N° 475

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 29 juin 2000

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 septembre 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à l' égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ,

Par Mme Annick BOCANDÉ,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ;
Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Claire-Lise Campion, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (11
ème législ.) : 2132, 2220, 2225 et T.A. 469 .

Sénat : 258, 347 (1999-2000).


Femmes.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 7 mars dernier 1( * ) , l'Assemblée nationale adoptait une proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, proposition déposée par Mme Catherine Génisson et ses collègues du groupe socialiste.

Votre commission des Affaires sociales a été saisie de ce texte que le Gouvernement a souhaité inscrire à l'ordre du jour prioritaire de nos travaux. Elle regrette à cet égard que le Gouvernement ne retienne pas une telle procédure pour les nombreuses propositions de lois, notamment en matière sociale, adoptées par le Sénat qui sont en instance d'examen à l'Assemblée nationale.

Dans la mesure où ce texte vise non seulement le code du travail mais aussi le statut de la fonction publique, la commission des Lois s'est saisie pour avis des titres II et III. Aussi, votre commission vous propose, pour les articles en question, de s'en remettre à l'avis éclairé de la commission des Lois -et de son rapporteur, M. René Garrec- tout naturellement compétente en la matière.

Votre commission a également décidé de saisir, le 15 mars dernier, la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes. Son rapport, présenté par M. Gérard Cornu, a été rendu public en mai. Bien des constats et bien des recommandations formulés par la Délégation seront d'ailleurs ici repris par votre commission.

A titre liminaire, il a semblé utile à votre commission d'apporter deux précisions.

Auditionnée en commission le 9 mai dernier, Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, avait alors déclaré que, les partenaires sociaux s'étant saisis de la question de l'égalité professionnelle dans le cadre de la " refondation sociale ", il lui semblait préférable que le rythme du travail législatif soit parallèle à celui de la négociation afin que les conclusions des partenaires sociaux puissent être, le cas échéant, intégrées par voie d'amendement dans la proposition de loi. Votre commission ne pouvait naturellement que partager cette position de sagesse, respectueuse du dialogue social.

Or, en inscrivant, dès juin dernier, ce texte à l'ordre du jour prioritaire du Sénat pour l'ouverture de cette nouvelle session, le Gouvernement est manifestement revenu sur sa position initiale. Il était clair, dès le mois de juin, que la négociation entre les partenaires sociaux ne serait pas achevée pour la rentrée parlementaire.

Votre commission ne peut alors qu'une nouvelle fois regretter l'attitude du Gouvernement vis-à-vis du dialogue social. C'est au moment où les partenaires sociaux expriment leur dynamisme, réaffirment leur force de propositions et leur sens des responsabilités -qui, certes, semblent déplaire au Gouvernement- que celui-ci choisit d'imposer la voie parlementaire pour une question qui relève à l'évidence avant tout du ressort du dialogue social.

Au manque de considération pour les partenaires sociaux s'ajoute une certaine désinvolture vis-à-vis du Parlement.

Le Gouvernement a annoncé en juillet sa décision d'amender la proposition de loi afin d'y adjoindre des dispositions relatives au travail de nuit des femmes, dispositions déjà incluses pour partie dans le projet de loi de modernisation sociale présenté en Conseil des ministres le 24 mai dernier. Votre rapporteur a donc, avec le président de votre commission, écrit le 5 septembre à Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, pour lui demander de bien vouloir déposer cet amendement dans les meilleurs délais sur le bureau du Sénat afin qu'il puisse être examiné en réunion de commission le 19 septembre.

En dépit de cette demande, cet amendement n'a été déposé que lundi 18 septembre en fin d'après-midi, veille de la réunion de commission.

Compte tenu de la brièveté des délais, de l'ampleur des dispositions et de l'importance du sujet et dans la mesure où leur rédaction a été modifiée par rapport à celle du projet de loi de modernisation sociale, votre commission des Affaires sociales n'a pas souhaité l'examiner dans la précipitation, ni proposer d'éventuels sous-amendements dans ce rapport. Elle regrette en outre de ne pas avoir pu disposer des délais nécessaires pour pouvoir entendre sur ce sujet Mme le Ministre de l'emploi et de la solidarité.

Pour autant, ces deux mauvais procédés à l'égard des partenaires sociaux et du Parlement ne doivent pas nuire à la sérénité du débat sur cette proposition de loi. L'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes constitue un enjeu de société essentiel. Elle mérite en conséquence une attention particulièrement vigilante de notre Haute Assemblée.

I. L'ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE : UNE QUESTION TOUJOURS LÉGITIME

A. DES INÉGALITÉS PERSISTANTES

Votre commission ne peut hélas que partager ce constat trop souvent formulé : le travail constitue toujours ce qu'un commentateur a pu appeler " le marécage des inégalités stagnantes " 2( * ) .

Dans le monde professionnel, subsistent de fait un certain nombre d'inégalités qui fragilisent la place des femmes sur le marché du travail 3( * ) .

Le poids du chômage

Alors que les femmes représentent 45 % des actifs, elles constituent 51 % des demandeurs d'emploi. En juin 2000, le taux de chômage des femmes atteignait 11,5 %. Il n'était que de 8,1 % pour les hommes. Plus souvent au chômage que les hommes, les femmes le sont aussi plus longtemps.

Une exposition forte à la " précarité "

Ainsi, 31,1 % des femmes actives occupent un emploi à temps partiel (contre 5,4 % des hommes) 4( * ) . On estime généralement que le temps partiel n'est réellement choisi que pour les deux-tiers d'entre elles. De la même manière, les femmes occupent plus souvent des " formes particulières d'emplois " (stage, contrat à durée déterminée, intérim, contrats aidés) que les hommes.

