B. L'EUROPE EN RETARD SUR LES ETATS-UNIS, LA FRANCE EN RETARD EN L'EUROPE

D'une manière générale, il est difficile d'obtenir des chiffres précis sur le télétravail. Cela provient d'un problème de définition qui varie d'une étude à l'autre : les études ne portent pas nécessairement sur les mêmes populations ni sur les mêmes secteurs d'activités. Les chiffres recouvrent des situations diverses et sont à prendre avec précaution : ils reposent sur des acceptions plus ou moins larges du télétravail selon les pays et peuvent inclure par exemple des commerciaux et des travailleurs indépendants.

1. 15 millions de télétravailleurs aux Etats-Unis, 10 millions en Europe.

En Europe 5.6 % de la population active européenne est concernée par le télétravail soit plus de 10 millions de salariés (données 2001) contre 13 % aux Etats-Unis, soit 15 millions environ.

Sur la période 1994-1999, le télétravail a crû au rythme de 17 % par an au sein de l'Union européenne, atteignant près de 9 millions de télétravailleurs en 1999. La croissance est évaluée à 11 % par an pour la période 2000-2005. A titre de comparaison, le télétravail a augmenté de 20.6 % aux Etats-Unis pour la seule année 2000.

Les Etats-Unis sont donc les leaders mondiaux du télétravail .

Beaucoup d'initiatives fédérales et de nouvelle réglementations ont été lancées pour agir contre la pollution et le chômage (incitations fiscales pour les entreprises qui convertissent une part importante de leur main d'oeuvre en télétravail, existence dans certains cas de quotas de personnes handicapés...). Cela a influencé le développement du télétravail à domicile de façon non négligeable, mais difficile à chiffrer au niveau national. De plus, même pour les acteurs économiques peu intéressés par le confort social et l'environnement, il est à noter qu'investir dans ces secteurs est de plus en plus bénéfique pour l'image de marque de leurs entreprises du fait de l'intérêt croissant que leurs salariés y portent.

2. En Europe, le Danemark tient le premier rang pour la part des télétravailleurs dans l'ensemble de la population active

Les leaders européens pour la part des télétravailleurs dans l'ensemble de la population active sont bien visibles. Danemark (17,4 %), Finlande (12.4 %), Suède (10.1 %) et Pays-Bas (9.6 %) figurent largement en tête.

L'exemple du Danemark est intéressant car il montre comment un pays peut réussir rapidement à mettre en place un nouveau mode de travail permettant aux entreprises d'être plus efficaces et plus compétitives. Cela est dû à une politique volontariste de développement rapide. Les partenaires sociaux ont négocié un accord cadre touchant environ 25 % de la population active en même temps que le gouvernement accordait un dégrèvement fiscal pour les entreprises qui donnaient un ordinateur à leurs employés. Cette mesure précisait que les employés étaient aussi autorisés à utiliser leur PC personnel pour un usage professionnel. L'usage de l'informatique en a été considérablement développé. D'autres actions gouvernementales, comme la libéralisation du marché des télécoms ont placé le Danemark parmi les plus gros utilisateurs mondiaux d'Internet (Tableau 8.5). Tout conduisait donc au développement du travail à domicile dans ce pays.

Tableau 8.5 - Utilisation des technologies de l'information par les entreprises* dans l'UE, fin 2000 (en%)

L'Allemagne et le Royaume-Uni n'apparaissent pas toujours en avance dans les statistiques en pourcentage (un peu plus de 5 %), mais ils devancent la France . Cependant en valeur absolue, le nombre de télétravailleurs dans ces deux pays représente la moitié du total européen. Des actions de promotion du télétravail ont été lancées dans ces pays :

Au Royaume-Uni, un programme « working anywhere », initié en 1999 sous l'égide conjointe des ministres de l'industrie, des transports, de l'emploi et de l'éducation informe sur les cas où le travail à distance peut être intéressant pour les entreprises et le salarié.

En Allemagne, le projet « on for te » lancé par le ministre fédéral de l'industrie et les syndicats met en exergue les pratiques du télétravail les plus probantes et renseigne les télétravailleurs indépendants sur des questions diverses.

Au niveau européen différents projets ont été lancés par la Commission (tels que VIP ou eEurope), visant entre autres à la modernisation de l'organisation du travail au sein de l'économie du savoir, à encourager les grandes entreprises européennes à présenter une politique d'emploi responsable et humaine tout en promouvant le télétravail.

3. En France, une nette résistance au développement du télétravail

La France s'efforce malgré son retard de suivre le pas imposé par la Commission européenne. Quelques actions ont été lancées à titre privé. Par exemple, France Télécom a crée en 2000 la Charte du télétravailleur alterné ou nomade en parallèle avec des sessions de sensibilisation aux atouts et aux risques du télétravail. Un certain nombre de facteurs freinent cependant le développement du télétravail en France.

