EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi du projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, adopté par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, le 23 mai dernier.

La commission mixte paritaire, réunie le 9 mai dernier, n'a pu aboutir à l'élaboration d'un texte commun. Ces travaux ont mis en évidence un accord sur le constat de la situation actuelle, caractérisée par un manque de places disponibles qui favorise les tensions et les rapports de force.

En revanche, ces travaux ont souligné une divergence de fond entre l'Assemblée nationale et le Sénat sur le rôle reconnu au représentant de l'Etat dans la mise en oeuvre du dispositif et, plus particulièrement, sur le pouvoir de substitution qu'en vertu de l'article 3 du projet de loi, celui-ci pourrait exercer à l'encontre d'une commune qui manquerait à ses obligations. Cette divergence de fond peut être reliée à celle portant sur la faculté ouverte au représentant de l'Etat par l'article 1 er , d'approuver seul le schéma départemental d'accueil des gens du voyage.

Alors que le Sénat a manifesté sa confiance dans les élus locaux pour appliquer la loi dans le cadre d'un partenariat bien compris avec l'Etat, l'Assemblée nationale fait au contraire un constat a priori sur leur incapacité à remplir leurs obligations.

A l'occasion de la nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a, pour l'essentiel, rétabli le texte qu'elle avait adopté lors de la première lecture. Dans ces conditions, les possibilités de rapprocher les positions des deux assemblées apparaissent limitées.

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A l'issue des deux lectures par l'Assemblée nationale et le Sénat, dix articles restaient encore en discussion sur les quinze articles que comportait le projet de loi après la première lecture.

A l'article 1 er , le Sénat avait tout d'abord souhaité, avec l'avis favorable du Gouvernement, donner une définition de la notion de résidence mobile qui conditionne l'application de plusieurs dispositions du projet de loi, notamment la procédure d'évacuation forcée prévue par l'article 9.

Le Sénat avait, en outre, prévu l'élaboration d'un schéma national pour l'accueil des grandes migrations traditionnelles, lesquelles lui avaient paru devoir relever de la responsabilité de l'Etat. Ce schéma national devrait prendre en compte les préoccupations d'aménagement du territoire.

S'agissant du schéma départemental, le Sénat avait supprimé la faculté pour le représentant de l'Etat d'approuver seul ce schéma.

Le Sénat avait également supprimé la mention obligatoire des communes de plus de 5 000 habitants dans le schéma départemental, jugeant que la définition d'un tel seuil pourrait être sans lien avec les réalités locales. Il avait précisé que le schéma départemental devrait recenser les terrains familiaux . Il avait établi un lien entre le schéma national et le schéma départemental. Il avait supprimé la mention du caractère opposable du schéma départemental, considérant qu'elle était soit superflue au regard du régime général des actes administratifs, soit de nature à créer une confusion en assimilant le schéma départemental à un document d'urbanisme.

En ce qui concerne la commission consultative départementale , le Sénat avait souhaité définir sa composition de manière exhaustive dans la loi.

S'agissant de la procédure de coordination des schémas départementaux, le Sénat avait prévu une coordination régionale en Ile-de-France et interdépartementale dans les autres régions. Il avait précisé que, dans tous les cas, les propositions de la commission régionale ou interdépartementale seraient soumises pour avis aux commissions consultatives départementales concernées.

L'article 1 er bis qui résultait des travaux du Sénat, affirmait le rôle du représentant de l'Etat à l'égard des grandes migrations, au titre de ses pouvoirs de police.

A l'article 2 , qui définit les obligations des communes, le Sénat avait souhaité autoriser une prolongation du délai de deux ans pour la réalisation des aires d'accueil, en cas de difficultés techniques ou procédurales.

A l'article 3 , si le caractère obligatoire des dépenses occasionnées par la réalisation et la gestion des aires d'accueil avait été admis par l'Assemblée nationale et par le Sénat, ce dernier avait en revanche supprimé le pouvoir de substitution du représentant de l'Etat, prévu par le projet de loi, en cas de carence de la commune.

A l'article 4, qui précise la participation financière de l'Etat à l'aménagement des aires d'accueil, le Sénat avait pris en compte la réparation des dommages éventuels.

A l'article 5, relatif à l'aide des organismes de sécurité sociale aux personnes gestionnaires des aires d'accueil, le Sénat avait substitué la notion de redevance à celle de droit d'usage retenue par l'Assemblée nationale.

