LES ESSAIS NUCLÉAIRES FRANÇAIS

La décision de doter la France de l'arme atomique ayant été prise en février 1956, la question du choix d'un site destiné aux essais nucléaires s'est posée dès 1957. Le « groupe mixte des expérimentations nucléaires » est alors chargé de proposer ce choix au CEA, aux autorités militaires, et en dernier ressort au Gouvernement. La Polynésie et les îles Kerguelen sont un moment évoquées mais le choix se fixe en 1957 sur le Sahara, et plus particulièrement dans le secteur centre-ouest et centre de la partie alors sous souveraineté française de cet espace désertique.

Le régime habituel des vents qui permet une évacuation du nuage radioactif vers l'Est, pour peu que les principes de sécurité météorologique soient scrupuleusement respectés , a été, outre le caractère désertique du lieu, un facteur visiblement essentiel dans le choix.

Les trois autres états qui avaient précédé la France dans l'installation de centres d'expérimentations nucléaires avaient d'ailleurs fait le choix de zones désertiques continentales : le Nevada pour les Etats-Unis, le polygone de Semipalatinsk pour l'URSS et le désert d'Australie du Sud pour la Grande-Bretagne.

Seuls les Etats-Unis avaient d'abord commencé leurs essais aux îles Marshall puis les avaient menés concurremment sur le site du Nevada.

Le changement de site d'essais nucléaires était naturellement implicitement prévu avec la proclamation de l'indépendance de l'Algérie en juillet 1962, les recherches se portèrent sur la Polynésie française, plus particulièrement sur les atolls inhabités de Mururoa et de Fangataufa.

I - LES ÉVENTUELLES INCIDENCES 4 AU SAHARA

Le premier site d'essais se trouvait à 700 km au Sud de Colomb-Béchar, à côté de Reggane dans le Tanezrouf. La base avancée pour le tir était à Hamoudia. Cet ensemble, qui comprenait tous les moyens logistiques nécessaires (aérodromes, forages pour l'alimentation en eau, base-vie située à 15 km de Reggane), était dénommé CSEM (Centre Saharien d'Expérimentations Militaires) ; c'est là qu'ont eu lieu les quatre premiers tirs atmosphériques du 13 février 1960 au 25 avril 1961.

Le seul secteur comportant une population sédentaire notable se trouvait au Nord de Reggane et dans la vallée du Touat. Les essais en galerie eurent lieu, quant à eux, plus au Sud et à l'Est à proximité d'In Ecker, à 150 km au Nord de Tamanrasset, au CEMO (Centre d'Expérimentations Militaires des Oasis).

Au total, la population saharienne vivant dans un rayon de 100 km autour d'In Ecker ne dépassait pas deux mille personnes.

Les effectifs des personnels civils et militaires affectés aux essais comptaient environ 10 000 personnes au CSEM à Reggane et deux mille logées en base-vie au CEMO à In Ecker.

1. Les principes généraux de sécurité

#172; La sécurité des essais nucléaires était assurée par la surveillance du champ de tir et de l'ensemble du territoire.

#172; Susceptible de recevoir des retombées supérieures aux normes, ce territoire a souvent été déterminé assez largement par rapport aux retombées effectives qui ont pu y être observées : ainsi pour le tir Gerboise rouge (moins de 5 kt), la zone contrôlée s'étendait sur 230 km ; la « courbe » des isodoses à 5 mSv du tir montre que la longueur maximale a été, en fait, de moins de la moitié de cette distance (cf. figure en annexe).

#172; La surveillance météorologique était naturellement l'élément essentiel de la sécurité relative aux incidences du tir atmosphérique sur l'environnement et la santé. Pour ce qui concerne le Sahara, le Groupement Opérationnel des Expérimentations Nucléaires disposait, outre les données fournies par les réseaux mondiaux, des observations disponibles par un système de radars couvrant tout le Sahara pour les mesures jusqu'à de très hautes altitudes et des observations des postes locaux pour la mesure des vents dans les basses et moyennes couches de l'atmosphère. Le rôle prépondérant du facteur météorologique était assuré dans la chaîne de prise de décisions. Dans l'ouvrage « Les essais nucléaires français » l'enchaînement des décisions est décrit 5 :

« L'exploitation des mesures de météorologie est très étroitement liée aux décisions à prendre au niveau du GOEN 6 dans le cadre d'une chronologie des opérations de préparation du tir, de conduite des opérations avant et après l'explosion.

