B. DES STATISTIQUES PRÉOCCUPANTES

L'appréhension de l'étendue du recours à la contraception passe par deux séries d'indicateurs : la première est l'observation directe de l'utilisation des méthodes contraceptives par les femmes en âge de procréer, la seconde est indirecte, et consiste en l'analyse des données relatives aux interruptions volontaires de grossesse (IVG) lesquelles, comme le rappelle le professeur Israël Nisand dans son rapport sur l'IVG en France, remis en février 1999, "jouent essentiellement un rôle palliatif lors de l'échec de la contraception" .

1. Un recours à la contraception qui pourrait être plus large

Les informations générales les plus récentes concernant le recours à la contraception remontent à une enquête INED-INSEE de mars 1994. Reprises dans le rapport sur la mise en oeuvre par la France des recommandations du programme d'action de la quatrième conférence mondiale sur les femmes ("Pékin plus cinq", tenue en juin 2000 à New-York), elles démontrent que notre pays se caractérise par une utilisation de la contraception relativement large (deux femmes âgées de 20 à 44 ans sur trois). La pilule vient en tête, avec 37 % d'utilisatrices, la proportion étant maximale entre 20 et 24 ans (58 %) mais diminuant ensuite régulièrement. Le stérilet est utilisé par 16 % des femmes, avec un maximum entre 35 et 44 ans (27 %). Les autres méthodes n'occupent qu'une place restreinte : le préservatif (5 %) devance légèrement l'abstinence périodique (4 %), et le retrait, méthode traditionnelle des couples français jusque dans les années 60, n'est désormais déclaré que par 2,5 % d'entre eux (autres méthodes : 1 %).

En raison des nombreuses campagnes de sensibilisation sur les risques du Sida, on observe une large utilisation des préservatifs comme méthode temporaire au moment des premiers rapports, notamment chez les jeunes et les personnes ne vivant pas en couple : 87 % en 1998 contre 45 % en 1993 et seulement 8 % en 1987. Ce n'est que lorsque la relation amoureuse est stabilisée qu'est recherché un traitement contraceptif.

La grande majorité des femmes qui n'avaient pas recours à la contraception au moment de l'enquête de 1994 n'était pas pour autant exposées au risque d'une grossesse non désirée. Certaines (environ 4 %, mais 13 % des femmes de 40 à 44 ans et 22 % de celles âgées de 45 à 49 ans) avaient subi une opération stérilisante, dans un but contraceptif dans plus de deux tiers des cas, alors même que la stérilisation volontaire n'a pas, dans notre pays, de statut légal. D'autres se savaient ou avaient un compagnon stériles (7 %), étaient enceintes (4,5 %) ou cherchaient à concevoir (4 %) ou encore n'avaient pas de partenaire (10,5 %). Dès lors, on estimait à environ 3 % la proportion des femmes d'âge reproductif qui n'entraient dans aucune des catégories énumérées ci-dessus et qui affirmaient ne pas ou ne plus vouloir d'enfant.

Cependant, ces statistiques cachent des réalités plus préoccupantes, qui concernent le plus souvent les adolescentes, lesquelles n'ont pas été prises en compte par l'enquête de 1994. Ainsi, selon le professeur Michèle Uzan, auteur d'un récent rapport sur la prévention et la prise en charge des grossesses des adolescentes, 60 % des premiers rapports des mineures se dérouleraient sans contraception. En outre, si 87 % des jeunes (garçons et filles confondus, mineurs et majeurs) affirment, selon le baromètre Santé-Jeunes 1997-1998 du Comité français d'éducation pour la santé, utiliser le préservatif lors de leur premier rapport, beaucoup de jeunes filles déclarent y renoncer quand la relation devient "sérieuse", en raison de leur confiance dans leur partenaire à l'égard des maladies sexuellement transmissibles (MST), sans pour autant recourir à une méthode de contraception. Ce type de comportement démontre à l'évidence que si les campagnes d'information sur les risques de MST et surtout du Sida ont globalement été efficaces, elles ont aussi probablement parasité la compréhension qu'ont les jeunes gens et les jeunes filles du rôle contraceptif du préservatif et relégué au second plan la question du recours à des pratiques contraceptives plus systématiques et plus sûres.

Enfin, l'enquête INED-INSEE de 1994 peut également être analysée de manière critique, sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Au plan quantitatif, on ne peut manquer d'observer qu'aux 3 % de femmes n'utilisant aucune contraception alors même qu'elles sont en situation de pouvoir procréer, il conviendrait d'ajouter les 7 % de celles qui pratiquent l'abstinence périodique ou le retrait pour définir une population à "risque de grossesse non désirée", tant il est vrai que ces deux méthodes sont extrêmement aléatoires et qu'elles préexistaient au dispositif législatif de 1967. On devrait en outre y ajouter une partie des 5 % de femmes qui ont exclusivement recours aux préservatifs, lesquels ne constituent pas non plus une protection que l'on peut qualifier de totalement sûre ( ( * )*). Au total, ce sont donc plus de 10 % des femmes de 20 à 44 ans, soit plus d'un million de femmes en âge et en situation de procréer qui, en France, ne sont pas protégées par une contraception efficace. Et si on y ajoute l'essentiel des jeunes filles de moins de 20 ans, le tableau s'assombrit encore.

