B. UNE RÉFORME PROFONDE ET CONSENSUELLE

L'Italie a procédé, depuis 1992, à une profonde réforme de son système de retraite, réforme réalisée en deux grandes étapes.

Première étape : 1992. Le Gouvernement Amato, face à l'ampleur de la crise des finances publiques, prend des mesures d'urgence qui recueillent un consensus général grâce à la prise de conscience par tous de la gravité de la situation.

Le projet de réforme du Gouvernement de coalition Amato a en effet été conçu après la crise monétaire de l'été 1992 et la sortie de la lire du SME, dans le contexte d'une opinion publique passablement traumatisée.

Deuxième étape : 1995 jusqu'à 1997. Les gouvernements Dini et Prodi mettent en oeuvre des mesures plus structurelles visant à harmoniser les règles des différents régimes et à passer d'un régime rétributif à un régime contributif. Le consensus est obtenu grâce à la négociation avec les partenaires sociaux.

1. La réforme Amato (1992)

En 1992, le Gouvernement Amato entreprend une réforme sévère du système de retraite en vue de réduire le déficit public italien. Le projet de loi se fixe quatre objectifs :

- préserver le système en vigueur,

- maintenir la part des dépenses de retraite dans le PIB,

- uniformiser les règles entre le secteur public et le secteur privé,

- garantir les droits échus.

Pour ce faire, les mesures suivantes sont prises, applicables à tous les régimes 23 ( * ) :

Elévation progressive de l'âge de la retraite , entre 1994 et 2002, d'un an tous les deux ans jusqu'à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes.

L'âge du départ à la retraite est officiellement fixé, en 1992, à 62 ans pour les hommes mais la retraite peut être anticipée à partir de 57 ans en payant des pénalités. Symétriquement, il est possible de continuer à travailler au-delà de l'âge légal durant la période de transition. Les travailleurs optant pour cette possibilité bénéficient d'une majoration d'un point du taux d'annuité servant au calcul de leur pension (3 % au lieu de 2 %). Cette mesure couvre quasiment tous les travailleurs, à l'exclusion de quelques catégories (les non-voyants, les invalides, ceux inscrits à des régimes prévoyant une limite d'âge plus élevée et les assurés de quelques fonds).

Allongement de la période de référence prise en compte pour déterminer le montant de la pension. Graduellement, et au même rythme pour tous les assurés, ladite période sera portée aux dix dernières années. L'allongement sera effectif pour les régimes du secteur privé en 2002, 10 ans avant ceux du secteur public (2012). Pour les nouveaux assurés (à l'exception de quelques catégories privilégiées : pilotes d'avion, journalistes), la retraite sera calculée sur l'ensemble de la vie active en éliminant toutefois les salaires annuels inférieurs à un certain pourcentage pour une période donnée.

•  Instauration de trois modalités de calcul du montant de la pension :

- pour les assurés ayant une ancienneté contributive supérieure à 15 ans, la base de calcul est la rémunération moyenne réévaluée des cinq dernières années, majorée de la moitié de celle de la période de temps comprise entre l'entrée en vigueur de la réforme et la date de liquidation de la retraite ; jusqu'à atteindre la limite maximale de 10 années. Cette même limite doit être atteinte en 10 ans dans le secteur public.

- pour les assurés ayant une ancienneté contributive inférieure à 15 ans, on ajoute au produit du calcul sur la moyenne réévaluée des cinq dernières années (avant le 1er janvier 1993) celui du calcul sur toute l'ancienneté échue entre l'entrée en vigueur de la réforme (1er janvier 1993) et la date de liquidation de la retraite.

- pour les nouveaux assurés (à partir du 1er janvier 1993), le montant de la retraite est déterminé à partir de la moyenne de l'ensemble des rémunérations perçues durant la vie active.

Augmentation de la durée de cotisation requise pour bénéficier d'une pension vieillesse : de 15 à 20 ans, au rythme d'un an tous les deux ans, à partir de 1993. En 2001, l'ancienneté contributive minimum doit être de 20 ans.

L'exigence contributive pour l'octroi de la pension d'ancienneté -appelée à disparaître à terme- est uniformisée à 35 ans.

