DEUXIÈME PARTIE

LES SOCIÉTÉS DU SECTEUR PUBLIC DE L'AUDIOVISUEL

La révolution numérique pénètre à toute vitesse l'ensemble du secteur audiovisuel. La réception avec le développement accéléré d'une offre numérique par satellite par câble et bientôt par voie hertzienne, d'une part, mais également la production avec la numérisation de toute la chaîne de traitement de l'image et du son, d'autre part, sont en train de changer radicalement le mode de consommation audiovisuel et les métiers des opérateurs.

Or ce changement radical doit être préparé et surtout financé : pour être présent sur le numérique, il faut investir aujourd'hui. Le secteur privé l'a fait ; le secteur public affiche sa volonté de s'y préparer activement. Mais qu'en est-il vraiment ?

La conviction de votre rapporteur est que, par delà les effets d'annonce, le secteur public n'a pas les moyens de faire face au défi du numérique et aux conséquences de la réduction du temps de travail

En dépit du capital considérable de compétences et de dévouement qu'il sont capables de mobiliser, les opérateurs du secteur public ne sont pas en mesure d'entrer dans de bonnes conditions dans l'ère du numérique.

Des investissements considérables sont indispensables si l'on veut que le secteur public continue d'occuper une place significative sur l'horizon audiovisuel des Français : il faut numériser d'urgence le processus de production et mêmes les archives si l'on veut pouvoir exploiter le capital accumulé par les chaînes ; il faut produire les contenus dont vont avoir besoin les centaines de chaînes qui vont bientôt composer notre paysage audiovisuel ; il faut, enfin, adopter sinon une démarche commerciale, l'expression peut choquer, du moins une stratégie d'image de nature à restaurer le secteur public comme la référence en matière de programmes audiovisuels.

La nouvelle télévision existe, elle est payante et c'est le secteur privé qui l'a inventée . Voilà le constat sommaire, injuste à considérer toutes les innovations portées par l'audiovisuel public, mais qui correspond à l'opinion de la plupart des Français. Comparé à ceux des autres pays d'Europe, et, en particulier, à la BBC, le secteur public audiovisuel français souffre d'un déficit d'image, à l'extérieur mais aussi à l'intérieur même du microcosme et sans doute même des entreprises elles mêmes.

La crise financière, qui menace structurellement l'audiovisuel public - et qui n'est actuellement écartée que par l'évolution dynamique de la redevance et un effort budgétaire toujours révocable - , est aussi une crise de confiance.

On a pu constater la vulnérabilité des entreprises du secteur public face à une opinion plus exigeante, lorsqu'il s'agit de l'audiovisuel public, et encline à faire de chaque incident une " affaire ", indépendamment de sa gravité intrinsèque.

On voit aujourd'hui se produire une chute de l'audience, qui tient sans doute à un certain vieillissement de la grille des programmes mais aussi, plus généralement, à ce déficit d'image, qui donne l'impression à beaucoup que c'est ailleurs que ça se passe et que ça bouge.

De ce point de vue, tout ce qui est de nature à consolider les perspectives de développement du secteur public, qu'il s'agisse de choix de technologies, de structures et de personnes, est de nature à dissiper les incertitudes et est donc favorable au redressement du secteur public.

Inversement, tout ce qui peut faire douter les opérateurs de leur avenir, tout ce qui se traduit par des reports de choix stratégiques affaiblit les opérateurs publics en les plongeant dans le doute.

Des choix doivent être faits et vite. Il faut donner dès que possible à tous les acteurs des objectifs clairs pour leur permettre de se situer par rapport aux chaînes privées et affronter la concurrence dans les meilleures conditions.

La préoccupation majeure de votre rapporteur spécial est de mettre en mesure les opérateurs publics de faire face à la concurrence privée, de leur permettre de lutter à armes égales avec le secteur privé et non pas avec des " semelles de plomb ".

De ce point de vue, et bien que l'on ne reviendra pas dans les développements ci-après sur les problèmes de personnels que les relations sociales sont un des aspects essentiels de la modernisation du secteur public audiovisuel : réussir - grâce à des moyens financiers adaptés - les 35 heures, puisque 35 heures il y a, adapter la convention collective à l'évolution de la technologie et des pratiques professionnels sont deux conditions de tout processus de revitalisation du secteur public.

Faute d'évolution sur le plan de l'organisation du travail, non seulement l'argent public pourrait s'évaporer sans amélioration réelle du service rendu aux téléspectateurs mais c'est le secteur public audiovisuel qui pourrait se trouver emporté ou marginalisé par la concurrence du secteur privé.

