LE CADRE BUDGÉTAIRE AU ROYAUME-UNI EN COMPARAISON
AVEC LE SYSTÈME EUROPÉEN

Pr. Christopher ALLSOPP, Professeur d'économie à l'Université d'Oxford - Merci beaucoup. Tout d'abord excusez-moi de vous parler en anglais. Vous pouvez écouter une traduction en français mais s'il y a une chose qui est plus compliquée que le système économique européen, pour moi, c'est la langue française.

On m'a demandé aujourd'hui de faire deux choses : d'abord vous donner le cadre budgétaire au Royaume-Uni en comparaison avec le système européen, ensuite vous parler de la manière dont un universitaire anglo-saxon voit les problèmes budgétaires européens, les problèmes du Pacte de Stabilité et de Croissance. Je vais commencer par le Royaume-Uni et après je passerai à des observations plus générales.

D'abord, je pense que le cadre de la politique économique fonctionnerait très bien si tous les éléments fonctionnaient. Mais dès qu'un élément ne marche plus, on voit des problèmes et pas forcément là où ces problèmes trouvent leur origine.

Si nous regardons le Pacte de Stabilité et de Croissance je pense qu'il y a trois aspects, trois éléments qui sont responsables des difficultés.

Tout d'abord la politique monétaire.

Ensuite des problèmes d'ajustement au sein d'une union monétaire qui n'est pas mûre parce que les marchés du travail n'y sont pas harmonisés : ils sont très fortement syndicalisés dans beaucoup de pays, mais pas dans tous ; la mobilité entre les pays est réduite. Nous voyons surtout de graves problèmes d'ajustement, notamment en Allemagne, et cela exerce une pression sur le Pacte.

Il y a le Pacte lui-même. Je suis d'accord avec le Professeur FITOUSSI qui dit que ce n'est pas assez souple. L'objectif d'une dette de 0 par rapport au PIB ne trouve pas de justification sur le plan économique ou dans la politique économique.

Au Royaume-Uni nous avons des problèmes de contrôle budgétaire, comme partout, et au fil des années, en même temps que le processus de Maastricht se mettait en oeuvre en Europe, la Grande-Bretagne a adopté un cadre budgétaire qui comporte deux règles principales.

Ces deux règles sont d'une importance égale. Nous avons déjà fait référence à la première, c'est la Règle d'Or qui veut que le budget soit équilibré sur le cycle économique. Le point important c'est la référence au cycle. La politique budgétaire doit jouer un rôle sur tout le cycle économique pour stabiliser l'économie.

Si vous avez une Règle d'Or qui ne s'applique qu'aux dépenses de fonctionnement cela veut dire que votre ratio d'endettement peut s'envoler si vous avez beaucoup de dépenses d'investissement. Mais la Règle d'Or concerne toutes les dépenses.

Par ailleurs, nous mettons l'accent sur la soutenabilité de la dette publique à long terme . Au Royaume-Uni la définition d'une politique soutenable et prudente -et je cite Gordon Brown- c'est une dette qui est inférieure ou égale à 40 % du PIB. Cela permet de financer les investissements publics par la dette pour à peu près 2 % du PIB. Vous voyez que les critères sont un peu plus souples que les critères du Pacte de Stabilité et de Croissance qui cherche l'équilibre ou l'excédent budgétaire.

Comment est-ce que cela fonctionne dans la pratique ? Je ne vais pas rentrer dans les détails mais je peux répondre à des questions plus tard si vous voulez. Je crois qu'on peut dire que la situation budgétaire n'est pas très mauvaise en Grande-Bretagne. C'est à débattre mais je pense que, par rapport à d'autres pays, comme l'Allemagne, elle ne pose pas de problème particulier.

Quant à la règle budgétaire relative à la dette, elle est appliquée et la dette est bien inférieure aux 40 % pour l'instant. Nous sommes en situation de crise en quelque sorte à l'heure actuelle car nous avons besoin d'investir pour nos services publics mais même avec cette crise relative il y a une augmentation modérée de la dette qui reste en dessous de 40 %.

