CONCLUSION ET DÉBAT

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci. Nous venons de clore la série des interventions diversifiées sur le sujet. La table va à nouveau s'exprimer mais je voudrais savoir si dans le public il y a des questions... Profitez-en, il y a vraiment un capital humain d'une valeur inestimable. Et donnez votre nom.

M. Nicolas SOBCZAK. - (Goldman Sachs) Bonjour. J'avais trois remarques : est-ce que passer à la Règle d'Or résoudrait vraiment les problèmes de la France aujourd'hui ? Je n'ai pas l'impression, je ne suis pas sûr que cela permettrait plus de marges de manoeuvre. Je n'ai pas l'impression que cela change grand chose à la problématique budgétaire aujourd'hui.

Le deuxième point est que je n'ai pas été convaincu par le fait qu'il y ait nécessité d'une règle supranationale. J'ai compris que c'est bien d'avoir des règles nationales, simples ou compliquées, mais pourquoi une règle supranationale ? Je n'ai pas l'impression qu'il ait été démontré qu'il y a des externalités si négatives en Union économique et monétaire sur les taux d'intérêt qu'il faille une règle supranationale, c'est-à-dire que grosso modo les Espagnols puissent dire aux Français quelle doit être leur politique budgétaire. Je ne suis pas sûr que les Américains apprécieraient que les Canadiens leur disent quelle doit être leur politique budgétaire.

Et puis dernier point on néglige un élément qui est qu'en général, dans l'économie politique, pour faire des réformes structurelles la politique budgétaire joue implicitement un rôle, c'est-à-dire que la politique budgétaire n'a pas qu'un rôle de stabilisateur automatique, je pense qu'elle aide aussi les réformes structurelles.

Cela a été souvent le cas, on achète les réformes structurelles en Europe par des baisses d'impôts, des baisses de prélèvements et aujourd'hui, si je prends le cas de l'Allemagne, une façon de faire une dévaluation en Allemagne serait d'alléger les cotisations sociales. Or aujourd'hui, à cause du Pacte de Stabilité, on ne peut pas alléger les cotisations sociales et faire de la dette même si, éventuellement, cela permettrait de réduire le coût du travail en Allemagne par rapport à ses partenaires.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci. Qui réagit sur l'applicabilité de la Golden Rule à la France ?

M. Jean-Paul FITOUSSI. - Je ne dirai pas que l'application règlerait tous les problèmes mais qu'il s'agit d'une règle un peu plus intelligente que la règle actuelle. Elle n'est pas optimale, elle est seulement un peu plus intelligente que la règle actuelle. C'est probablement une règle beaucoup plus contraignante que la règle actuelle dans la mesure où elle ne permet en aucun cas de financer par le déficit des dépenses courantes. C'est assez contraignant car les dépenses d'investissement représentent en moyenne européenne moins de 3 points de PIB.

Ce n'est pas cette règle qui va donner la possibilité aux gouvernements européens de pratiquer des politiques exorbitantes, de s'adonner au laxisme mais peut-être que c'est une règle qui leur permettra d'être plus attentifs aux questions fondamentales, c'est-à-dire aux questions d'investissement, de recherche et développement, d'enseignement supérieur.

L'Europe a accumulé un retard considérable et nous savons que dans les années 90 ce qui a été sacrifié, c'est l'investissement. La dégradation que nous observons dans un certain nombre de services publics aujourd'hui en Europe, en règle générale, est une conséquence aussi de cette non considération de l'investissement parce qu'il n'y a pas de « constituency », comme on dit en anglais, derrière l'investissement. Il n'y a pas de groupe de pression. Par rapport aux groupes de pression pour les dépenses courantes, cela ne pèse pas beaucoup.

En ce qui concerne la deuxième question : faut-il une règle supranationale ? Je suis comme vous, je ne suis pas sûr qu'il faille une règle supranationale.

Sur le troisième point qui est un des points fondamentaux, si les gouvernements s'épuisent à faire de la rigueur budgétaire et à essayer de réduire le déficit, ils perdent probablement tout capital politique pour accomplir les réformes. Il y a un arbitrage entre réformes structurelles et rigueur budgétaire. Nous percevons cela dans toutes les expériences réussies de réformes. Il est presque impossible de réaliser des réformes à périmètre constant : il faut accepter qu'une réforme est un investissement sur l'avenir. Si nous réformons par exemple aujourd'hui le système des retraites cela va nous faire économiser beaucoup d'argent dans les années à venir alors pourquoi être aussi pingres aujourd'hui et risquer de ne pas faire passer des réformes utiles ? Voilà ce que je veux dire.

M. Joël BOURDIN, Président. - J'ai cru comprendre que Jean PISANI-FERRY avait aussi une réponse à fournir, ou plusieurs puisqu'il y a trois questions.

