ANNEXE 2

RAPPORT D'EXPERTISE

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INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 3 février 1998, l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, saisi par la Commission des lois du Sénat d'une demande tendant à dresser un bilan de la mise en oeuvre de l'ensemble de la législation relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, a décidé de confier la réalisation de cette étude à un groupe de travail composé d'un magistrat de la Cour de cassation, d'un juge consulaire et d'un professeur d'université.

Selon le cahier des charges dressé par l'Office, l'objectif poursuivi était de permettre de "déterminer les ajustements nécessaires à l'amélioration de l'efficacité des procédures existantes et à une meilleure articulation de ces procédures avec celles prévues par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, le caractère collectif des procédures de la loi n ° 85-98 du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires étant parfois mis à mal par les poursuites individuelles exercées par le titulaire des créances nées après l'ouverture de la procédure".

L'étude devait permettre à la fois de dresser un bilan critique du régime juridique applicable en matière de prévention des difficultés des entreprises et de mise en oeuvre des procédures de redressement ou de liquidation judiciaires et de formuler une série de propositions tendant à améliorer leur pertinence et leur efficacité.

POURQUOI CETTE ÉTUDE?

L'état des lieux, tel qu'il peut être dressé après douze années d'application du dispositif issu de la loi n ° 85-98 du 25 janvier 1985 modifiée par la loi n ° 94-475 du 10 juin 1994 et quatorze années d'application du dispositif issu de la loi n ° 84-148 du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises, modifiée par la loi du 10 juin 1994 précitée, conduit à une série de constatations.

En ce qui concerne, tout d'abord, la mise en oeuvre de la loi du 1 er Mars 1984

Des résultats intéressants sont obtenus. Mais l'application des dispositions légales sur la prévention n'est pas généralisée, certains tribunaux n'en faisant pas ou peu usage, ce qui pose un problème d'inégalité entre les justiciables.

L'entretien avec le président révèle trop souvent un état de cessation des paiements déjà constitué rendant toute mesure préventive impossible. Son utilité est alors seulement de faire prendre conscience au chef d'entreprise de la nécessité de déposer sans tarder son bilan.

Lorsqu'il n'y a pas encore cessation des paiements mais seulement "difficulté juridique, économique ou financière " ou existence de "besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté aux possibilités de l'entreprise" (article 35 de la loi du 1er mars 1984), se pose la question de la désignation d'un conciliateur, qui ne peut intervenir qu'à la demande du chef d'entreprise, en vue de la recherche d'un règlement amiable avec les créanciers. Le président peut aussi décider de recourir à un mandat ad hoc

En 1997, environ 1000 mandats ad hoc ont été ordonnés et 500 règlements amiables ouverts. Ces chiffres sont à rapprocher du nombre d'entreprises entendues dans le cadre d'entretiens préventifs, soit environ 12.500 pour la même année, et du nombre de dépôts de bilan, soit, environ 60.000.

C'est dire que l'activité préventive des tribunaux de commerce est très significative, même si elle peut être encore améliorée.

En ce qui concerne l'application de la loi n ° 85-98 du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires

Les résultats apparaissent, dans l'ensemble, décevants.

Selon les différentes statistiques disponibles, plus de 90 % des procédures ouvertes aboutissent à une liquidation judiciaire.

Le taux de réussite des plans de continuation, difficile à estimer exactement, reste, en tous les cas, très faible (2 à 3 % des procédures ouvertes).

La médiocrité de ces chiffres n'a pas de quoi surprendre. Elle ne semble pas devoir être imputée au dispositif légal, lequel apparaît globalement approprié au traitement judiciaire des entreprises en état de cessation des paiements, pour autant que celles-ci n'arrivent pas exsangues au jugement d'ouverture, ce qui est trop souvent le cas et explique, sans doute, la proportion très élevée de liquidations judiciaires dont la quasi-totalité sont clôturées pour insuffisance d'actif.

Aussi, la réflexion conduite dans le cadre de la présente étude n'a-t-elle pas pour objectif de remettre en cause les grands équilibres de la loi du 25 janvier 1985 au risque d'être inefficace dès lors qu'aucune amélioration fondamentale de la situation actuelle ne semble devoir être attendue de la modification d'un texte déjà remanié par la loi du 10 juin 1994.

Elle tend, pour l'essentiel, à définir un ensemble de mesures de nature à permettre à l'entreprise de résoudre ses difficultés avant d'atteindre le stade de l'ouverture de la procédure collective et, si celle-ci est inévitable, à rendre possible son déclenchement à un moment où le redressement peut encore raisonnablement être envisagé .

On ne peut, toutefois, préalablement, qu'attirer une fois de plus, l'attention sur le problème, signalé de manière récurrente, de l'insuffisance du capital social exigé par la loi pour la constitution d'une société commerciale et sur lequel il est souhaitable que le législateur se penche à nouveau.

On peut aussi s'interroger sur les effets pervers du crédit interentreprises, largement utilisé en France et qui s'avère singulièrement dévastateur en cas de défaillance de l'un des acteurs de la chaîne.

On doit, enfin, évoquer l'irritante question des groupes de sociétés, posée ici avec une acuité particulière dès lors que, s'agissant d'entreprises en difficulté, l'écart entre l'architecture parfois très complexe de structures juridiquement autonomes dotées de la personnalité morale et la réalité de leur unité économique, laquelle apparaît parfois difficile à établir, empêche l'appréhension globale de leur sauvetage.

En conclusion de ces observations préalables, il ressort que la réflexion doit privilégier une modification de l'axe d'intervention.

L'organisation actuelle des procédures s'articule autour de la notion de cessation des paiements et souffre, par rapport aux objectifs de sauvegarde de l'entreprise, de maintien de l'activité et de l'emploi et d'apurement du passif proclamés par la loi, d'une contradiction interne qui place l'ensemble de l'édifice en porte à faux.

Sans grands bouleversements de la législation, il semble que l'on pourrait obtenir une amélioration significative de la situation présente en déplaçant le centre de gravité des procédures, l'état de cessation des paiements et l'application du dispositif légal qui en résulte n'en constituant plus nécessairement l'élément central.

Cette remarque générale vaut naturellement dans le cadre d'une modification du traitement amiable et préventif (1ère partie).

Elle concerne également plusieurs aspects de la législation sur le redressement et la liquidation judiciaires, laquelle pourrait, en outre, être corrigée et améliorée sur certains points (2ème partie).

PREMIÈRE PARTIE :
LE TRAITEMENT AMIABLE ET PREVENTIF

A) LES PRATIQUES ACTUELLES

1- Le contact préventif entre le "débiteur" et le président du tribunal de commerce ou son délégué, peut être provoqué par une démarche volontaire du chef d'entreprise.

Dans la pratique, ce cas de figure, même s'il est moins exceptionnel depuis quelques années, reste assez rare.

Le plus souvent, le chef d'entreprise est convoqué à partir d'un système de détection basé principalement sur l'exploitation des informations détenues par les greffes (inscriptions de privilèges des URSSAF et du Trésor public ; absence de dépôt des comptes sociaux ; perte de capital ; multiplication d'instances contentieuses ; demandes de report d'assemblées générales etc..).

Malgré une réelle efficacité, ces systèmes sont mis en oeuvre de manière très diverse d'un tribunal à l'autre et dépendent de la plus ou moins bonne volonté des greffes, lesquels entendent, parfois, facturer ces tâches au tribunal qui ne dispose pas d'un budget permettant de les rémunérer.

Quelle qu'en soit l'origine (volontaire ou forcée), les entretiens sont généralement bien perçus par les chefs d'entreprise qui ont, ainsi, l'occasion de "faire le point" devant un juge (président ou magistrat délégué) qui comprend leur problème et qui, tout en s'abstenant de leur donner des conseils, attire leur attention sur les risques de dégradation de la situation et sur les possibilités procédurales de les traiter.

L'expert comptable de l'entreprise est souvent convié à assister à cette rencontre.

2- A ce jour, l'issue de ces entretiens se limite malheureusement souvent au constat d'un état de cessation des paiements patent, avec rappel de l'obligation d'effectuer, dans les quinze jours, la déclaration prévue par la loi et de la possibilité pour le tribunal de se saisir d'office si besoin est.

Cette situation est moins négative qu'il n'y paraît.

Elle permet, en effet, de stopper le plus tôt possible l'hémorragie de l'entreprise qui ne peut survivre et de préserver son environnement en limitant le passif, dont on sait qu'il croît de manière considérable dans les mois et les semaines précédant la déclaration de cessation des paiements.

Cet aspect de la prévention explique pourquoi on peut difficilement confier à d'autres institutions que les juridictions ces actions préventives, puisque la préservation de l'environnement économique exige un pouvoir d'intervention assorti d'une certaine contrainte.

