II. CRITIQUE DU CONTENU : UN PROJET RÉSOLUMENT DÉRÉGULATEUR

Le principal objectif visé par la révision à mi-parcours proposée par la Commission est, ne nous y trompons pas, de franchir une nouvelle étape dans l'affaiblissement de la PAC.

A. DES PROPOSITIONS CONTESTABLES

1. Le découplage total : un pari très risqué

Les analyses qui suivent reprennent, pour l'essentiel, une argumentation développée par le Conseil national des centres d'économie rurale (CNCER) dans une étude récente sur le découplage 7 ( * ) .

a) Un risque important de déstabilisation des marchés

S'il est difficile de prévoir les effets du découplage des aides sur chacun des marchés agricoles, il est, à tout le moins, certain qu'ils seront perturbateurs.

L'éclatement du cadre propre à chaque organisation commune de marché pourrait, tout d'abord, conduire à un délaissement des productions les plus difficiles au profit des productions les plus immédiatement rentables ou de celles qui exigent le moins de travail . Il est, par exemple, possible que dans certaines régions intermédiaires, les céréaliers fassent le choix de transformer leurs cultures arables en surfaces fourragères, sans avoir l'intention de développer une véritable production animale mais dans le seul but de toucher facilement l'aide au revenu.

Il résulterait de cette libéralisation des volumes une forte variabilité des prix , qui elle-même, d'une année à l'autre, modifierait les choix des exploitants et l'orientation des productions. Une forte déstabilisation des marchés est donc à prévoir.

En outre, le caractère historique du droit à paiement, qui attacherait l'aide unique à la terre, générerait, pour une même production, des distorsions de concurrence entre les agriculteurs non bénéficiaires de l'aide, qui se consacrent de longue date à cette production, et les exploitants agriculteurs reconvertis d'un autre secteur auparavant subventionné . L'exemple fréquemment cité par les personnes auditionnées devant la mission d'information est celui des céréaliers décidant de s'orienter vers les cultures maraîchères, telles que les carottes ou les endives.

Enfin, le découplage pourrait induire, à long terme , une diminution globale des volumes produits . Selon une simulation 8 ( * ) réalisée par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), la production céréalière pourrait diminuer en raison de la réduction de la surface consacrée à cette culture. De même, malgré une augmentation probable de la superficie destinée à l'élevage herbager, la production bovine pourrait décroître dans la mesure où la disparition des aides à la tête de bétail favoriserait l'extensification.

De manière générale, l'attribution d'une aide non conditionnée à l'obtention d'un volume minimal de production pourrait se traduire par une baisse des quantités produites chaque fois que le prix de vente ne couvre pas les charges directes . Cela pourrait notamment être le cas dans le secteur laitier, où le coût des mises aux normes pose problème.

Au total, il est à craindre une diminution de l'emploi agricole (de 4,9 % selon la simulation de l'INRA) et du nombre des exploitations, avec par conséquent, un affaiblissement de la vocation agricole de l'Union européenne et de la France .

b) Un risque d'accélération de la polarisation des productions

L'un des autres effets négatifs du découplage pourrait être une relocalisation des productions en fonction des avantages comparatifs des territoires.

Dans les zones difficiles, la possibilité de percevoir des aides sans être obligé de produire, mais simplement d'assurer un entretien des terres primées, risquerait de favoriser la déprise agricole .

A l'inverse, les productions rentables pourraient se concentrer dans les zones les plus favorables, telles que la Picardie pour les grandes cultures ou la Basse-Normandie pour le lait, induisant une intensification qui irait à l'encontre des préoccupations environnementales .

Cette conséquence ne serait pas seulement préoccupante d'un point de vue agricole, mais également pour l'ensemble de l'économie d'une région. En effet, les activités dépendantes du monde agricole , comme les industries agroalimentaires, seraient elles aussi, dans cette hypothèse, incitées à se délocaliser.

c) Le risque lié à un « recouplage » des aides à la surface

Dès lors que les aides au revenu seraient, en pratique, liées à certaines terres, le risque serait grand de voir se développer une spéculation foncière visant à maximiser le montant des aides perçues.

En renchérissant le coût d'accès au foncier, ce mouvement spéculatif freinerait encore plus les installations , à un moment où la relève doit pourtant être assurée. Depuis dix ans, les installations sont, rappelons-le, en diminution constante.

En outre, ce dispositif pourrait inciter les propriétaires fonciers à exploiter eux-mêmes leurs terres en recourant à des entreprises de travaux agricoles, ce qui réduirait la part des terres mises en fermage , là encore au détriment des installations.

Un tel effet a été observé aux Etats-Unis à la suite de la mise en oeuvre du Fair Act de 1996, qui avait instauré des aides au revenu découplées de la production. C'est notamment ce que qui ressort d'une analyse publiée récemment par le ministère américain de l'agriculture, cité par une publication 9 ( * ) de l'Assemblée générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB).

d) La fausse garantie de la référence à des « droits historiques »

L'attribution des aides découplées serait fonction des « droits historiques » de chaque exploitation. Elle n'aurait, par conséquent, aucun effet redistributif, mais gèlerait, au contraire, les situations des exploitations et des différents Etats membres .

En outre, comme l'a très justement fait observer M. Sylvain Lambert, conseiller technique du ministre de l'agriculture en charge des affaires européennes et internationales, si cette notion de droits historiques peut sembler avantageuse pour un pays comme la France, qui bénéficie d'un volume significatif d'aides, elle n'en deviendrait pas moins, à moyen terme , injustifiable , aux yeux de l'opinion publique .

Comment celle-ci pourrait-elle accepter que, dans dix ou quinze ans, des céréaliers reconvertis dans la culture d'endives ou de pommes-de-terre, voire ne produisant plus rien du tout, continuent à percevoir des aides au titre d'une production qu'ils ont abandonnée ? Elle demanderait alors la suppression des aides découplées.

Ne nous y trompons pas, le découplage n'est qu'une étape sur la voie du démantèlement des soutiens à l'agriculture. Après le remplacement des prix garantis par des aides directes à la production, celles-ci seraient temporairement transformées en paiements découplés qui, loin d'apparaître plus légitimes, seraient bientôt appelés à disparaître.

* 7 « Le découplage : première approche», Groupe de veille économique du réseau CER France, Les Cahiers CER France, février 2003.

* 8 « Les propositions de révision à mi-parcours de la PAC : évaluation des impacts sur l'agriculture française à partir du modèle MEGAAF », par M. Alexandre Gohin, INRA de Rennes, décembre 2002.

* 9 Blé contact, Lettre d'information de l'AGPB, n° 151, février 2003.

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