B. LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR L'ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

1. Les risques sur la santé des femmes et des enfants

Les applications, actuelles ou potentielles, de l'AMP engendrent des tentations et des risques de dérives, et soulèvent des questions d'ordre médical, éthique et juridique.

En premier lieu, votre rapporteur souhaite attirer l'attention sur les traitements inducteurs de l'ovulation . Les prescriptions ont décuplé en dix ans et on estime à 60.000 le nombre de femmes traitées hors des centres agréés.

Or des risques sérieux sont liés aux stimulations ovariennes : risque de grossesse multiple, de kystes ovariens, de ménopause précoce, voire de cancer de l'ovaire, bien que ce risque ne soit pas avéré.

D'après le rapport de l'INSERM « Grande prématurité, dépistage et prévention du risque » (1997), les grossesses gémellaires et triples entraînent un risque de grande prématurité dix à cinquante fois plus élevé que les grossesses uniques. Au total, un peu plus de 15 % des grands prématurés proviennent de grossesses multiples, dont presque 40 % par l'intermédiaire des stimulations de l'ovulation.

Il a été indiqué à votre rapporteur que beaucoup de femmes s'adressent d'abord à leur généraliste ou à leur gynécologue pour des traitements inducteurs de l'ovulation, mais également, dans certains cas, après des échecs successifs de FIV, dans plusieurs centres, ce qui paraît particulièrement dommageable.

On peut craindre qu'un certain nombre d'entre elles recourent à la stimulation ovarienne sans connaître ni la lourdeur des traitements ni leurs risques potentiels. A cet égard, le Comité consultatif national d'éthique relevait, dans son avis du 24 juin 1991 : « Les traitements qui sont de nature à entraîner des grossesses multiples, tels que stimulations ovariennes, transferts d'embryons, ne doivent pas être engagés sans une information complète destinée à provoquer chez les patientes auxquelles il appartient de prendre une décision, avec le concours de l'équipe médicale, une réflexion approfondie sur leurs suites possibles » .

En second lieu, votre rapporteur souhaite souligner avec force que le désir d'enfant ne doit pas remettre en cause les principes qui encadrent la recherche médicale. Cette exigence est loin d'être satisfaite à l'heure actuelle.

Le recours croissant à l'ICSI soulève les inquiétudes les plus vives . Cette méthode n'a pas été préalablement expérimentée sur l'animal, en contradiction avec les principes posés par le code de Nuremberg. Des études montrent aujourd'hui qu'il existe un risque sérieux de transmission de l'infertilité aux enfants, voire d'autres anomalies génétiques. Le professeur Charles Thibault expose également les risques de cette technique à long terme : « si l'anomalie n'est pas exprimée chez l'enfant, rien n'indique qu'elle ne se révèlera pas dans les générations suivantes, quand cet enfant ou un de ses descendants sera le partenaire d'une femme elle aussi porteuse des mêmes anomalies géniques » (Eurêka, n° spécial Fécondation in vitro, 1998).

Or certains intervenants ont évoqué le risque de compétition entre les centres proposant l'ICSI, qui sont conscients du succès qu'elle peut leur apporter en termes de grossesses et d'image de marque. Des techniques moins invasives comme la FIV classique, l'insémination artificielle avec tiers donneur (IAD) ou l'adoption ne sont plus envisagées systématiquement avant de proposer l'ICSI, qui tend à détrôner la FIV. Cette situation est confirmée par les données fournies par FIVNAT : si globalement les indications FIV + ICSI sont assez stables depuis 1997, on assiste un passage direct en ICSI de plus en plus fréquent pour toutes les indications.

Le Comité consultatif d'éthique a appelé l'attention, dans un avis n° 42 du 30 mars 1994, sur les risques liés à la pratique des micro-injections de spermatozoïdes dans l'ovule de la future mère. Il s'est notamment étonné que cette technique n'ait pas été soumise aux règles prévues par le législateur en matière de recherche biomédicale sur la personne.

Dans un contexte de compétition économique entre les centres, de « désir d'enfant à tout prix » des couples, si l'application des nouvelles techniques d'AMP n'est pas mieux encadrée, les méthodes les plus « efficaces » risque d'être utilisées, quels que soient les risques qu'elles comportent. En la matière en effet, comme l'a souligné Mme Chantal Lebatard, administrateur à l'UNAF, « dire que les couples sont consentants ne suffit pas », car l'attente à l'égard des solutions proposées par la médecine est très forte.

Cette situation, extrêmement préoccupante, concerne particulièrement les femmes, qui sont les premières à subir la pénibilité et les contraintes des traitements.

2. L'insuffisance de l'information et de l'accompagnement des couples

La stérilité est le plus souvent très mal vécue au sein des couples. Ceux-ci sont donc prêts à essayer beaucoup de traitements, et à sacrifier beaucoup de temps et d'argent pour avoir des enfants.

La FIV répondait initialement à une stérilité féminine d'origine tubaire. Il n'était pas nécessaire de recourir à des gamètes extérieurs au couple. Aujourd'hui, la technique s'est banalisée. D'une part, il n'est plus rare que la FIV soit pratiquée avec les gamètes de tiers donneurs. D'autre part, elle est utilisée pour surmonter d'autres causes de stérilité, masculines ou féminines, voire les stérilités inexpliquées. Ces dernières, qualifiées également de stérilités « relatives », correspondent à des cas dans lesquels des grossesses naturelles peuvent survenir.