M. Jean PISANI-FERRY. - Il y a trois questions qui reprennent bien les éléments du débat. Les exposés ont bien mis en évidence la dualité entre règle nationale et règle supranationale. En France, nous n'avons même pas de règle ni, disons, de vrai cadre de moyen terme pour la politique budgétaire. Une leçon de tout ce débat est que nous aurions de grands avantages à faire progresser notre propre réflexion là-dessus.

Je me rappelle qu'un intervenant britannique dans un débat sur ce sujet disait qu'au sein de la zone euro nous avions un pacte les uns avec les autres, alors que les gouvernements britanniques avaient un pacte avec leur peuple. Le code que nous a présenté Christopher ALLSOPP, le code de responsabilité budgétaire, est un pacte entre le gouvernement, les institutions publiques et la population britannique sur la conduite de la politique budgétaire.

Nous n'avons jamais vraiment eu ce type de réflexion en France. La seule chose que nous ayons faite c'est qu'à un moment nous avons mis en avant la notion de règle de dépense dans un cadre de relativement court terme. Nous disions que nous fixions la dépense en termes réels et que nous laissions ensuite jouer les stabilisateurs automatiques. Cette règle n'incluait pas un objectif de moyen terme pour la dette, ni une réflexion sur la manière de financer les dépenses, sur la manière de traiter les différentes catégories de dépenses. Cela fait cruellement défaut dans les débats de politique économique en France.

Je crois que si nous devions tirer de toute cette discussion une première leçon ce serait qu'il faut que nous améliorions les choses de ce point de vue-là chez nous. Ce serait déjà une première bonne leçon.

La deuxième chose concerne la nécessité des règles supranationales . Je crois effectivement que la règle supranationale doit traiter un problème identifié d'externalité entre pays européens. Le problème identifié est un problème de soutenabilité , c'est-à-dire que le jour où un des Etats membres se trouve dans une situation d'insoutenabilité de la dette publique il y a un réel danger pour les autres parce que cela pose un problème de stabilité financière et de possibilité de marges de manoeuvre effectives de la politique monétaire. C'est cela qu'il faut traiter. C'est pour cela que je suis en faveur d'aller vers la dette, de mettre l'accent sur un pacte de soutenabilité parce que cela répond exactement à cela.

Le dernier point des questions est de mettre l'accent sur un objectif de dette et de soutenabilité à long terme, en tenant compte des engagements implicites. En effet, il peut y avoir un coût budgétaire à court terme de certaines réformes qui puissent améliorer la soutenabilité à long terme. Si nous avions un objectif de long terme nous pourrions répondre à ces difficultés, alors que le cadre actuel invite à se concentrer sur le court terme et à négliger relativement les impératifs de long terme.

M. Jean-Luc TAVERNIER. - En ce qui concerne la Règle d'Or, en complément de ce qu'a répondu Jean-Paul FITOUSSI, il faut voir aussi que la Règle d'Or doit s'exprimer en termes d'investissement net de la consommation de capital fixe, la dépréciation du capital. Ce qui compte c'est de financer par déficit le surcroît d'investissements bruts par rapport à l'amortissement du capital déjà existant. Ce qui rendrait la règle assez sévère en fait parce que ce surcroît d'investissements nets doit être plutôt autour de 1 point de PIB.

Deuxièmement, sur le constat. Je ne trouve pas que soit démontré un défaut d'infrastructures en France. Je ne dirais pas la même chose de tous les pays. En tout cas je peux dire -puisqu'à la Direction de la Prévision il nous arrive aussi d'analyser les projets d'infrastructures qui nous sont proposés de part et d'autre- que nous voyons quand même beaucoup plus souvent des projets au rendement financier et aussi au rendement socio-économique faibles que des projets aux rendements élevés. Il y a des rapports, des audits qui sont publics sur ce sujet-là.

Donc il vaut quand même mieux instruire les projets d'infrastructure plutôt que de dire que toute infrastructure est toujours bonne pour la croissance potentielle. Il peut y avoir, peut-être, à la marge, des problèmes d'infrastructures aux frontières, c'est-à-dire d'infrastructures dont le financement pourrait être davantage mutualisé parce qu'il y a des externalités et que chaque pays individuellement a moins intérêt à les financer, mais globalement non.

Sur les problèmes de fiscalité trop lourde, de cotisations sur les bas salaires, par exemple en Allemagne, nous ne pouvons pas dire que c'est la faute du Pacte de Stabilité sauf à démontrer -ce qui n'est pas facile- qu'en baissant les cotisations sur les bas salaires nous aurions plus de recettes publiques que si nous ne le faisions pas, que donc ce serait une nécessité telle que ce serait une politique qui améliorerait la soutenabilité des finances publiques. Si nous n'arrivons pas à démontrer cela, il faut que l'Allemagne ait une fiscalité moins lourde sur les bas salaires, d'accord, mais il faut qu'elle le finance par des économies ailleurs ou un redéploiement des prélèvements.

