B. UN SYSTÈME QUI PRÉSENTE DE NOMBREUX INCONVÉNIENTS

1. Des mécanismes vivement critiqués

Si les conditions dans lesquelles est appliquée la loi de 1941 sont loin de correspondre à l'esprit qui a présidé à son élaboration, force est de constater qu'elles ont permis la mise en place d'un système qui a incontestablement favorisé le développement de la recherche archéologique. On estimait en 1999 à environ 700 millions de francs la participation des aménageurs au financement des opérations archéologiques.

La fragilité des bases juridiques du système de financement des opérations préventives n'a pas abouti à sa remise en cause systématique par les aménageurs qui, à l'exception de quelques cas isolés largement exploités par la presse, ont accepté l'application d'un principe " casseur-payeur " qu'aucun texte ne prévoyait. C'est sans doute là un des mérites et non des moindres, de la loi de 1941.

Cependant, ces mécanismes sont aujourd'hui vivement critiqués par les aménageurs privés et publics comme par les archéologues.

La principale difficulté à laquelle sont confrontés l'administration et les aménageurs réside dans le caractère largement imprévisible du " risque archéologique ". Faute d'un zonage précis et exhaustif du territoire, les prescriptions archéologiques sont souvent considérées comme arbitraires. Par ailleurs, le coût des prestations archéologiques est fréquemment présenté comme extrêmement variable, voire fantaisiste. S'il importe de souligner qu'en réalité, les coûts des fouilles dépendent essentiellement des prescriptions établies par les services archéologiques régionaux, elles-mêmes variables selon les régions, votre rapporteur a constaté au cours des auditions auxquelles il a procédé que la fixation d'un barème national correspondait à l'attente des aménageurs mais également à celle des archéologues.

En effet, bien que le système actuel ait permis en fait d'opérer une mutualisation des coûts de l'archéologie en fonction des capacités financières des aménageurs, les archéologues semblent récuser un système dans lequel les responsabilités des aménageurs, de l'AFAN et des services régionaux de l'archéologie ne sont pas clairement établies, ce qui les contraint à devoir, à l'occasion de chaque opération, conduire d'âpres négociations, qui ne leur laissent guère le temps ni les moyens de se consacrer à l'exploitation scientifique des résultats des fouilles.

2. Des mécanismes sources d'ambiguïté.

Faute de moyens, l'Etat n'a pu faire face au coût archéologique du développement économique et, partant, aux responsabilités que lui assignait la loi de 1941.

La fiction entretenue d'une exécution de fouilles par l'Etat n'a été possible que grâce à la mise en place d'une association para-administrative destinée à recueillir les fonds des aménageurs.

Une structure administrative mal adaptée...

L'AFAN, créée en 1973 afin de permettre une mobilisation rapide des crédits destinés à régler les dépenses engagées par les fouilles de sauvetage, présente toutes les caractéristiques d'un démembrement de l'administration et, à ce titre, a fait l'objet des critiques de la Cour des comptes. Les liens entre cette association et les services du ministère de la culture sont encore étroits, même si, depuis quelques années, on s'est efforcé d'établir une séparation fonctionnelle : la présidence de l'AFAN est confiée depuis 1991 à une personnalité extérieure à l'administration du ministère de la culture et une convention-cadre signée le 22 janvier 1992 fixe désormais les relations entre l'Etat et l'AFAN.

Cependant, il existe à l'évidence une consanguinité entre les services en charge de l'archéologie et cette association, favorisée au demeurant par la faiblesse des effectifs des services régionaux d'archéologie.

Ainsi, la réalisation de la carte archéologique, document destiné à recenser les données recueillies sur le terrain, auquel le projet de loi confère une existence législative en en faisant une mission de l'Etat, a été confiée par l'Etat à l'AFAN dès 1991. Les personnels de l'association affectés à cette tâche constituent, depuis, une division des services régionaux de l'archéologie.

