II. LES PROBLÈMES À MOYEN TERME

Les enjeux de l'audiovisuel sont à la fois économiques et culturels. La conviction de votre rapporteur que l'un ne va pas sans l'autre et qu'un bonne politique audiovisuelle tend à renforcer l'ensemble du secteur qu'il soit public et privé.

La priorité pour le politique, c'est de créer les conditions d'un secteur, public fort capable de ne pas se dissoudre dans un paysage audiovisuel sans frontières et de préserver une certaine image de la France et de sa culture.

Mais, dans la concurrence mondiale des images, le service public n'est pas le seul à porter les couleurs de la France. Les entreprise privées également sont importantes du point de vue des intérêts français qu'ils soient économiques mais également culturels. L'État régulateur ne doit pas oublier que s'il a une équipe à lui, il est avant tout arbitre et à ce titre garant du respect de règles du jeu.

A. LES CONDITIONS DU MAINTIEN D'UN SECTEUR PUBLIC FORT

Avec l'oeil encore neuf, votre rapporteur spécial souhaite, dans la perspective du débat législatif, avancer quelques réflexions sur les problèmes du secteur public.

A l'heure du numérique, au moment où le câble revitalisé par les perspectives de la convergence et le satellite dopé par la concurrence des bouquets, offrent désormais des dizaines de chaînes à un nombre toujours plus important de Français, le téléspectateur n'est plus un consommateur passif et captif. Il choisit le programme qui l'intéresse, sans d'ailleurs se demander s'il regarde une chaîne publique ou privée.

Même s'il bénéficie du poids des habitudes et de l'attrait du caractère fédérateur des grandes chaînes généralistes, même si la demande télévisuelle continue d'augmenter - entre 1986 et 1999, les Français ont gagné une heure de temps libre qu'ils ont selon l'INSEE, consacré pour l'essentiel à regarder la télévision , - le secteur public est en concurrence directe avec le secteur privé sur un marché, désormais continental.

Dans le paysage audiovisuel actuel où l'offre est démultipliée, il n'est plus possible de développer une problématique de télévision paternaliste, car le téléspectateur vote avec sa télécommande, qui devient à la fois le vecteur de la concurrence et un outil d'interactivité.

Les émissions de la télévision publique sont des produits sur le marché ou, plutôt, font partie d'une gamme de produits qui a besoin d'avoir un marché. D'où l' occasion , sans doute historique, pour le secteur public de se servir du numérique pour constituer une offre globale de nature à concurrence les offres globales - d'images et de services - émanant des bouquets satellites numériques.

Tout le dilemme stratégique des chaînes de service public est précisément de montrer leurs différences pour justifier leur financement public sans pour autant s'isoler du reste du paysage audiovisuel au risque de devenir des chaînes sans téléspectateurs. L'audience du plus grand nombre reste un objectif fondamental du service public au même titre que la qualité.

1. Assurer l'autonomie de gestion et la responsabilité des gestionnaires

En ce qui concerne l'autonomie de gestion, des progrès restent à faire en dépit de la création d'une autorité indépendante et du pouvoir de nomination qui lui a été conféré.

Le projet de loi en cours de discussion sera l'occasion de revenir sur la question mais votre rapporteur spécial se doit de souligner un certain nombre d'évidences.

Il n'est pas d'autonomie réelle sans un mandat long : la longévité des responsables du secteur audiovisuel privé n'a d'égale que la brièveté du mandat de ceux du secteur public, qui, à peine nommés, doivent songer à assurer leur reconduction.

La durée est aussi la condition d'une vraie responsabilité : la valse des présidents et celle des directeurs des programmes, notamment, empêche de relier les résultats d'une gestion à une équipe dirigeante.

D'une façon générale, l'autonomie ne va pas sans responsabilité ; or, force est de constater que les instances de contrôle statutaires peinent à jouer leur rôle, notamment pour les conseils d'administration dont les pouvoirs sont plus formels que réels.

La nomination par une instance indépendante reste tout à fait formelle, si le pouvoir financier reste du côté de l'exécutif.

En tout état de cause, il semble, que les adaptations, dont le Parlement doit avoir à débattre à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la communication audiovisuelle, n'ont de chances de produire des résultats que si l'on donne à l'audiovisuel des ressources publiques indépendantes de l'exécutif, c'est-à-dire en l'occurrence des ressources de redevance.

