EXAMEN EN COMMISSION

La commission a entendu le mardi 29 avril 2003, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, une communication de MM. Yann Gaillard, rapporteur spécial du budget de la culture, et Paul Loridant, rapporteur spécial des crédits des comptes spéciaux du trésor, sur la mission de contrôle qu'ils ont menée sur le compte de soutien au cinéma français.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial du budget de la culture, a souligné, en introduction, combien l'aide publique au cinéma, financée, pour l'essentiel, à partir de ressources prélevées sur les entrées en salle et sur la publicité télévisée, était emblématique de la fameuse et très française « exception » culturelle. Il a rappelé le contexte dans lequel s'inscrivait la mission de contrôle des aides publiques menée par les deux rapporteurs spéciaux, l'un au titre du budget de la culture, l'autre au titre des comptes spéciaux du trésor, qui s'était appuyée sur l'étude d'un expert extérieur. Il a ensuite souligné le paradoxe d'un cinéma français en bonne santé apparente, avec un nombre de films produits qui n'avait jamais été aussi élevé qu'en 2001, avec 172 films français, contre 120 en 1990, mais subissant, sur le plan économique, les incertitudes qui planaient sur Canal +, dont les apports directs ou indirects à travers les obligations de production avaient été à l'origine d'un certain « âge d'or » du cinéma français.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, a observé que, face à ce changement de contexte, l'augmentation de l'assiette de la taxe vidéo voulue par la profession et décidée par le Gouvernement apparaissait comme une condition, peut-être nécessaire, mais certainement pas suffisante, compte tenu des faibles masses budgétaires en jeu pour permettre au compte de soutien d'assurer, comme il l'avait fait par le passé, la promotion du cinéma français face au cinéma américain. Il a jugé que l'essentiel était ailleurs, dans la gestion de la dépense, selon deux axes : la mise en oeuvre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances avec, notamment, l'application des principes d'évaluation des politiques et de responsabilité des opérateurs, d'une part, la clarification du système de soutien en vue d'une meilleure orientation des aides, d'autre part.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial, a ensuite présenté les pistes tracées par les rapporteurs pour apporter de nouvelles ressources au cinéma français. Il a insisté sur la fragilité financière du secteur du cinéma, que l'on se place au niveau des entreprises -notoirement sous-capitalisées ou endettées- ou du compte de soutien, pour lequel il avait fallu diminuer le taux de retour « producteur », qui était revenu de 140 % en 1999 à un barème dégressif allant de 125 % à 50 % en 2002. Tout en soulignant que les ressources alimentant le compte de soutien constituaient des ressources fiscales, contrairement à ce qu'avançaient fréquemment les « gens du cinéma », et que l'aménagement de ces ressources devait entrer dans le cadre de la maîtrise des prélèvements obligatoires, il a appelé de ses voeux une augmentation limitée de la taxe pesant sur les DVD, sans toutefois aller jusqu'à satisfaire les demandes d'une profession, naturellement « gourmande » en argent public et encline à considérer qu'elle pouvait décider de l'importance du prélèvement comme de la répartition du produit. Il a expliqué l'augmentation de la taxe sur la vidéo, qui devrait consister en un changement d'assiette et non une hausse de taux, par le fait que le marché de la vidéo ou du DVD, étant en « plein boum », devait participer davantage au financement du cinéma. Il a indiqué que la réforme proposée, en accord avec les intéressés, consisterait à prélever la taxe, non plus sur le prix éditeur mais au stade du commerce de détail, comme en matière de TVA, et devrait rapporter un supplément de recettes d'environ 6 millions d'euros la première année en année pleine (2003) et, sur la base d'une augmentation du marché de 20 % par an, sans doute plus de 13 millions d'euros en 2006 (55 millions d'euros contre 36,7 millions d'euros à législation constante).

En ce qui concernait les ressources propres de la filière cinéma, il a invité à consolider et développer les financements existants, en aménageant le régime des SOFICA, par un recentrage sur la production indépendante (2/3 des sommes investies contre 1/3 actuellement), en utilisant pleinement tous les mécanismes de droit commun destinés au capital-risque, en tirant parti du projet de loi sur le mécénat, par exemple en permettant aux producteurs d'affecter leurs droits de tirages non utilisés, qui formaient une partie de la « dette flottante » (égale au total à 90 millions d'euros) à des fondations à vocation patrimoniale, et enfin en accompagnant le cas échéant, l'engagement des collectivités locales par la promotion de SOFICA régionales. Il a en revanche souhaité que ne soient pas bouleversées les relations délicates entre le cinéma et la télévision.

En ce qui concernait les dépenses, M. Paul Loridant, rapporteur spécial des crédits des comptes spéciaux du trésor, a indiqué que les propositions soumises à la commission des finances devaient conduire à une refondation des aides publiques au cinéma. Il a déclaré que cet objectif de refondation reposait sur le constat selon lequel les quelque 150 à 170 films français produits chaque année ne bénéficiaient pas tous d'une exposition idéale sur les écrans de cinéma et de télévision. Il s'est alors interrogé sur la question de savoir s'il fallait produire moins de films français, ou du moins diminuer le nombre de films financés par l'argent public, sans y apporter toutefois de réponse définitive. Il a surtout considéré qu'il fallait chercher des moyens diversifiés, de nature à rendre plus visibles tous les films français, et notamment les films à petit budget.