Avant le tir, à partir des prévisions à 48 heures, les prévisions s'affinent pour fournir avec un préavis de dix heures des indications précises et sûres en vue du déclenchement du tir. Les tracés des retombées appliquées aux cartes du Sahara indiquent alors très nettement les risques ou l'absence de risques.

Une fois acquis le « feu vert » politique et l'assurance que tout est prêt, principalement du côté du CEA, et aussi du côté des intervenants militaires, la décision de tirer ne dépend plus que de la météorologie. Il faut alors saisir la bonne occasion donnée par les prévisions dans les basses couches, souvent très instables.

Dans le cas des tirs souterrains à In-Ecker, l'essentiel des prévisions météorologiques pouvant intervenir dans la décision de tirer concerne les basses couches et même les très basses couches de l'atmosphère ».

Cette stricte soumission aux exigences de la situation météorologique a permis d'éviter tout incident et a fortiori tout accident pendant des tirs aériens qui se faisaient selon une technique diffusant une pollution radioactive certaine, celle du tir sur tour.

2. La sécurité radiologique

L'ensemble des règles et des pratiques de surveillance radiologiques des personnels, des populations et de l'environnement était déterminé par la Commission Consultative de Contrôle (CCC) créée en 1958.

A) Les normes

- Pendant la durée des essais, la France s'est conformée en permanence aux recommandations des organisations internationales compétentes, en particulier celles émises par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), recommandations reprises dans la réglementation européenne (J0 des 20 février 1959, 9 juillet 1962 et 2 juin 1965) puis nationale (JO du 20 juin 1966) 7

- Les personnes pouvant être soumises aux effets de la radioactivité générée par les essais étaient classées en deux catégories : la première : le personnel directement lié aux essais, le personnel des armées, le personnel du CEA et des entreprises, les travailleurs employés sur les sites ; la deuxième : les populations voisines du champ de tir.

Doses maximales admissibles :

Pour les personnels de la 1 ère catégorie, les normes d'irradiation globale, c'est-à-dire concernant l'ensemble de l'organisme, avaient été fixées par la CCS (Commission Consultative de Sécurité) le 5 novembre 1958, suivant les recommandations de la CIPR, soit :

- La dose maximale admissible est calculée en fonction de l'âge et d'une dose moyenne annuelle de 50 mSv. La dose délivrée à l'organisme entier à l'âge N ans ne devant pas dépasser : 50 mSv (N -18).

- La dose maximale cumulée pendant une période de 13 semaines consécutives peut atteindre 30 mSv.

- Lors d'une irradiation externe exceptionnelle concertée, la dose ne doit pas dépasser la limite de 120 mSv à l'organisme entier, 300 mSv à la thyroïde et à l'os, et 150 mSv aux autres organes.

Pour les populations, la dose maximale admissible annuelle était fixée par la CCS à 15 mSv en 1960 puis 5 mSv à partir de 1961.

- Les concentrations maximales admissibles dans l'air, les eaux de boisson (CMA) et les Quantités Maximales Admissibles dans l'organisme (QMA) ont été également fixées par la CCS en suivant les recommandations de la CIPR (rapport de la Commission de 1959).

B ) Le contrôle de la radioactivité

Le contrôle des retombées se faisait à deux niveaux :

- proche : des mesures systématiques et répétées de la contamination du sol et de l'air étaient effectuées à proximité des expériences aériennes et dans l'axe des retombées, là où une contamination importante pouvait se produire. Les mesures étaient réalisées par des unités spécialisées à terre ou par avion. Elles permettaient de délimiter la "zone de retombée" : quelques dizaines à quelques centaines de kilomètres, le jour J de l'expérimentation. Du fait des périodes très courtes de nombreux radioéléments, les dimensions de la zone où la radioactivité était directement détectable décroissaient très vite (décroissance de la radioactivité d'un facteur 100 entre une heure et 48 heures après le tir).

