M. Francis BALLE, professeur à l'université Panthéon-Assas

La réponse à la question de savoir ce que veut le public n'appartient qu'au public.

Les sondages sont là pour nous éclairer, mais je ne pense pas que M. Cayrol me contredira si j'avance qu'ils sont un peu infirmes, lorsqu'il s'agit de savoir quel accueil réserveraient les téléspectateurs à des émissions dont ils n'ont pas l'idée jusqu'à présent.

Tout le monde sait par ailleurs que c'est un grand risque de ne pas prendre de risques. Suivre l'audimat, c'est renoncer à innover, à surprendre, à dérouter, à étonner, voire à réussir. Conduire au sondage, c'est comme conduire au rétroviseur : on va dans le mur.

J'apporterai deux remarques concernant ce problème.

La première fait presque figure de loi. Le prix de la croissance pour tous les médias, c'est la diversité : la diversification, la spécialisation et la fragmentation du marché. Celle-ci, jamais, nulle part, n'a fait disparaître les généralistes, bien au contraire, ceux-ci ont aujourd'hui une position de navire amiral.

Durant ces dernières décennies, la télévision a brisé le carcan dans lequel on la croyait enfermée. Chaque fois, elle est allée vers plus de diversité, d'abondance et donc de thématisation.

Un premier pas a été franchi lorsqu'aux Etats-Unis la télévision a été en partie soustraite à la logique du marché privé, et que, symétriquement, la télévision en Europe a cessé d'être exclusivement sous monopole public.

Un deuxième pas décisif a été fait lorsque le câble et le satellite ont désenclavé la télévision hertzienne : on entrait soudain dans une ère d'abondance.

Nous assistons aujourd'hui au troisième pas qui conduit la télévision vers un "toujours plus" et un "toujours mieux" avec l'arrivée du numérique, grâce tout d'abord au satellite, puis au câble, et demain via le hertzien terrestre.

Le quinté gagnant est toujours le même : sport, cinéma, information, musique et programmes pour enfants.

Ma deuxième remarque concerne aussi tous les médias et fait aussi presque figure de loi : tous les médias passent par trois âges.

Le premier est celui de la fascination : on regarde tout, sans discrimination. C'est la période idyllique pour les diffuseurs.

Le deuxième est celui de la contestation. Les critiques se multiplient dans les médias et dans les enquêtes d'opinions, mais au fond les comportements changent assez peu, même si les sondages masquent un peu cet état de fait.

Le troisième âge, celui dans lequel nous sommes aujourd'hui, après la fascination et la saturation, est celui de l'accommodation. On établit un modus vivendi. Il reste que les gens regardent toujours globalement les mêmes programmes. Lorsque l'on a 20, 50 ou 500 chaînes, l'observation montre que c'est toujours autour d'une dizaine de chaînes que les choix s'opèrent.

Dans la situation française, quelle est donc l'offre optimale ?

Il y a dix ans, on invoquait des raisons économiques pour nous dire qu'il y avait une chaîne généraliste de trop. Aujourd'hui, on invoque des raisons techniques pour nous dire qu'il n'y en a pas assez. Ces discours extrêmes sont un peu inquiétants...

Le passage de l'analogique au numérique ne doit pas faire question : il est inéluctable et providentiel. On peut déjà deviner ce qu'il va nous offrir, mais il ne faut pas ouvrir un nouveau fossé numérique.

Il n'est pas illégitime de se questionner sur l'opportunité de lancer de nouvelles thématiques. Le législateur a tranché en ce qui concerne le secteur public, dont c'est le rôle d'être présent là où le marché est défaillant ou déficient.

Mais pourquoi à tout prix subordonner au lancement de nouvelles chaînes l'obligation qui doit être faite aux diffuseurs hertziens de migrer progressivement de l'analogique au numérique ? On associe là deux objectifs qu'il aurait fallu maintenir distincts : d'un côté la numérisation souhaitable des réseaux et de l'autre l'ouverture de nouvelles chaînes thématiques. Courir deux lièvres à la fois peut nous exposer à bien des déconvenues, des exemples passés peuvent le prouver, de même que la manière dont les choses se passent en Scandinavie, en Espagne ou en Grande-Bretagne.

En revanche, le numérique hertzien progresse sagement selon un calendrier presque respecté aux Etats-Unis, où il n'y a qu'un pilote : la FCC. En France, il y en a deux, plus Bercy qui tient les cordons de la bourse...

Dissocier les objectifs permettrait donc de clarifier ce que l'on veut : de l'Internet rapide ? de nouvelles chaînes thématiques ? des fréquences pour le téléphone ?

Peut-être donc devrait-on aussi clarifier les responsabilités respectives des diverses administrations dans la concrétisation des différents objectifs.

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