A l'article 7 , qui majore la population prise en compte au titre de la DGF, le Sénat avait porté la majoration à quatre habitants par place de caravane.

L'Assemblée nationale avait pour sa part prévu une majoration de deux habitants par place pour les communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine ou à la fraction bourgs centre de la dotation de solidarité rurale.

A l'article 8 , qui prévoit des dispositions relatives au droit de l'urbanisme , le Sénat avait jugé nécessaire de préciser que les terrains familiaux ne pourraient être aménagés que dans les zones constructibles.

A l'article 9 , qui complète les pouvoirs de police du maire et définit une procédure d'évacuation forcée des résidences mobiles stationnant de manière illicite, l'Assemblée nationale avait souhaité unifier ce contentieux entre les mains du juge judiciaire, alors que le Sénat avait préservé la compétence du juge administratif pour les occupations du domaine public.

Le Sénat avait par ailleurs spécifié que le maire pourrait prendre un arrêté interdisant le stationnement sur le reste du territoire communal dès la réalisation de l'aire d'accueil (solution du droit en vigueur) et non pas à compter de la mise en oeuvre de l'ensemble des obligations prévues par le schéma départemental.

Il avait par ailleurs permis que la procédure d'évacuation forcée soit mise en oeuvre par le maire à la demande du propriétaire du terrain, lorsque l'occupation illicite est de nature à porter atteinte à l'activité économique d'un bien ou d'une zone économique .

Enfin, l'article 9 bis , qui prévoyait les conditions d'hébergement des gens du voyage dans le cadre d'emplois saisonniers, issu des travaux de l'Assemblée nationale, avait été supprimé par le Sénat, lequel avait considéré que ces besoins devraient, par définition, être pris en compte lors de l'élaboration du schéma départemental.

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Tout en prenant en compte certains aspects des travaux du Sénat, l'Assemblée nationale , lors de l'examen du projet de loi en nouvelle lecture, a, pour l'essentiel, rétabli le texte qu'elle avait adopté en deuxième lecture.

C'est ainsi qu'elle n'a pas souhaité définir la notion de résidence mobile , en dépit de son impact sur un certain nombre de dispositions du projet de loi, notamment quant au champ des obligations faites aux communes et à la mise en oeuvre de la procédure d'évacuation forcée prévue par l'article 9 .

Elle n'a pas retenu l'élaboration d'un schéma national pour les grands rassemblements traditionnels pas plus qu'elle n'a souhaité affirmer le rôle du représentant de l'Etat pour ces grands rassemblements, préférant s'en tenir au projet initial du Gouvernement qui prévoit leur prise en compte dans le cadre des schémas départementaux.

L'Assemblée nationale a de nouveau précisé, à l'article 1 er , que les communes de plus de 5 000 habitants figureraient obligatoirement au schéma départemental.

Elle a néanmoins souscrit à la proposition du Sénat de faire figurer au schéma départemental le recensement des terrains familiaux, dans une annexe au schéma. Elle a en outre prévu le recensement des terrains devant être mis à la disposition des gens du voyage par leurs employeurs, notamment dans le cadre d'emplois saisonniers.

L'Assemblée nationale a par ailleurs rétabli la faculté pour le représentant de l'Etat d'approuver seul le schéma départemental, passé un délai de dix-huit mois. Elle n'a en revanche pas repris la précision selon laquelle le schéma serait opposable .

Elle a prévu, pour la commission consultative départementale, une composition conforme à celle qu'elle avait envisagé en deuxième lecture. Elle n'a pas accepté les modalités de coordination régionale et interdépartementale, envisagées par le Sénat.

Reprenant le texte qu'elle avait voté en première et en deuxième lecture pour l'article 3 du projet de loi, l'Assemblée nationale a rétabli le pouvoir de substitution du représentant de l'Etat aux communes qui n'auront pas satisfait à l'obligation de réaliser des aires d'accueil dans un délai de deux ans à compter de la publication du schéma départemental.

Elle a de même confirmé ses choix antérieurs aux articles 4 (participation financière de l'Etat à l'aménagement des aires d'accueil) et 5 (aide des organismes de sécurité sociale aux personnes gestionnaires des aires d'accueil).