Cela n'exclut pas tout ce qui peut être très positivement fait, encore plus en amont, par les organismes professionnels, les chambres de commerce, les chambres des métiers, etc..

Dans d'autres cas, l'approche préventive permet d'envisager, avec le chef d'entreprise, la possibilité de mettre en oeuvre la procédure de règlement amiable dès lors que le nombre de créanciers est limité ou que l'essentiel du passif est concentré entre quelques créanciers.

Les présidents de tribunaux ont des pratiques assez diversifiées dans ce domaine selon qu'ils souhaitent, ou non, mener une politique volontariste en la matière.

Mais, dans tous les cas, on peut dire que la loi est contournée :

- dans les délais qu'elle prévoit, celui de 3 mois + 1 mois, qui concerne la durée de la mission du conciliateur (article 35, dernier alinéa, de la loi du 1er mars 1984) s'avérant parfois insuffisant et le règlement amiable étant, en ce cas, précédé d'un "mandat ad hoc préparatoire".

- dans les conditions d'ouverture du règlement amiable, les entreprises concernées étant fréquemment en état de cessation des paiements plus ou moins avéré.

Il s'agit souvent de situations difficiles, voire périlleuses, dans lesquelles le président de la juridiction assume une lourde responsabilité, mais l'expérience montre que c'est le prix à payer pour obtenir des résultats parfois exceptionnels en termes de préservation de richesses économiques et d'emplois.

On notera ici que, dans les tribunaux de commerce les plus actifs en matière de prévention, le nombre de dossiers résolus dans ce cadre devient équivalent à celui des plans de continuation arrêtés en vertu des dispositions de la loi du 25 janvier 1985 .

Ces succès, très intéressants, restent néanmoins méconnus, car la confidentialité demeure une des clefs de la réussite de ces procédures.

3- L'impact des dispositions légales relatives à l'information que les commissaires aux comptes sont tenus, au terme d'une procédure en plusieurs phases, de délivrer au président du tribunal, en vertu de la loi du 1er mars 1984, est très limité.

Ces professionnels ont, dans l'ensemble, une approche extrêmement frileuse de l'obligation que le texte met à leur charge à un stade d'ailleurs très (et peut être trop) avancé de leur démarche.

Quoi qu'il en soit, il paraît illusoire d'attendre des commissaires aux comptes, rémunérés par les sociétés qu'ils contrôlent, une implication plus active dans la mise en oeuvre des dispositions légales sur la prévention. On verra, en revanche, qu'une prévention de nature comptable peut être utilement envisagée en amont.

4- En pratique, le président du tribunal utilise peu les pouvoirs d'investigation qu'il tient de l'article 34 de la loi du 1er mars 1984, car les informations nécessaires lui sont très généralement fournies spontanément par le chef d'entreprise ou ses conseils (avocat, expert-comptable).

De ce constat multiple, on peut retenir que les mécanismes légaux et réglementaires offrent aux responsables de juridictions les outils nécessaires à l'application d'un traitement préventif, notamment, à travers leur souplesse qui devra, en toute hypothèse, être préservée.

C'est leur mise en oeuvre qui peut être largement améliorée.

B) LES AMÉLIORATIONS A ENVISAGER

1° La détection des difficultés

Il importe de conserver un équilibre entre la nécessité d'informer le président du tribunal, qui doit être en mesure d'exercer la mission dont il est investi par la loi et le respect de l'indispensable liberté d'entreprendre et de gérer dans une économie de marché.

On doit cependant observer qu'il existe une importante différence d'efficacité entre l'investigation économique "publique" et celle effectuée par certaines entreprises spécialisées.

On est, en effet, surpris par le nombre impressionnant d'obstacles qui s'opposent, dans la pratique, au regroupement et à l'exploitation des informations détenues par les organismes publics et les administrations, alors que leur recoupement permettrait d ' améliorer considérablement la détection des difficultés des entreprises.

Cette situation est d'autant plus paradoxale que des sociétés privées parviennent, parallèlement, et à des fins purement mercantiles, à délivrer, dans ce domaine, des informations particulièrement fiables.

A titre d'exemples, on citera la très grande discrétion du Trésor public, une collaboration des URSSAF, ici très étroite et là quasi-inexistante, les difficultés rencontrées auprès des services de la banque de France pour obtenir la délivrance des informations dont ils disposent, l'absence de relations institutionnelles avec les cours régionales des comptes, les directions départementales du travail etc.

Il apparaît donc indispensable que, dans des conditions à définir, soit facilitée la circulation ou du moins la collecte de l'information, préalable nécessaire à son exploitation.

a) La recherche de l'information

Cet objectif peut être atteint, sur le plan pratique, par un encouragement fort au rapprochement des différentes institutions concernées et par une amélioration des conditions dans lesquelles l'information est recueillie.

PROPOSITION

Sur le plan législatif, il conviendrait de modifier le début du second alinéa de l'article 34 de la loi du 1er mars 1984 en substituant aux mots « A l'issue de cet entretien », les mots « A cet effet », on autoriserait ainsi la connaissance de l'information beaucoup plus en amont, facilitant grandement la détection des difficultés et permettant, en conséquence, des convocations et des entretiens plus précoces.

b) Le traitement de l'information

Le traitement global de ces éléments d'alerte serait effectué systématiquement avec l'assistance et la collaboration étroite des greffes, cette tâche devant être considérée comme faisant partie intégrante de l'activité de la juridiction et, en conséquence, spécifiquement rémunérée.

L'amélioration conséquente de la détection ainsi obtenue n'aurait d'effet réel que dans la mesure où toutes les juridictions compétentes en exploiteraient les résultats.

PROPOSITION

Afin de résoudre le risque d'inégalité entre les justiciables évoqué précédemment, on pourrait poser comme principe, par une simple modification de l'article 34 de la loi du 1er mars 1984, que le président du tribunal a, non pas la faculté, comme c'est actuellement le cas, mais l'obligation de convoquer les dirigeants de l'entreprise qui connaît les difficultés visées au texte précité.

Afin de ne pas surcharger inutilement les juridictions et de réserver les cas particuliers, le président pourrait, néanmoins, décider de ne pas convoquer telle ou telle entreprise par ordonnance motivée, laquelle serait communiquée au parquet .

Une telle approche préventive plus étendue suppose naturellement que le responsable de l'entreprise défère à la convocation qui lui est adressée.

L'expérience montre qu'il le fait généralement assez spontanément.

Il reste que les cas d'absence de réponse sont, a priori, les plus inquiétants.

PROPOSITION

Il serait possible, dans cette hypothèse, de prévoir qu'après une mise en demeure par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le président du tribunal aurait la faculté de nommer d'office un administrateur provisoire, dont la mission pourrait être rapidement stoppée s'il s'avérait que le silence du dirigeant n'était dû qu'à sa négligence ou son indifférence, tandis que la situation économique de l'entreprise ne justifierait pas de mesures particulières .

Mais la contrainte, si elle est nécessaire, ne peut être qu'un supplétif à une véritable action de prévention.

Il faut donc rechercher les moyens d'améliorer la démarche volontaire et, plus encore, de privilégier une vision renouvelée et élargie de la matière.

2° La généralisation de l'approche préventive

a) L'information du chef d'entreprise

L'inaction du chef d'entreprise devant l'accumulation des difficultés a de nombreuses causes, de nature psychologique ou patrimoniale, bien connues.

On ne saurait pourtant omettre, surtout dans les plus petites structures, une réelle méconnaissance de certains mécanismes, même simples, de gestion.

PROPOSITION

Une première mesure à finalité informative ayant, au surplus, valeur pédagogique, peut donc être proposée.

On a déjà indiqué les raisons qui incitent à douter de l'efficacité du mécanisme d'alerte des commissaires aux comptes dont, au demeurant, l'intervention est légalement limitée à un nombre restreint d'entreprises.

On peut, en revanche, souhaiter une implication beaucoup plus forte des experts-comptables.

Elle pourrait trouver son support dans l'obligation pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, d'établir annuellement un document de financement prévisionnel non soumis à publication, mais qui devrait obligatoirement être commenté par écrit par l'expert-comptable ou le centre de gestion agrée .

b) L'incitation du chef d'entreprise

Dans l'optique de l'élargissement de l'action préventive, on peut envisager plusieurs approches qui doivent être appréciées différemment.

Tout d'abord, il n'apparaît pas souhaitable de faire de la demande de désignation d'un conciliateur un préalable à l'ouverture de la procédure collective du débiteur commerçant ou artisan, comme c'est le cas pour les agriculteurs (article 4 de la loi du 25 janvier 1985).

