15. Audition de M. Michel Champon, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques au ministère de l'Intérieur, accompagné de M. Antoine Marchetti, chef du bureau des risques naturels et technologiques et M. Jean-Claude Geray, chef du bureau de l'analyse et de la préparation aux risques (7 juin 2001)

M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons M. Michel Champon, sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques au ministère de l'Intérieur, accompagné de MM. Antoine Marchetti, chef du bureau des risques naturels et technologiques et Jean-Claude Geray, chef du bureau de l'analyse et de la préparation aux risques.

Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Michel Champon, Antoine Marchetti, et Jean-Claude Geray .

Je vous laisse la parole, Monsieur le directeur pour un bref exposé liminaire. Nous vous poserons des questions adaptées ensuite.

M. Michel Champon - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, permettez-moi, en mon nom et en celui de mes deux collaborateurs, MM. Marchetti et Geray, de vous dire que nous sommes à la fois émus, impressionnés et très honorés de comparaître devant cette commission d'enquête sénatoriale. Elle nous permet de faire un tour d'horizon sur la manière de gérer les crises que nos compatriotes de la Somme ont malheureusement dû subir. Je crois que c'est également le moment de clarifier un certain nombre de procédures et de modes d'approche sur ces dossiers délicats et compliqués.

Si vous me le permettez, Monsieur le Président, je recadrerai la gestion des affaires liées à la prévention des risques et à la planification des secours et je veux également mettre en perspective certaines idées toutes faites dans un contexte administratif et organisationnel.

Ainsi que vous l'avez indiqué en préambule, je suis effectivement sous-directeur de la défense civile et de la prévention des risques au ministère de l'Intérieur. Comme notre ministre, Monsieur Daniel Vaillant, l'a déjà expliqué, derrière le terme « prévention des risques » se cachent des réalités qui sont fondamentalement diverses. En effet, il faut savoir que le ministère de l'Intérieur et en particulier ma sous-direction n'a de responsabilité totale et réelle en termes de prévention que par rapport au risque incendie et au risque de panique dans les établissements recevant du public et aux immeubles de grande hauteur. Ce sont des sujets très difficiles que certains d'entre vous, en tant que maires, connaissent bien par le biais des commissions de sécurité. Dans la mesure où le ministère de l'Intérieur, en particulier par le réseau des préfets, a la responsabilité d'anticiper, d'organiser et de gérer la crise, ma sous-direction a pour tâche de s'occuper de la mise en oeuvre de la planification d'urgence. Je rappelle qu'elle est établie par des textes législatifs telle que loi du 22 juillet 1987 sur la sécurité civile, qui prévoit deux points. Sur un plan pratique, elle stipule que les plans de secours appartiennent à deux familles : une famille de plans généralistes et anciens, les plans ORSEC et celle des plans d'urgence, notion apportée par la loi en 1987 à la suite de directives européennes traitant spécifiquement des risques technologiques. Les plans d'urgence se déclinent en trois sous-familles : les plans particuliers d'intervention, qui concernent des sites à risques, les plans rouges, à forte dominante hospitalière et médicale puisqu'ils permettent de porter secours à des blessés et la sous-famille des plans de secours spécialisés, dont les inondations font partie, au niveau de leur traitement et de leur planification.

La loi de 1987 et son décret d'application du 6 mai 1988 ont été très clairs : la rédaction et la mise en oeuvre des plans de secours appartiennent aux préfets de département ou des zones de défense qui constituent une structure opérationnelle originale de notre administration. Cela signifie qu'en réalité, le niveau central ne possède ni la capacité ni les moyens de tenir la plume et de vérifier dans le détail ce qui est réalisé au plan local. Notre mission consiste davantage à établir la doctrine, à réfléchir sur les modes opératoires et les processus de riposte opérationnels et à donner le cas échéant des outils aux préfets. Mais la logique de notre système consiste à laisser au pouvoir local à la fois l'appréciation du risque et l'organisation de la riposte en fonction des moyens dont il dispose et à l'environnement politique, social, culturel, etc. On constate ainsi dans nos services que les réactions de la population sur un type de risque identifié ne sont pas gérées obligatoirement de la même manière en Alsace, en Bretagne ou dans le Sud-Ouest.