- lointain : à l'extérieur de la zone dans laquelle la radioactivité était directement mesurable, les traces d'activité dans les sols, l'air, les précipitations, les végétaux, l'eau de boisson ou les éléments étaient détectables uniquement par des mesures fines, effectuées en laboratoire à partir de prélèvements. Un réseau de surveillance implanté principalement au Sahara, mais aussi dans les Etats de la Communauté et dans quelques ambassades, permettait d'effectuer des prélèvements dans les différents milieux (air, sol,...) et ainsi d'évaluer les retombées plus lointaines et à l'échelle mondiale.

Ce réseau (figure 1) a été conservé pendant toute la durée des essais aériens et souterrains.

Le suivi des populations locales et du personnel participant aux essais

#172; Lors des expériences aériennes, la sécurité radiologique des populations locales a été assurée par :

- le blocage des pistes chamelières et le contrôle de l'absence de populations nomades des zones pouvant être affectées par les retombées ;

- des prévisions météorologiques permettant de garantir que les retombées proches des quatre expériences aériennes ne touchent que de vastes étendues désertiques (cf. supra) ;

- un contrôle étendu de la radioactivité dans l'environnement permettant d'interdire l'accès à la zone des retombées proches.

- des mesures ponctuelles de recherche de contamination interne (spectrométrie ã) effectuées sur des populations sédentaires résidant à proximité des sites et sur des nomades transitant dans la région.

#172; Lors des expériences souterraines en galerie, la sécurité radiologique des populations locales a été assurée  par :

- l'importance des données et des prévisions météorologiques qui permettaient de s'assurer qu' en cas de confinement imparfait le nuage radioactif n'affecterait que des zones désertiques.

- les nombreuses mesures de radioactivité dans l'environnement à plus de 100 km du point zéro

#172; Toute personne participant aux essais et susceptible d'être exposée aux rayonnements ionisants, qu'elle soit militaire, du CEA ou des entreprises faisait l'objet d'une surveillance médicoradiobiologique (visite médicale, bilan sanguin, dosimétrie de l'exposition externe et éventuellement mesure de la contamination interne par spectrométrie ã).

Figure 1 : implantation du réseau de postes de contrôle de radioactivité

La dosimétrie de l'exposition externe individuelle a été pratiquée dès le début des essais et ce, d'une manière systématique : 24 000 personnes ont ainsi été suivies dont près de 8 000 pour les quatre tirs aériens. A cet égard, il y a lieu de signaler qu'il semble bien que parmi les autres puissances nucléaires on ne trouve pas de pratiques systématiques de surveillance dosimétrique et que dans certains cas, on en soit même très loin.

3. Les essais atmosphériques : caractéristiques et incidences

3.1. L'ensemble des faits

Ces caractéristiques et les incidences des quatre tirs aériens dénommés « Gerboise » en nom de code sont synthétisées dans le tableau ci-après :

Le premier tir « Gerboise bleue » (13 février 1960) remplit les objectifs fixés tant pour le CEA que pour les Armées, notamment au regard de la puissance atteinte qui était prévue de 60 à 70 kt et qui se réalisa au maximum de cette hypothèse. Sans entrer dans l'analyse technique, il convient de rappeler que la puissance effective du tir ne peut être prévue avec exactitude avant le tir.

Pour le troisième tir, « Gerboise rouge » (27 décembre 1960), il semblerait précisément que la puissance effective, inférieure à ce qui était fixé comme objectif, ait posé un problème de validité qui fit l'objet de recherches récurrentes.

Le deuxième tir « Gerboise blanche » (1 er avril 1960) avait été effectué, quant à lui, peu de temps après le premier avec « l'engin de secours » prévu au cas où ce dernier n'aurait pas ou mal fonctionné. D'une puissance volontairement beaucoup plus limitée, il fut réalisé sur une plate-forme au niveau du sol ; cette technique risquait de se révéler nettement plus polluante : formation d'un cratère et retombées d'une quantité importante de particules lourdes contaminées sur une étendue non négligeable. A cette fin, l'emplacement du tir (point zéro) fut déterminé beaucoup plus au Sud (une quinzaine de kilomètres) que l'emplacement de « Gerboise bleue » et de ceux prévus pour les tirs suivants.