Pas davantage il ne semble opportun de donner au président du tribunal le pouvoir de nommer d'office un conciliateur en dehors de toute demande du chef d'entreprise, dès lors que le succès de la prévention repose, au moins pour partie, sur la volonté de ce dernier et sur la relation de confiance qui doit s'établir entre le magistrat, le mandataire désigné par lui et le dirigeant.

Il est, par contre, nécessaire d'étudier les mesures propres à inciter ce dernier à se prêter de manière constructive à l ' examen de sa situation et à solliciter, si une issue amiable est envisageable, la mise en oeuvre des moyens procéduraux adaptés.

PROPOSITIONS

1-On peut, naturellement, "motiver" les démarches volontaires par des avantages fiscaux pour l'entreprise .

2-Il est également possible de prévoir que l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires intervenant après échec, faute d'accord conclu avec les créanciers, d'un règlement amiable ou après résolution pour inexécution de l'accord résultant d'un règlement amiable ne pourra donner lieu à la fixation d'une date de cessation des paiements antérieure à l'un ou l'autre de ces événements, sauf fraude ou mauvaise foi du débiteur.

Le chef d'entreprise y trouverait un avantage évident sur le plan personnel au regard d'une éventuelle action en paiement des dettes sociales ou tendant au prononcé de sanctions personnelles.

Les tiers y trouveraient, quant à eux, également avantage au regard d'une éventuelle recherche de responsabilité pour soutien abusif durant la période ainsi définie ainsi qu'au regard des dispositions sur les nullités de la période suspecte.

Une telle disposition serait, en outre, cohérente avec l'orientation principale de la réflexion qui consiste à modifier l'axe des interventions procédurales.

3-Enfin, le bénéfice de l'article 55 de la loi du 25 janvier 1985, qui prévoit la suspension de toute action contre les cautions personnelles personnes physiques (jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire) devrait être étendu, moyennant les ajustements nécessaires, au cas d'ouverture d'un règlement amiable.

La philosophie de ce nouveau dispositif est clairement d'inciter le chef d'entreprise à épuiser toutes les voies amiables.

4-Dans cette optique, une implication plus forte du parquet n'apparaît pas opportune, mais une information plus systématique du ministère public peut être envisagée. Lorsque la disparition de l'entreprise est de nature à causer un trouble grave à l'économie nationale ou régionale, le ministère public participerait à la procédure.

Sous réserve de l'appréciation des tribunaux et des cours d'appel et du contrôle exercé par la Cour de cassation, il serait, en outre, logique de considérer que celui qui s'est refusé, sans raison valable, à la mise en oeuvre de ces procédures amiables a ainsi commis une faute de gestion susceptible d'engager éventuellement sa responsabilité sur le terrain de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985.

Si, malgré tout, le dirigeant estime nécessaire d'effectuer une déclaration de cessation des paiements, il conviendrait, afin de s'assurer que l'ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaires constitue la seule solution envisageable, de rendre obligatoire la procédure de l'article 13 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 en l'allégeant pour les cas les plus évidents.

Il ne s'agit naturellement pas de réinventer la période d'observation de la loi, mais de faire en sorte qu'avant l'ouverture de la procédure classique soient explorées toutes les voies permettant une issue amiable et, notamment, les possibilités de liquidation amiable ou de cession amiable.

Sur un plan pratique, on pourrait craindre que la mise en oeuvre de l'ensemble de ce dispositif préventif ne constitue une charge de travail très importante pour les juridictions, à travers la multiplication souhaitée des entretiens préventifs et des enquêtes préalables.

Il pourrait alors être envisagé de faire appel plus largement à des magistrats honoraires intervenant bénévolement sous le contrôle et l'autorité du président de la juridiction.

5- Enfin, dans le cadre du mandat ad hoc ou du règlement amiable, les pièces qui seraient éventuellement déposées au greffe ne sont pas communicables.

La prévention sous forme d'alertes étant maintenue et même développée, dans la chronologie des mesures successives, plusieurs orientations sont ensuite envisageables en fonction d'un interventionnisme plus ou moins anticipé des tribunaux jusqu'à la constatation de la cessation des paiements. Les rapporteurs ont estimé qu'entre les choix exercés en toute liberté et indépendance par le débiteur ne connaissant pas de sérieuses difficultés et la nécessaire intervention judiciaire contraignante au cas de cessation des paiements, des degrés pouvaient être institués pour répondre aux situations révélées par la pratique.

Lorsqu'apparaissent des besoins qui ne peuvent être couverts par un financement adapté aux possibilités de d'entreprise, le débiteur aurait la faculté de demander au tribunal de désigner un mandataire qui l'assisterait ou même le représenterait pour planifier la liquidation ou la cession amiables de son entreprise et le paiement de ses créanciers. Le débiteur n'étant alors ni en état de cessation des paiements ni insolvable, tous ses créanciers seraient désintéressés lors de cette cessation d'activité. Les procédures perdraient ainsi encore plus nettement leur caractère négatif s'agissant de débiteurs de bonne foi, mais quelque peu dépassés par les événements.

Ensuite, dans le cas où des difficultés seraient plus sérieuses, parce que la continuité de l'exploitation serait définitivement compromise ou bien parce que la situation de l'entreprise conduirait inéluctablement à un état de cessation des paiements, l'ouverture anticipée d'une véritable procédure collective pourrait être décidée soit à la demande du procureur de la République ou d'office soit par déclaration du débiteur ainsi qu'il sera exposé plus avant, tandis que seule la cessation des paiements serait le critère fondant la demande des créanciers.

Ce sont ces hypothèses qu'il convient de décrire.

C) LES INNOVATIONS

La liquidation d'une exploitation, a fortiori sa cession, ne sont pas nécessairement judiciaires. Des opérations amiables sans aucun contrôle préalable ou a posteriori sont licites dès lors que le débiteur n'est pas en état de cessation des paiements. Entre les solutions judiciaires et les solutions amiables une voie médiane est envisageable.

On soulignera le progrès essentiel que représenterait le fait de pouvoir modifier l'attitude des repreneurs potentiels qui, actuellement, attendent la déclaration de cessation des paiements pour se manifester quand ils ne la provoquent pas directement ou indirectement.

On sait que les personnes morales, notamment les sociétés, peuvent actuellement être l'objet de deux types de liquidation judiciaire :

- la liquidation judiciaire de la loi du 25 janvier 1985 au cas de cessation des paiements du débiteur ;

- la liquidation judiciaire de droit commun, en l'absence de cessation des paiements, en application de la loi du 24 juillet 1966, au cas de dissolution d'une société.

Le surendettement d'une entreprise, sans atteindre le seuil comptable critique de la cessation des paiements, c'est-à-dire de l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, s'il compromet la continuité de l'exploitation, devrait permettre, à la demande du débiteur, par analogie avec le règlement amiable, l'ouverture d'une liquidation amiable sous contrôle judiciaire ou même une cession amiable d'entreprise, mais judiciairement contrôlée .

PROPOSITION

Il est proposé d'instituer un régime de liquidation ou de cession amiables de l'entreprise, sous contrôle judiciaire, avec intervention d'un mandataire.

Cette proposition ne sera donc pas confondue avec la simple radiation administrative, laquelle, tout au contraire, ne concerne que les entreprises qui ont perdu toute substance et supprime la garantie judiciaire.

En anticipant le déclenchement d'une procédure, on évitera une aggravation de la situation du débiteur, préjudiciable aux créanciers et, notamment, à l'intérêt général s'agissant du Trésor public ou des organismes d'assurances sociales.

La mesure supposerait même que soit envisagée une incitation fiscale en imposant moins lourdement les liquidations saines en comparaison des liquidations-faillites qui sont anormalement coûteuses pour la collectivité par les charges qu'elles génèrent.

L'apurement du passif se ferait, d'une part, en transposant le régime juridique de la loi du 24 juillet 1966 pour éviter les actions individuelles intempestives et, d'autre part, en s'inspirant du décret n° 96-740 du 14 août 1996 dont les dispositions ont été intégrées dans le chapitre V intitulé La distribution des deniers en dehors de toute procédure d'exécution, titre II, livre III, du nouveau Code de procédure civile, sous les articles 1281-1 à 1281-12.

Ce régime de distribution aurait une portée plus large qu'en droit commun positif puisqu'il intéresse tous les débiteurs, personnes physiques ou personnes morales relevant de la loi du 25 janvier 1985.

Avant d'en aborder les modalités, seront décrits certains obstacles à la prévention et à la liquidation amiables d'une entreprise.