La dégressivité du multiplicateur de calcul de la retraite de base est accélérée : 1,6 % par année pour les salaires compris entre 1 et 1,33 fois le plafond de l'INPS ; 1,35 % par année pour les salaires compris entre 1,33 et 1,66 fois le plafond ; 1,10 % par année pour les salaires compris entre 1,66 et 1,9 fois le plafond ; 0,90 % par année pour les salaires supérieurs à 1,9 fois le plafond.

L'indexation annuelle des retraites s'effectue conformément à l'évolution des prix.

La réforme Amato concerne de manière différente les assurés selon qu'ils relèvent du secteur privé ou public. Pour les premiers, l'âge de la retraite à taux plein doit augmenter de cinq ans, pour les hommes comme pour les femmes, et la période de référence pour le calcul du montant de la pension doit s'allonger de cinq ans. Pour les fonctionnaires, l'âge de la retraite à taux plein doit s'abaisser de cinq ans pour les femmes -il est maintenu à 65 ans pour les hommes. Par ailleurs, la période de référence est étendue de celle du dernier salaire aux 10 dernières années ; chaque année contributive ne donnant droit qu'à 2 % de la moyenne des salaires (au lieu de 2,14 %) et l'ancienneté contributive pour l'octroi des pensions d'ancienneté passant de 20 à 35 ans pour les hommes et de 15 à 35 ans pour les femmes.

Les indépendants ne sont guère touchés par la réforme Amato puisqu'elle est calée sur leur propre régime.

La réforme Amato a essentiellement consisté à modifier certains paramètres du système afin de les rendre moins avantageux dans le but de ralentir la progression des dépenses. La structure et la logique du système n'ont pas été modifiées, laissant persister les facteurs de déséquilibre financier et les inégalités socioprofessionnelles au regard de la retraite.

Les effets de cette réforme peuvent être résumés par le tableau suivant qui compare le taux de cotisation d'équilibre avant et après la réforme pour le régime des salariés du secteur privé (FPLD). Le tableau montre que la réforme de 1992 aurait permis de stabiliser le taux de cotisation d'équilibre mais à un niveau très élevé, difficilement supportable par le système économique.

C'est pourquoi trois ans plus tard, le dossier de la réforme du système de retraite a été rouvert dans le contexte de la qualification de l'Italie pour le passage à la monnaie unique.

Taux de cotisation d'équilibre du FDLP

(en %)

Avant la réforme

Après la réforme

1995

46,1

43,1

2000

48,3

40,6

2005

50,3

39,3

2010

53,7

40,0

Source : INPS

2. La réforme Dini (1995)

Le projet présenté en 1994 par le Gouvernement de M. Berlusconi poursuivait dans la voie d'un durcissement, à effets immédiats, des paramètres des régimes, notamment en prévoyant de pénaliser les départs avant l'âge normal par l'application de taux de réduction aux pensions servies. Le conflit social majeur que ce projet a engendré en octobre et novembre 1994 est à l'origine de la chute du Gouvernement Berlusconi.

Pourtant, quelques semaines plus tard, les syndicats proposaient d'eux-mêmes ce qui allait devenir quelques mois plus tard la réforme Dini.

La réforme du Gouvernement Dini est de fait très particulière puisqu'elle reprend quasiment sans modification le projet présenté en janvier 1995 par la plate-forme regroupant les trois grandes centrales italiennes (CGIL, CISL). Le négociateur gouvernemental, Tiziano Treu, universitaire et ancien conseiller juridique de la CISL, n'avait en effet pas jugé utile de présenter un contre-projet.

L'objectif affiché de cette réforme était de stabiliser dans un premier temps le poids des retraites dans le PIB aux alentours de 15 %, puis d'arriver à terme à égaliser recettes et dépenses du régime.

Cette réforme ne se contente pas d'interventions sur les paramètres des régimes destinées à réaliser des économies : elle permet de passer d'un système où les pensions étaient de simples fonctions de la rémunération en fin de carrière à un système où les pensions sont directement assises sur les cotisations versées pendant l'ensemble de la vie active.

