CONCLUSION

La Russie que nous avons approchée nous est apparue comme un pays en mouvement, en marche vers la modernité .

Le travail de reconstruction de l'Etat et du droit, les réformes engagées dans les différents secteurs de l'économie, le dynamisme de la croissance, la naissance d'une société de consommation sont des signes positifs illustrant les changements en cours.

Certes, malgré la progression sensible des revenus depuis trois ans, une large partie de la société russe souffre encore d'une très grande pauvreté , conséquence à la fois des bouleversements économiques et de l'effondrement de l'Etat social. Les inégalités entre quelques nouveaux riches et la majorité de la population n'en sont que plus criantes. En outre, la dégradation de l'état sanitaire de la population demeure préoccupante.

Compte tenu de son potentiel, il ne fait cependant aucun doute que la Russie rejoindra un jour les pays développés. Deux conditions doivent, pour cela, être remplies.

Cela suppose, d'abord, qu'elle ne s'enferme pas dans le piège de la rente énergétique, mais au contraire qu'elle parvienne à initier un développement autonome , en finançant, à partir des ressources tirées des exportations de pétrole et de gaz, une diversification de sa production.

Mais ce rattrapage dépendra aussi de sa capacité à attirer les capitaux extérieurs dont elle ne peut se passer, compte tenu de l'ampleur des besoins, pour financer sa modernisation. Cela suppose un profond changement des mentalités et des comportements (pesanteur bureaucratique, corruption...) auxquels se heurtent encore trop souvent les entreprises étrangères qui s'implantent dans ce pays.

La présence, au sein de la génération montante, de jeunes entrepreneurs dynamiques et pressés de réussir, laisse penser que l'avenir est assuré . La question demeure cependant de savoir combien de temps il leur faudra , à eux et à l'ensemble de ceux attachés au changement, pour transformer l'ancien « Empire immobile » .

Enfin, il est nécessaire de rappeler avec force que la Russie fait partie de l'Europe , ce qui conduit à souhaiter un approfondissement des relations entre ce pays et l'Union européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 21 janvier 2004, la commission des Affaires économiques a entendu la présentation par M. Gérard Larcher du rapport d'information sur la Russie.

A titre liminaire, M. Gérard Larcher, président , a indiqué que ce rapport faisait suite au déplacement en Russie d'une délégation de la commission des affaires économiques, pendant neuf jours, en septembre 2003, et qu'il reprenait, en les développant, les principales observations qu'il avait présentées à la commission la semaine suivant le retour de la mission. Rappelant que cette mission visait à appréhender l'économie russe sous l'angle de ses trois principaux secteurs (l'énergie, l'agriculture et les transports), il a précisé qu'elle avait conduit la délégation à visiter non seulement Moscou, capitale politique et économique de la Russie, Saint-Pétersbourg, sa capitale culturelle, mais aussi deux villes de province : Tioumen, au coeur de la Sibérie occidentale, et Krasnodar, située dans une riche région agricole bordant la Mer Noire.

M. Gérard Larcher, président , a estimé, tout d'abord, que la Russie était un pays en mouvement, en marche vers la modernité. Evoquant la situation politique, il a constaté que depuis l'arrivée de M. Vladimir Poutine au pouvoir, ce dernier avait mis en oeuvre un mouvement de reconstruction de l'Etat et du droit. Il a fait valoir que cette réaffirmation de l'autorité de l'Etat visait à faire contrepoids à certains gouverneurs des régions, qui avaient conquis une influence considérable ces dernières années. Il a alors évoqué la nomination, en 2000, de sept super-préfets, investis de l'entière confiance du Président russe, à la tête de sept grandes circonscriptions régionales, l'adoption de lois redéfinissant le partage des attributions entre l'Etat fédéral et les 89 « sujets » de la Fédération, ainsi que la publication de textes et de codes destinés à doter le pays d'un cadre juridique moderne. Cette ambition, a-t-il ajouté, est également illustrée par la mise en oeuvre, certes non encore achevée, d'un vaste programme de réformes structurelles, comprenant notamment l'ouverture des monopoles naturels, la simplification des réglementations applicables aux PME, la consolidation du secteur bancaire ou encore la réduction de la pression fiscale. Il a expliqué qu'afin se donner les moyens politiques de conduire cette action, M. Vladimir Poutine avait formé et soutenu le parti « Russie Unie », qui avait remporté une large victoire aux élections législatives de décembre dernier. Il a relevé, par ailleurs, que le Kremlin s'attaquait, non sans arrière-pensées, à la collusion fréquemment constatée en Russie entre sphère politique et affaires, en particulier lorsqu'elle menace des intérêts stratégiques ou politiques, comme tel fut le cas dans le dossier « Youkos ».