Il a ensuite exprimé les principes selon lesquels opérer la refondation du compte de soutien au cinéma français, prescrivant une évaluation claire de la politique poursuivie et une responsabilisation des acteurs du système. Il a observé que, dans cette perspective, la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances devrait offrir un outil précieux, même si le cinéma constituait un domaine éminemment qualitatif. Il a remarqué qu'à certains égards, ce serait un test de l'applicabilité de la loi organique au secteur culturel.

Au regard des principes posés par ladite loi organique, M. Paul Loridant , rapporteur spécial, s'est interrogé sur la pertinence du mode d'attribution de l'avance sur recettes, qui reposait actuellement sur un président nommé pour un ou parfois deux ans, assisté de trois collèges de neuf membres changeant a priori tous les ans. Il a souligné que cette rotation très rapide, perçue comme une façon d'associer la profession, empêchait en même temps toute évaluation des résultats. Il a noté l'intérêt d'une transposition éventuelle du cas danois, système performant d'aides au cinéma national, dans lequel c'étaient des « consultants », c'est-à-dire des producteurs, qui choisissaient au nom de l'État d'investir dans des films indépendamment de toute considération commerciale. Il a par ailleurs souhaité que la loi organique incite à appréhender la qualité des oeuvres produites, non en notant individuellement les oeuvres, mais en rendant systématique la collecte d'informations, sur les nombres d'entrées, sur les récompenses obtenues dans les festivals, pour se donner la possibilité d'évaluer les échecs et d'améliorer ainsi le processus de sélection des films financés sur fonds publics.

M. Paul Loridant a également proposé, dans un objectif de refondation du système, de clarifier le régime des aides financières en permettant une meilleure orientation et une plus grande lisibilité des aides. Il a considéré que le système d'aide au cinéma français avait, en effet, perdu beaucoup de sa lisibilité initiale par suite de l'accumulation de « guichets » de toute nature et qu'il fallait désormais « repenser la règle du jeu ». Il a imaginé un système limitant l'aide automatique au seul produit de la taxe spéciale sur les places et séparant, dans l'aide sélective, l'aide accordée sur dossier de façon discrétionnaire sur critères artistiques, dont le prototype était l'avance sur recettes, et les aides ciblées en fonction de priorités structurelles et définies sur la base de critères objectifs de nature commerciale ou comptable.

Enfin, M. Paul Loridant a estimé que cette refondation devrait viser à rendre le système français eurocompatible, expliquant que les contacts pris à Bruxelles montraient « deux visages » de la Commission. Celui de la direction des médias très compréhensif vis-à-vis de la politique française et celui de la division de la concurrence très agressif vis-à-vis d'une politique considérée comme perturbatrice pour les échanges intra-européens, en dépit de son importance objectivement limitée. Il a jugé que si la France avait obtenu un sursis jusqu'en 2004 et peut-être un peu plus, compte tenu du renouvellement de la commission, on pouvait se demander si la France pourrait, à long terme, résister à la pression de Bruxelles, soulignant que la position de la France serait plus forte si elle pouvait avoir des intérêts communs avec d'autres pays membres ayant des systèmes analogues, comme l'Italie. Il a indiqué que l'interconnexion avec d'autres systèmes d'aide avait été jusqu'à présent récusée, dans la mesure où l'aide automatique française était plus généreuse, puisqu'elle incluait des ressources en provenance d'une taxe sur la publicité télévisée, ce qui n'existait nulle part ailleurs, mais que la reconfiguration des aides envisagée par les rapporteurs devrait rendre possible l'ouverture réciproque du système français sur les systèmes européens équivalents.

En complément aux interventions de M. Jean Arthuis, président, soulignant notamment le coût très important du régime des intermittents du spectacle et du régime de TVA réduite dont bénéficiaient les professionnels du cinéma, et de M. Yves Fréville, critiquant le régime fiscal des SOFICA et observant que le système d'aides publiques au cinéma fonctionnait, sous couvert d'exception culturelle, « en circuit fermé », MM. Yann Gaillard et Paul Loridant, rapporteurs spéciaux , ont, tout en insistant sur l'excellent système que représentait l'aide automatique et le rôle qu'elle jouait en faveur de la persistance du cinéma français face au déclin des autres cinémas européens, jugé que le nombre de films produits était vraisemblablement excessif, entraînant un certain gaspillage de talents puisque plus de la moitié des films n'atteint pas 25.000 entrées et 60 % d'entre eux ne sont jamais diffusés sur des chaînes en clair. Ils ont enfin déploré que le système ait favorisé l'inflation du coût des talents.

A l'issue de cette présentation, la commission a donné acte aux rapporteurs des conclusions de leur communication et a décidé d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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