A partir du moment où cette logique de planification de l'urgence a fait place à des développements scientifiques, d'expertise et de recherche tout à fait considérables, nous avons été amenés à nous préoccuper des aspects de prévention, même si cela ne correspondait pas initialement à notre vocation. En effet, il est clair qu'il faut connaître un risque, l'avoir préalablement analysé et avoir vérifié que toutes les mesures de prévention ont été prises pour que la planification puisse servir à gérer l'urgence et ce qu'il n'était pas possible d'anticiper. C'est un des éléments essentiels qui anime notre discussion aujourd'hui. Nous prenons donc en compte cet aspect prévention, à forte dimension interministérielle, même si nous ne le gérons pas en direct.

Le deuxième aspect de la prévention qui nous intéresse au niveau central concerne la prévention des crises. C'est la tâche et la noblesse du bureau que M. Jean-Claude Geray dirige depuis moins d'un mois. Nous nous sommes aperçus récemment qu'au sein de notre culture administrative, nous ne pouvions pas gérer une crise de manière amateur. Il faut de plus en plus installer nos échelons centraux, nos décideurs de terrains, les préfets, les sous-préfets et les Services interministériels régionaux des affaires de Défense et de protection civile (SIRACED-PC) que vous connaissez dans vos départements pour anticiper la crise. Il faut s'y préparer et s'y entraîner pour y faire face le moment venu. Cette notion de prévention des crises est très importante pour nous. Nous pourrons bien entendu y revenir puisque cela fait partie de vos questions. Nous vous indiquerons et M. Jean-Claude Geray le précisera, que depuis cinq ans environ, le ministère de l'Intérieur consacre des efforts très importants pour conduire l'adaptation des responsables de terrain à leurs postes et leurs responsabilités tout en ayant le souci permanent, avec humilité et modestie, d'actualiser nos doctrines, nos discours et nos modes de réaction. C'est ainsi que nous associons aux stages d'adaptation aux crises les grands partenaires des réseaux : France Telecom, EDF, la SNCF, etc. Nous tenons également à y faire intervenir un nombre croissant d'élus. A cet égard, lors des inondations de l'Aude, très différentes de celles que connaît la Somme, nous avons demandé à ce que le sénateur des Pyrénées Orientales, M. René Marquès, également maire de Saint-Laurent-de-la-Salanque, intervienne devant les sous-préfets pour leur communiquer les préoccupations, les soucis et les questionnements d'un grand élu local dans cette problématique de gestion de crise.

Par conséquent, nous sommes confrontés aux sujets que vous traitez au sein de votre commission : la planification de l'urgence, la gestion de la crise et l'information, y compris l'alerte de la population. Ces thèmes sont au coeur de nos préoccupations. Je me permettrais aussi d'indiquer que nous avons eu depuis trente quatre ans de multiples motifs de revoir nos discours et de travailler sur un certain nombre de sujets qui nous ont motivés. On a oublié que nous avons passé un an à préparer le passage à l'an 2000, qui a donné lieu à un travail considérable, source de véritables soucis. Même si cela n'est plus qu'un souvenir car tout s'est correctement déroulé, nous avons beaucoup travaillé avec les préfectures sur ce sujet. Nous avons également traversé les tempêtes de décembre 1999, les inondations de l'Aude mais également le dossier de l'Erika et de la réforme totale des plans Polmar, sans compter les interventions que nous avons réalisées sur les risques cycloniques et sismiques dans les départements et territoires d'Outre-mer. Je passe également sur l'aspect du risque technologique qui nous a beaucoup occupés avec l'accident du tunnel du Mont Blanc : nous sommes en train de revoir complètement l'appareillage législatif sur la sécurité des infrastructures françaises.