1°) Les obstacles fiscaux actuels

Une distinction existe fiscalement entre les personnes physiques et les personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés.

a) L'entreprise individuelle

Le fait pour un entrepreneur individuel de cesser toute activité entraîne l'exigibilité immédiate de tous les impôts qui trouvent leur origine dans l'exploitation. En raison de la reconnaissance patrimoniale de l'entreprise individuelle, la cessation d'activité peut dégager une plus-value taxable. En outre, s'il existe une exonération de plus-value pour les petites entreprises, l'activité doit avoir été exercée pendant au moins cinq ans.

Enfin, la cessation d'activité entraîne un reversement de T.V.A. au titre des immobilisations.

b) Les sociétés

Dissoudre une société de personnes a des conséquences voisines de la liquidation d'une entreprise individuelle. Le surcoût provient généralement de la vente des immobilisations avec l'imposition des plus-values qui, jusque là, étaient latentes.

La dissolution d'une société prospère relevant de l'impôt sur les sociétés (SA ou SARL) est une opération fiscalement coûteuse ; certaines sociétés ayant cessé toute activité renoncent à se dissoudre et demeurent en hibernation dans l'attente d'un régime plus favorable. On a pu assimiler la liquidation à un suicide fiscal 45 ( * ) . Les impôts à la charge de la société sont les suivants :

- l'impôt sur les sociétés, qui est calculé sur le résultat de liquidation, lequel prend en compte, notamment, la cession globale des stocks et la reprise des provisions antérieurement constituées ; il faut y ajouter les plus-values d'immobilisation (immeubles, fonds de commerce, matériel...) ;

- le précompte, qui s'applique sur les sommes qui n'ont pas été soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal (les réserves de plus-values à long terme par exemple) ou encore sur les réserves datant de plus de cinq ans.

Et s'il existe un régime de faveur applicable aux sociétés inactives (CGI, article 239 bis B), il est subordonné à un agrément administratif qui n'est accordé que rarement ; par ailleurs, il n'est qu'à moitié favorable puisque la société est imposée au taux de 19% sur la totalité des plus-values réalisées , tandis que les associés doivent acquitter un impôt forfaitaire de 15% sur le boni de liquidation.

PROPOSITION

Il devrait être envisageable d'appliquer un régime plus favorable au cas de liquidation avant la cessation des paiements lorsqu'elle a lieu sous contrôle judiciaire. Le manque à gagner immédiat serait largement compensé par la disparition de pertes en cascade ultérieurement déductibles du bénéfice imposable des partenaires de l'entreprise et l'apparition de créances fiscales sur le débiteur qui seraient réellement recouvrables .

2°) Le régime juridique

La cause d'ouverture pourrait être identique au critère retenu à l'article 35 de la loi du 1er mars 1984 : besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté aux possibilités de l'entreprise. Les modalités de saisine pourraient être calquées sur celles de l'ouverture d'un règlement amiable (v. article 35-1 et 36 du décret du 1er mars 1985).

La liquidation pourrait consister à régler collectivement les créanciers, en s'inspirant tout simplement des articles 1281-1 à 1281-12 du nouveau Code de procédure civile sur la liquidation (a) et la distribution des deniers (b) ou même en organisant une cession amiable judiciairement assistée d'une branche d'activité (c)

a) La liquidation

PROPOSITION

La liquidation peut être organisée en combinant les solutions de la loi du 24 juillet 1966 et de son décret d'application du 23 mars 1967 et du nouveau Code de procédure civile.

Un ou plusieurs liquidateurs sont désignés par le président du tribunal dans la décision d'ouverture.

Chaque liquidateur pourra, selon les préférences exprimées par le débiteur, soit conseiller, soit assister, soit même représenter, selon les modalités de droit commun du mandat, le débiteur, notamment dans ses relations avec les tiers.

Celui-ci n'étant, par définition, ni insolvable ni en état de cessation des paiements, le liquidateur paiera les créanciers sociaux , sans que la dissolution emporte de plein droit déchéance du terme. La décision de répartir les fonds doit être publiée dans un journal d'annonces légales. Le liquidateur devra conseiller, assister ou représenter le débiteur pour recouvrer les sommes dues et peut être conduit à réaliser tout ou partie de l'actif. Les affaires en cours ne continuent que pour les besoins de la liquidation, par exemple, liquider les stocks. A l'expiration d'un délai de trois mois, la liquidation ne sera poursuivie, sur décision du président du tribunal, que sur justification d'une durée nécessairement supérieure.

Dès sa nomination, le liquidateur pourrait, si le débiteur le souhaite, se substituer aux organes de direction qui perdent, dès lors, leurs pouvoirs de gestion et de représentation de l'entreprise (à l'exception des éléments du patrimoine personnel du débiteur, s'il s'agit d'une entreprise individuelle).

Le liquidateur doit présenter au président un état d'avancement des opérations.

Il commence par dresser un inventaire de l'actif et du passif. Ensuite, interviennent les opérations proprement dites de liquidation.

L'argent sert à désintéresser les créanciers de l'entreprise. Comme on serait hors procédure collective, le liquidateur pourrait ne pas être tenu, en théorie, de respecter un ordre quelconque ; il pourrait régler les créanciers au fur et à mesure qu'ils se présentent (prix de la course). Il paraît, cependant, indispensable qu'avant de procéder aux règlements, le liquidateur dresse un état estimatif en distinguant le passif privilégié et le passif chirographaire ; si les fonds sont suffisants, ce qui est l'hypothèse d'ouverture de la procédure, il désintéresse tous les créanciers ; dans le cas contraire, il procède à la déclaration de cessation des paiements ou en informe le président afin que le tribunal ordonne l'ouverture d'une procédure collective ou mette en place un règlement amiable afin de planifier l'apurement du passif, si la cessation des paiements n'est pas encore constatée.

En l'absence d'une liquidation judiciaire au sens de la loi du 25 janvier 1985, la personnalité morale d'une société ne devrait pas nécessairement disparaître.

b) La distribution des deniers

PROPOSITION

Pour la distribution des deniers, il est possible de s'inspirer du décret n° 96-740 du 14 août 1996, précité, inséré aux articles 1281-1 à 1281-12 du N.C.P.C.

L'une des particularités de ce décret est qu'il institue la personne chargée de la distribution séquestre des fonds. Cette fonction est subordonnée à l'existence de garanties de représentation de la somme mise en distribution (nouveau Code de procédure civile, article 1281-2). A défaut, la consignation des fonds sera ordonnée à la Caisse de dépôts et consignations (N.C.P.C., article1281-1, alinéa 2).

La rétribution de la personne chargée de la distribution est effectuée par prélèvements sur les fonds à répartir. Elle est supportée par les créanciers au prorata de la somme qui revient à chacun d'eux (N.C.P.C., article 1281-11).

La caractéristique principale de cette nouvelle procédure est qu'elle se déroule essentiellement en marge de l'institution judiciaire. En effet, le juge n'est saisi qu'en dernière instance lorsqu'un créancier conteste le projet de répartition proposé et si aucune conciliation n'est possible.

La personne chargée de la distribution avise les créanciers d'avoir à déclarer leurs créances. Elle doit ensuite établir un projet de répartition amiable.

La déclaration des créances doit intervenir dans le délai d'un mois à compter de l'avis adressé aux créanciers (N.C.P.C., article1281-3, alinéa 3).

Elle doit comporter un décompte des sommes réclamées en principal, intérêts et autres accessoires. Le cas échéant, elle mentionne les intérêts et sûretés attachés à la créance, tous documents justificatifs devant être joints (N.C.P.C., article 1281-3, alinéa 2).

A défaut de déclaration dans le délai d'un mois, le créancier est déchu du droit de participer à la distribution (N.C.P.C., article 1281-3, alinéa 3). Sa créance n'est pas éteinte. (Un équivalent d'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 serait écarté).

Le projet de répartition est notifié au débiteur et à chacun des créanciers par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (N.C.P.C., article1281-4). En l'absence de contestation, il devient définitif.

Les contestations sont adressées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la personne chargée de la distribution dans les quinze jours de la réception de la lettre de notification (N.C.P.C.; article 1281-4).

Une tentative de conciliation doit avoir lieu, sous l'égide de la personne chargée de la distribution, dans le mois de la première contestation (N.C.P.C.; article 1281-6).

Si les parties parviennent à un accord sur la répartition, il en est alors dressé acte par la personne chargée de la distribution et il est procédé au paiement dans les quinze jours, selon les règles applicables à la répartition amiable (N.C.P.C., article 1281-7, alinéa 2).

Au cas de désaccord, celui-ci est constaté par la personne chargée de la distribution (N.C.P.C., article 1281-8).

La partie la plus diligente peut saisir le juge sur le fondement du projet de répartition.

Le jugement de répartition est notifié à la Caisse des dépôts et consignations lorsqu'il est passé en force de chose jugée. Le paiement des créanciers doit intervenir dans le délai de quinze jours à compter de cette notification (N.C.P.C., article 1281-10).