Toutefois, les mesures ont montré que cette contamination s'est révélée nettement plus limitée que ce que l'on avait craint.

Le quatrième et dernier essai atmosphérique du Sahara (« Gerboise verte ») fut marqué par une circonstance politique particulière : le putsch des généraux du 22 avril 1961 venait de se déclencher et il apparaît que le tir lui-même en a été quelque peu anticipé : il a eu lieu le 25 avril. Les conditions météorologiques, sans être dangereuses, n'étaient pas favorables à une bonne exploitation des données.

Globalement, et pour l'ensemble des tirs au sein de la région complètement désertique où portaient les vents, la zone dans laquelle les retombées induisaient un débit de dose supérieur à 0,1 mGy/heure, 24 heures après le tir, avait une longueur comprise entre 10 et 150 km, et une largeur de 10 à 20 km en fonction de l'énergie mise en _uvre au cours du tir.

Quelques mois après l'essai, par le jeu de la décroissance radioactive, la zone dans laquelle le débit de dose restait supérieur à 0,1 mGy/heure était réduite à un cercle ayant un rayon de 100 à 300 mètres.

L'annexe 1 (en couleur) montre par les « plumes » de chaque tir les doses qu'aurait reçu une population hypothétique présente dans le périmètre des retombées (à l'exception du polygone de tir lui-même).

3.2. Les incidences sanitaires sur le personnel et les populations locales

Sur près de 8 000 résultats de mesures de dosimétrie externe, 97 % sont inférieurs à 5 mSv et les 6 valeurs les plus élevées sont comprises entre 50 et 100 mSv. La dose reçue, par les pilotes des « Vautours » 8 chargés d'effectuer les prélèvements dans le nuage, n'a pas dépassé les 100 mSv. Il y a lieu de signaler à cet égard que les limites d'exposition pour ces personnels étaient fixées à un niveau qui était au quart de celui de leurs homologues américains, cela, il est vrai, quelques années plus tôt, au Nevada et aux îles Marshall.

Des mesures anthropogammamétriques de contrôle de la contamination interne ont été effectuées après les tirs de « Gerboise » sur environ 195 personnes (125 civils et 70 nomades). Elles ont donné des résultats négatifs (absence de contamination). Globalement l'exposition des populations locales imputable aux essais aériens français a été faible et toujours inférieure aux recommandations de la CIPR concernant les populations civiles.

3.3. Les résultats des mesures dans l'environnement

Au-delà de quelques centaines de kilomètres, le passage d'aérosols radioactifs ou les traces d'activité déposées sont alors détectés par des méthodes de mesures fines en laboratoire. Ces mesures portent sur la radioactivité de l'air, des précipitations, de l'eau, du sol, des végétaux, des produits alimentaires.

- La radioactivité de l'air est présentée sous forme graphique (tableau). Les valeurs trouvées sont généralement inférieures à la norme de concentration admissible courante. Elles la dépassent toutefois ponctuellement dans quelques endroits. Les valeurs les plus élevées, comprises entre 370 et 3700 Bq/m 3 , ont été atteintes à Arak, Amguid et Ouallen; leur durée n'a pas excédé quelques heures. Des valeurs comprises entre 37 et 370 Bq/m 3 ont été observées à Amguid, Arak, Ouallen, Fort Lamy, pour une durée inférieure dans tous les cas à quatre jours. Le dépassement de la concentration admissible en permanence, ne s'est donc manifesté que pour des durées très courtes.

Les doses ont été calculées pour les points où ont été relevées les plus fortes concentrations ; elles sont données dans le tableau ci-dessous :

POSTES DE CONTROLE

DOSES (mSv)

AMGUID

0,100

ARAK

0,200

FORT LAMY

0,120

OUAGADOUGOU

0,100

OUALLEN

0,600

ZINDER

0,060

Pour les autres stations, les doses sont infiniment plus faibles. En résumé, on doit donc remarquer que dans tous les cas, les résultats sont très en dessous de la norme de 5 mSv par an. De plus, les postes de Bordj Arak et de Ouallen où les niveaux de radioactivité étaient les plus élevés, ne comportaient pas de population sédentaire en dehors d'une petite garnison militaire pour laquelle toutes les mesures de protection avaient été prises.