La réforme a accéléré le calendrier de la modification des paramètres d'âge de départ à la retraite et resserré les conditions d'octroi de la pension d'ancienneté. Mais la disposition la plus radicale a consisté à unifier les conditions d'acquisition des droits à la retraite en les fondant sur le principe de la " capitalisation virtuelle " et en faisant dépendre le montant de la pension de l'espérance de vie au moment de la liquidation de la pension.

L'âge de départ à la retraite devient flexible entre 57 et 65 ans. Ne pouvant supprimer brutalement le dispositif de la pension d'ancienneté, le législateur a programmé sa disparition en 2013 et a, pendant la période de transition, fortement resserré les conditions nécessaires pour en bénéficier en introduisant une disposition avec condition d'âge. Le tableau suivant résume l'échéancier retenu actuellement en vigueur.

Pension d'ancienneté : conditions d'âge et de durée de cotisation validée

SALARIÉS DU SECTEUR PRIVÉ

SALARIÉS DU SECTEUR PUBLIC

NON-SALARIÉS

Avec condition d'âge

Sans condition d'âge

Avec condition d'âge

Sans condition d'âge

Avec condition d'âge

Sans condition d'âge

Age minimal

Durée validée

Durée validée

Age minimal

Durée validée

Durée validée

Age minimal

Durée validée

Durée validé

1998

54 ans

35 ans

36 ans

53 ans

35 ans

36 ans

57 ans

35 ans

40 ans

1999

55 ans

35 ans

37 ans

53 ans

35 ans

37 ans

57 ans

35 ans

40 ans

2000

55 ans

35 ans

37 ans

54 ans

35 ans

37 ans

57 ans

35 ans

40 ans

2001

56 ans

35 ans

37 ans

55 ans

35 ans

37 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2002

57 ans

35 ans

37 ans

55 ans

35 ans

37 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2003

57 ans

35 ans

37 ans

56 ans

35 ans

37 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2004

57 ans

35 ans

38 ans

57 ans

35 ans

38 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2005

57 ans

35 ans

38 ans

57 ans

35 ans

38 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2006

57 ans

35 ans

39 ans

57 ans

35 ans

39 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2007

57 ans

35 ans

39 ans

57 ans

35 ans

39 ans

58 ans

35 ans

40 ans

2008

57 ans

35 ans

40 ans

57 ans

35 ans

40 ans

58 ans

35 ans

40 ans

Source : Ministère du Travail

Pour liquider une pension d'ancienneté à taux plein avec une durée de cotisation validée de 35 ans, une condition d'âge a été rajoutée, ce qui revient à fixer un âge minimal de départ à la retraite égal à terme à 57 ans pour les salariés et 58 ans pour les non-salariés. Le départ à la retraite sans condition d'âge nécessitera à terme une durée validée de 40 ans pour obtenir une pension à taux plein.

Par ailleurs, le calendrier de relèvement de l'âge légal de départ à la retraite établi lors de la réforme de 1992 a été raccourci. A partir du 1 er janvier 2000, il est fixé à 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes 24 ( * ) . Au total, l'âge de départ devient flexible puisque, après l'achèvement de la période de transition, il sera compris entre 57 et 65 ans 25 ( * ) .

La réforme Dini a en outre complètement modifié les règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite : le principe rétributif selon lequel le montant de la pension était une annuité dépendant des derniers salaires d'activité a été supprimé pour être remplacé par un principe contributif imitant la technique de la capitalisation. Chaque cotisant est titulaire d'un compte individuel qui est crédité " virtuellement " des cotisations retraite versées au cours de sa carrière professionnelle. Ces cotisations accumulées sont revalorisées annuellement selon un index égal à la moyenne mobile des taux de croissance du PIB des cinq dernières années. Au moment de la liquidation de la retraite, le capital " virtuel " ainsi accumulé est converti en annuités en lui appliquant un coefficient de conversion dépendant de l'âge à la liquidation. Les coefficients de conversion ont été déterminés pour prendre en compte l'espérance de vie à l'âge de départ à la retraite et une norme de progression du PIB en volume de 1,5 % par an, de telle sorte que les retraités reçoivent par avance une part des gains de productivité futurs.