En outre, le liquidateur doit rendre compte au président de l'accomplissement de sa mission par l'établissement d'un rapport. Le président constate la clôture de la liquidation après avoir statué sur la mission du liquidateur et l'approbation des comptes. La cession de tout ou partie de l'actif au liquidateur ou à ses employés ou à leurs conjoints, ascendants ou descendants est interdite. La violation de ces dispositions est pénalement sanctionnée. Est soumise à autorisation du président la cession de tout ou partie de l'actif à une personne qui ne serait pas indépendante du débiteur.

Les créanciers impayés parce qu'ils auraient été ignorés lors de la répartition amiable peuvent agir contre le débiteur selon le droit commun et engager, comme toute personne qui en serait victime, la responsabilité du liquidateur qui, par sa faute, leur aurait causé un préjudice.

Cette liquidation peut s'accompagner d'une restructuration de certains ensembles cessibles amiablement sous contrôle judiciaire prenant la forme d'une branche d'activité ou d'une unité de production.

c) La cession amiable judiciairement assistée

La cession d'une branche d'activité, d'une unité de production ou d'un fonds de commerce peut être aussi l'autre moyen pour un exploitant de cesser son exploitation et de payer ses créanciers.

La cession se présentera soit comme un transfert pur et simple de propriété soit, en outre, comme une opération de restructuration. On retrouve encore l'idée de planification doublée d'une recherche de moralisation.

Cette perspective légitime, comme pour la liquidation simple, l'intervention d'un mandataire sous l'égide du juge, à la fois pour organiser la conclusion du contrat et pour en surveiller l'exécution. Mais puisque l'objectif est, alors, de réinsérer l'entreprise ou l'activité qui en fait la substance dans le flux de la compétition économique, il est logique que la contrainte de la loi du marché soit pleinement prise en considération et qu'il n'y ait pas de décision imposée, à la différence du redressement judiciaire.

L'avantage par rapport au droit commun serait d'avoir un marché suivi par des mandataires compétents et de ne pas réserver leur rôle aux seules entreprises en difficultés.

Dès lors, des fichiers et des propositions constructives permettraient de tenir compte réellement des capacités de l'entreprise, de la valeur de ses actifs et pas seulement d'une réalisation tenant à l'échec de l'exploitant.

S'agissant de la période précontractuelle, l'objectif est de mettre en place un véritable marché organisé. L'objectif premier doit être de susciter des offres variées, leur nombre pouvant garantir que la cession ne provoquera pas des distorsions et offrira les meilleures chances de maintien de la valeur de l'entreprise dans la concurrence. Une telle préoccupation était déjà apparue pendant les débats relatifs à la loi de 1985.

Il avait été souligné que l'administrateur devait susciter les offres d'acquisition. Une telle tâche pourrait faire partie intégrante de la mission du mandataire amiable car il lui incomberait de rechercher avec le débiteur les solutions permettant le règlement total du passif et le maintien des emplois grâce à la cession. C'est pourquoi il est préconisé d'utiliser toute forme de publicité appropriée selon la nature et l'importance de l'affaire. Le mandataire, d'ailleurs, dans cette démarche, pourrait avoir recours à un certain nombre d'organismes spécialisés ayant pour objet de faciliter les opérations de reprise.

S'inspirant d'une analogie avec les mécanismes en vigueur sur les marchés d'instruments financiers, on peut dire que le tribunal ou le mandataire jouerait le rôle d'autorité de marché, en ce sens qu'il va s'assurer de la transparence du marché et du respect des règles de bonne conduite par chacun des intervenants.

Plus concrètement, le juge peut, à la demande du débiteur ou du mandataire, veiller au sérieux des offres qui lui sont soumises. Ce caractère s'apprécie non seulement dans la personne du candidat à la reprise, mais également relativement au prix proposé par ce possible repreneur. Cette préoccupation doit logiquement guider le juge. La cession, d'un point de vue purement économique, peut aboutir à deux résultats : la disparition de l'entreprise, en tant qu'acteur autonome du marché, si le repreneur est un concurrent, plus ou moins direct, ou bien, au contraire, l'arrivée d'un nouveau venu sur le marché en question.

Veiller à la qualité du repreneur ne suffit pas, il faut en plus s'assurer de la réalité du prix, voire, plus largement, de l'ensemble des contreparties assumées par le repreneur en échange de la cession.

PROPOSITION

Sauf accord d'un ou plusieurs créanciers, il faut mais il suffit que le prix payé contribue intégralement, avec les autres ressources du débiteur, en raison de l'unité patrimoniale, au paiement des créanciers. Ce qui n'est pas le cas du plan de cession d'un redressement judiciaire.

Le débiteur doit rester libre de sa décision, le juge n'ayant même pas à l'homologuer. Toutefois, l'information permet de mieux cerner les responsabilités au cas d'échec si le débiteur, notamment, se trouve ensuite en état de cessation des paiements alors que des propositions satisfaisantes et libératoires lui avaient été présentées et qu'il les ait refusées sans motif légitime.

Lorsque la cession est voulue par le débiteur, conseillé ou assisté ou encore représenté par le mandataire, la surveillance de l'exécution du contrat s'impose. Cette surveillance suppose de s'assurer que le débiteur n'aura pas trouvé dans ce mécanisme juridique un moyen de s'affranchir à bon compte de ses obligations à l'égard de ses créanciers. La cession amiable apparaît bien comme le prolongement de la procédure d'ordre amiable liquidative.

La présence et le regard du juge économique s'imposeront aussi longtemps que l'entreprise demeure en situation de surendettement, aussi longtemps que le repreneur ne s'est pas acquitté de l'ensemble de ses obligations à l'égard du vendeur et celui-ci à l'égard de ses créanciers.

PROPOSITION

La cession de l'entreprise peut être accompagnée de la procédure de déclaration de créances selon les modalités de la liquidation ci-dessus décrites et avec les mêmes conséquences en cas d'impossibilité de régler les créances exigées.

L'esprit demeure de ne pas imposer, mais seulement informer objectivement les parties, mettre le débiteur en face de ses responsabilités et lui rappeler précisément ses obligations et les moyens d'y faire face.

Cette fonction suppose que soit parfaitement déterminées les conditions pratiques de cette forme souple d'interventionnisme judiciaire sans que soient concurrencées les activités libérales indispensables des conseils, notamment juridiques, fiscaux ou financiers traditionnels de l'entreprise et des réseaux d'intermédiaires en vente d'entreprises. Le quasi-échec des groupements de prévention agréés étant significatif à cet égard.

Il ne saurait être question d'instituer une sorte de monopole ou de tutelle exercé par le service public de la justice à l'égard des professionnels, mais au contraire d'apporter un regard objectif facilitant la fluidité et le fonctionnement de ces marchés, par une simple assistance objective du débiteur.

Il s'agit donc de reconnaître officiellement des pratiques licites opportunément et spontanément développées par certaines juridictions pour en faciliter la généralisation plutôt que d'institutionnaliser des modalités rigides et contraignantes.

DEUXIÈME PARTIE : LE REDRESSEMENT
ET LA LIQUIDATION JUDICIAIRES

L'amélioration de l'efficacité du dispositif actuel repose, de manière primordiale, sur l'anticipation de l'ouverture de la procédure collective. Se posent aussi des problèmes de coordination de ces procédures avec les dispositions de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. Enfin, on signalera quelques difficultés ou incohérences apparues dans la pratique à propos de certaines dispositions de la loi du 25 janvier 1985.

A) L'OUVERTURE ANTICIPÉE DU REDRESSEMENT OU DE LA LIQUIDATION JUDICIAIRES

En l'état actuel des textes, l'ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaires est subordonnée à la constatation de l'état de cessation des paiements du débiteur, défini par l'article 3 de la loi du 25 janvier 1985 comme l'impossibilité pour celui-ci de faire face au passif exigible avec l'actif disponible c'est-à-dire, concrètement, l'arrêt du service de caisse, l'entreprise ne pouvant plus obtenir aucun crédit de son banquier (ou de ses fournisseurs). Comment, parvenue à cette phase ultime, l'entreprise, vidée de sa substance et atteinte dans ses oeuvres vives, pourrait-elle connaître d'autre issue qu'une liquidation judiciaire avec clôture pour insuffisance d'actif ?

Or, il peut résulter des constatations effectuées relativement à la situation de l'entreprise que la continuité de l'exploitation est définitivement compromise , ou encore, que la situation de l'entreprise conduit inéluctablement à la cessation des paiements, notions intermédiaires entre la cessation des paiements telle que définie par l'article 3 de la loi du 25 janvier 1985 et les "difficultés de nature à compromettre la continuité de l'exploitation" (article 34 de la loi n ° 84-148 du 1er mars 1984) ou la difficulté juridique, économique ou financière" ou encore les besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté aux possibilités de l'entreprise" (article 35 de la même loi).

