M. Claude BERDA, président-directeur général de AB Groupe
La
révolution que nous allons vivre est une chance historique que
j'assimilerai à celle de 1789... Pourquoi ? Parce qu'elle
représente la fin des privilèges. Si l'on compare le paysage
audiovisuel français à celui des autres pays européens, on
pense au petit village d'Astérix, le côté sympathique en
moins. En effet, 80 % de la population ne reçoit que cinq
chaînes, dont trois publiques, et deux privées, filiales de
groupes qui sont, pour l'un, un groupe étranger qui vit de concessions
de service public et, pour l'autre, une société qui vit de
travaux publics et de construction d'autoroutes. Nous sommes loin de la
télévision...
En 1996, j'ai décidé de créer mes propres services de
diffusion. Au bout de 5 ans, notre groupe a maintenant une vingtaine de
chaînes, dont presque aucune, excepté RTL9 que nous avons
rachetée en avril 1998, n'est dans le service basique. Pourquoi ?
Simplement parce que nous n'avons pas de réseau câblé et
que nous ne pouvons pas échanger nos chaînes sur le basique contre
d'autres sur ce même basique. Ces chaînes, donc, "n'existent pas",
mais font tout de même 15 % d'audience, grâce à la
volonté de certaines personnes de passer tout de même au
numérique.
Le câble est un échec considérable. Sur les
4,5 millions de foyers qui pourraient, sur un simple coup de
téléphone, être connectés au câble, il n'y en
a que 1,8 million qui sont réellement connectés. Nous avons
des ingénieurs formidables, mais les qualités marketing et
commerciales semblent insuffisantes, même si, depuis quelque temps, les
câblo-opérateurs changent d'attitude et considèrent la
distribution des chaînes comme une activité normale, où
l'on doit naturellement solliciter le client.
La manière dont AB Sat a démarré illustre bien l'univers
kafkaïen que l'on risque de revivre avec le démarrage de la
télévision numérique terrestre.
Quand j'ai décidé de démarrer le satellite avec le groupe
que je dirige, je suis allé voir France Télécom pour leur
demander de louer deux satellites. Sans raison, j'ai essuyé un refus de
vente. Je suis donc allé chez Belgacom : je suis aujourd'hui le
seul Français à louer des satellites belges. Je verse
50 millions de francs français par an à Belgacom.
Quand j'ai voulu acheter des décodeurs, je suis allé voir
Philips, Sagem et Thomson qui m'ont vaguement répondu que cela leur
était impossible. La raison de ce refus venait du fait qu'ils
fournissaient déjà TPS et Canal Plus. Au lieu de déposer
une plainte qui aurait abouti en 2012, j'ai décidé de faire
fabriquer moi-même des décodeurs en Chine et de faire abriter mes
chaînes sur les autres bouquets. C'est comme cela que nos
20 chaînes existent.
Il se trouve que le hasard de mes pérégrinations m'a conduit
à acheter une chaîne en Allemagne. Tout le monde y reçoit
43 chaînes, c'est un bien que l'on propose aux populations. Notre
chaîne musicale y compte plus de 11 millions d'abonnés.
Par l'intermédiaire de partenaires locaux, j'ai obtenu en Belgique une
concession nationale pour une chaîne qui s'appelle AB3, qui atteint
aujourd'hui 6 % de part de marché. Je signale que la
totalité des foyers belges est câblée, et que nous y sommes
en concurrence avec les chaînes belges et la totalité des
chaînes françaises. Notre chaîne est financée par la
publicité et sera équilibrée début 2003, parce que
la seule question qui nous préoccupe est : "qu'est-ce qui
intéresse le public" ? Je suis allé dans un kiosque à
journaux et j'ai regardé les plus grosses piles : j'ai
remarqué que les gens étaient intéressés par les
voyages, par le sport, la chasse, la pêche, la musique, etc. J'ai donc
travaillé sur des chaînes thématiques, qui peuvent
parfaitement vivre si elles sont correctement distribuées.
On parle aujourd'hui de mettre à la disposition des Français les
moyens d'avoir plus d'information, par quelque canal que ce soit. C'est donc un
devoir civique de cette haute Assemblée que de mettre à
disposition du peuple des moyens de communication disposés de
manière égalitaire entre les participants. Les kiosques à
journaux ont obligation de faire apparaître tous les journaux de
manière égalitaire : cela n'existe pas en
télévision.
La TNT est un moyen formidable aujourd'hui de laisser des indépendants
présenter au public les services qu'ils veulent lui proposer.
Après seulement intervient la sanction du marché, même si
cela doit être soutenu par un service public fort.
Il est indispensable que la TNT puisse exister et qu'une large partie soit
consacrée à des chaînes gratuites car la
télévision est un bien public.