Au Royaume-Uni, lors du processus budgétaire au mois de novembre dernier nous avons publié un document qui considérait la soutenabilité à plus long terme des finances publiques, sur 30 ans. Nous avons regardé les retraites, les changements démographiques, etc... et nous avons appliqué des approches assez prudentes dans ce cadre.

Ce cadre à long terme a été adopté par le « Treasury » au sein du gouvernement et c'est une autre approche du pilotage budgétaire.

Je voudrais regarder dans ce contexte la manière dont d'autres institutions fonctionnent comme le Comité de Politique Monétaire de la Banque d'Angleterre dont je faisais partie dans le passé.

Je me réfère au document de la Banque d'Angleterre qui estime que la politique budgétaire doit jouer un rôle dans la stabilisation. Le problème est de concilier un objectif à long terme qui est contraignant et à l'intérieur de cela de définir quelque chose d'assez différent pour le court et moyen termes.

Je pense que c'est un problème assez commun. La difficulté est que le long terme est très difficile à intégrer dans une politique budgétaire.

Maintenant si je m'écarte un peu du Royaume-Uni je regarderais la situation dans la zone euro. La Banque Centrale est responsable du contrôle des prix et de la stabilité des prix, les autorités budgétaires individuelles sont responsables de la politique budgétaire mais doivent respecter le Pacte de Stabilité et de Croissance, et, troisième pilier, les gouvernements nationaux et les partenaires sociaux sont responsables des salaires au sein de chaque pays.

Si ces trois éléments travaillent ensemble c'est une division du travail et des responsabilité très sensée.

Il est clair aussi que le troisième pilier , c'est-à-dire le contrôle des prix et des salaires , représente un élément très important dans le fonctionnement du système . Nous en parlons d'habitude en termes de souplesse structurelle et de flexibilité des salaires mais cela ne couvre pas tout. Nous devons aussi avoir en tête que ces facteurs conditionnent les taux de change réels des économies comme nous le voyons avec la plus grande économie de l'Union Européenne, c'est-à-dire l'Allemagne.

Beaucoup de recherches suggèrent que la fonction de réaction de la BCE , donc l'ajustement des taux d'intérêt par rapport à l'inflation, par rapport à sa cible et par rapport au niveau de production, par rapport au potentiel de production, est une règle du type de Taylor et j'ai vu que cette règle est très similaire à ce que faisait la Bundes Bank à l'époque.

Même si la fonction de réaction de la BCE est sensée il faut dire que dans la pratique cela n'a pas bien marché. Une des manières dont le système monétaire est censé fonctionner dans une union monétaire ou dans un seul pays est l'équilibrage ou la compensation des chocs courants. En fait la BCE n'a pas réussi à remplir cette tâche, elle n'a pas été assez proactive en soutenant la demande et la production. Cela a exercé une pression sur le budget, sur la politique budgétaire.

Dans un document que j'ai rédigé avec un collègue j'ai soulevé un point un peu plus subtil, mais je pense que le Professeur FITOUSSI y a fait allusion aussi. Une des choses qui est importante dans la conception d'une politique monétaire ou d'une politique budgétaire est que quand nous regardons vers l'avenir il faut tenir compte de la perception ou de la réaction probable des institutions. Quand l'économie est en ralentissement, nous nous attendons à ce que la politique redresse cette situation et fasse l'ajustement nécessaire pour renouer avec une croissance assez rapidement.

D'expérience je peux vous dire que l'objectif des autorités monétaires et le fonctionnement de la politique monétaire ont généré des fortes attentes et l'espoir que, si quelque chose de mauvais devait arriver, il y aurait une réponse pour favoriser le potentiel productif de l'économie. Nous voyons cela chez les consommateurs et aussi chez les investisseurs. Donc, l'aspect de confiance est très important.

