AUDITION DE MM. ETIENNE APAIRE,
JEAN-BAPTISTE PARLOS, PHILIPPE COIRRE
ET JEAN-FRANÇOIS RICARD, DE L'ASSOCIATION FRANÇAISE
DES MAGISTRATS INSTRUCTEURS

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Après avoir noté que depuis 1980, plus de dix réformes de la procédure pénale avaient été adoptées, M. Jean-Baptiste Parlos, considérant que la définition de la jurisprudence demandait environ sept ans après l'entrée en vigueur de la loi, a craint un certain désordre juridique. Il a insisté sur la nécessité d'accompagner la nouvelle réforme des moyens suffisants.

Il a estimé que la réforme proposée n'était ni cohérente, ni complète, dans la mesure où la distinction n'avait pas clairement été effectuée entre les missions juridictionnelles du juge et ses missions d'enquête et d'instruction. Il a relevé que la réforme ne concernait que 5 à 7 % des affaires pénales, puisque les procédures de comparution immédiate, de citation directe et de convocation par officier de police judiciaire dans le domaine correctionnel demeuraient hors du champ d'application du projet de loi.

S'agissant de la détention provisoire, M. Jean-Baptiste Parlos a noté que les magistrats instructeurs approuveraient de ne plus se voir confier le contentieux de la détention. Cependant, il n'a pas jugé bon que le juge de la détention provisoire soit saisi par le juge d'instruction, et non par le procureur de la République.

Il a souligné les difficultés d'application de la disposition, adoptée par l'Assemblée nationale, interdisant la mise en détention provisoire des parents qui exercent l'autorité parentale sur des enfants de moins de dix ans, indiquant qu'à la maison d'arrêt des femmes de Fleury-Mérogis, 50 des 78 détenues exerçaient seules l'autorité parentale.

S'agissant de la garde à vue, M. Etienne Apaire a attiré l'attention sur les trois innovations du projet de loi, à savoir la présence de l'avocat dès la première heure, l'enregistrement des auditions et l'interdiction de la garde à vue des témoins.

Tout en soulignant l'approbation par les magistrats instructeurs du principe de la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, M. Etienne Apaire a rappelé qu'il revenait en premier lieu au parquet de s'assurer de la bonne conduite des gardes à vue par les officiers de police judiciaire.

Il s'est ensuite interrogé sur les conséquences de la présence de l'avocat dès la première heure lorsque des actes urgents seraient nécessaires. Il a souhaité que la loi précise les mesures d'investigation que pourront accomplir les policiers pendant la période de garde à vue et indiqué que l'absence de l'avocat, avisé dès la première heure, ne devait pas empêcher les investigations.

M. Etienne Apaire a noté que plusieurs mesures adoptées au cours des dernières années, à savoir le raccourcissement de la durée de la garde à vue, portée à 24 heures renouvelables une fois dans les conditions de droit commun, la possibilité de trois entretiens avec l'avocat en cas de prolongation de la garde à vue et la visite médicale, étaient de nature à amputer considérablement la période effective de garde à vue. Considérant que la durée de 48 heures avait été instituée à une époque où les obligations prévues en faveur des personnes gardées à vue n'offraient pas les mêmes garanties, il a souhaité que la durée de garde à vue soit augmentée de douze heures.

S'agissant de l'enregistrement sonore des auditions de garde à vue, il a rappelé que le rôle des magistrats instructeurs était de contrôler les policiers et de les renvoyer éventuellement devant les tribunaux en cas de violences illégitimes. Il a estimé que l'enregistrement vidéo pourrait être un bon outil, à condition de s'appliquer dans l'ensemble des locaux, cette mesure étant seule de nature à limiter le soupçon pesant sur les policiers.

M. Etienne Apaire a estimé que joindre l'enregistrement sonore à la procédure excédait très largement l'objectif d'éviter les violences illégitimes. Il a jugé que la possibilité pour le juge d'écouter l'enregistrement pouvait engendrer de multiples contentieux.

M. Etienne Apaire a regretté qu'aucune mesure ne soit prévue pour obliger le témoin récalcitrant à rester à la disposition de la police le temps nécessaire à son audition. Il a proposé de créer un délit d'opposition à la justice permettant de sanctionner le refus de coopérer.

Considérant que la garde à vue permettait souvent la résolution des affaires, notamment en cas d'aveux, il a regretté que le projet de loi multiplie les sources de contentieux, alors que la délinquance ne cessait d'augmenter.

Interrogé par M. Henri de Richemont, M. Etienne Apaire a distingué le droit pour la personne gardée à vue de garder le silence afin de ne pas s'incriminer elle-même, du devoir pour le témoin de collaborer avec la justice.

M. Philippe Coirre a souhaité que les policiers intervenant sur les lieux d'un crime aient les moyens d'enquêter sur place. Il a regretté que l'effet mécanique du projet de loi soit l'ouverture systématique d'informations, en particulier du fait des articles 113-2 et 77-2 du code de procédure pénale.

Il a estimé que le statut de témoin assisté allait favoriser les ouvertures immédiates d'informations, seul le juge d'instruction étant habilité à entendre une personne mise en cause en qualité de témoin assisté. Il lui a semblé que même si cette disposition ne concernait que les informations déjà ouvertes, les juges d'instruction, contraints d'effectuer le travail de " défrichage " actuellement réalisé en garde à vue, allaient rapidement être débordés.