I. FRANCE TÉLÉVISION

Le fait que les ministres de tutelle aient demandé à M. Marc Tessier, nommé en juin 1999 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel comme président commun de France 2 et France 3, en remplacement de M. Xavier Gouyou-Beauchamps de faire des propositions pour l'organisation de la future société holding publique montre que le Gouvernement cherche à accélérer la mise en place de la nouvelle organisation qui doit résulter du projet de loi en cours de discussion au Parlement.

Le nouveau président doit donc à la fois préparer l'avenir et faire face à des difficultés immédiates résultant des conséquences sur les recettes publicitaires du tassement de l'audience.

Ainsi le recul de la part des ressources publicitaires voulu par le Gouvernement et présenté comme un choix politique fort, se trouve-t-il déjà imposé assez largement par l'évolution du marché et donc au moins autant subi que voulu.

L'examen des comptes des deux sociétés de programme et les tensions financières qu'il révèle, témoigne s'il en était besoin, de la nécessité d'un effort public accru.

A. LE TASSEMENT DES PARTS DE MARCHÉ

Dans un marché publicitaire pourtant dopé par la reprise économique, France 2 et France 3 peinent à réaliser leurs objectifs publicitaires, par suite de l'effritement de leur audience.

1. L'évolution de l'audience

L'effritement de l'audience à laquelle on assiste actuellement ne peut qu'inquiéter dans la mesure où elle traduit sans doute à la fois une inadaptation de la grille des programmes s'agissant des points faibles de France Télévision face à la concurrence et d'un certain vieillissement en ce qui concerne ses points forts.

Entre janvier et juin 99, France 2 affiche une moyenne de 22,2% de part d'audience contre 22,5% sur l'ensemble de l'année 98 et 22,9% entre janvier et juin 98 . Après une rentrée difficile (21.5% de part d'audience entre septembre et décembre 98), depuis janvier, France 2 retrouve une tendance à la hausse.

France 3 accomplit de son côté pour la même période une performance décevante avec une part d'audience de 16.2% contre 17% en 98.

Parallèlement, on note que, sauf pour Canal+ qui connaît un léger tassement, les autres chaînes obtiennent des résultats stables ou en hausse avec un score particulièrement élevé pour M6 qui se situe aujourd'hui à 13,7% contre 12,9% en 98, soit un gain de 0,8 point. TF1 et Arte (+ 0,1 point) sont en très légère progression par rapport à 98.

Il faut souligner que pour la première fois, les autres télévisions (câble, TV frontalières, satellite) cessent de progresser par rapport à l'année précédente.

Depuis janvier, les résultats mensuels de France 2 apparaissent relativement stables : avec 21,8% de PdA 4( * ) le mois de février est le plus faible, tandis que les mois d'avril et de juin sont au niveau de 22.6% soit le meilleur mois depuis juillet 98.

Qualitativement, ce qui est le plus préoccupant sur le moyen terme, c'est que les points faibles de la grille soient précisément les plages horaires les plus recherchées et notamment, le dimanche dans sa totalité et " l'access prime-time " en semaine et le samedi.





2. Des objectifs de recettes publicitaires désormais trop ambitieux

Le temps est révolu où les chaînes dépassaient sans difficulté les objectifs de recettes publicitaires qui leur étaient assignés dans les lois de finances.

Aujourd'hui, on constate que France 2 et France 3 rencontrent de plus en plus de difficultés à atteindre leurs objectifs, ce qui fait qu'on va être obligé cette année, à la fois de réviser à la baisse les prévisions de recettes et d'abonder par des ressources complémentaires dans le collectif 1999.

Les projets de loi de finances rectificative de fin d'année n'ont plus pour objet de répartir des excédents par des jeux complexes de vases communiquants mais de combler l'écart entre prévisions et réalisations de recettes publicitaires : c'est ce qui a été fait à la fin 1998 et ce que le Gouvernement a l'intention de faire cette année.

a) Le réajustement des objectifs initiaux de 1999

Les objectifs 1999, initialement fixés par la Loi de Finances, étaient globalement en progression de 1,8 % par rapport à ceux de 1998 mais de + 3,5 % par rapport aux réalisations 1998 5( * ) .

Du fait de l'évolution de l'audience des chaînes publiques, ces objectifs n'étaient pas réalistes, s'agissant notamment de France 3 pour laquelle une croissance réelle de + 6,2 % était hors de portée.

C'est pourquoi, à la suite d'une attribution exceptionnelle d'excédents de redevance, l'État a réduit le montant de publicité nette retenu en 1999 pour les budgets de France 2 et France 3.

Par lettre commune du 8 juin 1999, la Ministre de la Culture et de la Communication et le Secrétaire d'État au Budget ont notifié les nouveaux objectifs résultant de cette décision. Par rapport aux réalisations 1998, les objectifs modifiés correspondent aux évolutions suivantes.