Les inondations de l'Aude nous ont permis de souligner un point essentiel, que votre commission a déjà traité : la problématique de l'alerte météorologique. Je crois que dans certains de vos travaux vous avez déjà évoqué des bulletins régionaux d'alerte météorologique (BRAM). Certaines de vos questions portent sur la gestion de ce système. Celui-ci remonte à une dizaine d'années. Il n'était pas satisfaisant car il n'anticipait pas suffisamment, manquait de clarté dans ses informations et ne qualifiait pas l'événement auquel nos compatriotes allaient être confrontés. Par conséquent, depuis un an et demi nous sommes en train de revoir de fond en comble la procédure d'alerte météorologique. M. Antoine Marchetti pourra développer ce point si vous le souhaitez. Les BRAM doivent disparaître à partir du 1er octobre. Nous allons passer à une autre dimension, qui s'appuiera sur deux innovations principales. La première consiste en l'émission, deux fois par jour, d'une carte de vigilance par Météo France. Elle permettra d'avoir une vision d'un phénomène météorologique avec douze heures d'avance au moins et sera diffusée immédiatement à tous les médias et à toutes les populations. Dans un deuxième temps, les cartes de vigilance seront accompagnées de bulletins de suivi qui permettront aux élus et aux citoyens d'être informés en permanence sur les moyens mis en oeuvre et les comportements à adopter.

Concernant la gestion de crise et l'information, M. Jean-Claude Geray pourra vous préciser le développement de notre CD-Rom de gestion de crise, en préparation depuis un an. Le hasard veut que nous avons choisi pour ce support un thème qui nous tenait à coeur : le risque inondation. Nous pensons sortir ce CD-Rom d'ici la fin de l'année.

Nous pourrons également évoquer la refonte des plans de secours. Elle constitue une nécessité absolue à laquelle nous réfléchissons depuis au moins trois ans. En effet, comme je l'indiquais précédemment, la loi de 1987 et le décret de 1988 ont mis en place des familles de plans d'action et de réponse opérationnelle destinés essentiellement à porter secours à des victimes. La plupart du temps, ils constituent d'ailleurs davantage des schémas d'organisation opérationnelle qu'un détail des actions à mener sur le terrain. Nous voulons absolument modifier ces plans car ils ne nous paraissent plus satisfaisants. Deuxièmement, les crises deviennent de plus en plus diffuses et multiformes, comme l'illustre l'exemple de la Somme, et nous revenons à une idée d'organisation opérationnelle générale permettant aux préfets, en partenariat avec les élus locaux, de faire face à tous les types de situation. Nous nous sommes aperçus lors d'expériences récentes que l'on demandait aux préfets de mettre en place des systèmes de gestion de crise pour la vache folle ou la fièvre aphteuse alors qu'il n'y a pas de secours organisés.

Pardonnez la longueur de mon exposé mais je souhaiterais également indiquer un point important pour l'actualité de nos travaux : toutes ces réflexions se déroulent au moment où deux réformes très importantes ont lieu concernant l'organisation territoriale des secours. D'une part, la départementalisation des services d'incendie et de secours a complètement bouleversé notre paysage. Les maires le savent bien puisque auparavant leurs centres de secours étaient à leur disposition. A présent, ils ont conservé leurs responsabilités mais ne détiennent plus les moyens. Cette logique de départementalisation des sapeurs pompiers est mise en place avec la notion du Schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (SDACR). D'autre part, la professionnalisation des armées a obligé nos organisations et la coopération civilo-militaire de terrain à revoir complètement leurs modes de fonctionnement. Dans beaucoup de départements, il n'y a à présent plus de régiments, alors qu'auparavant la majorité des départements avaient des régiments d'appelés à disposition que les préfets pouvaient utiliser très facilement. Cette époque est révolue. En raison de la professionnalisation et du formatage des armées qui a placé le ministère de l'Intérieur dans une logique de « verticalisme » vis-à-vis du ministère de la Défense. Certes, le préfet peut localement faire part de ses demandes via le délégué militaire départemental qui lui-même peut s'adresser au niveau zonal à l'officier général de zone de défense. Mais finalement, tout est décidé par le Centre Opérationnel Inter-Armées (COIA), au ministère de la Défense. Nous devons donc nous habituer au nouveau processus de décision.