A ce stade, les chances de succès d'un plan de redressement de l'entreprise sont, sans nul doute, bien supérieures. Et la liquidation judiciaire, lorsqu'il faut la prononcer, doit permettre un meilleur désintéressement des créanciers dans la mesure où, comme cela a déjà été indiqué, la période précédant immédiatement la cessation des paiements est généralement marquée par un accroissement spectaculaire du passif.

PROPOSITION

Il est proposé d'autoriser l'ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaires sur la base du critère ci-dessus dans l'une ou l'autre de ses formulations mais uniquement sur saisine d'office du tribunal ou encore sur saisine du tribunal par le procureur de la République ou par déclaration du débiteur, les créanciers devant toujours, quant à eux, établir l'état de cessation des paiements de celui-ci.

B ) LE RENVOI PAR LE JUGE-COMMISSAIRE A UNE FORMATION COLLEGIALE

Les pouvoirs du juge-commissaire sont ceux d'un juge unique. Il constitue à lui seul une juridiction dont la compétence est particulièrement étendue. Il est présent à toutes les étapes de la procédure et toutes les décisions de quelque importance, en dehors des plus graves qui appartiennent au tribunal, relèvent de son pouvoir juridictionnel ou requièrent à tout le moins son autorisation. Le juge-commissaire statue par voie d'ordonnances qui peuvent être frappées de recours devant le tribunal. Les jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances rendues par le juge-commissaire dans la limite de ses attributions ne sont susceptibles ni d'opposition ni de tierce opposition ni d'appel ni de pourvoi en cassation, à l'exception de ceux statuant sur les revendications (article 173.1° de la loi de 1985). Toutefois, la voie de l'appel et celle du pourvoi en cassation ont été ouvertes au ministère public par l'article 173-1 de la loi à l'encontre des jugements statuant sur les recours formés contre les ordonnances du juge-commissaire rendues en application des articles 154,155 et 156 de la loi (réalisation des actifs dans la procédure de liquidation judiciaire).

L'accomplissement de la tâche ainsi confiée au juge-commissaire ne soulève généralement pas de difficultés particulières en dépit de sa lourdeur. Il peut pourtant se faire que, dans certaines circonstances, compte tenu de l'ampleur des enjeux économiques et sociaux en cause comme de la parcimonie avec laquelle sont mesurées les voies de recours, la décision à prendre semble, à celui qui est investi de la mission de juger seul, peser d'un poids trop lourd.

Dans ces hypothèses, exceptionnelles, le juge-commissaire devrait être autorisé à renvoyer l'affaire devant la formation collégiale, à l'instar de ce qui est prévu pour le juge des référés par l'article 487 du nouveau Code de procédure civile.

Il importerait alors, pour préserver le principe du double degré de juridiction, de prévoir la possibilité de former appel de ces décisions devant la cour d'appel.

PROPOSITION

Il est proposé de modifier l'article 25 du décret du 27 décembre 1985 en y insérant la disposition suivante :

Le juge-commissaire a la faculté de renvoyer l'affaire devant la formation collégiale de la juridiction à une audience dont il fixe la date. L'ordonnance prise à cet effet est une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours.

Le recours contre la décision prise par la juridiction en formation collégiale est porté devant la cour d'appel

C) LA CONTINUATION DU BAIL COMMERCIAL EN COURS

L'article 37, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, relatif à la poursuite des contrats en cours, prévoit que lorsque la prestation (du débiteur) porte sur le paiement d'une somme d'argent, celui-ci doit se faire au comptant, sauf pour l'administrateur à obtenir l'acceptation, par le cocontractant du débiteur, de délais de paiement. L'alinéa 3 dispose qu'à défaut de paiement dans les conditions prévues à l'alinéa précédent et d'accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles, le contrat est résilié de plein droit.

Une sanction aussi radicale est de nature à rendre très difficile, pour ne pas dire impossible, toute négociation en vue de la cession du fonds de commerce du débiteur avec le droit au bail qui en constitue l'élément essentiel, puisqu'il suffit d'un retard, si minime soit-il, dans le paiement d'une échéance pour que le juge-commissaire n'ait qu'à constater la résiliation de plein droit du contrat sur la demande de tout intéressé (article 61-1 du décret n ° 85-I388 du 27 décembre 1985). Comment, d'ailleurs, concilier cette disposition avec celle de l'article 38 de la loi du 25 janvier 1985, selon lequel, à compter du jugement d'ouverture, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou la résiliation de plein droit du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise pour défaut de paiement des loyers et des charges afférentes à une occupation postérieure audit jugement, cette action ne pouvant être introduite moins de deux mois après le jugement d'ouverture ?

PROPOSITION

Il apparaît, en conséquence, nécessaire de modifier l'article 37 en précisant que les dispositions de ce texte ne concernent pas le bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise, dont la résiliation pour non paiement des loyers est régie par le seul article 38.

D) L'ARTICULATION DE L'ARTICLE 40 DE LA LOI DU 25 JANVIER 1985 AVEC LA LOI n° 91-450 DU 9 JUILLET 1991. L'EXERCICE DES VOIES D'EXÉCUTION PAR LES CRÉANCIERS DE L'ARTICLE 40

Selon le premier alinéa de l'article 40, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à leur échéance lorsque l'activité est poursuivie. En cas de cession totale ou lorsqu'elle ne sont pas payées à l'échéance en cas de continuation, elles sont payées par priorité à toutes les autres créances, assorties ou non de privilèges ou sûretés, à l'exception des créances garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 752-15 du Code du travail. En cas de liquidation judiciaire, elles sont payées par priorité à toutes les autres créances, à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles précités, des frais de justice, de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application de la loi n ° 51-59 du 18 janvier 1951 relative au nantissement de l'outillage et du matériel d'équipement. Leur paiement se fait dans l'ordre prévu au dernier alinéa de l'article 40.

Il résulte de l'affirmation de principe énoncée au début de l'article 40 que les créanciers dont la créance a son origine postérieurement au jugement d'ouverture sont en droit d'exiger leur paiement intégral à l'échéance si l'administrateur ou le débiteur dispose des fonds nécessaires comme cela devrait, logiquement, toujours être le cas, eu égard aux conditions drastiques auxquelles l'article 37 soumet la poursuite des contrats. A défaut de paiement volontaire, ces créanciers peuvent, dans les conditions du droit commun, engager des poursuites en vue du paiement et exercer toute voie d'exécution. La jurisprudence de la Cour de cassation décide, en outre, que le classement prévu par l'article 40 ne constitue pas un obstacle aux poursuites, le paiement à l'échéance n'étant pas subordonné à l'existence entre les mains du mandataire de fonds suffisants pour assurer le respect de ce classement lequel, en définitive, ne trouve à s'appliquer qu'en cas de concours sur un bien déterminé.

Aux termes de l'article 43 de la loi du 9 juillet 1991, l'acte de saisie (attribution) emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate de la créance saisie disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires, la signification ultérieure d'autres saisies ne remettant pas en cause cette attribution. Il s'ensuit, selon un arrêt de la chambre commerciale en date du 11 février 1997, que tout créancier postérieur peut, lorsque sa créance, liquide et exigible, est constatée par un titre exécutoire, saisir certaines créances du débiteur et être, en qualité de premier saisissant, le premier payé, quel que soit l'ordre de sa créance, peu important, éventuellement, l'existence d'autres créances d'un rang préférable dans l'ordre de classement établi par l'article 40.

Cette situation doit-elle être corrigée ? Une réponse négative paraît s'imposer sous peine de compromettre le financement de la période d'observation, qui suppose la poursuite des contrats avec les fournisseurs et prestataires lesquels ne s'exécuteront que s'ils disposent, en cas de besoin, des outils procéduraux nécessaires pour se faire payer à l'échéance sans avoir à subir les attentes et aléas d'un classement qui peut donner lieu à contestation. On ajoutera que la mise en place d'un véritable système organisé de prévention sous contrôle judiciaire, en anticipant le sauvetage, aurait pour conséquence de réduire la fréquence des conflits entre l'objectif légal de sauvegarde de l'entreprise et la satisfaction, légitime, des intérêts des créanciers postérieurs.