Les facteurs culturels

Un simple comparatif de la répartition de l'Internet et de la téléphonie mobile en Europe permet d'observer le contraste des usages. Les pays du nord de l'Europe ont su développer ce marché. Ils ont utilisé le haut débit comme un moyen de mettre en place le télétravail. Or la familiarité ou la sensibilisation des populations aux NTIC a un impact fondamental sur l'usage professionnel de ces NTIC. C'est pourquoi l'usage a titre personnel en dehors de tout contexte d'activité professionnelle des technologies de l'Internet est un facteur essentiel de développement des formes de travail utilisant ces technologies. En 2000, la hiérarchie de la pénétration du télétravail reproduit assez fidèlement celle du taux de pénétration d'internet avec un groupe de pays (nordiques puis Royaume-Uni) en tête dans les deux cas (taux de pénétration d'internet supérieur à 10 % et montant jusqu'à 40 % en Suède).

La France est encore victime d'un manque d'information général en terme de télétravail et de NTIC. Cela conduit parfois certains dirigeants a mettre en place le télétravail de façon diffuse et informelle (surtout dans les PME) prenant des risques en termes de management et d'assurance et n'en tirant ainsi pas tout le profit escompté.

Le système législatif a par sa nature une certaine inertie . Or la technique et les usages sont capables d'évoluer très vite. Certaines entreprises scrupuleuses voudront probablement attendre qu'un cadre législatif précis soit établi avant de mettre en place le télétravail. Une enquête menée par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris suggère « un cadre juridique plus clair » comme facteur de développement du télétravail en France.

Les facteurs managériaux

Le télétravail provoque nécessairement des changements de la relation entre employé et manager . Le télétravail nécessite un management par objectifs, une nouveauté pour nombre de salariés. Actuellement la plupart des travailleurs sont évalués sur leur temps de présence, la façon de travailler, l'avancement du travail, vus par les yeux du manager. De plus, le donneur d'ordre doit sentir qu'il a plus de pouvoir que ses subordonnés, qu'il domine leur activité. Or les nouvelles méthodes de travail donnent une place plus importante à la collaboration directe entre les travailleurs diminuant leur interaction avec leur manager. Le seul critère observable pour un télétravailleur, et pas encore généralisé, est le résultat du travail. Les managers doivent donc être formés aux nouvelles méthodes d'encadrement spécifiques à ces nouvelles situations. Une relation de confiance est indispensable afin que le télétravailleur ne craigne pas d'être mis à l'écart professionnellement parlant et que le manager n'aie pas à s'inquiéter de la bonne volonté du télétravailleur.

Les facteurs techniques

Toutes les technologies informatiques, de connexion à distance, d'outils collaboratifs nécessaires au télétravail sont aujourd'hui disponibles. Il manque seulement des produits adaptés aux besoins spécifiques de certaines entreprises. Quoique le télétravail ne concerne qu'un faible pourcentage des actifs, il concerne déjà plus d'un tiers des entreprises en Europe (en France aussi). Il est ainsi tentant d'en déduire que les infrastructures nécessaires au télétravail existent déjà dans bon nombre d'entreprises. Ce qui est très inégal par contre est la couverture des NTIC dans les foyers. D'après une étude du Gartner Group réalisée fin 2000, la France est en retard sur le reste de l'Europe en matière d'Internet. Elle occupe en effet la dernière place des trois grands pays (après l'Allemagne et le Royaume-Uni) pour ce qui concerne l'équipement des ménages et l'usage effectué, et ce malgré un taux de croissance élevé (Figures 8.6, 8.7, 8.8 et 8.9).

Figure 8.6 - L'utilisation commerciale de l'Internet par les entreprises d'Europe du Nord et de la France (en % des entreprises)



Figure 8.7 - Intensité d'utilisation de l'Internet : proportion moyenne de salariés utilisant l'Internet dans le mois

Figure 8.8 - Indicateurs de connectivité (en %)*

Figure 8.9 - Internet et le téléphone mobile dans le monde fin 2001 en millions

Une enquête Gartner Dataquest effectuée auprès de managers européens fait apparaître que 86 % d'entre eux considèrent la sécurité des informations et leur intégrité comme un facteur clé qui peut constituer un obstacle sérieux au télétravail. Or, si l'information échangée entre le télétravailleur et son entreprise ne doit être ni interceptée, ni lue, ni modifiée, à l'heure actuelle il est impossible de déclarer inviolable un quelconque système de sécurité informatique. A cet égard, les questions de sécurité se révèlent un frein au développement du télétravail pour les entreprises ayant à gérer des informations confidentielles.

Les problèmes posés par l'apparition du télétravail s'avèrent principalement liés aux mentalités.
Celles-ci constituent un frein beaucoup plus important que les facteurs techniques. Beaucoup d'activités peuvent être réalisées en situation de télétravail mais les salariés n'en ont pas toujours conscience. Il y a en Europe 25.5 millions de salariés (14.4 aux Etats-Unis) qui souhaitent « télétravailler » mais n'en parlent pas.

Les activités NTIC sont généralement fortement concentrées dans les métropoles. Si les perspectives de développement dans les espaces ruraux semblent non négligeables, les contraintes d'ordre culturel, managérial mais aussi technique, relatives à l'accès aux nouvelles technologies constituent un frein et retardent le développement du télétravail sur l'ensemble du territoire.

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