b) Créer un dispositif fiscal et social propre aux impatriés

Dans un contexte de concurrence pour attirer les talents, les États ne peuvent rester inertes. Ils doivent tenir compte du besoin de leurs entreprises de se constituer des états-majors d'origine diversifiée. C'est à cette condition qu'ils parviendront non seulement à conforter la dimension internationale de leurs grandes entreprises mais également à attirer les quartiers généraux régionaux des grands groupes internationaux notamment américains, voire tout simplement à ne pas les perdre, quand, comme c'est le cas en France, certaines dérives en matière fiscale et sociale, ont tendance à accroître le coût de ces professionnels de haut niveau.

La création d'un régime fiscal spécifique pour les résidents temporaires

Plusieurs pays européens ont instauré un régime fiscal et social incitatif pour l'accueil de cadres étrangers : la Belgique -cf. encadré page 196-, la Grande-Bretagne - dont le régime dit de « remittance basis » fait l'objet de l'encadré ci-contre -, la Suisse ou encore les Pays-Bas, qui octroient aux salariés étrangers un abattement de 35 % sur les salaires et les charges sociales, sous la forme d'une indemnité d'expatriation qui échappe à l'impôt et aux charges sociales.

La mission s'est longuement interrogée sur l'opportunité de créer un régime visant à attirer des étrangers hautement qualifiés dans les domaines de la recherche, de la finance et de l'industrie, proposition que l'on trouve à la fois dans le rapport de M Frédéric Lavenir et dans celui de Paris Europlace.

La création d'un tel régime a suscité des réserves. Certains, comme Mme Florence Parly, secrétaire d'État au budget, ont souligné les risques de rupture de l'égalité devant l'impôt . En effet, à travail équivalent, un salarié étranger bénéficierait d'un allégement d'impôt par rapport à son homologue français.

D'autres ont fait remarquer que ces régimes faisaient l'objet d'une grande attention de la part de la Commission européenne. Déjà, lors de l'élaboration du code de conduite, il avait été prévu que ce dernier serait révisé et qu'à cette occasion, le Conseil s'interrogerait sur l'examen des régimes spéciaux salariés. Par ailleurs, le projet de communication de la Commission européenne sur les priorités de la politique fiscale pour les prochaines années précise que les régimes applicables aux personnels salariés à haut niveau de qualification suscitent des interrogations.

LA RÉSIDENCE EN DROIT FISCAL BRITANNIQUE

En matière de droit fiscal britannique, trois notions à la fois voisines et distinctes coexistent : la résidence, la résidence ordinaire et le domicile.

Si ce système est complexe, il offre cependant l'avantage d'une grande souplesse. Il permet en effet, contrairement au système français qui ne reconnaît que deux cas de figure, de faire varier progressivement l'étendue et le degré d'imposition des contribuables en fonction des liens personnels qui les rattachent au Royaume-Uni.

La combinaison de ces différentes notions permet d'obtenir un étagement des niveaux de résidence correspondant à des liens personnels de plus en plus étroits et établis avec le Royaume-Uni. Cet étagement a été utilisé pour délimiter le champ d'application de la « remittance basis », aménageant ainsi une transition vers l'assujettissement illimité.

La notion de résidence

Les règles de détermination de la résidence ne sont pas toutes fixées par la loi et résultent en grande partie de la jurisprudence. La question de savoir si une personne est résidente fiscale du Royaume-Uni doit être déterminée pour chaque année d'imposition, mais la réponse à cette question peut dépendre de la situation de la personne au cours des années précédentes ou suivantes.

« Une personne physique est réputée résidente du Royaume-Uni pour l'application de l'impôt sur le revenu si elle séjourne au Royaume-Uni pendant une ou des périodes dont la durée atteint six mois au cours de l'année d'imposition. Elle peut également être considérée comme résidente si elle y séjourne chaque année pendant trois mois au moins en moyenne ou si elle dispose d'un lieu de résidence au Royaume-Uni affecté à son usage et séjourne durant une période quelconque au cours de l'année d'imposition (soit du 06.04.n au 05.04.n+1). »

La résidence ordinaire

La notion de résidence ordinaire correspond à la notion de résidence habituelle et s'oppose à la résidence occasionnelle. Elle implique l'existence entre le Royaume-Uni et le contribuable d'un lien plus étroit et plus durable que si la personne était considérée comme résidente.

