CHAPITRE PREMIE R

LE FINANCEMENT DES 35 HEURES :
IMPROVISATION, MENSONGE, DÉNI DE RESPONSABILITÉ

L'analyse des notes que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que celui de l'emploi et de la solidarité ont communiquées à votre rapporteur montre que le coût des 35 heures , pourtant présentées comme l'une des « grandes lois sociales » de la législature, a fait l'objet, dans un premier temps, de prévisions fantaisistes de caractère essentiellement technocratique, puis, dans un second temps, le dérapage des dépenses et la mauvaise rentrée des recettes apparaissant de plus en plus évidents, d'une volonté de dissimulation permanente.

Enfin, et compte tenu de la dangerosité pour l'équilibre des finances publiques de cette « bombe budgétaire », tout a été mis en oeuvre pour désengager le budget de l'Etat du financement de la réduction du temps de travail, quitte à le faire supporter d'autorité par la sécurité sociale.

I. LES 35 HEURES : UN COÛT EXORBITANT QUI N'AVAIT PAS ÉTÉ PRÉVU

Sur ce point, votre rapporteur s'en remettra essentiellement aux conclusions de notre collègue Charles Descours, rappelant que l'absence de financement des 35 heures est devenue structurelle.

A. UNE PROMESSE ÉLECTORALE N'A PAS DE PRIX : L'EXPLOSION DU COÛT DES 35 HEURES

Votre rapporteur ne peut que constater, avec regret mais sans étonnement car le Sénat l'avait dit et démontré, que les prévisions du gouvernement relatives au coût de la réduction du temps de travail étaient bien trop optimistes, et que, dès lors, son financement n'est pas assuré. Après bien des tergiversations et des démentis infondés, le gouvernement a fini par le reconnaître.

Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, réunie le 7 juin dernier, indique en effet que « comme en 2000, les exonérations de cotisations du champ du FOREC (allégements sur les bas salaires et exonérations liées à la réduction du temps de travail) ne seraient pas intégralement couvertes par les recettes associées. Cependant, la part demeurant à la charge du régime général serait nettement réduite : elle serait ramenée à environ 3 milliards contre 13,2 milliards en 2000 ».

1. Des prévisions inexactes pour 2000...

Il convient de rappeler que les prévisions initiales de dépenses et de recettes du FOREC pour 2000 s'établissaient à 63,9 milliards de francs :

Prévisions des recettes et des dépenses du FOREC pour 2000

(en milliards de francs)

Dépenses

Ressources

Ristourne sur les bas salaires

39,5

Droits tabacs

39,5

Aides à la réduction du temps de travail

24,4

TGAP élargie

3,2

Extension de la ristourne

7,5

CSB

4,3

Aides incitatives et structurelles

16,9

Droits alcools

5,6

Contribution du budget général

4,3

Taxe sur les heures supplémentaires

7,0

TOTAL

63,9

TOTAL

63,9

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Ces prévisions ont toutefois été révisées à la hausse à l'automne 2000, de la manière suivante, atteignant alors 67 milliards de francs :

Prévisions révisées des dépenses et des recettes du FOREC pour 2000

(en milliards de francs)

Dépenses

Ressources

Ristourne sur les bas salaires

39,5

Droits tabacs

44,6

Aides à la réduction du temps de travail

25,0

TGAP élargie

2,8

Extension de la ristourne

5,8

CSB

3,8

Aides incitatives et structurelles

21,7

Droits alcools

11,5

Contribution du budget général

4,3

TOTAL

67,0

TOTAL

67,0

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Toutefois, alors que ces prévisions tablaient sur une couverture intégrale des dépenses par les recettes, le FOREC est finalement apparu en déficit, les recettes manquant à l'appel :

Recettes affectées au FOREC
au 31 décembre 2000

(en millions de francs)

Droits tabacs

38.156

Droits alcools

11.004

TGAP

2.615

CSB

2.767

Versement du budget de l'Etat

4.300

TOTAL

58.841

Source : ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie

2. ... comme pour 2001

Pour l'année 2001, les prévisions du gouvernement annonçaient les dépenses et les recettes du FOREC à un niveau de 85 milliards de francs :

Prévisions des recettes et des dépenses du FOREC pour 2001

(en milliards de francs)

Dépenses

Ressources

Ristourne sur les bas salaires

41,0

Droits tabacs

52,0

Aides à la réduction du temps de travail

44,0

TGAP élargie

7,0

Extension de la ristourne

10,0

CSB

6,0

Aides incitatives et structurelles

34,0

Droits alcools

12,0

Taxe sur les conventions d'assurance

4,0

Taxe sur les véhicules de société

4,0

TOTAL

85,0

TOTAL

85,0

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Toutefois, dès le début de l'année, ce plan de financement s'est trouvé obsolète, suite à deux décisions du Conseil constitutionnel :

Financement du FOREC
(suite aux décisions du Conseil constitutionnel relatives à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 et à la loi de finances rectificative pour 2000)

(en milliards de francs)

Dépenses

Ressources

Ristourne sur les bas salaires

41,0

Droits tabacs

52,0

Aides à la réduction du temps de travail

44,0

TGAP élargie

3,2

Extension de la ristourne

10,0

CSB

6,0

Aides incitatives et structurelles

34,0

Droits alcools

12,0

Taxe sur les conventions d'assurance

4,0

Taxe sur les véhicules de société

4,0

TOTAL

85,0

TOTAL

81,2

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Mais comme l'a parfaitement démontré notre collègue Charles Descours, à l'occasion du contrôle qu'il a effectué, le problème de financement des 35 heures était bien plus sérieux.