Les conséquences de cette technique sont très importantes, sur le plan physique (traitement préalable par inducteurs de l'ovulation avec possibilité évoquée d'un lien avec le cancer de l'ovaire et du sein, risque de grossesse multiple) et psychologique (longueur du parcours, répercussions sur la vie professionnelle, poids des échecs successifs, éventuellement réduction embryonnaire).

Pourtant, il semble que beaucoup de patientes ne découvrent toutes ces contraintes qu'au fur et à mesure du processus, ce qui est tout à fait anormal. Comme l'a indiqué Mme Chantal Lebatard : « on n'informe pas assez » . Or seule une information complète et transparente peut garantir un consentement libre et éclairé des couples.

L'insuffisance de l'accompagnement psychologique est également souvent évoquée, surtout en cas d'échecs répétés. Le manque de soutien psychologique des couples, et plus particulièrement des femmes, engagés dans ces processus peut déboucher sur quelques cas « d'acharnement procréatique », mentionnés lors de son audition par Mme Chantal Lebatard. Celle-ci a ainsi évoqué les couples en situation d'échec, en quête de solutions techniques à leur problème, renvoyés à une « sorte d'errance de centre en centre » , voire, en dernier lieu, à des centres situés à l'étranger.

3. Un manque de sensibilisation du public aux enjeux de l'assistance médicale à la procréation

La pénibilité des traitements, leurs éventuelles répercussions sur la santé des femmes, les risques d'échec et d' « acharnement procréatique », montrent que l'AMP n'est pas seulement une « médecine du désir ».

Pour cette raison, le traitement de l'infertilité doit être considéré comme un thème de santé publique à part entière et faire l'objet d'une information au niveau national, sous la responsabilité du ministère de la santé. Or aujourd'hui, l'information relative aux problèmes liés à la stérilité émane essentiellement des centres médicaux et des associations.

Cette situation est d'autant plus regrettable que les couples risquent d'avoir accès à une information biaisée ou tronquée, notamment sur Internet. Beaucoup des sites consacrés à la description des techniques d'assistance médicale sont réalisés par les personnes les pratiquant ou les favorisant. Les articles présentés ne mentionnent pas toujours les risques liés à la fécondation in vitro ou à la technique de l'ICSI. La concurrence économique entre les centres aboutit, comme l'a relevé Mme Chantal Lebatard, à une « obscurité certaine des résultats » affichés.

En outre, l'AMP soulève des interrogations d'ordre médical (incertitudes sur les répercussions des techniques utilisées sur la santé des femmes et des enfants), social (place du couple dans la société, conditions d'accueil de l'enfant) et éthique (manipulation des gamètes, devenir des embryons surnuméraires) majeures.

Ces questions, même si elles intéressent d'abord les couples souffrant de problèmes d'infertilité, méritent de faire l'objet d'une large information en direction de l'ensemble des citoyens, afin d'aménager les conditions d'un vrai débat public.

4. La pénurie d'ovocytes et les risques de pressions sur les femmes

Selon les chiffres publiés par le Groupe d'étude pour le don d'ovocytes (GEDO), on observe une progression régulière de la demande d'ovocytes (191 en 1994, 503 en 1997, soit + 163 %) alors que le nombre de donneuses au cours de cette même période a été de 822, chiffre largement insuffisant.

Très peu d'hôpitaux pratiquent aujourd'hui le don d'ovocytes. Un certain nombre de médecins et d'équipes qui ont obtenu l'agrément ne le pratiquent plus à cause de la difficulté du recrutement des donneuses.

La raréfaction du don d'ovocytes en France entraîne une augmentation excessive des délais d'attente (plus de deux ans). De ce fait, les couples décident souvent de partir à l'étranger, accompagnés d'une donneuse parente ou amie afin d'y bénéficier d'un don direct. Cette pénurie est également porteuse d'un risque de commercialisation du don.

Selon une enquête du GEDO, 93 % des donneuses font partie du cercle d'intimes des couples en attente d'un don. Les autres sont, pour la plupart, des femmes déjà mères engagées dans un cycle de FIV qui acceptent de donner des ovocytes surnuméraires. Les dons totalement spontanés restent donc exceptionnels.

Pour lutter contre la pénurie actuelle d'ovocytes, il semble que des centres fassent passer en priorité les couples demandeurs qui se présentent accompagnés d'une donneuse. Le principe de l'anonymat est respecté, puisque le don ne s'adresse pas au couple. Toutefois, cette pratique, qualifiée de « don relationnel », est source de discriminations et engendre des risques de pressions affectives, voire financière,s sur les éventuelles donneuses . En outre, le système est très injuste à l'égard des couples qui n'ont pas dans leur entourage immédiat de donneuse potentielle ou qui se refusent à jouer un rôle de « recruteurs » pour les centres. Comme le souligne le rapport du Conseil d'Etat remis au Premier ministre en novembre 1999 (« Les lois de bioéthique : cinq ans après »), « la compatibilité avec le principe constitutionnel d'égalité » de cette pratique « paraît réellement douteuse » .

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