3. L'attitude de l'Union européenne

a) Anticiper sur l'échéance : une stratégie payante ?

La perspective de la négociation agricole a amené l'Union européenne à revoir, de manière anticipée, sa politique de soutien agricole. La proposition de réforme de la PAC présentée par la Commission européenne le 10 juillet 2002 a certes été principalement justifiée par des considérations d'ordre interne, mais aussi par l'existence de ce nouveau cycle de négociations. La Commission a souligné que, en découplant les aides de la production, c'est-à-dire en ne les subordonnant pas mécaniquement aux volumes produits, la réforme placerait l'Union à l'abri de la critique, puisque les aides découplées sont censées ne pas avoir d'effet important de distorsion sur les échanges (5 ( * )) .

Cet argument, assurément valable, avait suscité à l'époque des doutes et des inquiétudes. En effet, l'objectif de l'Union dans les négociations de l'OMC ne pouvait être simplement de se mettre à l'abri de la contestation, mais aussi d'arriver à un compromis qui soit acceptable du point de vue des intérêts européens, y compris les intérêts agricoles.

Le premier résultat de la présentation du projet de réforme a été de rendre incertaine et peu crédible la position de négociation de la Communauté. Un accord s'était fait sur le principe que l'« Agenda 2000 », tel qu'arrêté au Conseil européen de Berlin en mars 1999 pour la période 2000-2006, devait être la base de négociation des Européens pour le nouveau cycle. À partir du moment où une réforme était lancée, ce qui constituait un profond changement de logique, la Communauté n'avait plus de position claire. On ne pouvait exclure que ce revirement la place en position de faiblesse dans la négociation.

La réforme de la PAC a été finalement acceptée par les quinze le 26 juin 2003 lors du Conseil de Luxembourg. La suite des travaux à l'OMC dira si l'attitude européenne consistant à anticiper sur la négociation internationale constituera pour elle un atout ou pas. En tout état de cause, pour le gouvernement français, cette réforme a été arrêtée « pour solde de tout compte » et il n'est pas envisageable d'accepter, lors de la Conférence de Cancun, d'aller au-delà des modifications déjà apportées.

Les milieux professionnels continuent de craindre, en effet, qu'après les efforts consentis au titre de la réforme de la PAC, d'autres renoncements soient exigés des agriculteurs européens au titre de la négociation OMC.

L'attitude de l'Union paraît pourtant très ferme, puisque selon Franz Fischler, commissaire chargé de l'agriculture, cette nouvelle PAC « renforcera la position de l'Europe dans les négociations dans le cadre du programme de Doha pour le développement. L'Union européenne a fait ce qu'elle avait à faire, il appartient maintenant à nos partenaires de prendre des initiatives afin d'assurer la réussite des négociations commerciales à l'OMC. Mais, ne nous y trompons pas : lors de la réunion ministérielle de Cancun, l'Union européenne ne sera disposée à entamer son capital de négociation que si nous obtenons des contreparties. L'heure n'est pas au désarmement unilatéral. La balle est désormais dans le camp des autres pays, notamment les États-Unis, dont la politique agricole continue de provoquer d'importantes distorsions des échanges, qui ont même tendance à s'aggraver. »

b) La PAC réformée

La réforme en profondeur de la PAC qui vient d'être adoptée par les ministres de l'agriculture de l'Union européenne modifie radicalement les modalités de financement du secteur agricole communautaire. Cette nouvelle donne met l'accent sur les consommateurs et les contribuables, tout en permettant aux agriculteurs d'ajuster leur production en fonction des exigences du marché.

Le découplage des aides

Désormais, une partie importante des aides sera versée indépendamment des volumes de production, conformément à l'impératif de « découplage ». L'accord trouvé prévoit toutefois un découplement partiel dans certains secteurs et des exemptions totales pour d'autres. En outre, pour éviter certaines baisses de production, les États membres pourront choisir de maintenir une logique d'aide liée au volume de production, mais les éléments de couplage devront s'inscrire dans des limites et des conditions clairement établies.

Les aides prendront la forme de paiements uniques par exploitation et seront subordonnées au respect de normes environnementales, de sécurité alimentaire, de bien-être des animaux, de santé animale et végétale, ainsi qu'à l'exigence du maintien de toutes les terres agricoles dans des conditions agronomiques et environnementales satisfaisantes. Il est attendu du découplage une meilleure compétitivité des agriculteurs européens et une plus forte réactivité par rapport aux attentes du marché, tout en stabilisant leur revenu.

La révision des organisations de marché

Le Conseil a également décidé de réviser les organisations de marché dans les secteurs du lait, du riz, des céréales, du blé dur, des pommes de terre féculières, des fourrages séchés et des fruits à coque.