3. L'ampleur du déficit du FOREC

a) Les conclusions de notre collègue Charles Descours

Les tableaux ci-dessous sont extraits du rapport de notre collègue Charles Descours.

En 2000, le déficit du FOREC serait compris entre 13 et 17,6 milliards de francs :

Le compte du FOREC en 2000

(en millions de francs)

Mode de comptabilisation
12 mois civils ou 4 trimestres

Mode de comptabilisation 12 mois glissants ou 4 trimestres

Mode de comptabilisation 13 mois ou 5 trimestres

Régime général

68.103.848.898

70.897.403.032

75.569.548.898

Régime agricole

4.072.348.247

4.366.707.385

5.210.848 247

Autres régimes (pm)

?

?

?

TOTAL régimes

72.176.197.145

75.264.110.417

80.780.397.145

Recettes

59.040.000.000

63.200.000.000

63.200.000.000

Solde

- 13.136.197.145

- 12.064.110.417

-17.580.397.145

Source : rapport de M. Charles Descours au nom de la commission des affaires sociales du Sénat.

En 2001, les dépenses sont beaucoup plus importantes que prévu, soit 10 à 15 milliards de francs supérieures à ce que prévoyait la loi de financement de la sécurité sociale :

Les dépenses 2001 du FOREC : les nouvelles prévisions

(en millions de francs)

Dépenses

Septembre 2000 (PLFSS 2001)

Janvier 2001 (DARES)

Janvier 2001 (ACOSS- MSA) (1)

Ristourne dégressive 1,3 SMIC (39 heures)

27.000

27.200

23.100

Loi Aubry I

16.200

17.100

14.600

Loi Aubry II

37.200

46.600

58.900

Aide de Robien

3.700

3.700

3.200

Majorations ZRR, ZF Corse et routiers

900

1.000

-

Exonération cotisations allocations familiales régimes spéciaux agricoles

300

300

300

Total dépenses

85.200

95.600

100.200

(1) citées dans la note de la Direction de la sécurité sociale du 24 janvier 2001.

Source : rapport de M. Charles Descours au nom de la commission des affaires sociales du Sénat.

Compte tenu de recettes inférieures aux prévisions - 79,3 milliards de francs au lieu de 85,2 milliards de francs -, le déficit serait compris entre 16,4 et 20,9 milliards de francs.

b) Les prévisions de la commission des comptes de la sécurité sociale

Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale présente le compte du FOREC en 2000, qui s'établit ainsi :

Le déficit s'élèverait donc à 13,3 milliards de francs, soit un chiffre se situant dans la fourchette indiquée par la commission des affaires sociales.

En revanche, pour 2001, la commission des comptes de la sécurité sociale se montre plus optimiste que la commission des affaires sociales du Sénat. Elle table en effet sur un déficit beaucoup plus limité qu'en 2000, soit 3,3 milliards de francs :

Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale indique en effet que « les nouvelles prévisions de recettes affectées au FOREC en 2001 intègrent l'effet d'une accélération de la mise à disposition de l'ACOSS des recettes perçues par les douanes au titre des droits de consommation sur les tabacs, les alcools et au titre de la TGAP. Cette accélération se traduira par un surcroît d'encaissements de recettes à hauteur de 5,4 milliards de francs. L'accélération des transmissions comptables permettra en effet dès le mois d'octobre 2001 de réduire le décalage entre la perception des recettes et leur mise à disposition de l'ACOSS. Les recettes perçues en décembre 2001 seront ainsi transférées à l'ACOSS avant la fin de l'année civile. Dès lors, l'ACOSS encaissera au titre du FOREC en 2001 13 mois de recettes tabacs, alcools et TGAP, soit un surplus de recettes de 5,4 milliards de francs correspondant aux prévisions de perception de décembre 2001 ».

C'est donc essentiellement pour des raisons techniques, mais aussi grâce à la perception de 13 mois de recettes - pour 12 mois de dépenses - que la commission des comptes de la sécurité sociale parvient à présenter un déficit du FOREC relativement limité en 2001, qui serait de tout façon « épongé », une nouvelle fois, par les régimes sociaux.

Votre rapporteur estime toutefois que les raisons du non-financement des 35 heures sont plus structurelles que techniques.

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