- La radioactivité des précipitations est présentée par le graphique (page 33). Parmi les pointes enregistrées en 1960 et 1961, seules sont significatives celles correspondant au premier essai (Gerboise bleue). Il est intéressant de comparer ces pointes aux valeurs observées en 1958 et en 1959 à la suite des essais nucléaires étrangers. Pour la plupart des stations, les niveaux maximum atteints en 1960 sont de l'ordre du dixième des niveaux enregistrés en 1959.

- Pour la radioactivité de l'eau, les valeurs les plus élevées ont été décelées immédiatement après l'explosion Gerboise bleue à Bordj Arak, où l'on a mesuré de l'ordre de 10 7 Bq/m 3 , et 4.10 6 à 8.10 6 Bq/m 3 à El Golea et à In Salah. Ces valeurs sont redescendues rapidement au-dessous de la norme eau de boisson pour les populations. Il faut noter que pour des eaux à forte teneur en sels, ce qui est précisément le cas en ces points, la radioactivité naturelle due principalement au potassium 40 ( 40 K), vient s'ajouter, lors des mesures, à l'activité due aux retombées.

- Lorsqu'il ne s'agit pas de plantes alimentaires, la mesure de la radioactivité des végétaux n'a qu'une valeur indicative en l'absence de normes. Il s'agissait surtout de s'assurer, grâce à des contrôles échelonnés sur plusieurs mois, qu'il ne se manifeste pas de phénomènes d'accumulation. Ce but a été atteint car on a pu vérifier que l'activité des plantes est restée de l'ordre de grandeur de la radioactivité naturelle dans la majorité des cas.

- Les contrôles effectués sur les produits alimentaires n'ont décelé aucune contamination présentant un risque sanitaire. Aucune restriction de consommation n'a donc été prescrite. La teneur en substances radioactives des aliments prélevés aux points où un accroissement de la radioactivité de l'air avait été observé, se révèle être du même ordre que celle que l'on observe normalement en Europe, donc parfaitement acceptable sur le plan sanitaire.

Une étude particulièrement poussée a été effectuée sur le lait car il constitue l'élément le plus représentatif de la chaîne alimentaire. L'étude a porté sur les teneurs en césium 137 ( 137 Cs) et en strontium 90 ( 90 Sr). Les prélèvements effectués en France au cours de l'année 1959 et de l'année 1960, ont permis de déceler une légère diminution des teneurs en 137 Cs et en 90 Sr. Les prélèvements effectués en Europe et en Afrique, à la suite des expériences nucléaires françaises, ont donné les valeurs en général plus faibles qu'en France.

4. Les essais nucléaires souterrains

Le moratoire sur les essais nucléaires atmosphériques appliqué de facto depuis la fin de l'année 1958 par l'Union soviétique, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne fut rompu en septembre 1961 par l'URSS, suivie en avril 1962 par les Etats-Unis. Entre temps, la France, qui était la seule à pratiquer en 1960 et 1961 des essais atmosphériques, décida d'y mettre un terme en passant aux essais souterrains. Elle s'engagea donc dans cette voie, notamment afin de répondre aux critiques relatives aux retombées, au moment où l'URSS allait pratiquer un nombre de tirs très élevé (136) pour une puissance considérable dont le plus important essai jamais réalisé : celui de 50 Mt le 30 octobre 1961 en Nouvelle Zemble ; les Etats-Unis de leur côté ont pratiqué d'avril 1962 à novembre 1962 40 tirs dont les deux plus élevés à 7,45 et 8,3 Mt.

Les implantations du CEMO (Centre d'Expérimentations Militaires des Oasis) étaient situées dans le Hoggar et les expérimentations avaient lieu plus particulièrement dans le massif granitique du Tan Afella près d'In-Ecker, à 150 km au Nord de Tamanrasset.

Ces tirs souterrains ont été conçus de façon comparable aux techniques mises en _uvre à l'époque par les Américains du Nevada.

