C. LE PARTAGE DES GAINS ET DES RISQUES ENTRE LES INVESTISSEURS, LES OPÉRATEURS LOCAUX ET L'ETAT

1. Les investisseurs

Les investisseurs bénéficiant des avantages fiscaux procurés par la défiscalisation outre-mer sont essentiellement métropolitains, même s'il a été indiqué à votre rapporteur qu'il existait également un marché de la défiscalisation à destination des contribuables réunionnais aisés.

Depuis le remplacement, par la loi de finances pour 2001, du dispositif de déduction du revenu imposable à l'impôt sur le revenu par celui de réduction d'impôt, la défiscalisation outre-mer présente pour les contribuables de l'impôt sur le revenu un avantage non négligeable par rapport à d'autres dispositifs de défiscalisation (loi Besson, Sofica, Sofipêche par exemple) : le montant de l'avantage fiscal n'est plus proportionnel à celui du taux marginal de l'impôt sur le revenu mais au montant de l'investissement . Par conséquent, les baisses récentes du taux marginal de l'impôt sur le revenu sont sans effet sur le montant des avantages dont bénéficient les contribuables qui défiscalisent outre-mer.

Le passage d'un régime de déduction du revenu imposable à un dispositif de réduction d'impôt avait été présenté lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2001 comme étant de nature à « démocratiser » les placements en défiscalisation, le montant de l'avantage fiscal étant désormais indépendant de la tranche d'imposition dans laquelle se situe le revenu imposable du contribuable investisseur.

L'avantage fiscal procuré par la défiscalisation outre-mer (en général un peu plus de 10 % de l'impôt dû pour les contribuables de l'impôt sur le revenu) doit être mis en relation avec les obligations qui découlent de tels placements (dans certains cas, en devenant associé d'une SNC, l'investisseur doit cotiser aux caisses de sécurité sociales des travailleurs non salariés) et les risques encourus :

- le risque financier , qui résulte de la défaillance de l'opérateur local locataire de l'investissement. Ce risque est largement écarté par les SNC qui, lorsqu'elles négocient les emprunts bancaires, introduisent dans les contrats des « clauses de non recours », aux termes desquelles les garanties demandées par la banque en contrepartie du prêt portent exclusivement sur l'entreprise qui exploite l'investissement et non sur le patrimoine des investisseurs associés au sein de la SNC. Mais aucune jurisprudence n'est venue confirmer la solidité juridique de ces clauses ;

- le risque fiscal : en cas de sinistre (faillite de l'opérateur local ou non respect par celui-ci des conditions de l'agrément), l'avantage fiscal est repris en totalité pour les investissements n'ayant pas fait l'objet d'un agrément et, en application des dispositions de l'article 1756 du code général des impôts, en tout ou partie pour les projets agréés.

Par conséquent, les investisseurs ayant obtenu l'année de réalisation de l'investissement un avantage fiscal représentant environ 10 % de leur impôt dû risquent, pendant cinq ans, de devoir rembourser une somme s'élevant à 50 % de l'impôt dû cette année-là (les intérêts de retard viennent s'ajouter à ce montant), la sanction étant la même que le sinistre se produise six mois après la réalisation de l'investissement ou quatre ans et onze mois après celle-ci. En cas de reprise de l'avantage fiscal, les sommes investies à « fonds perdus » ne peuvent évidemment pas, bien entendu, être récupérées par l'investisseur.

L' arbitrage auquel se livrent les investisseurs est donc le suivant : pour réduire l'impôt dû au titre d'une année de 10 % à 12 %, ils risquent, pendant cinq ans, de perdre définitivement une somme représentant un peu moins de 40 % de l'impôt dû cette année-là et d'acquitter les 50 % d'impôt dont ils avaient été dispensés (plus les intérêts de retard).

Le risque fiscal est tel que les investisseurs privilégient les placements les plus sûrs, éloignant ainsi les possibilités de financer par la défiscalisation des investissements réalisés dans des secteurs ou des collectivités territoriales jugées « à risque ».

Le risque fiscal existe aussi lorsque l'investisseur participe au financement d'un investissement dont un contrôle fiscal monterait qu'il n'était pas éligible à la défiscalisation. Pour les investissements agréés, ce risque est écarté par l'expertise préalable de l'administration. Pour les investissements non agréés, le risque pris par l'investisseur dépend de la confiance qu'il place dans le « monteur » gérant de la SNC.

2. Les opérateurs locaux

Dès lors que la possibilité de défiscaliser « en direct » est en pratique (pour les départements d'outre-mer) ou en droit pour les territoires d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie) inaccessible à la majorité des entreprises ultramarines, la défiscalisation « externalisée » constitue une aide précieuse pour les opérateurs locaux. Elle leur permet d'investir malgré la faiblesse de leurs fonds propres, de moins emprunter, d'abaisser le coût de leurs investissements, de bénéficier d'équipements nouveaux dans des délais relativement rapides et de profiter gratuitement de l'expertise juridique et comptable des cabinets d'ingénierie financière.

Le risque encouru par les opérateurs locaux est donc celui de croire que les investissements obtenus ainsi sont « gratuits » , et de ne pas évaluer avec suffisamment de prudence leur capacité à acquérir progressivement le bien en versant des loyers et, le cas échéant, à respecter pendant cinq ans les conditions auxquelles l'octroi de l'agrément a été subordonné. Pourtant, lorsque le contrat de location prévoit une « clause de non recours », l'opérateur local est seul responsable vis-à-vis des prêteurs en cas de défaillance.

La facilité procurée par la défiscalisation est également susceptible de conduire certaines entreprises à s'engager dans des investissements dont la rentabilité n'est pas assurée.

3. L'Etat

L'existence de mécanismes de défiscalisation témoigne d'un parti pris du législateur selon lequel l'outil fiscal permet de subventionner l'investissement outre-mer de manière plus neutre et plus efficace que des subventions budgétaires directes.

L'existence de la possibilité de financer des investissements outre-mer de manière « externalisée » signifie que la confiance de l'Etat dans les vertus de la défiscalisation est telle qu'il accepte qu'une partie du coût de la défiscalisation ne soit pas consacrée à diminuer le coût de l'investissement pour l'entreprise locale mais à rémunérer les contribuables métropolitains qui acceptent d'orienter leur épargne vers l'outre-mer ainsi que les cabinets d'ingénierie financière qui mettent ces contribuables en relation avec les entreprises locales qui ont besoin d'investir.

L'Etat choisit cependant d' encadrer le bénéfice des avantages fiscaux qu'il accorde par quatre biais :

- il établit la liste des secteurs d'activité dans lesquels la réalisation d'investissements peut conférer un avantage fiscal ;

- il se réserve le droit de ne pas accorder d'avantage à certains investissements, à travers la procédure de l'agrément ;

- il s'assure qu'une fraction importante de l'avantage fiscal bénéficie à l'opérateur local et non aux investisseurs ou aux monteurs en fixant dans la loi un taux de rétrocession ;

- il reprend tout ou partie de l'avantage si les conditions qu'il a fixé pour bénéficier de l'avantage fiscal ne sont pas respectés pendant cinq ans.

L'enjeu pour l'Etat est d'établir des règles suffisamment strictes pour s'assurer que les investissements défiscalisés bénéficient au développement économique et social de l'outre-mer, mais suffisamment souples pour que la défiscalisation soit, pour les contribuables à haut revenu, suffisamment attractive afin de ne pas tarir les flux de capitaux vers le financement des économies ultramarines.

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