Les réalisations des sept premiers mois sont largement en dessous du tableau de marche correspondant aux objectifs 1999 mêmes révisés. On doit donc s'attendre à un écart substantiel pour la fin de l'année, sans doute supérieur à la tendance estimée à partir des chiffres de fin juillet 1999.



Cette situation s'explique par la conjonction de plusieurs facteurs :

- l'affaiblissement relatif du marché " télévision " par rapport aux autres grands supports : au premier semestre 1999, les ventes publicitaires de l'ensemble des chaînes TV ont crû de + 6 % sur 1998, contre + 9,6 % pour la presse et + 11,7 % pour la radio ;

- le renforcement de la concurrence , du fait à la fois de ses performances en audience (chacune des deux chaînes privées gagne près d'1 point de part d'audience sur les ménagères < 50 ans) et de l'allongement des écrans de coupure de TF1 (+18% de " GRP " délivrés par ses écrans publicitaires par rapport au 1 er semestre 1997) ;

- une réelle déstabilisation du marché , due à l'effet d'annonce des réductions de la publicité sur les chaînes publiques, certains annonceurs privilégiant dès cette année les télévisions commerciales dans l'affectation de leur budget ;

- enfin, la régression des audiences de France 2 et de France 3 notamment sur les tranches horaires les plus porteuses de chiffre d'affaires :



Le problème des chaînes publiques du point de vue des recettes publicitaires est qu'elles sont en position de faiblesse sur les segments les plus utiles du marché : " l'access prime time ", les " ménagères de moins de cinquante ans ".

b) La diminution du rendement des écrans

On peut d'abord rappeler les durées et les nombres de spots diffusés en ensemble journée augmentent au 1er semestre 99 (surtout sur France 3). Néanmoins, il n'y aurait pas de phénomène d'encombrement du " prime time " qui n'augmente que faiblement.

Au premier semestre 1999, l'efficacité des écrans publicitaires diffusés par France Télévision diminue de 11 à 12 % par rapport au 6 premiers mois de l'année précédente ; par rapport à 1996, la chute est de - 24 % sur France 2 et de - 17 % sur France 3.

Une des raisons des difficultés actuelles vient de ce que les tarifs des écrans tiennent compte de l'audience effective des émissions auxquelles ils se rattachent.

Les principes de la politique d'ajustement tarifaire en fonction de l'audience sont les suivants :

• éviter les effets négatifs d'accident d'audience sur les performances d'une campagne dans les choix d'investissements futurs ;

• fonder le système de compensations sur une relation de partenariat avec les annonceurs consistant à partager les risques liés à l'audience ;

• minimiser la masse monétaire rendue en développant une argumentation rationnelle avec les investisseurs publicitaires.

L'analyse fait la part des risques liés, d'une part, à la programmation, à la tarification des écrans publicitaires et, d'autre part, à l'achat des campagnes TV.

Concernant les 2 premiers types de risques, cette analyse consiste à comparer les performances des écrans par tranche horaire à la moyenne réalisée par la chaîne sur le passé récent sur la cible ménagère < 50 ans.

Concernant le 3 ème type de risque, elle consiste à analyser le coût GRP " objectivé " d'une campagne TV, à savoir reconstituer les coûts/GRP que le client s'attendait à obtenir en effectuant son choix d'écrans sur France Télévision. Il est ainsi possible d'évaluer la part de responsabilité des investisseurs publicitaires dans un éventuel " mauvais " choix d'écrans.

Il faut noter également que la régie publicitaire de France Télévision, s'efforce de mettre en place un nouveau mode de commercialisation de l'espace publicitaire

A deux reprises, France Télévision Publicité a expérimenté la vente aux enchères de certains écrans diffusés à l'occasion de deux grandes manifestations sportives : quart de finale de la coupe du monde de 1998 et match " Marseille-Parme " du 12 mai 1999.

Ces expériences ponctuelles s'étant révélées concluantes, la régie publicitaire prévoit de commercialiser certains des écrans diffusés par France 2, France 3 en 2000 sous forme d'adjudication par la libre confrontation de l'offre et de la demande d'espace.

Afin de donner aux intervenants le maximum de garanties de transparence et d'égalité de traitement, ce nouveau mode de vente sera mis en oeuvre par l'intermédiaire d'une structure spécialisée, filiale opératrice de France Télévision Publicité (qui garde en toute hypothèse la totale maîtrise de la commercialisation de l'espace disponibles).

Cette filiale sera opérationnelle en octobre 1999, l'ensemble du marché étant informé dès le mois de septembre de ces nouvelles modalités de commercialisation appelées " CINEP " (Contrat d'Investissement en Espace Publicitaire).

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