Le massif lui-même a un pourtour de 40 km environ et se situe entre 1500 et 2000 m d'altitude, le plateau environnant étant à 1000 m d'altitude. Les tirs avaient lieu au fond de galeries creusées horizontalement dans la montagne et dont la longueur totale était d'un kilomètre approximativement. La galerie de tir proprement dite se terminait en colimaçon de telle manière que l'effet mécanique du tir sur la roche provoque la fermeture de la galerie. Un bouchon de béton fermait l'entrée de la galerie à la sortie. Sur les côtés de la galerie étaient aménagées des recoupes où de nombreux appareils de mesures et d'enregistrement étaient placés.

L'essentiel, sinon la totalité des produits et éléments radioactifs restait ainsi confiné dans la cavité créée par le tir. Entre le 3 novembre 1961 et le 16 février 1966, il fut ainsi procédé à treize tirs dont les caractéristiques sont indiquées ci-après :

Date

Nom de code

Puissance

7 novembre 1961

1 er mai 1962

18 mars 1963

30 mars 1963

20 octobre 1963

14 février 1964

15 juin 1964

28 novembre 1964

27 février 1965

30 mai 1965

1 er octobre 1965

1 er décembre 1965

16 février 1966

Agathe

Béryl

Emeraude

Améthyste

Rubis

Opale

Topaze

Turquoise

Saphir

Jade

Corindon

Tourmaline

Grenat

Moins de 20 kt

Moins de 30 kt

Moins de 20 kt

Moins de 5 kt

Moins de 100 kt

Moins de 5 kt

Moins de 5 kt

Moins de 20 kt

Moins de 150 kt

Moins de 5 kt

Moins de 5 kt

Moins de 20 kt

Moins de 20 kt

5. Bilan radiologique des essais souterrains

Quatre essais souterrains sur treize n'ont pas été totalement contenus ou confinés : Béryl, Améthyste, Rubis et Jade. Les deux premiers cités ont entraîné une sortie de laves radioactives. Dans les deux autres cas, les sorties limitées à des radioéléments gazeux ou volatils n'ont pas provoqué d'expositions significatives au plan de la santé du personnel et des populations.

5.1. L'accident Béryl (1 er mai 1962)

Pour assurer le confinement de la radioactivité, le colimaçon était calculé pour que l'onde de choc le ferme avant l'arrivée des laves. Lors de la réalisation de cet essai, le 1 er mai 1962, l'obturation de la galerie a été trop tardive. Une fraction égale à 5 à 10 % de la radioactivité est sortie par la galerie, sous forme de laves et de scories projetées qui se sont solidifiées sur le carreau de la galerie, d'aérosols et de produits gazeux formant un nuage qui a culminé jusqu'aux environs de 2600 m d'altitude à l'origine d'une radioactivité détectable jusqu'à quelques centaines de kilomètres.

Le nuage radioactif formé était dirigé plein Est. Dans cette direction, la contamination atmosphérique était significative jusqu'à environ 150 km, distance sur laquelle il n'y avait pas de population saharienne sédentaire. Localement, en revanche une contamination substantielle (induisant une exposition supérieure à 50 mSv) a touché une centaine de personnes.

Les conséquences sanitaires

La trajectoire du nuage est passée au-dessus du poste de commandement où étaient regroupées les personnalités (notamment deux ministres, MM. Pierre Messmer et Gaston Palewski) et le personnel opérationnel. Malgré le port du masque respiratoire et une évacuation rapide (entre H+2 minutes où le débit de dose était inférieur à 1 mGy/h et H + 8 minutes où le débit de dose était de 3 Gy/h), une quinzaine de personnes ont reçu un équivalent de dose de quelques centaines de millisieverts. L'irradiation a été essentiellement d'origine externe, les masques ayant été correctement utilisés.

Près de 2000 personnes participaient à la réalisation de cet essai. La répartition des résultats de la dosimétrie externe est résumée dans le graphique ci-dessous.

Répartition des résultats de la dosimétrie externe pour l'essai Béryl en fonction des intervalles de doses en mSv.

Neuf personnes situées dans un poste isolé ont traversé la zone contaminée après avoir, au moins temporairement, ôté leur masque. Dès leur retour en base vie (H+6), elles ont fait l'objet d'une surveillance clinique, hématologique (évolution des populations cellulaires sanguines) et radiologique (spectrogammamétrie, mesures d'activité dans les excrétats).