L'administration britannique considère qu'une personne physique qui entre au Royaume-Uni est ordinairement résidente :

- dès son arrivée, s'il apparaît à cette date qu'elle a l'intention d'y séjourner pendant au moins trois ans ou de s'y rendre chaque année pendant quatre années consécutives ;

- dès le début de l'année d'imposition pendant laquelle cette intention devient évidente ;

- et, en tout état de cause, à partir de la troisième année d'imposition suivant son arrivée au Royaume-Uni.

Pour l'appréciation de l'intention de séjourner de manière régulière et/ou durable, la disposition d'une habitation personnelle constitue un critère décisif.

A l'inverse, une personne qui quitte le Royaume-Uni perdra sa qualité de résident dès qu'elle cessera de remplir les conditions relatives à la résidence, mais demeurera considérée comme résident ordinaire tant que le caractère durable de son séjour à l'étranger n'aura pas été établi.

Le domicile

Le domicile, au sens juridique et fiscal, d'une personne physique se trouve dans le pays qu'elle considère comme son lieu de séjour permanent. Il s'agit souvent du lieu de naissance de l'individu, à moins qu'il ne décide de s'établir de façon permanente dans un autre pays. Le domicile est distinct de la nationalité ou de la résidence. Selon la loi britannique, chaque personne ne peut avoir qu'un seul domicile (alors qu'une personne peut avoir deux résidences fiscales).

Le traitement fiscal des revenus en provenance de l'étranger

UK non résident :

Si le contribuable est considéré comme non résident, il sera imposable sur ses seuls revenus de source britannique.

UK résident :

Si le contribuable est résident britannique, mais qu'il n'est ni résident ordinaire, ni domicilié, il sera éligible à l'impôt sur le revenu britannique sur l'ensemble de ses revenus d'origine britannique et sur l'ensemble de ses revenus étrangers, dans la mesure où ils sont rapatriés au Royaume-Uni ( règle de la remittance basis ).

Les revenus étrangers sont généralement réputés être rapatriés s'ils sont versés directement au Royaume-Uni ou transférés par virement bancaire au Royaume-Uni.

La remittance basis n'est pas applicable aux revenus provenant de la République d'Irlande. Ils sont imposables dans leur intégralité, qu'ils soient rapatriés ou non.

Ordinarily resident or domicilied in UK

Si le contribuable est dans une de ces deux situations, il sera éligible à l'impôt britannique sur l'ensemble de ses revenus d'origine britannique et sur l'ensemble de son revenu mondial, qu'il soit ou non rapatrié au Royaume-Uni.

En conséquence, il sera imposable sur ses revenus, même s'il les utilise à l'étranger.

La Commission européenne a estimé, après examen, que ces régimes ne peuvent pas être considérés comme des aides d'État. Toutefois, ils soulèvent des préoccupations importantes en termes d'équité, lorsqu'on les compare à l'imposition des revenus des autres contribuables résidents. En conclusion, la Commission constate, considérant le risque de surenchères, le caractère potentiellement dommageable de ces régimes.

Toutefois, en attendant une éventuelle initiative de la Commission européenne pour supprimer ces régimes, la France est pénalisée , car ses cadres de haut niveau ont intérêt à s'expatrier pour bénéficier d'un régime d'imposition plus favorable. C'est donc par pragmatisme, mais également pour inciter la Commission européenne à se saisir de ce sujet, que la mission propose l'instauration d'un régime susceptible d'attirer les cadres étrangers en France.