J'aborderai très rapidement un chantier que nous allons essayer de concrétiser en 2001. Il s'agit du dispositif d'alerte aux populations. En France, il me semble que nous avons quelque peu oublié depuis plusieurs années la nécessité absolue d'alerter et d'informer les populations en cas de crise. Or, notre réseau national d'alerte, comme vous le savez, est très ancien avec ses sirènes testées tous les premiers mercredi du mois. C'est un dispositif de défense passive qui ne correspond plus à la réalité des risques nouveaux que nous devons gérer. Nous avons en projet pour cette année la refonte totale de ce réseau, qui constitue une nécessité absolue pour nos citoyens, comme nous pouvons le constater lors de certains évènements. Les populations doivent non seulement être alertées mais accompagnées dans leurs démarches par une information immédiate.

Par ce propos liminaire, monsieur le Président, je tenais surtout à resituer le paysage qui relève de ma responsabilité, que j'assume totalement et avec beaucoup d'enthousiasme. Nous nous trouvons au coeur de véritables enjeux pour nos concitoyens, l'Etat et ses partenaires au plan local, les élus. A moins que vous ne souhaitiez que mes collaborateurs et moi-même développions certains points, nous sommes prêts à répondre à vos questions.

M. le Président - Merci Monsieur le directeur pour votre description du système qui nous permet de mieux comprendre ses tenants et ses aboutissements. Nous allons passer immédiatement aux questions. Je laisse la parole à monsieur le rapporteur.

M. Pierre Martin, Rapporteur - J'ai une question très simple à vous poser. Vous nous avez signalé que vous gérez le risque incendie. Mais de qui dépend donc la prévention du risque inondation ?

M. Michel Champon - La prévention du risque inondation revient clairement au ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement et en particulier à la direction de la prévention des pollutions et des risques dont le directeur est par ailleurs délégué aux risques majeurs. Nous collaborons avec eux car leurs réalisations en matière de prévention, de culture du risque et de travail sur le terrain, avec notamment les PPR nous intéressent car elles nous permettent de déterminer l'organisation de la réponse opérationnelle. Mais la dimension de prévention du risque inondation ne nous appartient en aucune manière.

M. le Rapporteur - A travers une audition précédente, nous avons constaté que l'état de catastrophe naturel était déclaré de plus en plus souvent. Peut-être la fréquence des catastrophes s'accroît-elle. Si tel est le cas, pourquoi ne pas imaginer une cellule capable, à tout endroit du pays, de faire face lorsque l'événement se produit ? Dans la Somme, qui comporte de nombreuses petites communes, des moyens ont été mis en place mais pas de manière immédiate car ils ont dû être organisés dans un premier temps. N'est-il pas possible de mettre en place une structure capable d'intervenir immédiatement pour ce genre de risque ?

M. Michel Champon - On peut bien entendu tout imaginer. Je ne comprends néanmoins pas bien ce que vous entendez par le terme « cellule. » Dans l'organisation actuelle des choses, il revient au préfet d'organiser cette symbiose autour de lui et d'assurer, lors de crises, la liaison avec les élus, les entreprises et les populations. Par définition, la cellule dont vous parlez est le centre de crise du préfet.

M. le Rapporteur - Je prendrai un exemple qui a eu lieu à Lille. Après l'annonce de crue, nous nous sommes interrogés sur la destination de cette information. Dans un premier temps, monsieur le préfet n'a pas pu, me semble-t-il, signaler l'information et mettre en place cette cellule pour faire face, le cas échéant au problème quand il allait se poser.