Les équivalents de dose engagée reçus par ces personnes ont été évalués à environ 600 mSv.

Ces neuf personnes ont été ensuite transportées à l'hôpital militaire Percy à Clamart pour surveillance et examens radiobiologiques complémentaires. Le suivi de ces neuf personnes n'a pas révélé de pathologie spécifique.

Le contrôle de la contamination interne, par examens spectrométriques, a montré que celle-ci était faible. Dans le cas particulier des 9 personnes les plus exposées, la dose engagée par cette voie est évaluée à moins de 10 mSv, valeur négligeable par rapport à celle de l'exposition externe.

Les équivalents de dose qui auraient été reçus par des populations présentes au moment de la retombée et qui auraient ensuite séjourné au même endroit ont été évalués. Les populations nomades du Kel Torha, les plus exposées (240 personnes évoluant à la frange nord de la retombée) auraient ainsi pu recevoir des équivalents de dose cumulée allant jusqu'à 2,5 mSv (de l'ordre de grandeur d'une année de radioactivité naturelle).

Les conséquences environnementales

Pour la radioactivité atmosphérique, les mesures de la radioactivité des aérosols étaient réalisés dans les postes de mesure permanents implantés à Oasis 2, et à la « Base-vie ». Les résultats des mesures effectuées dans le courant du mois de mai 1962, après l'expérimentation, sont donnés dans le graphique ci-dessous :

Bq/m 3

Radioactivité atmosphérique au cours du mois de mai 1962 (valeurs moyennes).

Toutes les mesures effectuées donnent des valeurs assez élevées correspondant à l'arrivée du nuage, puis ensuite donnent des valeurs nettement inférieures aux concentrations maximales admissibles en permanence pour le public (CMA air 168 h public à J+5 pour un mélange de produits de fission : 75 Bq/m 3 ). On peut considérer que la radioactivité atmosphérique est redevenue normale lorsque la valeur de 0,2 Bq/m 3 est atteinte, valeur correspondant approximativement à la radioactivité résiduelle due aux expérimentations étrangères de 1961.

Pour l'eau, les valeurs atteintes ne dépassent pas les concentrations admissibles pour le public (CMA eau de boisson 168 h public à J + 1 pour un mélange de produits de fission : 1500 kBq/m 3 ).

5.2. L'essai Améthyste

Lors de cette expérience réalisée le 30 mars 1963, il y a eu sortie d'une faible quantité de scories de roches fondues qui s'est déposée sur le carreau de la galerie. Un panache contenant des aérosols et des produits gazeux, en quantité beaucoup plus faible que dans le cas de Béryl, s'est dirigé vers l'Est Sud-Est.

Les conséquences ont été très faibles sur le plan dosimétrique :

- à Oasis 2 (10 km de la zone d'expérimentation), l'irradiation externe a atteint temporairement 0,2 mGy/h. Les dosimètres de tous les personnels basés à Oasis 2 qui ne sont pas intervenus sur le chantier de l'essai, ont tous été négatifs en mars et avril 1963. Pour ces personnels, l'équivalent de dose externe intégrée sur chacun de ces deux mois a donc été inférieur à 0,4 mSv. Parmi les personnels qui sont intervenus sur le chantier, 13 d'entre eux ont reçu un équivalent de dose engagée de 10 mSv environ.

- Les seules populations sédentaires concernées ont été celles d'Ideles. Dans cette oasis, située à 100 km du polygone d'expérimentations, où vivaient 280 personnes, l'irradiation externe à 1m du sol a atteint, pendant un temps court, 0,1 mGy/h le jour de l'essai : cela correspond à des équivalents de dose inférieurs à 1 mSv.

5.3. Les essais Rubis et Jade

Lors de l'expérience Rubis, le 20 octobre 1963, une sortie de gaz rares et d'iodes s'est produite dans l'heure suivant la réalisation de l'essai, avec formation d'un panache. Celui-ci s'est d'abord dirigé vers le nord, puis il est revenu vers le sud, en direction de Oasis 2 où les retombées, favorisées par des pluies importantes, ont conduit à un débit de dose égal à 0,1 mGy/h. 500 personnes ont été évacuées et contrôlées. La dose reçue par ces personnels a été d'environ 0,2 mSv.

