AUDITION DE MME MIREILLE DELMAS-MARTY,
PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE PARIS I,
RESPONSABLE DE LA COMMISSION " JUSTICE PÉNALE
ET DROITS DE L'HOMME " EN 1988-1990

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Mme Mireille Delmas-Marty a tout d'abord précisé que le projet de loi, dans sa dernière version, améliorait de manière importante la procédure pénale. Elle a toutefois noté que, paradoxalement, s'agissant d'un texte sur la présomption d'innocence, les principaux progrès ne concernaient pas la phase préparatoire au procès. Parmi les avancées les plus importantes contenues dans le projet de loi, elle a cité l'appel en matière criminelle initié par le Sénat, la juridictionnalisation de l'application des peines, la possibilité de révision d'un procès pénal après une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, enfin la possibilité pour les parlementaires de visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur département.

Mme Mireille Delmas-Marty a ensuite rappelé que la phase préparatoire au jugement pouvait prendre la forme soit d'une instruction, soit d'une enquête préliminaire aboutissant à une citation directe devant le tribunal. Elle a estimé que le projet de loi apportait des progrès incontestables dans le déroulement de l'instruction et s'est déclarée favorable aux dispositions précisant les motifs permettant la détention provisoire, ainsi qu'à la limitation de la durée de la détention provisoire, à la séparation de l'enquête et de la décision de placement en détention provisoire, enfin à la création d'une commission de suivi de la détention provisoire. Elle a en revanche regretté qu'aucune amélioration substantielle des procédures autres que l'instruction, qui représentent plus de 90 % des affaires pénales, ne soit prévue. Elle a noté que, outre les quelques avancées en matière de garde à vue, la seule disposition concernant les affaires ne faisant pas l'objet d'une instruction préparatoire était la mise en place d'un contrôle de la durée des enquêtes.

Mme Mireille Delmas-Marty a ensuite souligné que le dispositif proposé était trop complexe et a regretté que le législateur modifie périodiquement la procédure pénale en ajoutant constamment de nouvelles formalités, situation déjà dénoncée par la commission " Justice pénale et droits de l'homme " dès 1990. Elle a exprimé la crainte que les difficultés d'application de la nouvelle loi n'imposent au législateur de remettre en chantier un nouveau projet à bref délai.

Mme Mireille Delmas-Marty, prenant acte de la marginalisation probable du juge d'instruction, a estimé toutefois que le projet de loi renforçait la confusion dans les rôles respectifs des acteurs de la procédure pénale. Rappelant que le juge d'instruction jouait un rôle de policier par ses pouvoirs d'enquête, un rôle d'accusateur par son pouvoir de mise en examen et un rôle de juge par ses pouvoirs en matière de privation de liberté, elle a estimé que le projet de loi ne clarifiait pas la situation et ajoutait au contraire de nouvelles confusions entre le juge et le ministère public.

Elle a ainsi noté qu'en matière de contrôle de la durée de l'enquête préliminaire, le président du tribunal pourrait imposer au procureur de classer une affaire après un débat contradictoire en présence d'un avocat. Elle a en outre souligné que le juge d'instruction devrait lui-même, tel un accusateur, saisir le juge de la détention provisoire d'une demande de mise en détention et s'est demandée si une telle procédure était conforme au principe d'impartialité du juge posé par la Convention européenne des droits de l'homme.

De la même manière, elle a fait valoir que, pour éviter tout " préjugement ", la mise en examen devrait relever de l'accusation et non d'un juge. Elle a estimé que la mise en examen pourrait d'ailleurs utilement être supprimée, les personnes mises en cause pouvant bénéficier du statut de témoin assisté. Elle a fait valoir que le principal intérêt de la mise en examen était de permettre le placement en détention provisoire.

M. Jacques Larché, président, a rappelé que le passage de la notion d'inculpation à la notion de mise en examen n'avait eu aucun effet sur la perception de cette mesure par l'opinion publique.

Mme Mireille Delmas-Marty a alors observé que le fait que des indices graves et concordants soient constatés par un juge impartial était lourd de conséquences et que l'attribution du statut de témoin assisté à une personne faisant l'objet d'un réquisitoire ou d'une plainte ou contre laquelle il existe de simples indices n'avait pas la même portée.

Mme Mireille Delmas-Marty a ensuite souligné qu'une procédure d'instruction comportait différentes phases -témoin assisté (simples indices), mise en examen (indices graves et concordants), mise en détention (conditions spécifiques liées à la protection des preuves), renvoi en jugement (charges suffisantes), jugement (véritables preuves)- caractérisées par des droits clairement définis, mais qu'en l'absence d'instruction, la procédure était beaucoup plus sommaire et reposait entièrement sur le procureur, seul compétent pour apprécier si les charges étaient suffisantes pour que l'affaire soit renvoyée devant le tribunal.

M. Charles Jolibois, rapporteur, a estimé que la suppression de la mise en examen risquait, quelles que soient les précautions prises, de rendre le statut de témoin assisté aussi infâmant que celui de mis en examen. Il a rappelé que le projet de loi, notamment à la suite des travaux du Sénat, prévoyait une gradation subtile entre les statuts de témoin, de témoin assisté et de mis en examen. Il s'est demandé s'il était possible d'attribuer au témoin assisté, dont le champ d'application a été fortement étendu pendant la navette parlementaire, tous les droits de la personne mise en examen.

Il a en outre considéré qu'il serait trop lourd de prévoir que la demande de mise en détention provisoire devrait être faite par le procureur, observant que le dossier passerait successivement entre les mains du juge d'instruction, du procureur et du juge de la détention provisoire.

Mme Mireille Delmas-Marty a rappelé que le juge d'instruction était supposé indépendant et impartial et que sa demande de placement en détention provisoire risquait de mettre davantage en lumière l'ambiguïté de son rôle que la situation actuelle. Elle a indiqué que la suppression de la mise en examen serait assurément plus cohérente dans un système où disparaîtrait le juge d'instruction responsable de l'enquête.

Elle a ensuite estimé qu'il serait utile d'étendre les prérogatives du juge de la détention provisoire pour en faire un juge de la phase préliminaire ou un juge des libertés, l'extension facultative de ses compétences prévue par l'article 10 bis AA du projet pouvant devenir obligatoire, par exemple à échéance de trois ans.

M. Jacques Larché, président, a demandé s'il ne serait pas préférable que le juge d'instruction conserve ses pouvoirs de placement en détention, tout en prévoyant la possibilité pour la personne de demander que la décision soit prise par une collégialité.

Mme Mireille Delmas-Marty s'est déclarée fermement convaincue que la personne chargée de l'enquête ne pouvait pas prendre une décision de mise en détention sans que ses hypothèses d'enquête aient une influence déterminante sur cette décision. Elle a en outre estimé que, pour les décisions de ce type, la collégialité ne présentait qu'un intérêt limité.

Concluant son propos, Mme Mireille Delmas-Marty a observé que la procédure pénale française tendait à devenir une exception en Europe, peu de pays (principalement l'Espagne) conservant un système comparable. Elle a rappelé que le statut du tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie et celui de la Cour pénale internationale prévoyaient tous deux un système dans lequel l'enquête est confiée au procureur sous le contrôle d'un juge de la mise en état ou d'une chambre préliminaire. Elle a noté que ce système était également proposé au niveau de l'Union européenne en matière de fraudes au budget communautaire. Elle en a conclu que le projet de loi sur la présomption d'innocence ne constituait vraisemblablement qu'une nouvelle étape dans la réforme de la procédure pénale.

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