M. Michel Champon - Votre question, monsieur le rapporteur, comporte deux dimensions différentes. Effectivement, j'ai entendu lors de certaines auditions que certaines personnes parlaient de BRAM et d'autres de CIRCOS concernant cette affaire. Il faut premièrement savoir qu'il n'y a pas de CIRCOS à Lille.

M. le Rapporteur - Nous l'avons découvert à cette occasion.

M. Michel Champon - Oui, c'est malheureusement un maillon encore faible de notre dispositif mais le CODIS 59 joue le rôle de remplaçant. Deuxièmement, il faut être extrêmement clair par rapport au BRAM. Dans l'affaire qui nous préoccupe, nous avons vérifié qu'il n'y a pas eu de BRAM et ce, pour une raison très simple : les précipitations qui se sont abattues dans le département de la Somme ont pris de l'importance en raison de leur durée et non pas de leur intensité. Météo France nous l'a expliqué. Or, à l'heure actuelle, aucun service n'est, à ma connaissance, capable de modéliser l'effet d'une précipitation sur un bassin. Le maréchal Joffre a un jour dit : « Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne mais je sais très bien qui l'aurait perdue. » De fait, à présent on sait que le niveau de la nappe phréatique était élevé, qu'elle avait déjà débordé et que les précipitations n'ont fait qu'aggraver la situation. Mais je veux être très clair sur le processus que nous gérons : il n'y a pas eu d'alerte météorologique sur le bassin de la Somme.

M. le Rapporteur - Si, ils nous ont avertis début février.

M. Michel Champon - Effectivement, ils nous ont avertis que cela pouvait arriver.

M. le Rapporteur - Non, ils ont dit que cela allait arriver. Il faut être clair sur ce point.

M. le Président - Nous approfondirons cette affaire. Jean-Pierre Besson nous a déclaré qu'un BRAM a été émis mais que personne ne l'a reçu.

M. Michel Champon - Nous avons vérifié au centre opérationnel du ministère de l'Intérieur : aucun BRAM n'a été émis. En revanche, il y a eu des Bulletins d'Alerte Précipitations (BAP) que ni les CIRCOSC, ni le ministère de l'Intérieur ne reçoivent car ils sont uniquement destinés à informer les départements. Les BAP constituent un dispositif très particulier. Ils sont corrélés par rapport à des systèmes d'annonce des crues. Or, vous savez que ces derniers n'existent pas dans la Somme puisque vous avez interrogé mon ministre et M. Jean-Claude Gayssot à ce sujet.

M. le Rapporteur - Cela nous a été déjà expliqué. Mais on nous a également déclaré qu'il y avait eu des BRAM.

M. le Président - Il est certain que ces bulletins d'annonce des précipitations se perdent puisqu'il n'existe pas de système d'annonce des crues dans la Somme.

M. Michel Champon - Vous parlez de BAP. Le cas du BRAM est complètement différent. Lors d'une véritable alerte météorologique, validée et qualifiée, comme par exemple un cyclone dans les départements d'Outre-mer, la chaîne d'alerte publique se met en place et les BRAM passent alors par le CIRCOSC, qui le répercute immédiatement dans toutes les préfectures, dans tous les centres opérationnels d'incendie et de secours mais également dans toutes les cellules d'astreinte des DDE. Lorsque l'alerte est claire et ciblée et qu'un BRAM est réellement émis, une chaîne d'alerte publique est immédiatement mise en place. Certes, elle est perfectible et c'est pourquoi je vous ai expliqué précédemment que nous organisions sa refonte mais je vous assure que tout BRAM émis est exploité par les services en charge de la vigilance opérationnelle.

M. Jean-Guy Branger - Le BRAM est un signal qui déclenche la mise en oeuvre du dispositif, puisque le CIRCOSC le répercute. En revanche, le BAP est informatif.

