N° 276

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2002-2003

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 mai 2003

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les aides publiques au cinéma en France ,

Par M. Yann GAILLARD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Roger Karoutchi, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, René Trégouët.

Culture.

INTRODUCTION

« La santé n'est qu'un mot, qu'il n'y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide ».

Knock. Jules Romains.

L'histoire du cinéma français est, aussi, faite de rapports. Leurs auteurs ont, le plus souvent, laissé un nom dans l'histoire politique ou administrative : rapports Petsche en 1935, Carmoy en 1936, avant-guerre 1 ( * ) , mais aussi, plus près de nous, rapports Malécot en 1977 et Bredin en 1982.

Le Parlement, de son côté, a multiplié les études d'excellente qualité, qu'il s'agisse, au Sénat, de celle de notre ancien collègue M. Jean Cluzel au nom de l'ex-Office d'évaluation des politiques publiques et des avis budgétaires de la commission des affaires culturelles ou, à l'Assemblée nationale, sous la précédente législature, du rapport de M. Marcel Rogemont pour la commission des affaires culturelles familiales et sociales.

A ces rapports officiels, il faut ajouter les multiples rapports administratifs réalisés par les corps d'inspection ou par des commissions de professionnels expérimentés réunies à l'initiative du ministère de la culture.

Le présent rapport d'information de la commission des finances, qui vient donc s'ajouter à cette liste impressionnante et qui a bénéficié du concours d'une expertise extérieure a été déposé au printemps 2003 dans un contexte très différent de celui dans lequel il avait été décidé, un an auparavant.

A cette époque, si l'on se préoccupait déjà de l'équilibre financier d'un système d'aide publique sans équivalent dans le monde, c'était parce que le cinéma français était victime de son succès. Et très naturellement, il s'agissait, avant tout, de rechercher de nouvelles sources de financement.

Aujourd'hui, la situation est tout autre ; même si la crise n'est pas ouverte, l'inquiétude porte sur les fondements mêmes de mécanismes, dont la pérennité n'apparaît plus assurée.

Le cinéma français se porte apparemment bien. Jamais le nombre de films produits et le nombre d'entrées en salles n'auront été aussi importants. Pourtant, la profession est inquiète. Parodiant Knock, cité en exergue du présent rapport d'information, on pourrait dire que, pour ce secteur, comme pour d'autres la santé est un état précaire qui ne présage rien de bon...

De fait, on peut avoir le sentiment qu'une page de l'histoire du cinéma français est en en train de se tourner car se profilent une série de facteurs de rupture, qui pourraient bien compromettre le développement du secteur.

Le premier de ces facteurs est la crise de Canal +, qui est menacé à la fois par l'éclatement de la bulle des nouvelles technologies, la saturation annoncée de son marché national et la crise économique. Quelle que soit l'issue de cette crise - et le pire n'est pas toujours sûr -, il est probable que la contribution de Canal + au cinéma français devra être réaménagée pour tenir compte de ce nouveau contexte.

Le deuxième facteur est lié à la fragilité structurelle du secteur de la distribution, qui reste le « maillon faible » de la filière cinéma, soit qu'il ait besoin de s'appuyer sur le secteur de l'exploitation, au risque de susciter des interrogations du point de vue de la concurrence ou du pluralisme, soit que sa rentabilité ne lui permette plus d'assurer convenablement la mise sur le marché d'une quantité croissante de films.

La troisième menace, apparemment lointaine, mais non moins préoccupante, tient à la nécessité dans laquelle la France va se trouver de satisfaire à l'impératif européen, qui, sous couvert de libre-circulation interne, fera objectivement l'affaire du cinéma américain.

Certes, la France bénéficie encore jusqu'en 2004 et peut-être un peu plus longtemps compte tenu de facteurs institutionnels, d'une forme de blanc-seing de la Commission européenne de Bruxelles ; mais il s'agit d'un simple sursis car, comme vos deux rapporteurs ont pu le constater à l'occasion de leur déplacement à Bruxelles, il existe une logique propre au sein de la puissante direction de la concurrence qui la pousse à remettre en cause ce qu'elle considère comme une aide d'État, incompatible avec les règles du marché commun.

Dès lors, le contexte macroéconomique caractérisé par un ralentissement conjoncturel, tout comme les incertitudes qui pèsent sur le paysage audiovisuel, conduisent moins à placer des espoirs dans de nouvelles sources de financement dont l'apport à court et moyen terme ne peut être que limité par rapport aux besoins exprimés, qu'à s'intéresser aux moyens de dépenser mieux les ressources du compte de soutien à l'industrie cinématographique.

Le présent rapport d'information s'est surtout efforcé, dans un horizon déjà bien encombré par de multiples travaux de qualité, de développer une approche spécifique, propre aux commissions des finances, pour s'inscrire dans la perspective de la nouvelle loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances et , plus généralement, de la réforme de l'État .

« Combien ça coûte ? », « les Français en ont-ils pour leur argent ? » Ces questions, sans doute triviales, sont, selon votre commission des finances, tout à fait légitimes. Du point de vue du budget de l'État, il n'y a pas d'exception culturelle : dans le domaine de la culture comme ailleurs, il faut se demander si l'argent public est bien dépensé et se donner les moyens d'apprécier l'efficacité de la dépense.

La loi organique du 1 er août 2001 précitée fait correspondre à chaque enveloppe de crédits, un responsable administratif et des indicateurs de performance. L'application de tels principes au secteur du cinéma, n'est certainement pas simple ; c'est pourtant une des lignes de force qui doit sous-tendre la refondation, nécessaire à moyen terme, du système de soutien budgétaire au cinéma français.

L'autre ligne directrice du présent rapport d'information consiste à prendre acte du fait communautaire pour considérer qu'à longue échéance le système d'aide ne se maintiendra que s'il n'est pas « le seul de son espèce » au sein de l'Union européenne. D'où la nécessité d'adapter les règles du jeu pour rendre le système français sinon transposable du moins interconnectable avec ceux en vigueur dans d'autres pays européens . La déclaration commune des organismes publics européens en charge du cinéma est un premier pas important 2 ( * ) mais qui devra être relayé au niveau gouvernemental pour faire contrepoids aux tendances naturellement très libérales de la Commission européenne de Bruxelles.

En matière de cinéma, l'exception culturelle ne sera durablement défendue contre les assauts qu'elle subit tant à l'extérieur qu'à l'intérieur -et ces derniers ne sont pas les moins violents-, que si elle prend une dimension européenne.

* 1 Auxquels il faudrait adjoindre les propositions d'Henri Clerc, chef de service au ministère des finances, auteur dramatique et député de la Savoie.

* 2 Cf. infra pages 76 et 77.

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