2. Des mineurs délinquants plus jeunes et plus violents

a) Un rajeunissement incontestable

Toutes les personnes entendues par la commission d'enquête ont insisté sur le rajeunissement de l'âge d'entrée des mineurs dans la délinquance.

Lors de son audition, le colonel Christophe Métais, chef du bureau de police judiciaire à la direction de l'emploi de la gendarmerie, a noté « un abaissement de l'âge des auteurs d'infractions puisque l'implication des jeunes de dix à douze ans est en hausse de près de deux points et celle des adolescents âgés de treize à quinze ans de plus de quatre points, tandis que l'on constate un léger recul s'agissant des jeunes âgés de seize à dix-sept ans ».

Les chiffres fournis par M. Patrice Bergougnoux, Directeur général de la police nationale, confirment le constat dressé par la gendarmerie : sur l'ensemble des mineurs mis en cause, la part des seize à dix-huit ans régresse légèrement (- 2 %) en 2001, celle des quatorze à seize ans reste stable. En revanche, celle des moins de treize ans augmente. Les mineurs de moins de seize ans représentent 12 % des personnes interpellées par la sécurité publique et près de 49 % des mineurs mis en cause.

Quant à M. Alain Bauer, il a constaté que si les mineurs de treize à dix-huit ans représentent une très large majorité des mineurs délinquants, on observait une poussée des mineurs de huit à douze ans. M. Xavier Raufer a par ailleurs noté que les observations empiriques des étudiants de l'Institut de criminologie impliqués dans le travail social leur permettaient d'affirmer que l'âge moyen d'entrée dans les bandes avait tendance à baisser environ tous les trois ans.

Ce phénomène est particulièrement inquiétant dans la mesure où de nombreuses études ont montré que l'aggravation des actes est d'autant plus systématique que les actes délictueux sont précoces. En conséquence, l'augmentation du niveau de violence des jeunes serait liée à leur entrée précoce dans la délinquance. Pour M. Sébastian Roché, « le rajeunissement et l'augmentation du niveau de violence des actes sont un seul et même phénomène (...) . C'est un peu comme jouer au tennis : pour être un champion, il faut commencer à s'entraîner jeune ».

Ainsi, l'enquête de délinquance auto-rapportée dirigée par M. Roché 7 ( * ) souligne une augmentation du nombre de ceux qui réalisent des délits avant 13 ans. Par ailleurs, elle démontre que la précocité pour les « petits » délits influe sur la commission d'actes graves. 74 % des jeunes qui ont déjà commis un délit bénin à 12 ans ou moins sont impliqués dans un acte grave par la suite . Ils sont un peu moins de la moitié (44 %) pour ceux qui ont commencé à 13 ans. En revanche, les adolescents qui attendent 14 ans pour commettre leur premier délit ne sont plus que 15 % à avoir commis un délit grave.

M. Sébastian Roché en conclut : « Le simple délit précoce semble donc favoriser le déclenchement ultérieur d'autres comportements, dont certains très agressifs 8 ( * ) ».

M. Philippe Lutz, commissaire principal à Noisy-le-Grand, a témoigné devant la commission d'enquête de l'entrée précoce des jeunes dans la violence. Il a rappelé qu'en 1997, les moins de treize ans représentaient 13 % des auteurs d'actes de délinquance, mais 80 % des auteurs de vols avec violence. Or, les vols avec violence progresseraient chaque année, sur Noisy-le-Grand, d'à peu près 60 à 70 % !

b) L'aggravation des actes de délinquance

Les données chiffrées révèlent également un changement dans la nature de la délinquance des mineurs depuis la fin des années 1970.

De la seconde guerre mondiale à 1975, la progression des vols est considérable, passant de 4,5 pour mille à 23,8 pour mille tandis que les violences restent assez stables, passant de 1,4 pour mille à 1,7 pour mille. Comme le fait remarquer Hugues Lagrange 9 ( * ) : « Les Trente Glorieuses sont une période d'expansion extraordinaire de la délinquance acquisitive ».

A partir de la fin des années 1970, la délinquance évolue.

Certes, le nombre de mineurs mis en cause pour des vols a augmenté de 37 % sur cette période (mais le nombre de mineurs mis en cause pour des vols de voitures et de deux-roues motorisées a diminué), mais le nombre de mineurs mis en cause pour des vols avec violence, des viols, des coups et blessures volontaires et des destructions de biens publics ou privés a littéralement explosé puisqu'il a plus que quadruplé .