Cependant, si l'on veut parvenir à une véritable séparation de l'audiovisuel et de l'État, il est encore plus important de couper le cordon ombilical financier qui relie - et soumet - les entreprises publiques de la communication audiovisuelle à l'État, car la vraie tutelle de l'audiovisuel est à Bercy.

Le rôle des mesures de régulation budgétaire, l'importance qui en résulte dans la répartition des ressources des organismes entre crédits budgétaires et ressources de redevance a contraint jusqu'à présent les responsables à s'attacher au moins autant à la gestion interne de leur entreprise qu'à être bien en cour auprès des autorités de tutelle.

2. Garantir des ressources stables

Le secteur public ne souffre pas seulement de l'instabilité des équipes dirigeantes mais aussi de celle de ses ressources.

On s'aperçoit à cet égard que désormais, la variabilité affecte tous les types de ressources du secteur public . On vient de le voir pour la redevance ; on le sait depuis longtemps pour les crédits budgétaires, sans avoir la certitude que les réformes en cours changent radicalement la situation ; on le découvre aujourd'hui pour les ressources propres avec le déclin des recettes publicitaires.

Longtemps, le secteur public a pâti de variations arbitraires des crédits qui lui étaient affectés . L'on se souvient qu'au milieu de la précédente décennie, il était courant de faire fonctionner un système de vases communiquants consistant à profiter de la hausse des recettes publicitaires des chaînes pour réduire les montants de redevance leur étant affectés en vue de transférer les ressources ainsi prélevées sur d'autres organismes avec, au bout du compte, la possibilité de procéder à des annulations de crédits budgétaires.

C'est France 3 qui a " fait les frais " du système et a été ainsi privée du bénéfice de ses progrès d'audience. Votre rapporteur spécial considère que ce genre de procédé sans doute justifié par les nécessités budgétaires de l'heure, ne pouvait qu'affecter la motivation et donc le dynamisme de la chaîne.

En matière de ressources publiques, la question n'est pas seulement de protéger le secteur public audiovisuel des arbitrages budgétaires à court terme mais encore de parvenir à une programmation à moyen terme de la principale ressource qu'est la redevance.

Le débat britannique sur l'opportunité de la création d'une redevance propre à la possession du numérique a conduit votre rapporteur spécial à constater qu'outre-Manche le taux de la redevance était programmé sur une base pluriannuelle . Il y a là un exemple à suivre même si votre rapporteur ne méconnaît pas les obstacles juridiques qui s'opposent à une telle initiative, s'agissant d'une taxe parafiscale dont l'autorisation de perception est annuelle en application de l'ordonnance organique.

Par ailleurs, on réalise aujourd'hui que, faire reposer une trop grande partie du financement du secteur public sur la publicité, c'est à la fois faire trop de place à une logique commerciale et rendre les chaînes publiques vulnérables dans la mesure où elles n'ont pas les mêmes possibilités que leurs concurrents d'ajuster leurs charges à la baisse.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a insisté dans le rapport qu'il a remis à votre commission des finances, sur la vulnérabilité des chaînes aux fluctuations du marché publicitaire. Nul doute en particulier que l'interdiction des coupures publicitaires favorise la formation des " tunnels " et diminue l'efficacité des écrans et donc les recettes des chaînes publiques.

Il ne suffit pas de dire qu'il y a trop de publicité sur le secteur audiovisuel public, qu'il faut la réduire à cause de la dépendance dans laquelle elle place les chaînes, hier surtout en matière de programmation et de recettes, aujourd'hui aussi du point de vue de l'équilibre financier global.

Il ne s'agit pas de supprimer toute publicité ; celle-ci constitue un moyen privilégié par les directeurs de chaînes pour rester en contact direct avec le public. Les recettes de publicité matérialisent les succès d'audience et jouent un rôle important dans la motivation des personnels .

Mais, les excès de la publicité à la télévision publique n'ont pas eu seulement pour conséquence de l'engager dans une course à l'Audimat aboutissant à favoriser une programmation racoleuse, ils n'ont pas eu seulement pour effet trop souvent de reléguer les émissions éducatives et culturelles au plus profond de la nuit. Ils ont aussi eu à certains égards pour effet d'exiler la culture sur des chaînes spécialisées dont les images de marque pour le moins austères ou élitistes ont tendance à les couper d'une grande partie du public.

