B. L'APPORT PRINCIPAL DU SÉNAT : L'INSTAURATION D'UN DOUBLE DEGRÉ DE JURIDICTION EN MATIÈRE CRIMINELLE

La discussion parlementaire a permis, dans de nombreux domaines, d'améliorer de manière significative le contenu du projet de loi. En première lecture, l'Assemblée nationale a notamment renforcé les dispositions relatives aux droits des victimes et adopté plusieurs amendements destinés à limiter la durée des procédures pénales.

Le Sénat, s'appuyant sur ses travaux antérieurs 1( * ) dont il a salué l'intégration de certains éléments dans le projet initial, a apporté des amendements essentiels au projet de loi, bien souvent contre l'avis du Gouvernement.

1. La réforme des cours d'assises

La décision la plus importante prise par le Sénat au cours de la première lecture a incontestablement été la mise en place d'un recours en matière criminelle . Votre commission a estimé impossible que la procédure pénale demeure marquée par une anomalie aussi grave que l'absence d'appel dans les matières où peuvent être prononcées les peines les plus graves prévues par notre droit pénal.

Le Sénat a donc décidé la mise en oeuvre d'un appel tournant permettant le renvoi d'une affaire d'une cour d'assises à une autre en cas d'appel.

Rappelons qu'au cours du débat devant le Sénat, Mme le garde des sceaux s'est opposée aux propositions sénatoriales en faisant valoir : " (...) je ne pense pas que l'on puisse adopter une telle réforme au détour d'amendements sur un texte qui concerne un autre sujet. ".

Votre commission pense, au contraire, que c'était l'honneur du Parlement de proposer lui même une réforme fondamentale pour la protection des libertés dans notre pays. Elle constate avec plaisir que l'Assemblée nationale, de même que la ministre de la justice, se sont ralliées à cette proposition en lui apportant un certain nombre d'améliorations.

2. Une réflexion approfondie sur la mise en examen

Parmi les propositions importantes formulées par le Sénat en première lecture, figure également la modification des règles relatives à la mise en examen. Le projet de loi initial ne contenait aucune disposition sur ce sujet.

Votre commission a estimé que la mise en examen ne devait être utilisée que lorsque les charges pesant contre une personne étaient déjà conséquentes. Elle a en outre considéré qu'il était anormal qu'une personne puisse être mise en examen par lettre recommandée sans avoir la moindre chance de s'expliquer devant le juge d'instruction prononçant cette mesure.

Le Sénat a donc décidé qu'il ne serait plus possible de mettre en examen une personne qu'en présence d'indices " graves ou concordants " alors que de simples indices sont actuellement suffisants.

En outre, le Sénat a souhaité qu' aucune mise en examen ne puisse plus intervenir par lettre recommandée sans que la personne ait une chance de s'expliquer au préalable.

Là encore, votre commission ne peut que se réjouir de constater que son appel a été entendu et que l'Assemblée nationale a accepté ses propositions tout en les complétant.

3. Une détention provisoire limitée aux cas strictement nécessaires

En première lecture, le Sénat a accepté la création d'un nouveau juge appelé à exercer les compétences actuelles du juge d'instruction en matière de détention provisoire tout en s'opposant à ce que ce magistrat reçoive le titre peu gratifiant de juge de la détention provisoire. Il a donc décidé de ne pas nommer ce magistrat.

Afin de renforcer encore les garanties destinées à faire en sorte que le placement en détention provisoire ne soit prononcé que lorsqu'il est strictement indispensable, le Sénat a décidé qu'en cas d' appel de l'ordonnance de placement en détention provisoire interjeté le jour même de la décision, la chambre d'accusation devrait se prononcer dans les quatre jours de l'appel.

Le Sénat a aussi décidé d' élever les seuils de peine encourue permettant le placement en détention provisoire. Alors que le projet de loi initial était très timide dans ce domaine et que l'Assemblée nationale ne lui avait pas apporté de modifications en première lecture, le Sénat a décidé que la détention provisoire ne serait plus possible que lorsque la peine encourue est au moins égale à trois ans d'emprisonnement .

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a accepté cette proposition et a même décidé d'aller plus loin dans certains cas limités, avec l'accord du Gouvernement. Il faut pourtant se souvenir que Mme le garde des sceaux s'était ainsi prononcée devant le Sénat sur sa proposition d'augmenter les seuils permettant le placement en détention provisoire : " (...) Je ne peux donner mon accord à cette proposition qui affaiblit la répression dans de nombreux domaines sensibles. "

4. Les droits des victimes confortés

En première lecture, le Sénat a également adopté quelques dispositions destinées à renforcer les propositions du projet de loi en ce qui concerne les droits des victimes. Il a ainsi prévu le droit pour la partie civile d'être assistée par un interprète et a modifié le serment prononcé par les jurés de cour d'assises au début d'un procès afin que celui-ci mentionne les intérêts de la victime.

5. Un appel au Gouvernement en ce qui concerne la responsabilité pénale des élus locaux

Le Sénat, au cours de la première lecture, a adopté plusieurs amendements relatifs à la responsabilité pénale des élus locaux . Il a en effet souhaité attirer l'attention du Gouvernement sur une question préoccupante qui n'était alors évoquée dans aucun des textes législatifs soumis au Parlement par le Gouvernement.

De nombreux élus locaux sont poursuivis et parfois condamnés pour des faits non intentionnels, en particulier en matière d'homicides et de blessures involontaires, alors qu'ils n'avaient aucun moyen d'éviter l'accident à l'origine des poursuites engagées contre eux.

Depuis le débat sur le présent projet de loi, notre excellent collègue M. Pierre Fauchon a déposé une proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dont l'objet consiste à mieux préciser les contours des infractions non intentionnelles afin d'éviter des poursuites injustifiées. Cette proposition tend à modifier le code pénal et a vocation de s'appliquer à l'ensemble de nos concitoyens .

Cette proposition de loi a été reprise par le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des élus locaux présidé par M. Jean Massot, qui a rendu ses conclusions en novembre dernier. Le Sénat a adopté la proposition de loi de M. Pierre Fauchon le 27 janvier dernier. Celle-ci doit être examinée par l'Assemblée nationale le 6 avril prochain.

Ainsi, les appels lancés par le Sénat lors du débat en première lecture sur le présent projet de loi, dans des termes peut-être excessifs à l'époque, auront permis une prise en compte de l'importante question qui n'avait pas jusqu'alors fait l'objet de toute l'attention nécessaire.

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