M. Michel Champon - Je suis assez mal placé pour parler de ce sujet car le ministère de l'Intérieur ne reçoit pas les BAP. Nous ne connaissons donc pas cette procédure. Mais je vous en ai déjà expliqué la logique et la cohérence : le BAP est destiné à informer les systèmes d'annonce de crue.

M. le Rapporteur - Lors des auditions d'hier, il nous a été dit que l'information, si elle avait été envoyée, devait arriver au CODIS 59.

M. Michel Champon - Je maintiens que si un BRAM avait été réellement émis dans la Somme, il serait arrivé à la préfecture, au CODIS 80 et à la DDE, qui détient de nombreuses autres responsabilités que le risque inondation.

M. Jean-François Picheral - Nous avons beaucoup avancé. C'est la première fois que nous entendons parler des BAP.

M. Hilaire Flandre - Si vous me le permettez, il faut rester réaliste. Dans mon département, nous sommes régulièrement informés des risques de crue. Mais la population ne s'en préoccupe pas. Même si la crue est annoncée, les citoyens ne réagissent pas car il est déjà arrivé qu'il ne se passe rien après une alerte. Le même phénomène se produit lors des avis de tempête. En décembre 1999, les pompiers sont passés dans les rues pour demander à la population de fermer fenêtres et volets. Si la tempête n'avait pas eu lieu le lendemain, les gens n'auraient plus pris l'avis au sérieux à l'alerte suivante. Dans la Somme, les habitants ont été avertis du risque d'inondation. Le préfet avait communiqué l'information aux maires mais comme cela ne s'était jamais produit, ils ne s'en sont pas préoccupés.

M. Jean-Guy Branger - Nous n'avons pas été prévenus de la tempête de décembre 1999.

M. Hilaire Flandre - La tempête a commencé le dimanche dans le Nord de la France. Toutes les chaînes de télévision ont averti qu'elle allait toucher le Sud du pays le lendemain.

M. le Président - Je pense que ce n'est pas le lieu approprié pour en discuter.

M. Michel Champon - Il est frappant de constater que dans la Somme il est souvent question d'inondations mais ces dernières n'apparaissent pas sous le titre de risque majeur. J'ai plusieurs documents qui étayent mes propos. Elles semblent être devenues un élément routinier. Mais de fait, sans vouloir en rien minimiser la détresse des habitants et des entreprises qui ont subi l'inondation, il n'y a pas eu de victimes. Certes, cet événement est dramatique sur le plan humain et social puisque des personnes sont obligées de vivre hors de leur logement. Je pense néanmoins que nous ne pourrons pas échapper à la vraie question que nous devrons trancher : ce type de situation nécessite-t-il vraiment la mise en place d'un système d'annonce des crues et une force d'action rapide ? Je pose clairement la question. Comme je vous l'ai indiqué précédemment, les évènements se bousculent dans notre paysage quotidien et il faut parfois garder son sang-froid pour analyser correctement un phénomène. Je suis très honnête avec vous. J'espère que vous me comprenez : je ne nie pas la détresse des familles ni les difficultés matérielles auxquelles elles se trouvent confrontées. Je rappelle simplement qu'il est nécessaire de faire la part des choses sur le plan opérationnel.

M. le Président - Par exemple, monsieur le directeur, il semble que la crise n'ait pas été suffisamment prise en compte à ses débuts. Si le plan Orsec avait été déclenché, les services du département et de la météorologie auraient été mobilisés. Or, après deux semaines, peu de personnes étaient conscientes du problème de la Somme. Pourquoi le plan Orsec n'a-t-il pas été déclenché pendant cette période ?