M. Marco BUTI. - Très brièvement, est-ce que les 3 % sont utiles ? Je pose la question à Francis MER par la voix interposée de Jean-Luc TAVERNIER. Je pense que oui. Disons que les 3 %, c'est vrai, c'est contraignant, cela gêne mais cela focalise le débat national. Une fois qu'on y arrive, est-ce qu'il faut vraiment des déficits qui vont d'une façon persistante bien au-delà de 3 % ? Je ne pense pas, franchement.

Nous avons des économies mûres, nous avons une dette implicite importante et il faut essayer de la préfinancer au moins en partie. Il y a des marges de manoeuvre qui sont là. Moi je ne suis pas d'accord avec une interprétation inflexible du pacte. Mais quand on passe au-delà d'un chiffre, qui est arbitraire mais qui quand même semble raisonnable, cela focalise les débats publics. Je pense que Francis MER peut un peu se plaindre avec ses collègues quand on lui impose quelque chose qui n'est pas totalement facile. Mais par rapport à ses collègues, quand il revient au gouvernement, par rapport au pays, l'opinion publique a besoin d'avoir quelque chose qui guide le débat et qui permette de dire : « Il y a un problème qu'il faut aborder ». Je ne pense pas que ce soit inutile et que le Ministre des Finances soit mécontent d'avoir quelque chose qui lui lie les mains d'une certaine façon.

Est-ce que le passage à une règle portant sur les dettes en oubliant le déficit est une bonne chose ? J'ai dit auparavant que je pense qu'il faut mettre davantage l'accent sur la dette et je pense que nous pouvons le faire. Le déficit est quand même important dans le sens où, si les externalités de la dette sont des externalités de soutenabilité à long terme, si on regarde la question du « policy mix » avec la politique monétaire, ce qui joue, c'est la réaction à court terme de la politique budgétaire. C'est ça qui est pris en compte dans la fonction de réaction monétaire. Globalement dans la zone euro, où nous partageons la même monnaie, je pense que la prise en compte du déficit peut nous mener à un « policy mix » équilibré.

C'est vrai que la politique monétaire peut toujours régler les choses mais est-ce que, en considérant les conditions structurelles où nous sommes, les déséquilibres à venir et le besoin de croissance potentielle, c'est la même chose d'avoir une politique budgétaire rigoureuse avec une politique monétaire assez laxiste plutôt que le contraire, qui garantisse les mêmes taux d'inflation mais avec une politique monétaire plus restrictive qui compense une politique budgétaire plus laxiste ? Là il y a une question d'appréciation du « policy mix » qui est importante à considérer.

En ce qui concerne les réformes structurelles et la politique budgétaire, les arguments vont dans différentes directions : il y a la vision du « no alternative », c'est-à-dire qu'on fait les réformes dos au mur. L'autre vision est plutôt qu'il faut des marges pour compenser les perdants. Ce sont deux visions.

Si je prends les années 90 j'aurais tendance à dire que l'on voit plus de réformes quand on est en difficulté. L'expérience montre aussi que les pays qui ont fait le plus de réformes de l'Etat « Providence », du marché du travail, des pensions, ..., sont ceux qui ont aussi un déficit très faible ou même des surplus budgétaires. Ce sont les petits pays de la zone euro et de l'Union.

En ce qui concerne le dernier point, la question de l'investissement, il y a une étude qui va être publiée au mois d'octobre dans un numéro de la revue « Economic Policy » qui traite les quatre premières années de l'Union économique et monétaire. Quelle est leur conclusion ? C'est que l'investissement public a moins baissé dans les années 90 dans les pays de Maastricht que dans le reste des pays industrialisés. Il y a une baisse partout mais cela baisse moins ici qu'ailleurs.

La deuxième chose est que l'investissement a moins baissé dans les années 90 que dans les années 80. Il y a un tassement de la réduction. Par ailleurs à partir de 1999 il y a une certaine remontée -faible, mais elle existe- de l'investissement public. La question de l'incompatibilité avec des règles de Maastricht ou du Pacte de Stabilité par rapport aux investissements publics me semble résolue.

Nous n'avons pas parlé ce matin du dernier point mais il est là, c'est la question que posait Jean-Luc TAVERNIER entre pertinence et simplicité. Je pense qu'il faut bien considérer cette question. Cet arbitrage va prendre plus de poids dans le futur avec l'Union élargie où les besoins des pays qui vont rentrer dans l'Union sont différents.