Je pense que la BCE n'a pas réussi à transmettre cette idée d'un régime qui regarde vers l'avenir. C'est lié au système de prévision au sein de la Banque et à beaucoup d'autres choses. Il y a une déficience, une insuffisance. Nous n'avons pas confiance en le système, nous ne pensons pas que le système s'occupe non seulement de l'inflation mais aussi du taux de croissance à l'avenir.

La deuxième chose que j'aimerais évoquer c'est quelque chose que l'on néglige souvent par erreur je pense. C'est le problème d'ajustement entre les pays : si vous avez un pays qui a une croissance, qui réalise son potentiel avec une inflation au bon niveau et que tout d'un coup il y a un choc, que le pays n'est plus compétitif à cause d'une hausse des salaires ou parce qu'il y a plus d'épargne et que l'on rentre dans une récession parce que les gens veulent épargner, qu'est-ce qui se passe ? On ne peut pas jouer sur les taux d'intérêt. Donc le seul moyen de combattre cela est qu'il y ait une baisse du taux de change. Mais si cela n'arrive pas on a un déficit budgétaire qui devient persistant.

Je n'ai pas le temps d'entrer dans les détails mais il me semble assez clair qu'un pays qui a un problème persistant pour satisfaire l'objectif d'équilibre de 0 selon le Pacte de Stabilité est l'Allemagne. On discute beaucoup pour savoir si l'Allemagne est compétitive ou non mais je pense que ce n'est pas pertinent. Si l'Allemagne veut remplir les objectifs du pacte il faut qu'elle baisse ses prix et ses salaires par rapport à d'autres pays pour recréer un excédent.

Alors que fait l'Allemagne à l'heure actuelle ? Elle dévalue mais pas d'une manière facile. La déflation ne me préoccupe pas. En Allemagne ou en Europe ce processus n'est pas à craindre. Si l'Allemagne réussit à faire baisser ses prix et ses salaires cela va être désagréable un temps, mais nécessaire et fructueux à terme.

Je pense qu'il y a un fonctionnement asymétrique entre les différents pays. Un pays qui est trop compétitif, qui connaît une surchauffe peut toujours resserrer sa politique budgétaire pour éviter la réévaluation réelle de son taux de change qui serait nécessaire au processus d'ajustement en Europe. Au demeurant, cette réévaluation impliquerait un taux d'inflation plus élevé qui modifierait le taux pour l'Europe dans son ensemble. La BCE pourrait augmenter les taux d'intérêt. L'incitation est donc assez perverse dans l'ensemble parce que les pays qui ont besoin de baisser leur taux de change vont voter contre les autres et ne pas faire l'ajustement nécessaire. Je pense que c'est un des aspects dangereux du système.

Il y a un autre danger : le marché du travail européen n'est pas comme le marché du travail américain. Les systèmes de conventions collectives, de négociations collectives en Europe, ont tendance à intégrer dès le début les éléments du système allemand donc le système n'est pas très bon. La réaction allemande va peut-être faire baisser les salaires et les prix mais en même temps les autres pays vont essayer de suivre ce processus vers le bas et il y aura des dévaluations compétitives donc je pense que c'est un danger.

Il y a des problèmes très graves dont nous ne tenons pas toujours compte dans ce domaine. Nous le voyons surtout, à l'heure actuelle, par rapport à l'Allemagne. Si vous comparez l'Allemagne avec la Belgique et les Pays-Bas vous voyez qu'en Belgique et aux Pays-Bas, sur le plan structurel, il y a un excédent de la balance des paiements. Ils n'ont pas trop de problèmes pour remplir les conditions du pacte. Les taux de change sont dans une situation où l'on remplit ces objectifs. En Allemagne, la situation est tout autre. Le problème de l'Allemagne est lié à la BCE, mais aussi à la situation économique du pays.

Maintenant je voudrais évoquer la question du manque de flexibilité du Pacte de Stabilité et de Croissance. Il y a très peu de logique économique pour soutenir le système tel qu'il est actuellement . Dans le processus de convergence de Maastricht nous avions un objectif assez sensé : nous voulions avoir un ratio d'endettement qui tendait vers 60 %. Ce n'était pas forcément le meilleur objectif mais ce n'était pas bête et l'idée était que, à moyen terme, les déficits pouvaient s'élever à 3 %. C'est tout à fait cohérent avec l'objectif d'endettement de 60 %.