M. Michel Champon - Je vous rappellerai que si l'inondation de la Somme a fait de nombreux malheureux, il n'y a pas eu de victimes. D'autre part, il faut être clair : le plan Orsec est un schéma d'organisation opérationnel qui remonte aux années 50. Il est très généraliste : adaptable à toutes les situations, il prévoit essentiellement l'organisation de cellules de crise et la diffusion de l'information. En réalité, comme vous l'avez dit vous-même, son impact est essentiellement psychologique et il fait partie d'une certaine mythologie : « Si on déclenche le plan ORSEC, alors tout ira bien. » Dans la pratique, il ne change strictement rien à la situation. Je crois que le ministre de l'Intérieur vous a d'ailleurs bien précisé que les inondations constituent un phénomène très spécifique en termes d'organisation opérationnelle car si la prévention n'est pas réalisée en amont et si les mesures adaptées n'ont pas été prévues à l'avance, les moyens d'actions sont très limités. On ne peut que sortir les bottes et les barques et empiler les parpaings chez les gens. On ne peut rien faire d'autre dans la pratique.

M. le Rapporteur - Mais cela n'a pas suffi.

M. Michel Champon - Cela n'a pas suffi, effectivement. Cela ne peut suffire.

M. le Président - A la lueur de cette crise, il me semble, monsieur le directeur, qu'au fur et à mesure de la prise de conscience de l'événement les moyens ont été accumulés. Il y a eu notamment un tournant dans la gestion de la crise au moment où les militaires sont intervenus sur le terrain avec des moyens en hommes et en matériel. Vous nous avez indiqué que la coordination était désormais militaire et que les effectifs requis n'étaient plus dans le département. Ne pourrait-on pas prendre une décision afin de ne pas passer par Paris pour déclencher l'intervention des militaires ? Comment serait-il possible que chaque préfet ait des moyens militaires à disposition ?

M. Michel Champon - Je peux vous donner deux éléments de réponse. Premièrement, notre ministère et plus particulièrement notre direction disposent de régiments militaires de la Sécurité civile. Ce sont des unités militaires du Génie sous le commandement personnel du ministre de l'Intérieur, mis à disposition des préfets en cas de besoin. Cela a d'ailleurs été fait immédiatement dans le cas de la Somme, puisque les unités de sécurité civile sont montées en ligne dans ce département. Il faut également rappeler qu'ils étaient en même temps pris ailleurs à Vimy.

Concernant votre deuxième question, monsieur le président, vous devriez plutôt vous adressez au ministre de la Défense. La professionnalisation et le reformatage des armées, la disparition des régiments dans les chefs-lieux de départements me semblent obliger le ministère de la Défense à gérer son dispositif au niveau central. Il y a un problème de disponibilité opérationnelle, ne serait-ce que par rapport aux engagements internationaux de la France. Au niveau intellectuel, je suis tout à fait d'accord avec vous mais je ne suis pas sûr que votre idée soit réalisable dans la pratique avec la nouvelle politique de défense établie par le Gouvernement.

Cependant, le ministère de l'Intérieur et la direction de la défense civile en particulier explorent en profondeur une troisième dimension, encore sous-estimée et qui fait rire certains : l'utilisation intelligente des réserves de l'armée. Nous disposons nous-mêmes de réservistes que nous utilisons dans la gestion de crise. Ce sont des officiers d'état-major. Cela ne répond pas à votre question mais il faut que vous le sachiez. Ils jouent un rôle important en assurant les relais et en étant présents. Cela correspond aussi à l'engagement citoyen de personnes très motivées et disponibles pour soutenir les actions de la République. Deuxièmement, la gendarmerie lève des réservistes : des escadrons de gendarmerie mobile qui ne réalisent pas spécialement du maintien de l'ordre mais occupent de nombreuses fonctions militaires. Je crois que cette utilisation intelligente des réserves pourrait être un complément innovant dans notre disponibilité opérationnelle.