Une longue période de transition a été prévue qui verra coexister les deux systèmes de calcul des droits à la retraite

A partir du 1 er janvier 1996, le système de retraite comprend trois catégories d'assurés définies selon leur durée de cotisation antérieure, catégories qui dépendent de l'ancienne et/ou de la nouvelle législation :

- les nouveaux assurés relèvent entièrement du nouveau système de comptes individuels. Les premières liquidations de pension de cette catégorie interviendront au plus tôt en 2031 pour une durée d'assurance de 35 années et 2036 pour 40 années ;

- les assurés ayant validé plus de 18 années de cotisations continueront à relever en totalité de l'ancien système de calcul des droits à la retraite prenant en compte la réforme d'Amato. Les assurés de cette catégorie liquideront en totalité leur pension selon les règles de l'ancien système jusqu'en 2018 ;

- les assurés ayant validé moins de 18 années de cotisations relèvent d'un système mixte mêlant les deux méthodes de calcul des droits à la retraite. Les droits acquis jusqu'au 31 décembre 1995 sont déterminés selon le principe rétributif et les droits acquis après cette date sont calculés selon la nouvelle législation. Les liquidations de cette catégorie auront lieu de 2014 à 2036.

La longueur de la période de transition, ainsi que le lent durcissement des conditions d'accès aux pensions d'ancienneté, affaiblissent cependant singulièrement la portée de la réforme Dini, en en faisant une solution de long terme insuffisante à viabiliser les équilibres financiers à court et moyen terme (seulement 0,6 % de PIB d'économies par an sur la période 1996-2005).

De plus, le traitement privilégié des travailleurs ayant plus de dix-huit années d'activité induit un déplacement de revenu arbitraire entre les générations. La modification décennale du coefficient de conversion (procédure en elle-même trop discontinue et aléatoire, qui risque d'induire de nombreux effets pervers) posera de la même manière un problème d'égalité entre cohortes.

3. Le prolongement de la réforme par le Gouvernement Prodi (1997)

Le Gouvernement Prodi, en fin d'année 1996, avait engagé un processus de consultation - mise en place de la commission Onofri sur la protection sociale - puis de concertation avec les partenaires sociaux, avec pour objectif de poursuivre les réformes par de nouvelles mesures vigoureuses : forte accélération de la période de transition, instauration d'un mécanisme automatique de révision du coefficient de transformation, révision des différentes dérogations...

La crise politique de la première quinzaine d'octobre 1997, déclenchée par l'aile gauche de la coalition gouvernementale (Rifondazione comunista), entraîna une forte réduction de l'ampleur de la réforme Prodi, objet d'un accord avec les syndicats le 2 novembre 1997.

La réforme Prodi accélère le durcissement des conditions d'accès aux pensions d'ancienneté, avec en particulier le passage à 40 ans de cotisations requises dès 2004 au lieu de 2008. L'exonération jusqu'en 2001 des ouvriers et assimilés du privé, qui représentent 70 % de l'assiette potentielle des personnes concernées, obtenue par Rifondazione lors de la crise politique d'octobre 1997, réduit cependant singulièrement la portée immédiate de cette mesure.

La programmation du relèvement des cotisations effectives des non-salariés, qui passeront progressivement de 15 % à 19 %, a également pu être obtenue. Au total, les résultats atteints peuvent cependant apparaître faibles en regard de la gravité de la situation - le déficit des régimes de retraite atteint 5 % du PIB - et des efforts de concertation et de communication déployés par le Gouvernement tout au long de l'année 1997.

* 23 Cf. Stéphanie Toutain, " La réforme des systèmes de retraite en Italie. Les enseignements d'une expérience originale ", dans Futuribles , février 2000, pp. 45-46.

* 24 Des aménagements sont prévus pour certaines catégories d'assurés tels que, par exemple, les handicapés.

* 25 Pour liquider la pension avant 65 ans, il est cependant nécessaire que le montant de la pension soit supérieur de 20 % du montant de la prestation minimum.

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