Nous sommes déjà une Union monétaire assez hétérogène mais le degré d'hétérogénéité va augmenter d'une façon importante. Ce que nous voudrions en principe c'est à la fois plus de simplicité, parce que nous connaissons moins ces pays, et qu'ils se comportent bien. Des règles simples le permettront sans doute mieux que des règles complexes.

En même temps ce sont des pays qui ont des besoins d'investissement véritables, très importants, pour le rattrapage de leur PIB et pour avoir un taux de croissance potentielle plus élevé, pour devenir plus riches. Et là nous voudrions plus de différenciation.

Je pense qu'il y a une véritable question sur la manière de concilier, au niveau supranational, des règles qui permettent à la fois cette simplicité et cette pertinence. C'est une question ouverte qui est très importante.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci. Je vais donner la parole à Olivier GARNIER car j'aimerais qu'il nous précise en quoi les règles supranationales ont une influence sur l'évolution du marché, lui qui est aux premières loges en tant que responsable de Société Générale Asset Management. Je ne sais pas si c'est là-dessus que vous deviez intervenir.

M. Olivier GARNIER. - Je voulais d'abord faire une remarque préliminaire : ce qui me frappe dans la discussion que nous venons d'avoir pendant près de trois heures, c'est que nous avons discuté de beaucoup de points du type « Golden Rule », prise en compte de la dette, etc... mais nous n'avons pas du tout discuté du point qui me paraît le plus important à propos du Pacte de Stabilité : la question du régime de transition lorsque des pays sont initialement dans une position budgétaire structurelle très éloignée de l'équilibre.

Comme l'a dit Marco BUTI, il serait faux de dire que le Pacte de Stabilité tel qu'il a été conçu est un instrument procyclique. En tant que tel, c'est un parfait compromis entre flexibilité à court terme et discipline à long terme. Mais pour que cela marche ainsi, il faut partir d'une situation initiale proche de l'équilibre. A partir de là, tout va bien. Mais nous ne nous sommes jamais posé la question -et d'ailleurs elle n'est pas venue dans le débat- de savoir ce qui se passe quand au départ il y a des pays qui ne sont pas dans cette situation d'équilibre et à ce moment-là comment nous traitons le cas de ces pays.

Je crois que c'est là le problème fondamental. Nous sommes passés d'une situation où, au départ, il y avait des critères de convergence qui n'imposaient pas d'être au voisinage de l'équilibre, mais seulement d'être à 3 % du PIB ou juste en dessous. Nous sommes donc partis d'une situation où un certain nombre de pays n'étaient pas dans la situation qui correspond au schéma optimal du Pacte de Stabilité, et nous n'avons jamais défini comment cela devait fonctionner dans ce cas-là.

Récemment, la Commission a fixé un nouveau code de conduite qui dit qu'il faut faire ½ point de PIB de réduction du déficit structurel par an. A mon avis, cette norme prend faussement en compte la situation de la conjoncture puisqu'il faut faire ½ point de réduction du déficit, que l'on soit en récession ou non. Nous voyons bien que, idéalement, il faudrait plutôt dans ce cas-là une règle qui dise aux pays partant d'une situation initiale structurellement déséquilibrée : « Maintenez stable votre déficit structurel en période de récession mais réduisez-le de beaucoup plus que de ½ point en période haute ». En tout cas il nous manque un cadre.

Peut-être que les programmes de stabilité avaient un peu cet objectif-là mais nous voyons bien que c'est quelque chose qui ne marche pas du tout. Les programmes de stabilité sont révisés chaque année, et finalement plus personne ne les regarde vraiment.

J'ajouterai à ce propos que ce n'est peut-être pas un hasard si les seuls pays qui sont aujourd'hui au voisinage de l'équilibre au sens du Pacte de Stabilité sont les petits pays. Ce n'est sans doute pas parce qu'ils ont été plus vertueux. Je pense que cela correspond au fait que, en tant que petites économies ouvertes, cela leur était beaucoup moins coûteux économiquement de faire un ajustement budgétaire.

Pour un pays comme l'Allemagne, où en plus jouent les multiplicateurs au niveau européen, l'ajustement a un impact restrictif plus marqué que dans un tout petit pays, surtout si en plus au moment d'entrer dans l'euro, celui-ci bénéficie d'un choc positif en matière de politique monétaire. De fait, le petit pays bénéficie en même temps d'externalités positives.

Je crois que ce n'est pas un hasard si les trois grands pays, l'Allemagne, l'Italie et la France, ne sont pas encore en bonne situation. C'est une question que je pose, car je n'ai pas de réponse définitive là-dessus. Mais je m'étonne que ce point ne soit jamais traité et cela me paraît plus important que de savoir si nous allons prendre en compte dans le Pacte de Stabilité les dépenses d'investissement, les dépenses de défense ou même la dette publique.