Mais ces 3 % sont devenus un chiffre rigide et maintenant l'interprétation est différente. On dit que, dans chaque pays, il faut faire en sorte que l'on n'atteigne jamais ces 3 % et c'est la justification de l'objectif d'équilibre ou d'excédent du Pacte de Stabilité et de Croissance.

Donc je pense qu'à ce stade il faudrait réintégrer la notion de la stabilité à long terme comme étant l'élément-clé pour la détermination des règles budgétaires.

J'ai été très impressionné par les suggestions de Monsieur PISANI-FERRY qui évoquait l'idée de pacte de soutenabilité de la dette. Nous devons faire référence à des règles de base économique dans l'élaboration de la politique budgétaire.

Beaucoup de gens -comme WIPLOSZ, qui a fait une étude dans le cadre d'une éventuelle adhésion de la Suède à l'Union économique et monétaire- disent que si nous voulons avoir une fonction de réaction sensée qui combine le long terme avec les objectifs de stabilisation à court terme il faut penser à la possibilité d'institutionnaliser la politique budgétaire, il faut confier cela à des institutions.

Quelles seraient ces institutions ? Est-ce que ce seraient les trésors nationaux ou les ministères des finances, comme en Grande-Bretagne ? Ou est-ce que nous devrions confier cela à des comités spécialisés ? En Suède on pense que l'on devrait avoir un comité de politique budgétaire qui fait des commentaires mais qui ne prend pas la décision finale. Nous pourrions en débattre. Je pense que c'est une question importante par rapport à la manière dont nous devrions gérer la politique budgétaire.

Un commentaire final : je pense qu' idéalement chaque gouvernement de la zone euro devrait adopter un cadre budgétaire sensé avec des critères sur lesquels les autres pays sont d'accord . Ainsi nous pourrions décentraliser la politique budgétaire. Ce serait vraiment instaurer la subsidiarité. Mais qu'est-ce qui se passe si les choses tournent mal ? Comment est-ce que l'on peut discipliner les pays qui ne réussissent pas à créer un cadre budgétaire national acceptable ?

Je n'ai pas grand chose à dire là-dessus. J'ai vu que le Professeur PISANI-FERRY a suggéré que les seuls pays qui devraient être autorisés à prendre ce pas sont les pays qui ont déjà une position soutenable, donc les pays qui ont un taux d'endettement de moins de 50 % du PIB par exemple et que les rigueurs du système actuel s'appliqueraient aux autres pays.

C'est une question difficile. Beaucoup d'institutions européennes considèrent que c'est seulement au gouvernement de son pays à qui l'on devrait faire confiance et qu'il faut se méfier de tous les autres gouvernements. Je pense qu'il y a eu beaucoup de laxisme budgétaire dans l'histoire récente. Aujourd'hui, la plupart des gouvernements, pour des raisons de politique intérieure, veulent avoir des règles à moyen terme pour le budget qui sont tout à fait raisonnables.

Parfois on dit que maintenant nous avons des politiques raisonnables uniquement parce qu'il y avait les critères de convergence de Maastricht. Mais en tant qu'observateur extérieur je suis conscient du fait que les règles et les cadres budgétaires ont été adoptés en même temps au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada, en Australie, etc... Tout le monde l'a fait, que l'on fasse partie de la zone euro ou pas.

La question est de savoir si vous avez vraiment besoin de toutes ces règles ou s'il suffit de vous faire un peu plus confiance.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci au Royaume-Uni. Nous avons beaucoup apprécié votre exposé.

Nous allons maintenant nous transporter aux États-Unis avec Olivier GARNIER qui va nous parler des conditions de coordination des politiques budgétaires aux États-Unis et des interdépendances complexes entre la politique budgétaire américaine et le cadre formel de la politique budgétaire en Europe. Vous avez la parole.

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