2. L'alignement sur les prix mondiaux : une dangereuse illusion

La mission d'information conteste très vivement les propositions de baisses des prix qui concernent notamment les secteurs céréaliers et laitiers .

De telles baisses de prix ne sont nullement justifiées par la situation des marchés. Ainsi, dans le secteur du lait, les prix européens n'ont cessé de baisser depuis deux ans, sous l'effet de l'augmentation de la production mondiale et de la saturation de la demande, de sorte qu'ils atteignent aujourd'hui, selon les professionnels, des niveaux historiquement bas.

Visant essentiellement à rapprocher les prix européens des prix mondiaux en vue d'améliorer la compétitivité des produits européens, les propositions de la Commission européenne relèvent d'une dangereuse illusion.

S'agissant des produits agricoles, la notion de « prix mondial » présente en effet un caractère largement fictif .

Tout d'abord, parce qu'une faible part de la production agricole mondiale fait, en réalité, l'objet d'échanges. A titre d'exemple, le volume de céréales échangées représente 14,5 % de la production céréalière mondiale. De même, en viande bovine, les échanges concernent 8,6 % seulement de l'ensemble de la production.

LES MARCHÉS MONDIAUX DE CERTAINS PRODUITS AGRICOLES EN 2000-2001

Volume produit
(en millions de tonnes)

Volume exporté
(en millions de tonnes)

%

Céréales

1 450

210

14,5

Oléagineux (graines + tourteaux)

483

115,2

23,8

Sucre

130

36,5

28,0

Viande bovine

60,1

5,2

8,6

Beurre

5,4

0,65

12,0

Poudre de lait écrémé

3,1

1,14

36,8

Source : Cyclope - Les marchés mondiaux 2002

Ensuite, parce que le prix des productions échangées est rarement un véritable prix de marché , mais plutôt un prix maintenu à bas niveau sous l'effet, par exemple, de soutiens aux exportations . A cet égard, les mécanismes utilisées par les Etats-Unis, notamment en application de leur nouvelle loi agricole (dite Farm Bill), sont particulièrement pernicieux. Le contenu de cette loi agricole américaine est présenté en annexe I.

Une remarque similaire peut être faite en ce qui concerne le cours des productions des pays en développement, telles que le café ou le cacao. Celui-ci dépend largement des mouvements spéculatifs qui ont lieu dans le cadre des bourses aux matières premières .

Une extrême volatilité caractérise donc l'évolution des prix mondiaux , rendant particulièrement périlleuse la recherche d'un alignement. A ce jeu, l'Union européenne ne peut être que perdante, en « important » des variations dont la PAC a cherché, dès l'origine, à protéger son agriculture. Cet écueil a récemment été illustré par les fluctuations du marché mondial des céréales.

Traditionnellement dominé par cinq grands pays exportateurs (Etats-Unis, Canada, Union européenne, Australie et Argentine), le marché des céréales a été affecté en 2001 et 2002 par le développement soudain des exportations de blé à bas prix en provenance des pays dits de la Mer noire (Ukraine, Russie), avantagés par d'abondantes récoltes.

Le système douanier européen s'est révélé impuissant à contenir l'entrée massive de ces blés dans l'Union européenne. Il prévoyait, en effet, que les droits de douane à l'importation étaient calculés en fonction des cotations des blés sur le marché américain qui sont, par convention, considérées comme représentatives des prix mondiaux.

Le régime douanier applicable aux importations de céréales dans l'Union européenne

Les droits de douanes appliqués aux céréales pénétrant dans l'Union européenne correspondaient jusqu'à présent à la différence entre le prix des céréales sur le marché américain, censé correspondre au prix mondial, et un montant égal à 155% du prix d'intervention sur le marché communautaire. Ainsi, le montant des droits augmentait lorsque les cours américains baissaient et vice-versa.

Ce mode de calcul présentait l'inconvénient de ne pas tenir compte des prix plus bas des importations venant d'autres régions du monde qui, une fois appliqué le prélèvement douanier aux frontières de l'Europe, restaient encore substantiellement inférieurs aux prix européens.

Fondé sur des droits variables, ce régime était une survivance de l'ancien système douanier européen, la plupart des prélèvements variables ayant été progressivement transformés en droits fixes, conformément aux règles commerciales multilatérales.

Le dispositif applicable aux importations céréalières a été partiellement modifié à l'automne 2002 par l'introduction de contingents tarifaires assortis de droits fixes pour certaines catégories de céréales.

Durant la campagne 2001/2002, l'Union européenne est ainsi devenue le premier importateur mondial de céréales, pour un volume de près de 8 millions de tonnes, contre 2 millions de tonnes les années précédentes.

Les conséquences ont été particulièrement douloureuses pour les céréaliers français, dont les parts de marché ont régressé de 55 % en Italie et de 21 % en Espagne, principaux pays destinataires de leurs exportations.

Enfin, il convient de noter que cette volatilité est renforcée par les fluctuations monétaires , qui privent définitivement de réalité le concept de prix mondial.

La mission d'information relève, en outre, une profonde incohérence dans l'attitude de la Commission européenne qui, d'un côté, souhaite que les agriculteurs européens vendent au prix mondial et, d'un autre, les contraint à respecter un arsenal de normes sanitaires, sociales et environnementales qui accroissent considérablement leurs coûts de production.

Votre mission d'information ne conteste pas la légitimité de ces normes, qui sont autant de garanties offertes à nos consommateurs, même si elle estime qu'il conviendrait de les rationaliser et d'en compenser la charge. En revanche, elle conteste l'idée selon laquelle l'agriculture européenne devrait se confronter sans protection au marché mondial.

Dans ces conditions, les prix très bas pratiqués par les exportateurs des grands pays émergents, tel le Brésil, s'expliquent par des conditions de production très différentes de celles de l'Union européenne : conditions pédo-climatiques souvent très favorables, main d'oeuvre bon marché au service de grandes exploitations, normes sanitaires très souples... Ajoutons que le développement durable n'est pas, loin s'en faut, un objectif pour ces pays, dont les modes d'exploitation font peu de cas de la préservation des ressources naturelles.

Comme l'a affirmé M. Jean-Michel Bastian, vice-président de la FNSEA, devant les sénateurs de la mission, « un producteur européen ne pourra jamais produire du lait au prix d'un producteur néo-zélandais, ni de la viande bovine au prix d'un éleveur argentin » .

Enfin, votre mission d'information s'interroge sur l'opportunité de nouvelles baisses de prix qui seraient partiellement compensées par l'attribution d'aides directes , quand on sait que celles-ci pèsent lourdement sur le budget européen et alimentent régulièrement les critiques contre la PAC .

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