Monsieur le Président, vous aviez aussi une question qui s'adressait à l'homme de marché, pour savoir comment les marchés voient tout cela. La première remarque que je ferai est que, du point de vue des marchés, cela aide toujours lorsqu'il y a des règles, cela facilite le travail. Les marchés, d'une certaine manière, aiment bien avoir un cadre. Nous le voyons aussi à propos de la politique monétaire où, souvent, il y a une revendication des marchés d'avoir un certain nombre d'indications, de cadres qui les aident. En ce sens, le Pacte de Stabilité est utile, les marchés sont un peu fainéants, donc il faut faire une partie du travail pour eux.

En même temps les marchés, les investisseurs, sont très pragmatiques et donc, pour eux, aujourd'hui, du point de vue des marchés, que le déficit français soit à 3,5 % ou soit à 3 % du PIB n'est pas le sujet le plus important. L'essentiel est qu'il y ait, en quelque sorte, comme disait Jean ARTHUIS tout à l'heure, un règlement de copropriété et un certain nombre de règles. Si nous nous mettions à les changer en permanence, dans ce cas-là cela voudrait dire qu'il n'y a plus de règles.

Une fois ces règles posées, la revendication des marchés sera d'en faire une interprétation intelligente. De toute façon, les marchés, en particulier les marchés actions, aiment la croissance, de sorte que tout ce qui va dans le sens de la croissance leur plaira.

Pour autant -je terminerai par là- je crois qu'il ne faut pas définir les règles budgétaires en fonction des marchés. Les marchés les prendront en compte ou non, mais il ne faut surtout pas essayer ni de faire plaisir aux marchés ni de donner trop de poids à ce qu'ils pensent.

M. Joël BOURDIN, Président. - Bien. Est-ce qu'il y a encore une question dans la salle ? Madame, allez-y !

Mme PAMIES Stéphanie. - (Économiste au BIPE.) Bonjour. J'ai juste une petite question qui n'a pas du tout été abordée, c'est la question du budget européen et l'éventuelle mise en place d'instruments de stabilisation fédéraux. Nous avons parlé uniquement des règles mais il y a des économistes qui ont fait des propositions dans ce sens. Je voulais savoir si c'était complètement exclu parce qu'au niveau politique, ce n'est pas possible ou si c'était une proposition qui éventuellement pouvait être considérée.

M. Joël BOURDIN, Président. - Qui veut apporter une réponse ?... Monsieur BUTI ?

M. Marco BUTI. - Non.

M. Joël BOURDIN, Président. - Professeur ALLSOPP.

M. Christopher ALLSOPP. - Je suis désolé de réagir en anglais.

Beaucoup pensaient qu'il était nécessaire d'avoir un système budgétaire fédéral pour pouvoir stabiliser. C'est la grande différence entre les États-Unis et l'Europe. Je pense que l'idée qu'il est nécessaire d'avoir une stabilisation budgétaire centrale n'est pas bonne. Nous pouvons décentraliser cela mais uniquement si le système fonctionne comme il a été conçu. Donc si chaque pays a un système budgétaire où nous laissons fonctionner les stabilisateurs budgétaires nous n'avons pas besoin de centralisation.

Une chose que nous pourrions envisager est que si nous continuons d'échouer au niveau européen il y aura beaucoup plus de pression pour fédéraliser le système budgétaire, pour cette raison-là. C'est déjà arrivé, c'est pour cela qu'il y a un système fédéral aux États-Unis parce qu'au niveau de chaque Etat on n'était pas prêt à laisser fonctionner les stabilisateurs. Souvent on pense que c'est venu d'en haut mais en fait c'est venu d'en bas.

Je pense que c'est une des préoccupations des gens qui ne veulent pas d'un système fédéral et qui poussent cette idée de tout centraliser à Bruxelles. Si nous avons une politique cohérente budgétaire dans chaque pays en Europe il faut deux éléments, la soutenabilité pour chaque pays et donc pour l'ensemble et suffisamment de souplesse à court terme dans ce cadre. Ce n'est pas très compliqué. Si vous regardez n'importe quelle situation ou n'importe quel pays, il ne faut pas très longtemps pour voir si ce pays obéit à cette règle ou pas.

La question, ensuite, est de savoir si des règles sont utiles pour arriver à cette situation pays par pays. La réponse est oui, souvent, mais pas si ces règles sont de mauvaises règles.