En revanche, l'homicide commis par un mineur reste un phénomène rarissime à la fin du XXème siècle.

Il apparaît ainsi qu'à côté de la traditionnelle délinquance d'appropriation tend à se développer une délinquance violente et gratuite.

Les données statistiques de la police et de la gendarmerie qui analysent les types d'infractions pour lesquels l'accroissement numérique des mineurs mis en cause est le plus fort, confirment cette tendance.

Sur les dix dernières années, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 78.153. Cette hausse est liée :

- pour 24 % à leur implication en matière de vols (avec + 18.945 mineurs mis en cause). Dans cette catégorie, l'accroissement est imputable pour 31,5 % à leur implication plus importante dans les vols avec violence ;

- pour 18 % à leur implication en matière de destructions/dégradations de biens ;

- pour 16 % à leur implication en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants . Dans cette catégorie, l'accroissement est imputable pour plus de 81 % à leur implication dans la consommation de drogues ;

- pour 12 % à leur implication en matière de coups et blessures .

Ces chiffres laissent apparaître une montée de la violence, qu'elle soit tournée vers les personnes (en cas de vols avec violence ou de coups et blessures), représentantes ou non de l'autorité, ou vers les biens privés et les institutions.

Comme le constate M. Laurent Mucchielli : « Depuis la fin des années soixante-dix, et plus encore depuis la fin des années quatre-vingt, on assiste à une forte augmentation de ce que l'on peut appeler les violences contre les institutions pour désigner à la fois le vandalisme contre les biens publics et les différentes formes d'irrespect envers les personnes symbolisant les institutions publiques, c'est-à-dire, d'une part, essentiellement les policiers et parfois les pompiers, d'autre part, les enseignants ».

La plupart des personnes entendues par la délégation ont par ailleurs insisté sur la gravité des actes commis par les mineurs délinquants, que les statistiques de la police et de la gendarmerie confirment.

Le tableau ci-après indique que sur la période 1992-2001, le pourcentage de mineurs mis en cause pour des vols dans l'ensemble des mineurs mis en cause a diminué puisqu'il est passé de 69,7 % à 49,6%.

Au contraire, le pourcentage de mineurs mis en cause pour des crimes et délits contre les personnes a pratiquement doublé sur cette même période, passant de 8,7 % à 15,4 %.

De même, le pourcentage de mineurs mis en cause pour des atteintes aux moeurs a progressé et est passé de 1,49 % en 1992 à 2,29 % en 2001.

Implication des mineurs en fonction des différentes catégories d'infraction

1992

Part dans l'ensemble des mineurs mis en cause en 1992 (%)

2001

Part dans l'ensemble des mineurs mis en cause en 2001 (%)

Variation 1992-2001

(%)

Total des infractions

98864

100,00

177017

100,00

79,05

Vols

68911

69,70

87856

49,63

27,49

Vols avec violence
sans armes à feu

3883

3,93

9531

5,38

Vols simples

46605

47,14

56036

31,66

Infractions économiques
et financières

1759

1,78

5220

2,95

196,76

Crimes et délits
contre les personnes

8552

8,65

27224

15,38

218,33

Homicides

55

1,42

46

0,03

-16,36

Coups et blessures

4418

4,47

13543

7,65

206,54

Autres atteintes volontaires aux personnes

2231

2,26

7184

4,06

222,01

Dont menaces ou chantages

1363

1,38

5294

2,99

288,41

Dont atteintes à la dignité
et à la personnalité

245

0,25

1062

0,60

333,47

Atteintes aux moeurs

1476

1,49

4062

2,29

175,20

Dont viols

579

0,59

1275

0,72

120,21

Dont harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles

728

0,74

1973

1,11

171,02

Autres infractions

19642

19,87

56717

32,04

188,75

Infractions à la législation
sur les stupéfiants

4160

107,13

16572

9,36

298,40

Dont usage

2904

2,94

13035

7,36

348,90

Délits à la police
des étrangers

1503

1,52

2401

1,36

59,70

Destructions
et dégradations de biens

9884

10,00

24158

13,65

144,40

Délits divers

4095

4,14

13586

7,67

231,80

Source : ministère de l'intérieur

* 7 La délinquance des jeunes - Les 13-19 ans racontent leurs délits, Seuil, 2001.

* 8 Id.

* 9 De l'affrontement à l'esquive, Syros, 2001.

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