b) L'adaptation des règles existantes

En fait, la réglementation n'est pas aussi inefficace ou déphasée face aux évolutions techniques des moyens de communication qu'on pourrait le penser.

D'ailleurs, aucune des personnes rencontrées n'a souhaité une modification des règles existantes 119( * ) , montrant ainsi que le droit actuel, même ancien, avait fait preuve de sa capacité d'adaptation aux contextes culturels et technologiques de notre société. La législation a, dans l'ensemble, parfaitement absorbé les évolutions, et l'expérience montre qu'une loi ne doit être une réponse à une technologie déterminée. Néanmoins, plusieurs sujets méritent une réflexion 120( * ) .

Il existe tout d'abord des problèmes qui ne sont pas propres aux images de synthèse, mais qui concernent plus généralement les diffusions transnationales des images sur les réseaux . Internet n'est pas une zone de non droit et le principe de propriété intellectuelle a vocation à s'appliquer, mais il n'en demeure pas moins que les diffusions transnationales posent des problèmes particuliers puisque les législations et les protections sont différentes d'un pays à l'autre. " Ne peut-on imaginer des paradis de l'image comme il existe des paradis fiscaux ? " , se demande-t-on parfois. Cette réflexion déborde le cadre national et doit être menée au niveau européen et même mondial.

Il existe également un deuxième problème, sans doute mineur, mais non négligeable, lié à la rédaction des textes existants .

L'article 226-8 du code pénal réprime " la publication des " montages " réalisés avec l'image d'une personne sans son consentement s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un " montage " ou s'il n'en est pas expressément fait mention. "

Cette rédaction, reprise dans le nouveau code pénal, résulte de l'article 23 de la loi du 17 juillet 1970. Cette disposition a, semble-t-il, été peu appliquée jusqu'à présent. Elle pourrait toutefois trouver à s'appliquer davantage avec le développement des technologies de l'image qui rendent les manipulations indécelables.

Mais la rédaction de cet article du code, vieille de près de trente ans, reste-t-elle adaptée à la situation actuelle ? Le terme "montage" évoque les coupures et les assemblages de scènes tournées et de photographies prises, ou, selon la terminologie informatique actuelle, une opération de "coupé/collé" : on coupe une image et on colle une autre image sur la précédente. La technique actuelle est différente. Il n'y a pas de "montage" proprement dit, mais plutôt traitement d'image, traitement d'algorithmes. D'ailleurs, le mot "montage" suppose une modification, une manipulation de l'original. Mais avec la technologie numérique, l'"original" n'est rien d'autre qu'une suite de chiffres. Changer un chiffre modifie l'image, mais celle-ci reste tout aussi originale que la première .

Le juge, qui possède un pouvoir souverain pour apprécier la dénaturation possible d'une image, pourrait, il est vrai, parfaitement prendre acte de cette évolution technique sans qu'il soit besoin de modifier le texte. Mais si tel n'était pas le cas, le législateur devra certainement intervenir en ajoutant, par exemple, au mot "montage" le mot "déformation".

Troisième problème, le caractère hétérogène des protections. La distinction entre artistes protégés par le droit moral et le droit patrimonial transmissible, et les autres personnes, protégées par le seul droit moral personnel, paraît en effet de moins en moins opportune. " Il est en effet patent qu'en dehors du spectacle, nombre de célébrités du sport, des arts, des affaires, tirent parti de l'évolution des mœurs et de pratiques économiques générées par une civilisation de plus en plus tournée vers l'image, se livrent selon des rémunérations croissant avec leur célébrité, à une exploitation commerciale de leur propre image. "

Ainsi, ce droit à l'image purement moral et personnel au départ, tend-il souvent à acquérir une valeur patrimoniale et a-t-il, par conséquent, vocation à se transmettre, comme tout autre bien de même nature, aux héritiers.

Par ailleurs, l'idée sous-jacente est qu'il serait regrettable qu'une société commerciale ne puisse utiliser l'image d'un acteur célèbre décédé pour vanter tel ou tel produit sans l'autorisation de ses ayants droit, mais puisse utiliser le clone d'une personnalité non artistique très connue et populaire pour appuyer telle ou telle action.

Faut-il aligner le régime des personnes de la vie publique sur celui d'artistes ? Ou même adopter un seul régime applicable à tous " dans un souci de respect de l'égalité des citoyens " ? Cette position paraît toutefois discutable dans la mesure où le droit patrimonial existant est fondé sur un savoir-faire reconnu, qui n'est autre que la base du talent de l'artiste. C'est ce talent qui est protégé. C'est ce droit patrimonial qui est transmis. Cette interprétation ne semble donc pas pouvoir s'appliquer à tous les individus, et il paraît même dangereux de donner systématiquement un contenu patrimonial à un droit qui n'est, jusque là, pour toute personne (à l'exception des artistes), qu'un droit moral.

Ce débat ne peut être aujourd'hui tranché, mais devra l'être vraisemblablement à plus ou moins brève échéance. Le problème se pose de façon précise dans le cas de l'utilisation d'images de personnes décédées.

Le principal problème est en effet celui des clones et de l' utilisation de l'image d'une personne décédée .

Comme on l'a vu 121( * ) , le principe de l'utilisation de l'image d'une personne décédée n'est jamais remis en cause. En revanche, le juge examine le contenu concret de l'utilisation, pour déterminer s'il y a préjudice moral ou non.

Ainsi, en l'état actuel du droit et de la jurisprudence, aucune disposition ne semble empêcher l'utilisation, la reproduction d'une image d'une personne publique, dès lors que les droits patrimoniaux sont respectés (ce qui ne s'applique qu'aux artistes) et que l'image n'est pas utilisée de façon détournée ou malveillante. Le fait qu'il s'agisse d'une image de synthèse ne change en rien cette position.

Il semble qu'il y ait sur ce point un vide juridique. Car, tôt ou tard, l'utilisation des images ne se bornera pas à celle des artistes -protégés par les dispositions sur les droits voisins des droits d'auteurs- mais s'étendra aux autres personnes publiques dont la notoriété ou le prestige sont incontestables. Ainsi, il semble parfaitement possible d'utiliser le clone de Mère Teresa ou de la princesse de Galles pour promouvoir une campagne d'aide aux déshérités ou de lutte contre les mines antipersonnel. Techniquement et juridiquement, une telle campagne paraît parfaitement possible. Mais quelle peut être la limite entre une utilisation licite et une autre illicite ? Faut-il laisser aux seuls juges la tâche de fixer les limites ?

Ce n'est pas la première fois que le droit moral se trouve confronté aux nouvelles technologies. Le temps semble venu où le législateur doit à nouveau se saisir de la question.

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