En ce qui concerne le Pacte de Stabilité je pense que beaucoup de pays se sont retrouvés dans des situations où si ils obéissent aux règles ils vont avoir l'air complètement stupides. J'ai entendu que c'est quelque chose d'international, de difficilement négociable et donc que nous devrions appliquer ces règles. Mais c'est un non-sens parce que de mauvaises règles n'améliorent pas la crédibilité, au contraire. Si nous persistons à avoir de mauvaises règles il y aura un changement de manière incohérente.

Donc je pense qu'il faut une réforme d'urgence pour empêcher que les gens fassent quelque chose de stupide. Parfois nous avons des règles stupides et nous avons eu des politiques monétaires stupides dans le passé. Je pense que nous pouvons tirer beaucoup de leçons de la politique monétaire. Il y a maintenant des règles, avec un élément de discrétion, qui fonctionnent assez bien. Il y a un modèle pour la politique budgétaire. Avoir des règles pourquoi pas ? Mais ce n'est pas tout.

L'élément fondamental est de concilier soutenabilité et stabilisation, avec peut-être plus que le jeu des stabilisateurs automatiques. Et il faut une certaine souplesse dans ce cadre. Ce n'est pas si compliqué. Si les règles ne sont pas bonnes, il faut les rejeter et revenir à ce qui est fondamental, soutenabilité et flexibilité. Je pense que c'est facile.

M. Joël BOURDIN, Président. - Merci. Alors, je m'adresse aux intervenants, est-ce que vous avez une dernière communication à faire ?... N'oubliez pas que les actes du colloque seront publiés, si vous avez oublié quelque chose, c'est encore le moment de le faire... Jean-Paul FITOUSSI, il me semble, doit ajouter quelque chose.

M. Jean-Paul FITOUSSI. - Je n'ai probablement pas été bien compris par Marco BUTI, je n'ai jamais dit que les politiques avaient été restrictives dans la première période de l'euro, j'ai dit au contraire qu'elles avaient été procycliques. Peu importe les raisons pour lesquelles elles avaient été procycliques. Le fait est que, dès le moment où nous entrons dans le cercle de la procyclicité, il est très difficile d'en sortir.

Sur le problème de l'imputation de cette procyclicité aux gouvernements qui souhaitent baisser les impôts en période de croissance ce n'est pas ainsi que je lis les choses. Ce que je lis c'est que les gouvernements qui souhaitent baisser les impôts disent qu'ils ne peuvent pas les baisser parce que la croissance n'est pas suffisamment forte, sous-entendu qu'ils pourront le faire lorsque la croissance sera revenue. Donc c'est l'impossibilité de les baisser en période de ralentissement de la croissance en raison du Pacte de Stabilité qui conduit à des politiques procycliques.

D'autre part quand une règle est mauvaise il faut le reconnaître. Cette règle est manifestement mauvaise, en tout cas pour l'Allemagne aujourd'hui, c'est-à-dire pour un tiers du PIB européen. Elle est presque sûrement mauvaise pour la France. Le fait que la règle soit mauvaise pour l'Allemagne est évident, même la Hollande s'en est aperçu. Regardez sa conjoncture -et la Hollande n'a aucun intérêt à ce que cette externalité négative de la quasi récession allemande se propage à l'ensemble européen.

M. Jean-Luc TAVERNIER . - Le ministre hollandais vote contre la recommandation à la France parce qu'il la juge insuffisamment restrictive.

M. Jean-Paul FITOUSSI. - Oui mais ce n'est pas la première fois qu'il y a des assauts de dogmatisme dans les conseils européens. Rappelez-vous de l'Allemagne qui souhaite absolument obéir au Pacte de Stabilité quoiqu'il en coûte.

L'autre question est que nous sommes dans le cadre d'une expérience. C'est une expérience qui en est à ses balbutiements et qui, dans la période de transition -comme je l'avais signalé- a corrigé beaucoup d'erreurs initiales qui ont été réalisées, et notamment des erreurs quant aux taux de change d'entrée dans l'euro, mais pas toutes les erreurs. L'Allemagne est entrée avec un taux de change surévalué, c'est une partie de son problème et l'empêcher d'utiliser la politique budgétaire c'est lui faire traîner un problème structurel pendant beaucoup plus de temps que nécessaire et cela au profit de personne, au profit d'aucun autre pays européen.

Ce qu'a dit Monsieur ARTHUIS est tout à fait exact, nous avons besoin de biens collectifs communs, de biens publics en Europe et ces règles font partie de cette transition. Elles font partie d'une transition vers le fédéralisme qui me semble tout à fait nécessaire mais dans cette transition il ne faut pas oublier le politique parce qu'à entendre les économistes et à comprendre exactement toutes leurs raisons, on finit par se dire que tout irait mieux dans le monde dans lequel nous sommes si les hommes politiques n'intervenaient pas.