De même on doit, même si cela s'avère plus délicat, apprécier ces données statistiques de manière qualitative, en cherchant à connaître quelles réalités sociologiques elles recouvrent. Or, toutes les études officielles (telles que celles, récentes, du professeur Israël Nisand et du professeur Michèle Uzan), tous les rapports des centres de planification ou d'éducation familiale, toutes les observations des associations (Mouvement français pour le planning familial [MFPF], Fil-santé-jeunes, Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception [CADAC], Association nationale des centres d'interruption de grossesse et de contraception [ANCIC], etc ...) montrent que le taux de recours à des méthodes sûres et suivies de contraception est incontestablement lié au niveau d'éducation et d'insertion sociale. Selon le secrétariat d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, l'accès plus réduit des jeunes d'origine modeste à l'information sur la contraception et aux méthodes contraceptives est manifeste. Dès lors, il est évident que le non-recours à la contraception est essentiellement subi et non délibérément choisi par les intéressées en toute connaissance de cause.

2. Des interruptions volontaires de grossesses encore trop nombreuses

Ce constat est malheureusement corroboré par le nombre des IVG pratiquées en France. Une étude publiée en juin dernier par le ministère de l'emploi et de la solidarité révèle qu'il s'établissait en 1998 à 214 000. Inférieur certes à celui constaté entre 1975 et 1986 (250 000 par an en moyenne), il traduit cependant une reprise, constatée depuis 1996 (environ 200 000 IVG par an entre 1992 et 1995), et résulte pour l'essentiel d'une augmentation significative des IVG chez les femmes de 15 à 24 ans - le taux global le plus élevé concernant la classe d'âges 20-24 ans (24 %o) et le taux de progression le plus important la classe 18-19 ans (+ 26,7 %).

S'agissant des plus jeunes (mineures de 15 à 18 ans), les évolutions générales sont similaires : le nombre annuel des IVG a significativement diminué entre 1980 et 1995, passant de 7 300 à 5 640 (- 22,7 %), mais il a ensuite de nouveau augmenté pour s'établir en 1998 à 6 500. Cette même année, l'INED dénombrait 20 000 grossesses dans cette classe d'âge et le professeur Uzan estimait à environ la moitié le nombre de celles qui n'étaient pas désirées (ce que confirment Mmes Nathalie Bajos et Michèle Ferrand, chercheuses à l'INSERM, qui viennent de publier une étude sur la contraception et l'IVG en France, et pour lesquelles un nombre significatif des grossesses d'adolescentes qui n'ont pas donné lieu à une IVG étaient souhaitées, les parturientes étant souvent des jeunes femmes mariées).

Reste que la moitié des grossesses d'adolescentes ne sont pas désirées et que près des deux tiers d'entre elles se concluent aujourd'hui par un avortement, générateur de traumatisme et de douleur et bien piètre sésame pour entrer dans la vie adulte. Ces chiffres montrent que le dispositif actuel d'information sur la contraception ne fonctionne pas bien et que, comme l'exprime de manière passionnée le professeur Mention, chef de service à la maternité du CHU d'Amiens, récemment interviewé par Libération (4 octobre 2000), "c'est grave, ça veut dire qu'à l'école, au lycée, en famille, partout, personne ne fait son boulot. Aujourd'hui, c'est devenu un problème de société et un problème politique" .

A cet égard, après avoir rappelé que des travaux menés auprès de femmes adultes en 1995 (Serfaty) et 1997 (Kahn-Nathan) démontrent qu'entre 75 et 80 % des demandes d'IVG sont liées à un échec de contraception (dont 10 % seulement proviennent de méthodes reconnues comme sûres : pilule et/ou stérilet) et 20 à 25 % émanent de patientes sans contraception, le professeur Uzan signale que les proportions sont presque rigoureusement inverses chez les jeunes filles qui constituaient l'échantillon sur lequel s'est appuyé son rapport : 72 % d'entre elles n'avaient pas de contraception dans les trois mois ayant précédé l'IVG, 22 % avaient une contraception aléatoire et seulement 6 % n'avaient pas correctement suivi leur traitement oestro-progestatif (oubli de pilule).

Une dernière statistique, rapportée par Mme Michèle Uzan, mérite d'être citée : il s'agit du taux de répétition de l'IVG, dont les données de Serfaty montrent qu'entre 1980 et 1989, il est passé de 10 à 20 %. Bien qu'inférieur à celui d'autres pays européens, ce taux est important et, en lui-même comme dans son évolution, il constitue un indicateur pertinent des faiblesses actuelles de notre dispositif d'information et d'accès à la contraception.

* (*) On estime les taux d'échec entre 2 et 4 % pour le condom mais de 3 à 17 % pour le diaphragme ou la cape (appareil trop petit ou trop grand, mauvaise mise en place ou utilisation sans gelée spermicide).

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