

15,1

16,3

15,5

15,7

15,6

(1) Taux d'épargne global : épargne brute/revenu disponible brut

Source : INSEE, prévisions DP


Cette variable a été affectée de fortes variations dont les modèles économiques ne parviennent pas à rendre compte totalement.

La quasi-stabilisation prévue en 2000 n'apparaît pas entièrement cohérente avec les prévisions qui lui sont associées par le gouvernement. La poursuite de la réduction du chômage qui est prévue devrait inviter les ménages à réduire leur épargne de précaution. Quant au maintien de conditions monétaires détendues associées à des perspectives de gains boursiers moins favorables dans l'ensemble, leurs effets devraient aller dans le même sens. Le résultat spontané des modèles a ainsi probablement été corrigé pour décrire une réduction du taux d'épargne seulement marginale.

Ce parti-pris qui pèse sur la croissance affichée mérite d'être clairement identifié. Il ne doit pas pour autant être compris comme entièrement arbitraire. Les motifs d'épargne ne manquent pas avec la persistance d'une situation de sous-emploi, l'extension des modes d'emplois à temps partiel et à statut précaire, le bilan négatif pour les ménages de leurs relations avec les administrations publiques et les perspectives offertes en ce sens par la politique des finances publiques, la nécessité d'un rattrapage de l'investissement-logement des ménages et, sans doute, le déroulement du cycle de consommation de biens durables.

b) Les entreprises

Les budgets économiques tablent sur un dynamisme persistant de la demande des entreprises sous l'angle de leurs investissements mais aussi de leur gestion des stocks et sur une offre de travail soutenue de leur part.

Ces prévisions apparaissent à bien des égards fragiles.

Elles dépendent d'abord de l'évolution de la demande qui serait adressée aux entreprises dont on a recensé les principaux aléas plus haut.

Mais, elles s'inscrivent aussi dans un contexte qui ne leur est pas favorable et peuvent ainsi apparaître paradoxales.

Le taux de marge des entreprises a sensiblement fléchi en 1999 sous l'effet d'une évolution des salaires individuels plus rapide que celle des gains de productivité du travail. Ce phénomène a produit un renchérissement du coût salarial unitaire qui ouvre des perspectives peu favorables à l'emploi à la fois par ses effets sur le coût relatif des facteurs de production et par son impact sur l'investissement des entreprises et donc sur la croissance.

Selon les interprétations données à ce phénomène, celui-ci apparaît plus ou moins préoccupant. L'on peut en effet en attribuer la cause à une surestimation de l'inflation à l'occasion des négociations de salaires et alors juger, comme le fait le gouvernement, l'alourdissement des coûts salariaux unitaires comme simplement transitoire. Mais, l'on peut aussi redouter que celui-ci ne soit que la traduction des tensions salariales déclenchées ici ou là par l'évolution du marché du travail. Dans cette dernière perspective, le renchérissement du travail serait plus durable et susceptible de déséquilibrer la croissance économique.

C'est en gardant à l'esprit cette incertitude qu'il faut s'interroger sur la prévision du gouvernement pour 2000, caractérisée on le répète par un retour à la sagesse salariale, alors même que le climat économique et social sous-jacent recèle bien des risques.

En effet, du point de vue économique, l'apparition de goulots d'étranglement sectoriels pourrait déclencher une spirale inflation-salaire dont l'exemple le plus récent de reprise économique en France conduit à ne pas négliger les risques.

Ceux-ci apparaissent renforcés par la loi relative à la réduction du temps de travail dont l'effet sur les salaires pourrait aller à rebours de la modération salariale qui en conditionne l'innocuité économique.

Ainsi la stabilisation du taux de marge décrite dans les budgets économiques en 2000 apparaît pour ce qu'elle est, une hypothèse fragile.

Toute évolution défavorable sur ce terrain pèserait sur l'offre d'emplois par les entreprises et sur leur demande tout comme les perspectives combinées d'une diminution de la profitabilité des investissements et de la dégradation des capacités financières des entreprises.

Ces perspectives sont rappelées dans la prévision du gouvernement.

En ce qui concerne la profitabilité des investissements des entreprises, sa réduction est anticipée sous l'effet d'une hausse des taux d'intérêt réel qui est toutefois modérée en projection.

En ce qui concerne les capacités financières des entreprises, celle-ci décrit l'effet de la baisse du taux de marge et de l'alourdissement des prélèvements imposés aux entreprises. Il faut y ajouter les enseignements de la révision des Comptes nationaux qui permettent d'appréhender plus correctement la situation financière des entreprises françaises. On rappelle qu'au terme de cette révision, le panorama d'entreprises dégageant une forte capacité de financement a été considérablement retouché pour faire apparaître une situation inverse. Les entreprises françaises restent en situation de besoin de financement.

Ce constat devrait conduire à renoncer à toutes les facilités fiscales ou autres associées à l'idée d'entreprises à l'aisance financière solidement assise.

Il s'agit d'une condition essentielle au dynamisme de l'économie française qui est pour le moins perdue de vue par une politique qui pèse sur les conditions d'offre productive.

Dans ces conditions, la reprise de l'investissement pourrait être entravée d'autant que, malgré un retard d'investissement préoccupant, de l'ordre de 8 points, les capacités installées n'apparaissent pas tellement sollicitées, en moyenne, et que des investissements de capacité s'imposent.

Ainsi, les taux d'utilisation des capacités de production ne laissent entrevoir aucune tension particulière susceptible de rendre inéluctable une progression des investissements.

Enquête trimestrielle de conjoncture dans l'industrie manufacturière

 

2 ème trimestre 1999

1 er trimestre 1999

4 ème trimestre 1998

3 ème trimestre 1998

2 ème trimestre 1998

Taux d'utilisation des capacités de production (en %)

85,7

85,9

84,8

86,4

86,6

Note : les données se réfèrent à l'enquête effectuée le premier mois de chaque trimestre

Source : INSEE

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