C'est un raisonnement qui me paraît relever d'une conception très dangereuse de la démocratie qui est en train de disparaître un peu partout dans le monde, ce qui fait que l'Europe est à peu près la seule région du monde à ne pas utiliser sa souveraineté, en tout cas une souveraineté forte. Nous voyons que c'est assez différent dans d'autres régions du monde.

Maintenant pour ce qui concerne les États-Unis -parce que je veux répondre à Olivier GARNIER- c'est vrai qu'ils se donnent des règles mais se sont des règles qu'ils peuvent modifier. Le Congrès américain définit des règles budgétaires et les modifie quand il le souhaite. Le problème des règles européennes est qu'une fois que nous nous les sommes données il est quasiment impossible de les modifier. Ce sont quasiment les seules dispositions constitutionnelles, c'est la seule Constitution qu'il n'est pas possible de modifier. C'est incroyable quand même ! On a modifié la Constitution de tous les pays de façon assez fréquente dans les dix dernières années mais apparemment la seule Constitution qu'il n'est pas possible de modifier, même lorsqu'il y a unanimité sur l'une de ses dispositions qui est mauvaise, en tout cas dans son écriture actuelle, comme le Pacte de Stabilité, c'est la Constitution Européenne. Il faut réfléchir à ce problème.

M. Joël BOURDIN, Président. - Qui veut ajouter un mot ? Jean PISANI-FERRY.

M. Jean PISANI-FERRY. - Merci. J'ai deux points à ajouter.

Le premier porte sur ce débat que nous avons eu sur le fait de savoir s'il faut faire de la réforme interne ou de la réécriture comme disait Marco BUTI. Est-ce que nous pouvons modifier les règles ? Il me semble qu'il ne faut pas surestimer les difficultés. Je crois qu'il y a mérite à avancer par la voie interprétative. Mais au bout d'un moment la voie interprétative touche ses limites parce que son défaut est évidemment que la lisibilité des règles s'affaiblit et que l'impression prévaut que les règles sont appliquées de manière différente aux uns et aux autres, selon des critères qui ne sont pas nécessairement très précis et avec un doute sur l'équité dans l'application des règles.

Il me semble que nous pouvons tirer des leçons de ce qui s'est passé en matière bancaire. Nous avons fixé des règles pour les ratios de solvabilité des banques et puis nous nous sommes aperçu que ces règles qui étaient nécessaires avaient un certain nombre de défauts et nous les avons changées. Nous avons utilisé des règles plus complexes, plus sophistiquées.

Je pense que nous avons exactement le même type de problème, c'est-à-dire que nous avons reconnu le problème de l'existence d'une question de discipline collective, nous avons fixé une règle, nous nous apercevons des défauts de cette règle et maintenant il faut passer à une règle plus sophistiquée. Alors il y a du travail à faire et il y a des problèmes techniques mais il me semble que ces problèmes ne sont pas insolubles et en particulier il me semble que le fait -c'est Jean-Luc Tavernier qui disait cela- que le déficit structurel soit quelque chose de contestable parce qu'il y a différentes méthodes pour définir un déficit structurel, s'applique à beaucoup de choses.

La notion de déficit elle-même est le résultat de normes comptables, la notion de dette est le résultat de normes comptables donc il faut avancer dans l'élaboration de normes qui, une fois qu'elles sont élaborées et qu'elles sont fixées, peuvent être utilisées et donner lieu à des chiffres qui sont publiés. Ce dont le processus politique se saisit ce sont de chiffres qui sont établis selon une certaine méthode. Le degré de technicité de la méthode qui conduit à l'élaboration de ces chiffres n'est pas quelque chose qui regarde le politique. Le politique a besoin qu'à un moment on lui dise : « Voilà la variable sur laquelle vous devez raisonner. »

Je pense qu'en matière de discipline budgétaire nous avons besoin d'aller vers des variables qui sont des variables plus sophistiquées comme nous l'avons fait dans d'autres domaines.

Deuxième point, très rapidement : il y a un débat que nous avons moins eu mais qui était présent dans les interventions de Christopher ALLSOPP et de Olivier GARNIER qui porte sur le fonctionnement du système, c'est-à-dire la relation entre politique monétaire et politique budgétaire et la compréhension par les acteurs du fonctionnement du système.

Il me semble simplement que là-dessus nous avons une difficulté qui n'est pas tout à fait résolue ou qui est non résolue mais qui est centrale, c'est de savoir qui est supposé jouer en dernier. Est-ce que nous avons besoin d'avoir des politiques budgétaires très prévisibles avec une politique monétaire qui, du coup, devient l'acteur ultime ? Ou est-ce qu'à l'inverse nous avons besoin d'avoir une politique monétaire très prévisible avec une politique budgétaire qui devient l'acteur ultime ?