La contamination a été détectée jusqu'à Tamanrasset, à 150 km au sud, mais avec des équivalents de dose engagée négligeables (environ 0,01 mSv).

Dans le cas de l'expérimentation Jade, le 30 mai 1965, il est observé une sortie de gaz rares et d'iode par la galerie. Le débit de dose était de 20 mGy/h à H+4 au niveau du carreau de la galerie. L'impact radiologique sur le personnel était faible (inférieur à 1 mSv).

Synthèse des essais souterrains non totalement confinés

6. Les expériences complémentaires

Parallèlement aux expérimentations nucléaires, des expériences complémentaires au sol sur la physique des aérosols de plutonium, mettant en jeu de faibles quantités de cet élément, sans dégagement d'énergie nucléaire (sans production de produits de fission ni d'activation), ont lieu sur les deux séries de sites du CSEM et du CEMO. Compte tenu de leur caractère très localisé, ces expériences ne pouvaient avoir et n'ont eu aucun impact sur les populations.

Au CSEM, 35 expériences de propagation de choc sur des pastilles de plutonium ont été réalisées de 1961 à 1963. Au CEMO, 5 expériences sur la physique des aérosols de plutonium ont été réalisées entre 1964 et 1966.

Au cours d'une expérience sur pastille, le 19 avril 1962 au CSEM, une détonation prématurée de l'explosif chimique a eu lieu en fin de préparation de l'expérimentation. Les opérations étaient effectuées par une équipe militaire.

Dix personnes qui se trouvaient dans un rayon de 50 m ont été affectées par l'explosion; on nota un blessé grave présentant des plaies multiples par éclats, des brûlures superficielles et un traumatisme oculaire par blast 9 entraînant des séquelles fonctionnelles, sept blessés légers présentant des criblages, notamment de la face, des brûlures superficielles ou des ecchymoses.

7. Bilan global

Les doses maximales sont à examiner au regard des limites réglementaires (en particulier la limite fixée à 50 mSv par an pour l'exposition de l'organisme entier des personnels de la 1 ere catégorie). Chaque personne ayant pu participer à plusieurs expérimentations, il est important de s'intéresser non seulement au maximum individuel enregistré pour chaque essai, mais aussi à la répartition du personnel par gamme de doses reçues pendant l'ensemble des expérimentations.

L'étude montre que les essais aériens et Béryl sont les événements ayant provoqué les doses les plus importantes : toutes les doses supérieures à 50 mSv sont enregistrées pour les 4 expérimentations aériennes et l'essai souterrain Béryl.

Doses individuelles maximales par tir

#172; Répartition des effectifs par intervalles de doses

La répartition des personnels par intervalles de dose, pour l'ensemble des expérimentations réalisées au Sahara peut être résumé dans le graphique ci-dessous :

Ce graphique est établi sur la base des doses cumulées par les personnels durant la totalité de leur séjour. Les doses ont été imputées à Béryl quant la part due à cet essai est prépondérante.

Sur 24 000 personnes, près de 18 000 ont reçu une dose nulle et environ 6 500 une dose comprise entre 0 et 5 mSv. 581 personnes (2,5 %) ont reçu une dose cumulée supérieure à 5 mSv. La quasi-totalité des doses supérieures à 50 mSv sont imputables à l'essai Béryl.

#172; Les populations locales

Concernant les populations, qui se sont toujours trouvées à l'écart des retombées proches, les doses sont restées dans la gamme des conséquences de retombées lointaines soit donc de l'ordre du centième à quelques dixièmes de mSv.

#172; Conformément aux accords d'Evian, les sites du CSEM et du CEMO ont été remis aux autorités algériennes dans le courant de l'année 1967, après qu'il ait été procédé au démontage de l'ensemble des installations techniques, au nettoyage et à l'obturation des galeries.

L'évaluation de la situation radiologique actuelle de ces lieux et des expositions potentielles qu'ils pourraient induire a été engagée par l'AIEA.

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