EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en deuxième lecture de sa proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale, le 23 février dernier.

L'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi à l'unanimité, presque deux ans jour pour jour après son adoption, à l'unanimité également, par le Sénat.

C'est en effet le 25 février 1998 que le Sénat s'était prononcé sur les propositions de loi déposées par M. Nicolas About, d'une part, et M. Robert Pagès et plusieurs de ses collègues, d'autre part. 1( * )

Entre-temps, de nombreuses propositions de loi réformant la prestation compensatoire ont été déposées à l'Assemblée nationale et 176 questions parlementaires ont été posées sur le sujet, démontrant la préoccupation des députés et sénateurs à cet égard.

La Chancellerie ne souhaitait pas, à l'origine, dissocier la réforme de la prestation compensatoire d'une réforme annoncée portant sur l'ensemble du droit de la famille. Mais il apparaît que la présentation de cette réforme devant le Parlement, préparée par les rapports successifs de Mme Irène Théry 2( * ) et du groupe de travail présidé par Mme Françoise Dekeuwer-Defossez 3( * ) , remis respectivement en mai 1998 et en septembre 1999, ne devrait pas intervenir avant l'année 2001.

Votre commission ne peut que se féliciter de ce que le gouvernement, deux ans après l'examen du texte par le Sénat, ait enfin pris conscience de l'urgence de la réforme de la prestation compensatoire et ait décidé l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale.

Le caractère très difficilement révisable d'une prestation, fixée le plus fréquemment par le juge sous forme de rente et transmissible aux héritiers du débiteur, à une époque où la situation financière des parties est susceptible de subir les contrecoups de la crise économique, et où on assiste à la multiplication des familles recomposées, a en effet conduit à des situations humainement intolérables.

Des ex-époux au chômage se sont ainsi vu imposer une charge qui n'était plus en relation avec leurs ressources. Des enfants d'un deuxième lit ou des secondes épouses se sont vu contraints, quant à eux, à verser à grand peine une rente à une première épouse qui leur était inconnue et disposait parfois de ressources supérieures aux leurs. Ces situations ont engendré un sentiment d'injustice ou même de révolte chez les débiteurs.

Le Sénat le premier a reconnu que ces situations inextricables ne devaient pas perdurer. Il faut cependant être attentifs à ne pas créer pour autant de nouvelles injustices en oubliant de préserver les intérêts des créanciers actuels qui semblent aujourd'hui moins armés pour faire entendre leur voix que les débiteurs mécontents.

On rappellera que, aux termes de l'article 270 du code civil , la prestation compensatoire est destinée à compenser les disparités que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des ex-époux. Elle est fixée par le juge dans le cas des divorces contentieux, à savoir les divorces pour faute (42,2% des divorces prononcés en 1996) et les divorces sur demande acceptée (13,3% des divorces). Dans le cas du divorce sur requête conjointe (41,4% des divorces), elle est fixée par les époux dans leur convention homologuée par le juge.

La prestation compensatoire n'existe pas en cas de divorce pour rupture de la vie commune (1,5% des divorces) qui, ne mettant pas fin, contrairement aux autres cas de divorce, au devoir de secours, donne lieu à l'attribution d'une pension alimentaire. La prestation compensatoire ne peut en outre être attribuée à l'époux aux torts exclusif duquel le divorce est prononcé.

D'après les statistiques élaborées par la Chancellerie à partir des divorces prononcés en 1996 4( * ) , 16 120 divorces , soit moins de 14% des
divorces
(hors les divorces pour rupture de la vie commune), ont été assortis


cette année-là d'une prestation compensatoire, accordée dans 97% des cas à la femme .

Le niveau moyen de la rente mensuelle fixée par le juge sur demande de l'épouse a été de 2008 F. Celui du capital décidé dans les mêmes conditions s'est élevé à 203 480 F.

Les rentes mensuelles , seules ou associées à une forme de versement, apparaissent dans 67% des cas, et dans 78% des divorces contentieux. Le capital seul n'est décidé que dans 20% des cas.

Les rentes viagères représentent 31% des rentes mensuelles. La part des rentes viagères devient prépondérante quand l'épouse dépasse 50 ans alors qu'elle n'atteint pas 10% pour les épouses de moins de 40 ans.

Les trois quart des rentes temporaires ne dépassent pas 10 ans .

I. UNE PROPOSITION D'ORIGINE SÉNATORIALE : ASSOUPLIR LA PRESTATION COMPENSATOIRE SANS EN MODIFIER LES PRINCIPES

La proposition initiale adoptée par le Sénat en 1998 comportait huit articles.

Le Sénat s'était attaché à assouplir les modalités de révision de la rente et à en favoriser le versement en capital, tout en respectant le cadre de la loi de 1975.

A. ASSOUPLIR LES MODALITÉS DE RÉVISION DES RENTES

La prestation compensatoire a été instituée en 1975 à la place des pensions alimentaires qui avaient été une source de multiplication des contentieux postérieurs au divorce. Dans l'esprit du législateur, elle devait permettre de régler définitivement les conséquences pécuniaires du divorce entre époux.

Elle présente ainsi, selon l'article 273 du code civil , un " caractère forfaitaire " et " elle ne peut être révisée même en cas de changement imprévu dans les ressources ou les besoins des parties, sauf si l'absence de révision devait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité ".

La jurisprudence a progressivement bloqué l'application de ce texte. Tout d'abord, les juges conservant leurs habitudes antérieures, ont accordé massivement des rentes à vie, lorsque le capital faisait initialement défaut.

Puis, la Cour de cassation a donné une interprétation si restrictive des conséquences d'une exceptionnelle gravité que la révision de la prestation compensatoire est devenue quasiment impossible. En conséquence, les demandes de révision n'ont pas dépassé ces dernières années un millier par an.

Prenant en compte les situations humainement intolérables auxquelles le caractère très difficilement révisable de la rente avait conduit, le Sénat a souhaité assouplir les conditions et la procédure de révision des prestations compensatoires, tant pour l'avenir que pour les rentes en cours de versement :

- il a prévu en premier lieu que la révision pourrait intervenir à la demande du débiteur, comme du créancier, en cas de changement substantiel dans les ressources ou les besoins des parties ( article premier ) ;

- il a en outre explicitement étendu aux héritiers du débiteur la possibilité de demander, dans les mêmes conditions assouplies, la révision de la prestation compensatoire ( art. 2 bis ) ;

- il a de plus, sur proposition du gouvernement, attribué au juge aux affaires familiales , saisi sur simple requête , la compétence pour statuer sur les demandes de révision de la prestation compensatoire ( art. 1 er bis ) ;

- il a enfin étendu la nouvelle possibilité de révision aux rentes allouées avant l'entrée en vigueur de la loi ( art. 4 ).

Ces nouvelles dispositions avaient pour objectif d'assouplir les conditions de révision de la rente, sans pour autant revenir au régime des pensions alimentaires grâce à l'exigence du caractère substantiel du changement de situation .

Elles auraient permis à chaque partie de se prévaloir des modifications de sa propre situation et de celle de l'autre conjoint.

Dans l'absolu, la révision aurait donc pu conduire à l'augmentation de la rente, même si ce n'était pas là le but premier recherché par le Sénat.

Selon la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, la nouvelle possibilité de révision aurait été applicable aux divorces par consentement mutuel quand les conjoints n'auraient pas, comme l'article 279 du code civil les y autorise, prévu de clause de révision dans leur convention.

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