Cependant, l'application des principes ci-dessus se trouve restreinte de manière significative dans la pratique par les dispositions de l'article 173 du décret n ° 85-1388 du 27 décembre 1985, aux termes duquel aucune opposition ou procédure d'exécution de quelque nature qu'elle soit sur les sommes versées à la Caisse des dépôts et consignations n'est recevable. Dans un arrêt du 22 avril 1997, la chambre commerciale de la Cour de cassation a fait application de cette règle à un avis à tiers détenteur délivré au liquidateur, tiers saisi, pour obtenir l'attribution de sommes versées à ladite Caisse.

On observera 46 ( * ) que l'exclusion de toute procédure d'exécution sur les sommes susvisées, désormais applicable à l'égard de quiconque 47 ( * ) , est concomitante aux changements apportés aux modalités de fonctionnement des comptes relatifs aux procédures collectives.

Alors que, sous le régime antérieur à la loi du 25 janvier 1985, il existait des comptes de consignation ouverts au nom de l'affaire en règlement judiciaire ou en liquidation des biens et soumis à une procédure de réception et de restitution des sommes consignées, ainsi que des comptes de répartition affectés au paiement de dividendes aux créanciers admis, il n'y a plus désormais que des comptes de dépôt à vue (compte AGS, compte général, compte de répartition, compte à terme), non individualisés et fonctionnant sous la responsabilité des mandataires de justice qui en sont titulaires. La Caisse des dépôts et consignations n'est pas en situation d'individualiser les sommes appartenant à chaque procédure et n'est tenue à aucune surveillance particulière, à l'exception des contrôles applicables d'une manière générale aux comptes de dépôt à vue. Dans ces conditions, l'immunité renforcée prévue par l'article 173 du décret du 27 décembre 1985 au profit des fonds déposés à la Caisse aurait, en quelque sorte, accompagné le mouvement.

Toujours est-il, d'une part, que la légalité de cette disposition est mise en doute au regard de l'article 14.1° de la loi du 9 juillet 1991 dès lors qu'il résulte de ce dernier texte que l'insaisissabilité de certains biens ne peut être prononcée que par la loi.

On doit craindre, d'autre part, qu'en réduisant sensiblement l'étendue des sommes susceptibles de faire l'objet de voies d'exécution de la part des créanciers de l'article 40, l'article 173 ne préjudicie, en définitive, au crédit de l'entreprise soumise à la procédure collective et à son redressement en incitant les créanciers de la période d'observation à exiger un paiement comptant.

Il convient, enfin, de signaler qu'il serait dans les intentions de la Chancellerie d'imposer, très prochainement, une gestion individualisée des comptes, procédure par procédure, ce qui est techniquement assez simple à réaliser.

PROPOSITION

Il y a lieu, en conséquence, d'envisager la suppression de la disposition contenue dans l'article 173 du décret du 27 décembre 1985.

E) LA SAISIE-ATTRIBUTION DES CRÉANCES A EXÉCUTION SUCCESSIVE

Il s'agit, cette fois, du recouvrement de créances ayant leur origine antérieurement au jugement d'ouverture et pour le paiement desquelles des saisies-attributions ont été pratiquées, avant ce jugement, sur des créances à exécution successive (loyers, salaires etc..) dont le débiteur était titulaire sur des tiers. L'effet d'attribution immédiate de la saisie continue-t-il de s'appliquer aux termes non encore échus, nonobstant l'ouverture de la procédure collective ? Un avis de la Cour de cassation en date du 16 décembre 1994 répond affirmativement. Une telle solution doit-elle être consacrée ?

L'article 13, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution prévoit que les saisies peuvent porter sur les créances conditionnelles, à terme ou à exécution successive. L'article 43, alinéa 2, de la même loi dispose que la survenance d'un jugement portant ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires ne remet pas en cause l'effet d'attribution immédiate de l'acte de saisie-attribution. Enfin, l'article 69 du décret n ° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d'exécution pour l'application de la loi précitée prescrit d'appliquer à la saisie des créances à exécution successive ses articles 55 à 68 qui fixent les conditions de mise en oeuvre de la saisie-attribution.

Cependant, aucune des dispositions précitées ne prévoit expressément que l'absence de remise en cause de l'effet d'attribution immédiate de la saisie par suite de l'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires s'étend aux créances à exécution successive. Or, la règle du dessaisissement qui frappe, dès sa naissance, ne serait-ce qu'un instant de raison, et avant même qu'elle ne puisse être affectée par la saisie, la créance apparue après le jugement d'ouverture, devrait interdire, en l'absence de dérogation légale formulée en termes explicites, d'appliquer l'effet d'attribution immédiate à cette créance, indisponible dans le patrimoine du débiteur saisi.

Conforme aux règles d'ordre public de la législation sur les procédures collectives, la solution présente, en outre, l'avantage de corriger, en le limitant, l'effet dévastateur sur la consistance des actifs des saisies-attributions opérées sur des créances à exécution successive antérieurement au jugement d'ouverture.

PROPOSITION

Il est souhaitable que cette solution soit consacrée par une disposition expresse de la loi du 9 juillet 1991.

F) LA CESSION A DES TIERS (articles 21, alinéa 4 et 155, alinéa 3, de la loi du 25 janvier 1985)

L'interdiction d'acquérir édictée par ces deux textes ne saurait être discutée dans son principe car elle constitue un facteur important de moralisation des procédures de cession.

On peut accessoirement s'interroger sur la différence de rédaction entre l'article 21 et l'article 155 dont une lecture stricte pourrait laisser entendre que l'acquisition par personne interposée serait admise dans le cadre de l'article 155, ce qui ne correspond sans doute pas à la volonté du législateur.

Plus fondamentalement, le dispositif légal engendre une réelle difficulté pratique lorsque le seul repreneur possible n'est pas un tiers au sens de l'article 21, alinéa 5, ce qui est le cas, par exemple, d'un administrateur de la société à céder.

Le souci, très légitime, d'éviter une collusion entre le débiteur et l'auteur de l'offre permettant d'effacer les dettes à travers une Accession arrangée peut, dans certains cas, conduire, par suite de la rigueur du texte, à empêcher la survie de l'entreprise et des emplois qui lui sont attachés, la seule issue légale étant la disparition de l'unité économique et la vente dispersée des actifs.

Ne pouvant se résoudre à cette situation et dès lors qu'aucune fraude ne peut être suspectée, les juridictions ont recours à des interprétations très audacieuses de la loi qui, même si elles se font sans opposition du parquet (qui se résout à fermer les yeux dans l'intérêt de l'entreprise), ne sont pas satisfaisantes.

Il serait donc opportun, à l'image de ce qui est prévu par l'article 21, alinéa 5, en faveur des entreprises agricoles, d'instituer également une faculté de dérogation pour les autre entreprises.

Mais, eu égard à son caractère exceptionnel, cette faculté devrait être conditionnée, comme en matière de location-gérance, par une demande expresse du parquet.

PROPOSITION

Il pourrait, ainsi, être rajouté aux articles 21 et 155 un alinéa disposant que :

Lorsqu'il s'agit d'une entreprise autre qu'une exploitation agricole, le tribunal peut, à la demande du procureur de la République, accorder une dérogation à cette interdiction .

Si l'on souhaite que soit plus clairement proclamée la finalité de cette dérogation, le texte pourrait, par référence à l'article 1 de la loi, être ainsi rédigé :

Lorsqu'il s'agit d'une entreprise autre qu'une exploitation agricole, le tribunal peut, lorsque la sauvegarde de l'entreprise, le maintien de l'activité et de l'emploi et l'apurement du passif le justifient et à la demande du procureur de la République, accorder une dérogation à cette interdiction.

G) L'INTERDICTION POUR LES CONTRÔLEURS DE SE PORTER ACQUÉREURS DES BIENS DU DÉBITEUR

L'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 punit des peines prévues par l'article 314-2 du Code pénal Atout administrateur, représentant des créanciers, liquidateur, commissaire à l'exécution du plan ou toute autre personne, à l'exception des contrôleurs et des représentants des salariés qui, ayant participé à un titre quelconque à la procédure, se rend acquéreur pour son compte, directement ou indirectement, de biens du débiteur ou les utilise à son profit. La juridiction saisie prononce la nullité de l'acquisition et statue sur les dommages-intérêts qui seraient demandés.

Cette disposition, dont l'objet est de prévenir tout conflit d'intérêts et aussi toute suspicion vis-à-vis des professionnels qui interviennent dans le déroulement du redressement ou de la liquidation judiciaires,

participe à l'assainissement de la procédure collective. Dans une telle perspective, l'exception prévue en faveur des contrôleurs est critiquable. Ceux-ci sont, en effet, des créanciers chargés, pour la durée de la procédure, d'assister le représentant des créanciers ou le liquidateur dans ses fonctions relatives, notamment, à l'établissement du passif et le juge-commissaire dans sa mission de surveillance de l'administration de l'entreprise. Bien qu'ils n'aient pas qualité pour représenter les créanciers, différentes dispositions leur permettent d'être informés ou consultés aux différents stades de la procédure et ils peuvent même prendre certaines initiatives susceptibles d'influer sur le cours de celle-ci (v. article 36, alinéa 1er et article 37, alinéa 3, de la loi de 1985), ce qui leur confère, par rapport aux autres candidats repreneurs, une position privilégiée de nature à autoriser bien des suppositions.