M. le Président - Y a-t-il d'autres questions ?

M. Michel Souplet - Sur le même thème, je me demande si ce dossier ne devrait pas quand même constituer une occasion très forte d'améliorer le système, pas seulement sur le problème qui nous concerne aujourd'hui, les inondations, mais sur la responsabilité des fonctionnaires. Dans beaucoup de cas, on constate l'impossibilité, pour des gens qui détiennent des responsabilités, de décider car ils sont dans l'obligation de transmettre d'abord. Quelque chose ne fonctionne pas dans le système. A partir de cet exemple de la Somme, il faudrait que nous parvenions à accorder aux personnes du terrain la possibilité de mieux exercer leurs responsabilités.

M. Michel Champon - C'est une véritable réflexion qui est en cours. Mais si on la met en perspective on s'aperçoit que lorsque des vies humaines sont en cause et qu'il y a une véritable situation d'urgence, personne ne refuse de prendre des décisions. Cela me semble clair. Même les militaires réagiront si une nécessité évidente et immédiate de porter secours surgit. Certes, il faut songer à réduire la chaîne de commandement comme vous le proposez. Mais quand on met en oeuvre des moyens lourds pour la collectivité, il est logique que cette dernière puisse essayer d'évaluer le rapport coût-avantage et le niveau de priorité de l'affaire qui lui est soumise.

M. Michel Souplet - Certes, mais de nos jours les médias nous fournissent l'information avant même qu'elle n'ait eu lieu. Cela crée une psychose. Prenons le cas de la vache folle : elle a fait trois morts en France. Mais la télévision n'a jamais annoncé que douze éleveurs s'étaient suicidés depuis. Elle n'a parlé que des trois cas d'infection. Quand un événement extraordinaire a lieu, si une information tronquée est immédiatement communiquée à la population, le refus des responsabilités devient plus grave.

M. Hilaire Flandre - Concernant la remarque de M. Michel Champon sur l'utilisation des réserves de l'armée, la fin de la conscription ne fera que les diminuer. En revanche, il ne faut pas négliger la mobilisation civile des bénévoles. Dans la Somme, les principaux problèmes rencontrés par les sinistrés étaient simples : mettre à l'abri leur mobilier, éventuellement évacuer leur habitation et pouvoir se reloger à un autre endroit. Ce genre de difficultés peut être réglé spontanément par un maire qui mobilise autour de lui l'ensemble de la population et tous les volontaires civils qui peuvent se présenter. Il ne faut pas utiliser des marteaux pilons à chaque fois que l'on veut écraser une mouche !

M. le Rapporteur - Si vous me le permettez, monsieur le Président, je vais rappeler la situation que nous avons connue en prenant pour exemple la commune de Fontaine-sur-Somme qui fait partie de mon canton. Une fois l'inondation constatée, on m'a emmené immédiatement voir la Somme et on y a trouvé une brèche. Tous les gens de bon sens ont pensé qu'il fallait la boucher car elle amenait de l'eau. Nous avons donc commencé à poser des parpaings. Mais pendant une dizaine de jours, on nous a dit qu'il ne fallait pas boucher la brèche et que nous ne pouvions pas intervenir. Au bout de cette période, l'armée est arrivée et a décidé de le faire en mettant des sacs de sable dans toutes les brèches. Nous avons été étonnés puisqu'on nous avait interdit de le faire. Ce genre de contradiction a duré un certain temps, ce qui explique les interrogations de la population. Mon exemple concerne une commune de 380 habitants. Mais il en existe bien d'autres qui ont rencontré le même problème et qui se sont retrouvées seules. Au bout d'une dizaine de jours, monsieur le Préfet a mis à disposition un coordinateur : le capitaine des pompiers. A partir de cette nomination la situation a changé. Mais auparavant, chacun s'imaginait qu'il allait devoir résoudre les difficultés seul. Je viens de vous résumer ce qui s'est passé sur le terrain.

M. le Président Nous arrêtons ici cette audition. Monsieur le directeur, MM. Marchetti et Geray, je vous remercie pour votre présence.

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