A l'article 7 (majoration de la population prise en compte au titre du calcul de la DGF), l'Assemblée nationale a confirmé son choix de porter d'un à deux habitants la population prise en compte pour les communes éligibles à la DSU ou à la fraction bourgs centre de la DSR.

L'Assemblée nationale a admis, à l'article 8 (dispositions modifiant le code de l'urbanisme), la précision apportée par le Sénat selon laquelle les autorisations relatives à l'aménagement de terrains familiaux ne pourraient être délivrées que dans des zones constructibles . Elle a néanmoins jugé nécessaire de spécifier que les terrains concernés étaient des terrains bâtis ou non bâtis .

A l'article 9 (pouvoirs de police du maire - procédures d'expulsion), l'Assemblée nationale a également repris le dispositif qu'elle avait voté en deuxième lecture, en lui apportant néanmoins deux correctifs.

D'une part, elle a admis que la faculté pour le maire de prendre un arrêté interdisant le stationnement sur le reste du territoire communal devait être ouverte dès que la commune aurait rempli son obligation de mettre à disposition une aire d'accueil et non pas à compter de l'accomplissement de l'ensemble des obligations prévues par le schéma départemental.

D'autre part, elle a pris en compte le cas d'atteinte à la poursuite de l'activité économique d'un bien à usage industriel, commercial ou professionnel, ou de la zone économique environnante.

Cependant, elle a jugé préférable de confier directement au propriétaire du terrain privé la faculté de déclencher la procédure sans s'adresser au maire comme l'avait envisagé le Sénat.

Enfin, l'Assemblée nationale a maintenu la suppression de l'article 9 bis (hébergement des gens du voyage dans le cadre d'emplois saisonniers).

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A l'issue de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi en nouvelle lecture, les points de convergence, s'ils méritent d'être relevés, demeurent néanmoins limités.

Ils portent sur le recensement dans le cadre du schéma départemental des terrains familiaux et des terrains mis à la disposition de travailleurs saisonniers ; sur la limitation aux seules zones constructibles de la délivrance des autorisations pour l'aménagement de terrains familiaux ; sur la faculté pour le maire de prendre un arrêté d'interdiction du stationnement sur le reste du territoire communal dès la mise à disposition d'une aire d'accueil et sur la mise en oeuvre de la procédure de référé dite d'heure à heure en cas d'atteinte à une activité économique.

Pour le reste, compte tenu des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, votre commission des Lois ne peut que renouveler les analyses qu'elle a développées lors des lectures précédentes et inviter le Sénat à confirmer ses choix antérieurs.

La divergence essentielle entre l'Assemblée nationale et le Sénat portant sur le rôle dévolu au représentant de l'Etat est indissociable d'une vision plus générale sur les conditions d'exercice des compétences locales . Or force est de constater que le présent projet de loi, comme d'autres textes récents présentés par le Gouvernement et adoptés par la majorité de l'Assemblée nationale, traduisent une suspicion et une défiance marquée à l'égard des collectivités locales.

Votre commission des Lois entend dénoncer fermement le procès fait aux collectivités locales qui, avant même que la loi ne soit adoptée, sont suspectées de ne pas vouloir l'appliquer.

Le respect des principes de la décentralisation implique que les collectivités locales soient considérées comme des acteurs pleinement responsables dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues par la loi.

Le choix du Gouvernement et de la majorité de l'Assemblée nationale traduit une interprétation erronée de l'article 72 de la Constitution. S'il ne saurait être question de contester le rôle de l'Etat dans la défense des intérêts nationaux, le contrôle administratif et le respect des lois, le principe de libre administration suppose, en effet, que les collectivités locales soient dotées d'" attributions effectives ". Tel ne peut être le cas si l'Etat peut se substituer purement et simplement à elles dans un domaine de compétences que la loi leur attribue, en approuvant seul le schéma départemental ou en réalisant des aires d'accueil en leur lieu et place.

Sur le plan pratique, de telles mesures coercitives ne pourront que nourrir des contentieux et des tensions auxquelles le législateur doit précisément se donner pour objectif de mettre un terme. Elles s'inscrivent, en outre, dans un contexte dans lequel nombre d'élus locaux expriment une méfiance sur la capacité de l'Etat à faire respecter la loi.

C'est pourquoi, privilégiant les formules incitatives dans le cadre d'un véritable partenariat entre l'Etat et les collectivités locales, votre commission des Lois vous propose de confirmer les choix antérieurs du Sénat.

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