PROPOSITION

Il est donc proposé d'étendre aux contrôleurs l'interdiction d'acquérir les biens du débiteur prévue à l'article 207, en supprimant dans ce texte les mots des contrôleurs.

H) LA TRANSPARENCE DES OFFRES

La publicité des offres fait l'objet, dans la loi du 25 janvier 1985 et le décret d'application du 27 décembre 1985, d'un régime différent selon qu'il s'agit d'offres tendant à la présentation d'un plan pour l'entreprise en redressement judiciaire ou de la vente d'unités de production dans le cadre de la liquidation judiciaire d'une entreprise.

Dans le premier cas, il est prévu à l'article 32 du décret, dans sa rédaction issue du décret du 21 octobre 1994, que l'offre reçue par l'administrateur en application de l'article 21 de la loi est déposée au greffe. L'auteur de l'offre doit attester qu'il ne tombe pas sous le coup des incapacités prévues au quatrième alinéa de l'article 21 et, lorsqu'il est tenu de les établir, joindre ses comptes annuels relatifs aux trois derniers exercices et ses comptes prévisionnels. Le troisième alinéa de l'article 32 susvisé dispose que « Sans préjudice des dispositions des article 25 et 83 de la loi précitée et 103-2 ci dessous, les offres et documents qui y sont joints ne sont communiqués qu'au juge-commissaire et au procureur de la République » . Il résulte de ce texte, ainsi que de l'article 144 de la loi de 1985, qu'ont également connaissance des offres, soit directement par la voie du greffe soit par l'intermédiaire de l'administrateur, le débiteur et les divers acteurs de la procédure. Mais le public et, par conséquent, les repreneurs potentiels ne sont informés que des caractéristiques essentielles des éléments d'actif qui pourront faire l'objet du plan ainsi que (du) délai pour le dépôt des offres aussitôt que celui-ci est fixé (article 32, alinéa 1er) et non pas de l'existence et du contenu des offres.

En revanche, lorsqu'il s'agit d'une vente d'unité de production, l'article 155, alinéa 4, de la loi du 25 janvier 1985 prévoit que l'offre est déposée au greffe du tribunal où tout intéressé peut en prendre connaissance. Elle est communiquée au juge-commissaire.

Il y a donc transparence dans un cas et opacité dans l'autre, celle-ci prenant appui, semble-t-il, sur la crainte de surenchères de la part de repreneurs qui seraient décidés à se maintenir dans la course au prix de propositions dépassant leurs possibilités et faisant, dès lors peser un risque sérieux sur l'aboutissement du plan. Mais outre que la distinction ainsi faite, selon qu'il s'agit de céder tout ou partie de l'entreprise en redressement judiciaire ou une unité de production de l'entreprise en liquidation judiciaire, est difficilement justifiable sur le plan logique, il apparaît que le secret imposé dans le premier cas présente plus d'inconvénients que d'avantages en raison de l'espace qui est laissé à la fraude et à la suspicion, fondée ou non.

PROPOSITION

Il est donc souhaitable d'unifier le régime de publicité des offres en prévoyant, dans tous les cas, leur communication à tout intéressé.

I ) LA SITUATION DU DIRIGEANT DE FAIT AU REGARD DE LA SANCTION PERSONNELLE ENCOURUE POUR NON DÉCLARATION DE L'ETAT DE CESSATION DES PAIEMENTS DANS LE DÉLAI LÉGAL

Seul le dirigeant de droit a qualité pour représenter la société vis-à-vis des tiers et, par conséquent, pour déclarer au greffe la cessation des paiements de la personne morale. Il est, dès lors, illogique de faire encourir la sanction de la faillite personnelle ou de l'interdiction de gérer au dirigeant de fait, qui est sans qualité pour procéder à cette déclaration. Pourtant, l'application d'une sanction à ce dirigeant est juridiquement possible en l'état du renvoi opéré en termes généraux par l'article 189 de la loi du 25 janvier 1985 à toute personne mentionnée à l'article 185".

PROPOSITION

Une modification de l'article 189 dans le sens indiqué ci-dessus apparaît donc souhaitable .

J) L'APPEL DU MINISTÈRE PUBLIC PARTIE JOINTE CONTRE LES JUGEMENTS STATUANT EN MATIÈRE DE SANCTIONS PERSONNELLES

Sous le régime de la loi du 13 juillet 1967, le procureur de la République n'avait pas l'initiative de l'action tendant au prononcé de sanctions personnelles (faillite personnelle, interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou seulement une personne morale), dans les cas prévus par la loi, contre les commerçants personnes physiques et les dirigeants sociaux de droit ou de fait. Il disposait, en revanche, du droit d'interjeter appel de la décision rendue.

En vertu de l'article 191 de la loi du 25 janvier 1985, le ministère public figure désormais au nombre des titulaires de l'action.

Lorsqu'il introduit l'instance, il a donc, dans celle-ci, le statut de partie principale avec tous les droits qui y sont attachés dont celui d'user des voies de recours.

Lorsque l'action est exercée par le tribunal se saisissant d'office ou par l'un des mandataires de justice énumérés à l'article 191, le ministère public, qui doit avoir communication de la procédure, figure à celle-ci comme partie jointe. Il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi (article 424 du nouveau Code de procédure civile),

ce qui ne le rend pas pour autant partie au procès. Il s'ensuit qu'il ne peut former ni appel, ni pourvoi en cassation, abstraction faite du cas original que constitue le pourvoi dans l'intérêt de la loi.

La loi du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires, sans doute animée par le souci d'un certain ordre public économique, a ouvert dans de nombreux cas la voie de l'appel et celle du recours en cassation au ministère public, même s'il n'a pas agi comme partie principale (articles 171, 174 et 175). Mais aucune disposition semblable ne figure dans la loi en ce qui concerne les jugements statuant sur les sanctions personnelles.

L'article 423 du nouveau Code de procédure civile, suivant lequel le ministère public (en dehors des cas spécifiés par la loi où il agit d'office) peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci , ouvre, certes, au procureur de la République la possibilité tant d'introduire l'action que d'exercer les voies de recours quand bien même il n'aurait été que partie jointe à l'instance initiale, mais à la condition que les faits dont il s'agit aient porté atteinte à l'ordre public.

Que la faillite personnelle, comme son démembrement l'interdiction de gérer, soit une mesure d'intérêt public , ainsi que l'énonce la chambre commerciale pour la distinguer des sanctions pénales, n'emporte pas que les décisions rendues en cette matière intéressent toujours et nécessairement l'ordre public. Pour ne prendre qu'un exemple, l'omission de déclarer la cessation des paiements, qui peut entraîner le prononcé de la faillite personnelle (article 189.5° de la loi du 25 janvier 1985), peut selon les circonstances qui l'ont entourée, apparaître comme ayant ou non lésé l'ordre public.

Il s'ensuit qu'en l'état actuel des textes, le recours du ministère public partie jointe contre une décision statuant en matière de sanction n'est recevable que si les faits soumis aux juges ont porté atteinte à l'ordre public. Ainsi en a décidé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 20 janvier 1998.

Cette situation n'est guère satisfaisante. Le régime des sanctions personnelles répond avant tout au souci d'écarter des relations commerciales les dirigeants malhonnêtes ou simplement incompétents.

PROPOSITION

Dans ce domaine, voisin du droit pénal, il est souhaitable que le parquet, qu'il ait ou non pris l'initiative de l'action, se voie reconnaître dans tous les cas, qu'il y ait ou non atteinte à l'ordre public, le droit d'exercer les voies de recours.

Il convient, à cet effet, d'envisager une modification de l'article 171 de la loi du 25 janvier 1985.

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Achevé à Paris, le 8 septembre 1998

* 45 V. Cozian et A. Viandier, Droit des sociétés, Litec, n 576 et s.

* 46 V. B. Soinne, Traité des procédures collectives, p. 949 et s.

* 47 Alors que l'article 84 du décret n° 67-1120 du 22 décembre 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens réservait les droits du Trésor public en cas de recouvrement de l'exercice de ses poursuites individuelles pour ses créances privilégiées antérieures au jugement d'ouverture, ce qui pouvait inciter à étendre la solution aux créanciers postérieurs, également non soumis à la suspension des poursuites individuelles.

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