3. Accéder à une taille critique dans un marché qui se mondialise

Dans le paysage audiovisuel européen, le secteur public continue d'occuper une place majeure, même si les sociétés privées y détiennent la majorité du marché de l'audience.

Les entreprises publiques y dépassent 40 % de parts de marché. Seul le service public espagnol fait exception, représentant environ 33 % de part d'audience. Le service public français obtient des résultats identiques à ceux de son homologue britannique, autour de 41 % de part d'audience. Ils sont devancés par les secteurs publics italiens et allemands qui représentent 46 % de part de marché 2( * )

Les moyens financiers, toutes ressources confondues, contribuant à ces performances, sont de niveaux différents. La France se situe sur ce plan au troisième rang, loin derrière la Grande-Bretagne et l'Allemagne, et juste devant l'Italie. L'Espagne possède un secteur public plus faiblement dimensionné.



La part des financements publics dans ces ressources est variable. Les trois pays latins ont plus largement recours aux ressources publicitaires. Les entreprises publiques y collectent environ 30 % du marché publicitaire audiovisuel national.

En Grande-Bretagne, la collecte de ressources publicitaires est nulle, tandis qu'en Allemagne, elle représente 8 % du marché.

Ces services publics regroupent la majorité des emplois permanents du secteur



En France, la logique de concurrence qui avait conduit à faire éclater l'ORTF, avait trouvé manifestement ses limites dans un marché ouvert.

Au contraire, non seulement, les organismes composant le secteur public audiovisuel se faisaient concurrence entre eux mais ils ne cherchaient pas, en dépit de l'existence d'une sorte d'union personnelle au travers de France télévision, à développer toutes les synergies envisageables.

Le projet de loi en cours d'examen par le Parlement tend à favoriser le regroupement des forces du secteur public audiovisuel. Votre rapporteur tend a priori à approuver cette orientation, qui paraît souhaitable sous certaines conditions et en particulier si l'opération s'accompagne d'une adaptation de l'organisation du travail.

4. Adapter l'organisation du travail

Le maintien en l'état de la convention collective actuelle, dépassée par l'évolution technologique, défavorise le secteur public dans sa compétition avec le secteur privé et aboutit à encourager une attitude de repli face à la concurrence.

Seule une évolution du cadre conventionnel peut garantir que la société holding dont la création est prévue par le projet de loi en discussion, n'aboutisse pas à la recréation de l'ex-ORTF.

La convention collective de la communication et de la production audiovisuelles (CCCPA), signée le 31 mars 1984, est applicable aux personnels techniques et administratifs (personnels techniciens et administratifs) dans les sociétés et organismes membres de l'Association des employeurs du secteur public audiovisuel, qui regroupe la plupart d'entre eux 3( * ) . Cette convention a été conclue par période de trois ans renouvelable. Le terme de la période triennale d'application en cours est le 31 mars 1999.

Les formes prévues pour renégocier la convention sont si contraignantes qu'il est en fait impossible aux partenaires sociaux de discuter sereinement 4( * ) .

L'idée initiale était de faire en sorte que les procédures de dénonciation et de révision puissent à l'avenir être engagées à tout moment, en transformant cette convention en convention à durée indéterminée.

Cependant, faute de l'accord de tous les syndicats signataires, il semble que l'association se soit engagée sur une voie moins ambitieuse : la révision des modalités de révision.

De fait, l'avenant du 23 juin 1996 permettant la révision de la convention, à tout moment et portant la durée maximale des négociations de 3 à 5 mois offre la possibilité de faire évoluer le cadre conventionnel sur plusieurs points et en particulier sur les systèmes de classification des salaires et sur la durée du travail.

Toutefois, les partenaires sociaux subordonnent depuis la fin 1998, la poursuite des négociations à la révision du champ d'application de la convention collective et fixent comme préalable l'engagement d'application de la convention à toutes les entreprises audiovisuelles publiques et leurs filiales.

Il s'agit d'un blocage regrettable , même si comme certaines sociétés l'on fait remarquer à votre rapporteur spécial, il paraît difficile de mener de front la négociation sur la réduction du temps de travail et celle sur l'adaptation de la Convention collective de la communication et de la production audiovisuelles .

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