Le déséquilibre numérique est pour beaucoup dans cette situation : les effectifs de la sous-direction de l'archéologie du ministère de la culture et de la communication s'élèvent à environ 400 personnes alors que l'AFAN emploie près de 1 300 équivalents temps plein. Les missions de l'association, en raison de la multiplication des opérations d'aménagement et donc des chantiers de fouilles, se sont considérablement diversifiées : à l'origine limitées au soutien financier et à la réalisation des opérations archéologiques, elles s'étendent désormais, aux termes de la convention signée avec l'Etat, "à la réalisation des objectifs du service public de l'archéologie et de la politique archéologique nationale ".

Le recours à une association apparaît à bien des égards contestable même si, au prix d'un effort de remise en ordre consenti depuis 1990, la gestion de l'AFAN apparaît aujourd'hui au-dessus de tout reproche. Le statut associatif n'apparaît guère adapté à une structure dont le budget s'élevait en 1999 à près de 400 millions de francs ni de nature à garantir à lui seul le bon usage des fonds qui sont confiés à l'AFAN.

... et source de dysfonctionnements

A cet égard, les difficultés que traverse l'AFAN apparaissent pour une large part comme le signe d'une crise de croissance .

Les liens étroits qui existent entre l'AFAN et l'Etat expliquent sans doute que, contrairement aux autres pays européens, il ne se soit guère développé en France, ce que l'on pourrait appeler, au risque de choquer, un " marché " de l'archéologie préventive.

S'il existe très peu d'entreprises, figurent cependant aux côtés de l'AFAN un grand nombre d'associations archéologiques qui regroupent, dans la plupart des cas, des bénévoles autour d'archéologues professionnels. Ces associations, dont la taille et l'activité sont très variables, réalisent, pour certaines d'entre elles, des fouilles de terrain, notamment dans leur secteur géographique, ce qui peut les amener à être en concurrence avec l'AFAN, comme cela a été le cas dans l'affaire de Saint-Omer, dans laquelle une commune a lancé un appel d'offres pour assurer l'exécution d'un chantier de fouilles.

Les collectivités territoriales pour leur part interviennent de plus en plus, soit pour apporter un soutien financier aux divers organismes qui s'occupent d'archéologie, soit en créant des services archéologiques. Cet attrait des collectivités pour la recherche archéologique s'explique aisément par l'intérêt qu'elle peut représenter dans la connaissance du territoire et de son histoire. Ces services, au nombre de 80 dans les départements et 50 dans les communes, représentent un effectif de 300 personnes, dont une partie relève du statut de la fonction publique territoriale, au sein de laquelle a été a été créé en 1991 un statut des conservateurs du patrimoine, dont l'une des spécialités est l'archéologie.

Ces services sont conduits à obtenir en leur nom propre des autorisations de fouiller, l'exécution des fouilles étant en général réalisée, faute de moyens en personnel, sous leur conduite par un opérateur extérieur. Certains d'entre eux, plus importants, disposent cependant de capacités opérationnelles qui leur permettent de réaliser des fouilles sous leur responsabilité.

La place prépondérante accordée par l'Etat à l'AFAN crée une situation où, faute d'une réelle concurrence, la désignation des responsables de fouilles aboutit souvent à donner la préférence à une équipe de l'AFAN qui, du fait de ses dimensions, offre des garanties en termes de délais d'exécution, et à écarter des structures plus modestes dont la connaissance du terrain permettrait cependant de mieux exploiter les résultats scientifiques des opérations de terrain et d'en assurer une diffusion plus large.

Cette situation n'est pas plus satisfaisante sur le plan scientifique.
En effet, les collaborations qui auraient dû s'établir entre l'AFAN et les acteurs de la recherche publique ayant des activités liées à l'archéologie, CNRS et universités notamment, ne sont encore guère développées. Le statut associatif constitue sans doute à cet égard une des raisons de l'isolement de l'AFAN au sein de la communauté scientifique.

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