M. Philippe Coirre a ensuite critiqué la disposition permettant à la personne gardée à vue dans le cadre d'une enquête préliminaire de flagrance, de demander au bout de six mois au procureur de la République, qui envisage de prolonger l'enquête, de se justifier dans le cadre d'un débat public. Il a jugé que les enquêtes deviendraient inefficaces, faute de confidentialité, et a regretté l'institution d'un débat public. Il lui a semblé que le procureur de la République aurait intérêt à ouvrir une information dès le début de l'enquête afin de bénéficier d'une année d'investigations confidentielles, cette pratique conduisant à augmenter le nombre des affaires " en friche ".

M. Philippe Coirre a marqué son opposition à l'appel de la décision de mise en examen et à la contestation d'une mise en examen au moyen d'une requête en nullité, cette procédure instaurant un contentieux dilatoire supplémentaire.

S'agissant des délais butoirs, M. Philippe Coirre a indiqué que les juges d'instruction ne seraient absolument pas en mesure de les tenir. Il a insisté sur le caractère peu précis de ces délais, le projet de loi n'indiquant pas s'ils incluaient les délais d'audiencement, ni dans quelles conditions ils pourraient être suspendus. Il lui a semblé nécessaire de suspendre les délais butoirs en cas de contentieux lié à une nullité de procédure.

M. Philippe Coirre a estimé qu'à moins de recruter 450 magistrats supplémentaires, le projet de loi allait provoquer un blocage de la justice pénale en quelques semaines.

M. Jean-François Ricard a noté que le métier de juge d'instruction avait considérablement changé depuis 18 ans afin d'améliorer l'équilibre entre les droits de la défense, la présomption d'innocence et l'efficacité de la répression. Il a attiré l'attention sur les périls de ce projet de loi.

Devant le risque de blocage des investigations et de neutralisation du rôle de la garde à vue, il a souhaité le maintien de la présence de l'avocat à la seule vingtième heure en matière criminelle.

M. Jean-François Ricard a souligné l'importance de limiter aux informations déjà ouvertes l'octroi du statut de témoin assisté à la personne qui en fait la demande.

Il a craint le blocage des procédures pour les infractions les plus graves, en particulier en matière de terrorisme, la clôture de l'investigation ne pouvant pas intervenir, dans de nombreux cas, avant un délai de trois ans.

M. Jean-François Ricard a mis en garde contre un ralentissement massif du traitement des affaires pénales, les contrats de procédure ne pouvant être tenus que si des moyens réels de fonctionnement étaient prévus. Il a estimé que la disposition selon laquelle le juge de la détention provisoire devait avoir rang de président ou de vice-président allait conduire à solliciter l'intervention des juges civils en tant que juges de la détention, alors que leur intérêt pour cette matière n'était pas avéré.

Constatant le déplacement de la procédure pénale de l'inquisitoire vers le contradictoire, M. Henri de Richemont s'est demandé si un policier pouvait enquêter à charge et à décharge, si les questions posées par la défense étaient de nature à intimider le témoin, enfin si l'expertise pouvait être contradictoire.

M. Jean-François Ricard a indiqué que le juge d'instruction déléguait aux policiers une partie de ses attributions au moyen d'une commission rogatoire très précisément définie et qu'il lui appartenait d'exiger un compte rendu au jour le jour et la communication des actes.

Interrogé par M. Jacques Larché, président, M. Jean-François Ricard a estimé que les pratiques consistant pour un policier à orienter le choix d'un avocat par la personne interrogée n'avaient plus cours. Il a ajouté que le juge devait entretenir un contact régulier avec les officiers de police judiciaire et sanctionner les comportements répréhensibles par le retrait de la délégation.

M. Philippe Coirre a considéré que dans un système où le parquet n'était pas indépendant et où prévalait le principe d'opportunité des poursuites, il était nécessaire que le juge d'instruction conserve la maîtrise de l'enquête pénale.

M. Jean-François Ricard a regretté la disposition pouvant conduire un témoin à s'exprimer face au juge en présence de l'avocat de la personne mise en examen, cette disposition pouvant être à l'origine de la peur de témoigner, en particulier dans les affaires de violences urbaines.

M. Jean-François Ricard a rappelé que les avocats avaient la possibilité de demander des expertises en énonçant très précisément leurs attentes. Il n'a pas jugé nécessaire que l'avocat soit présent pour poser directement des questions à l'expert. M. Jean Baptiste Parlos a noté que l'expertise contradictoire dans la procédure civile allongeait considérablement les délais.

M. Jean-Baptiste Parlos a ajouté que les juges d'instruction auraient préféré, à l'institution d'un juge de la détention provisoire, la création d'un tribunal de la détention. M. Etienne Apaire a précisé que, dans l'idéal, le procureur devrait saisir une chambre collégiale décidant le placement en détention. En tout état de cause, il a refusé que le juge d'instruction saisisse un autre magistrat. M. Philippe Coirre a indiqué que les juges d'instruction étaient favorables à la " collégialité à la carte ", moins coûteuse en termes d'effectifs que le juge de la détention provisoire.

M. Etienne Apaire a estimé que l'appel des jugements d'assises institué par le projet de loi ne respecterait pas le droit européen s'il ne s'exerçait pas devant une cour supérieure. Il a fait part de l'encombrement actuel des juridictions et a considéré que l'absence de moyens budgétaires supplémentaires allait aboutir à un déni de justice, la Chancellerie ne semblant pas avoir prévu les recrutements nécessaires pour les assesseurs.

M. Jacques Larché, président, a indiqué que la Cour de cassation devrait renvoyer les affaires aux cours d'assises les moins chargées.

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