Le régime , dans l'esprit de la mission, ne concernerait que les étrangers, pour une durée limitée , ce qui suppose une adaptation de la pratique des déclarations d'impôt sur le revenu qui pour l'instant ne distinguent que les résidents et les non résidents indépendamment de leur nationalité.

La création d'un service d'accueil spécialisé pour les résidents temporaires

De nombreux représentants des cabinets de conseil ont regretté, lors de leur audition par la mission, l'absence de service fiscal chargé des relations avec les résidents étrangers temporaires. Pourtant, lorsqu'un étranger arrive en France, il est confronté à plusieurs problèmes : non seulement il ignore la législation française, mais il n'est pas non plus familier aux rouages de l'administration, notamment fiscale. En outre, il ne maîtrise pas forcément notre langue. Pour les guider et les conseiller dans leur démarche, la création d'un service apparaît donc importante. Elle contribuerait également à renforcer l'attractivité de la France pour les étrangers.

La mission rejoint ici le rapport de M. Frédéric Lavenir 54 ( * ) , dans lequel il est préconisé de « créer à Paris un service d'accueil spécialisé, anglophone, disposant d'une documentation en anglais, et chargé d'informer les employeurs, ainsi que les particuliers de manière précise et engageante, d'assurer au niveau national la gestion opérationnelle du régime SRT (suivi, contrôle fiscal, agréments...), et enfin de jouer un rôle d'interface et de médiation dans toutes les relations de la population concernée avec l'administration fiscale française ».

Les aménagements au régime de l'ISF

La mission suggère d'abord d' exonérer d'ISF les nouveaux résidents étrangers pendant une période de cinq ans . Une telle mesure figure déjà dans la convention franco-américaine du 31 août 1994. Elle permet à la France d'attirer des cadres américains très qualifiés qui acceptent de se rendre dans notre pays parce que le patrimoine qu'ils ont accumulé, en dehors de notre pays, n'est pas soumis à l'ISF. Cette disposition doit donc être généralisée et concerner tous les nouveaux résidents étrangers, quelle que soit leur nationalité, afin que la France puisse attirer les salariés étrangers hautement qualifiés.

Elle évoque ensuite la possibilité de faire revenir les talents français et, en particulier, les cadres ou responsables d'entreprises qui ont fait toute leur carrière à l'étranger sans avoir cotisé aux régimes français de retraite par répartition. Ainsi que la mission a pu le constater lors de son passage à Chicago, certains Français qui voudraient bien revenir passer leur retraite en France, sont obligés d'y renoncer, sachant que les parts de fonds de pensions qu'ils détiennent seront soumises à l'ISF. Ceci est d'autant plus injuste qu'à revenu courant égal un Français bénéficiant d'une retraite par répartition ne paiera aucun impôt sur la fortune. D'où l'idée de créer un seuil spécifique, de l'ordre de deux fois le seuil de droit commun , pour l'impôt sur la fortune en faveur des Français rentrant au pays après une certaine période de temps passée à l'étranger, qui pourrait être de 20 ans.

Des pistes pour un allègement des cotisations sociales

Enfin, il convient de réexaminer l'application de la législation de sécurité sociale aux résidents temporaires en fonction des possibilités offertes par le Règlement 1408/71 du 14 juin 1971 et des conventions bilatérales pour les pays non membres de l'Union européenne.

Est-il normal en effet que l'on prélève, en matière de risque vieillesse en particulier des cotisations importantes sur des personnes non françaises, qui ne font souvent en France qu'un bref passage et qui, pour la plupart, ne seront même pas en mesure de faire valoir des droits mêmes réduits ?

Le rapport Lavenir envisage un retour au plafonnement. La mission estime qu'il faut aussi explorer d'autres pistes comme la prolongation de facto de la possibilité de détachement prévue par le Règlement, l'exclusion de l'assiette des cotisations de certaines formes de rémunération ou un certain encouragement au paiement fractionné - qui ne vaudrait que sur le plan social et pas fiscal.

* 54 Inspection générale des finances : l'entreprise et l'hexagone, fascicule 2, page 25

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