Il est ainsi notamment prévu :

- des réductions asymétriques des prix dans le secteur du lait : le prix d'intervention du beurre sera réduit de 25 % sur quatre ans, soit une baisse supplémentaire de 10 % par rapport à l'Agenda 2000 ; en revanche, la réduction de 15 % sur trois ans pour le lait en poudre écrémé est maintenue telle qu'elle était prévue par ce même Agenda 2000 ;

- une diminution de moitié des majorations mensuelles dans le secteur des céréales avec maintien du prix d'intervention actuel.

Une nouvelle politique de développement rural

La PAC réformée propose une politique de développement rural renforcée, dotée de moyens financiers accrus et assortie de nouvelles mesures destinées à la promotion de l'environnement, de la qualité et du bien-être animal, ainsi qu'à aider les agriculteurs à appliquer les normes de productions communautaires à partir de 2005.

Cette politique sera financée par une réorientation progressive des aides directes versées aux grandes exploitations, système dit de la « modulation » des aides.

L'instauration d'un mécanisme de discipline financière

Afin de respecter strictement le cadre budgétaire assigné à l'Union des vingt-cinq jusqu'en 2013, les ministres ont décidé la mise en place d'un mécanisme de discipline financière, qui prévoit la possibilité d'ajuster, à partir de 2007, le montant des aides directes si le plafond du budget agricole risquait d'être dépassé.

Les différents éléments de la réforme entreront en vigueur en 2004 et 2005, notamment pour le paiement unique par exploitation dont le montant sera calculé par référence à la période 2000-2002 avec des plafonds globaux par État membre. Cette date sera reportée à 2007 au plus tard pour les États membres qui souhaiteront disposer d'une période de transition en raison des particularités de leur situation agricole.

c) Peut-on concilier normes environnementales plus strictes et ouverture accrue du marché communautaire ?

La réforme proposée met particulièrement l'accent sur les questions d'environnement et de bien-être animal : pour percevoir les aides directes, les exploitants devront impérativement satisfaire à des conditions rigoureuses dans ces domaines. Mais l'Union ne pourra sans doute pas imposer des règles aussi sévères que les siennes à ses partenaires de l'OMC. Nous risquons donc d'avoir finalement sur le marché européen deux catégories de produits : d'un côté, des produits européens qui auront été obtenus dans le respect de l'environnement et du bien-être animal, dont la qualité sanitaire sera sans doute excellente, mais qui auront des coûts de production relativement élevés ; de l'autre, des produits importés qui auront été obtenus dans des conditions bien moins strictes, qui seront nettement moins coûteux, et qui bénéficieront d'un accès élargi au marché communautaire, puisque chaque cycle de négociation se traduit par une ouverture supplémentaire du marché européen.

Comment se comportera le consommateur européen face à ces deux catégories de produits ? En réalité, on peut observer qu'il y a des oscillations dans le comportement des consommateurs ; des tendances qui paraissent être très fortes à un certain moment se révèlent parfois peu durables. Chaque fois que survient une crise sanitaire, le consommateur devient plus attentif, plus exigeant, et accepte de payer plus cher des produits qui lui paraissent plus sûrs ; quand le souvenir de la crise sanitaire s'estompe, le facteur « prix » reprend toute son importance.

Seulement, dans l'hypothèse pessimiste où la production européenne perdrait quelques parts de marché à l'intérieur de l'Union, comment s'effectuerait l'équilibrage ? Jusqu'à présent, chaque nouveau cycle de négociation s'est traduit par de moindres possibilités de subvention à l'exportation. La Communauté risque donc d'avoir demain des difficultés plus grandes à exporter d'éventuels surplus. Par ailleurs, la réforme tend à faire disparaître la plupart des éléments de gestion des marchés. Dans ces conditions, on voit mal comment la Communauté pourra faire face à d'éventuels surplus, si ce n'est en acceptant que les prix de marché diminuent sensiblement. Toutes les exploitations n'y survivront pas.

Il n'est donc pas certain que, après la réforme, les négociations de l'OMC se présentent mieux pour la Communauté, du moins si le but n'était pas seulement d'échapper à la contestation, mais d'arriver à un résultat équilibré. Car, pour que la réforme ne risque pas de conduire à une contraction de l'agriculture européenne, il faudrait obtenir soit l'adoption par l'OMC de normes bien plus strictes, soit le maintien d'une protection suffisante à l'importation, assortie de la possibilité de soutenir si nécessaire nos exportations : or ce ne sont pas les dossiers les plus faciles à plaider au sein de l'OMC.

* (5) On rappellera que les soutiens internes ont été répartis, à Marrakech, en trois catégories :

- la « boîte verte » qui regroupe les aides autorisées car « découplées », considérées comme produisant un effet de distorsion nul ou faible sur la production ou sur les échanges ;

- la « boîte bleue » qui regroupe les aides couplées à la production et les aides transitoires associées à une maîtrise de l'offre. Ces aides sont appelées à disparaître progressivement ;

- la « boîte orange » qui regroupe les interventions sur les marchés et toutes subventions produisant un effet de distorsion sur les échanges. Ces aides sont interdites.

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