Les difficultés d'accès à la formation

Les femmes accèdent en moyenne moins souvent aux actions de formation que les hommes. L'emploi féminin se concentre en effet dans des secteurs finalement assez peu qualifiés, où l'accès à la formation n'est pas une priorité. En outre, le temps partiel contribue à éloigner les femmes de la formation : lorsqu'il est inférieur à un mi-temps, seulement 8,5 % des femmes ont suivi une formation contre 26 % des hommes 5( * ) .

La fragilité des déroulements de carrières

La probabilité d'occuper un emploi de cadre est systématiquement plus faible pour les femmes, à diplôme identique et à niveau d'expérience égal. Et que dire des postes à responsabilité : une seule femme dirige une entreprise parmi les 200 premiers groupes français.

La persistance d'un fort écart salarial

Les salaires féminins sont inférieurs de 23 % à ceux des hommes 6( * ) . Si cet écart résulte avant tout des différences en matière d'ancienneté, de formation, d'expérience, de secteur d'activité, il n'en reste pas moins qu'il subsiste un écart résiduel de 10 à 15 % qui ne peut qu'être difficilement expliqué par des facteurs objectifs.

La dégradation des conditions de travail

Les femmes sont très fortement représentées dans des métiers qui exigent une disponibilité horaire importante, comme les soins aux personnes ou le commerce, et sont fréquemment confrontées à des amplitudes journalières importantes et à une irrégularité des horaires.

B. DES ÉVOLUTIONS ENCORE TROP TIMIDES

Le renforcement de la place des femmes sur le marché du travail

Ce diagnostic pour le moins assez sombre ne doit cependant pas occulter certaines évolutions qui ont permis de conforter la place des femmes dans le monde du travail.

Les femmes sont ainsi de plus en plus nombreuses à exercer une activité professionnelle. Le taux d'activité des femmes de 25 à 49 ans est ainsi passé de 44 % en 1968 à 80 % en 2000. Alors qu'au cours des quinze dernières années l'emploi masculin se contractait légèrement, l'emploi féminin progressait de 1,2 million d'emplois supplémentaires.

Et c'est justement parce que les femmes sont de plus en plus présentes et impliquées dans le monde du travail que les inégalités persistantes apparaissent de plus en plus insupportables.

La construction progressive d'un cadre législatif conséquent

Pourtant, notre législation a parallèlement cherché à mieux assurer cette égalité professionnelle.

Déjà, le préambule de la Constitution de 1948 affirmait que " la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ".

Erigé en principe constitutionnel, l'égalité des sexes s'est progressivement inscrite dans le droit du travail. La loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 portant modification du code du travail et du code pénal en ce qui concerne l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes marque certainement une étape importante de ce processus.

Rendue nécessaire pour assurer la conformité de notre législation au droit européen et s'inspirant pour partie d'un projet de loi adopté en Conseil des ministres par le précédent Gouvernement le 16 janvier 1981, la loi " Roudy " allait organiser le passage d'un cadre législatif visant principalement la protection de la femme à un système privilégiant la non-discrimination. Cette nouvelle législation s'accompagnait de mesures spécifiques tendant au rattrapage des inégalités de fait constatées dans le monde du travail.

La loi du 13 juillet 1983

Les principales dispositions de la " loi Roudy " sont les suivantes :

- l'introduction d'un principe général de non-discrimination ( art. L. 123-1 et L. 123-2 du code du travail ) et des applications particulières en matière de salaire ( art L. 140-2 ) ou d'embauche ;

- la mise en place de garanties reconnues aux salariés pour faire appliquer ce principe (affichage dans l'entreprise, action syndicales, protection contre le licenciement, contrôle de l'inspection du travail, instauration de sanctions pénales) ;

- l'autorisation de mesures temporaires d'embauche, de promotion, de formation, de salaire en faveur des femmes, pour remédier aux inégalités de fait ( art. L. 123-3 et 4 et L. 900-4 ) ;

- l'obligation pour les entreprises de produire un rapport annuel sur la situation comparée des hommes et des femmes transmis au comité d'entreprise ( art. L. 432-3-1 ) ;

- la possibilité de négocier avec les syndicats de l'entreprise un plan d'égalité mettant en oeuvre des mesures en faveur des femmes ( art. L. 123-4 ) ;

- la création d'une aide financière de l'Etat pour aider les plans d'égalité comportant des " actions exemplaires " ;

- la possibilité pour les organisations syndicales de se constituer partie civile pour l'application de la législation sur l'égalité professionnelle ( art. L. 123-6 ) ;

- la création du Conseil supérieur de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Le Sénat avait alors accompagné ce processus législatif. Ainsi, M. Pierre Louvot, rapporteur de ce texte pour votre commission, observait dans son rapport 7( * ) : " Le projet de loi dont notre Haute Assemblée est saisie s'inspire d'une volonté puissante et mobilisatrice au bénéfice de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Ses intentions sont claires puisqu'il tend vers l'accélération d'un processus d'évolution progressive que notre société n'a pu encore accomplir, tant reste fort le poids des habitudes et des mentalités, tant sont manifestes les disparités de formation, de qualification et d'accès aux emplois de rémunération et de formation ainsi que la division d'un travail inégalement réparti et globalement insuffisant ".

Aujourd'hui, près de vingt ans après, le Parlement est saisi d'un nouveau texte relatif à l'égalité professionnelle.

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