Dans d'autres pays on a choisi. Par exemple le système britannique est très clair de ce point de vue-là. Dans le cadre européen il me semble que nous sommes encore entre les deux. La troisième solution qui serait de dire que les deux acteurs se parlent et qu'il y a une espèce de coordination implicite entre les deux est exclue par les caractéristiques institutionnelles de notre système.

Il me semble que nous avons derrière des questions spécifiques, une question de fonctionnement d'ensemble importante.

M. Joël BOURDIN, Président. - Est-ce qu'il y a une autre demande de prise de parole ?... Oui, allez-y Professeur ALLSOPP.

M. Christopher ALLSOPP. - Par rapport à l'interaction entre la Banque Centrale, les autorités fiscales et les autres éléments du système, je pense que c'est un élément crucial. En Grande-Bretagne la Banque Centrale ne fait pas de commentaire sur la politique budgétaire parce que le système a délégué la politique monétaire à une institution indépendante. Je pense que c'est vrai aussi en Europe puisque le système a délégué un rôle de contrôle de l'inflation à la Banque Centrale Européenne.

Mais je pense qu'il n'est pas bon que la BCE se pense gardienne de la politique budgétaire sous forme du Pacte de Stabilité et que la Banque Centrale dise des choses sur l'ajustement ou sur le marché de l'emploi. Je pense que le rôle de la Banque Centrale doit rendre les conséquences de certaines actions très claires en termes d'inflation. Donc il faut que la Banque Centrale Européenne soit claire sur les conséquences de telle ou telle action sur l'inflation uniquement.

Je pense que c'est un point très important parce qu'il y a trop de monde qui essaye de redessiner l'Europe donc il faut définir clairement les rôles.

Une chose que je n'ai pas dite est que j'estime que nous n'avons pas besoin de règles budgétaires. Je suis plutôt en faveur d'un pacte de soutenabilité de la dette . Mais si nous voulons éviter des situations où un pays compétitif compense par du déficit et plus d'endettement, il faut une certaine contrainte budgétaire. Je pense que c'est quelque chose que nous pouvons faire si nous mettons l'accent sur la soutenabilité de la dette à long terme.

Le danger du système actuel qui est très centré sur les évolutions budgétaires immédiates est qu'il crée une situation où le fardeau de l'ajustement repose sur des changements d'évolution des prix et des salaires. C'est quelque chose qui nécessite, en général, beaucoup de temps, alors que l'on demande à ces éléments du système de s'ajuster très rapidement. Nous devrions obliger les pays à gérer le changement au cours du temps. Mais il faut clairement dire que les ajustements doivent se faire. Je pense que nous pouvons faire un arbitrage entre la vitesse d'action en termes budgétaire et la vitesse à laquelle nous agissons dans d'autres domaines.

Pour ce qui est de l'Allemagne, on pourrait dire que l'Allemagne doit augmenter ses impôts demain pour trouver un équilibre budgétaire, mais cela représenterait un coût énorme en termes d'ajustement pour l'économie allemande. Donc il y aurait une période rapide de désinflation et le taux de change réel décroîtrait très rapidement. Je pense que ce serait très négatif pour l'Allemagne et l'Allemagne serait amenée à quitter l'Union. Ce serait très mauvais aussi pour des pays voisins comme la France.

Le système budgétaire est une soupape de sécurité mais il ne faut pas ignorer le long terme. Voilà pourquoi le concept de soutenabilité est très important.

Un point supplémentaire : je pense qu'il est difficile de définir l'insoutenabilité mais nous savons ce que cela veut dire sur le plan économique. Il faut traduire cela en pratique.

Pour ce qui est du Royaume-Uni et de la Règle d'Or, l'idée est de créer plus de marge de manoeuvre pour les investissements publics mais je pense que l'élément le plus important ce n'est pas la Règle d'Or en tant que telle, c'est la clause de soutenabilité des règles et aussi l'ajustement cyclique qui implique que le système peut contribuer à la stabilisation.

Si vous voulez desserrer le Pacte de Stabilité et adopter une Règle d'Or, je pense qu'il vaut mieux desserrer le Pacte de Stabilité sans pour autant avoir une Règle d'Or. Je pense qu'il faut avoir une bonne soutenabilité du secteur public.

Merci beaucoup, Monsieur le Président. J'ai vraiment apprécié de participer à ce colloque.

M. Joël BOURDIN, Président . -Écoutez, merci beaucoup pour avoir participé à un débat qui me semble vraiment très fructueux. Nous publierons les actes de ce colloque dès que nous aurons le compte rendu de la sténotypie. Vous en serez évidemment destinataires.

(La séance est levée à 13 h 10).

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