Abordant les enjeux économiques, il a noté qu'après des années de transition brutale et le choc provoqué par la crise financière de 1998, la Russie enregistrait, depuis 1999, une croissance économique formidable, comprise entre 6 et 9 % par an, alors que, dans le même temps, les investissements avaient augmenté de 35 %. Expliquant que ce dynamisme puisait sa source dans la restauration de la compétitivité des produits russes permise par la dévaluation du rouble et, surtout, dans la bonne tenue du cours des matières premières énergétiques, M. Gérard Larcher, président , a indiqué qu'il en résultait un important excédent de la balance commerciale, un assainissement des finances publiques et un retour des capitaux en Russie. Il a relevé que cette croissance était aussi visible sur le terrain, comme en témoignaient les chantiers en cours dans les grandes villes et l'apparition de grandes surfaces à la périphérie de celles-ci.

Enfin, il a souligné que la société russe connaissait, elle aussi, de profondes mutations. Il a constaté que si les Russes découvraient avec une certaine frénésie -et sans toujours pouvoir en profiter- les séductions de l'argent et de la consommation, une grande partie de la population vivait toutefois dans un état de pauvreté qui s'était aggravé avec la transition économique et la crise de 1998. Le salaire moyen, a-t-il ajouté, est de 200 dollars par mois et environ un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il a fait observer que l'effondrement de l'Etat social rendait le quotidien plus difficile (logements dégradés, coût prohibitif des soins...), expliquant l'amertume d'une partie de la société et la nostalgie à l'égard d'un régime qui se donnait comme objectif de pourvoir au bien-être de tous. Après avoir indiqué que la surmortalité liée à la dégradation de l'état sanitaire et la faiblesse de la natalité avaient pour conséquence une diminution de la population d'environ 800.000 personnes chaque année, il a insisté sur le fait que ces bouleversements se traduisaient aussi par une quête de repères et d'identité, dont témoignait le renouveau de l'orthodoxie. Il a constaté, par ailleurs, que le passage au libéralisme suscitait, chez certains, une avidité les portant vers la recherche de l'argent facile par les petits trafics, le « business », notant que cette tendance à privilégier des projets offrant un retour rapide sur investissement pouvait s'avérer un handicap pour le développement économique du pays à moyen et long terme.

M. Gérard Larcher, président , a ensuite mis l'accent sur les hypothèques pesant sur la dynamique du développement en Russie. Soulignant que celle-ci reposait, en grande partie, sur la croissance du secteur énergétique qui, a-t-il rappelé, représente 15 % du PIB, la moitié des exportations, 75 % des investissements et deux tiers des recettes fiscales, il a considéré que cette situation plaçait l'économie et l'Etat à la merci de la moindre baisse des cours sur le marché de l'énergie. En outre, a-t-il poursuivi, le dynamisme de l'exploitation pétrolière et gazière bride le développement des autres secteurs d'activité, de sorte que le pays ne parvient pas à diversifier sa production industrielle et à répondre à la demande de son marché intérieur, notamment en matière de biens de consommation. Ayant, par ailleurs, fait valoir que l'inertie de l'administration pouvait constituer un obstacle à l'application des réformes engagées, il a indiqué que la pesanteur des procédures, la corruption et l'insécurité juridique, très répandues en Russie, pouvaient également décourager l'initiative privée. Il a estimé que la faiblesse du système bancaire était un handicap structurel pour l'économie russe, compte tenu de l'ampleur de ses besoins d'investissement. Soulignant qu'en conséquence, la Russie ne pouvait se passer de l'apport que représentent les capitaux extérieurs, il s'est étonné des manoeuvres auxquelles se livrent parfois certaines entreprises nationales, avec la complicité du pouvoir, à l'encontre des investisseurs étrangers.

Enfin, abordant l'analyse des trois secteurs économiques plus précisément étudiés dans le cadre du rapport, M. Gérard Larcher, président , a d'abord rappelé que l'énergie était le premier secteur d'activité en Russie. Après avoir indiqué que l'exploitation pétrolière russe était, pour l'essentiel, aux mains d'un petit nombre de compagnies privées rivalisant aujourd'hui avec les majors occidentales, il a souligné que sa croissance était tirée par la forte progression des exportations ces dernières années. Constatant que cette évolution était cohérente avec l'un des axes de la politique étrangère de M. Vladimir Poutine visant, dans le cadre d'un rapprochement avec les pays occidentaux, à faire de la Russie leur fournisseur privilégié de pétrole au détriment des pays du Moyen-Orient, il a signalé que la Russie était aujourd'hui au coude à coude avec l'Arabie Saoudite pour la place de premier producteur mondial de pétrole. Il a toutefois noté que ses réserves étaient beaucoup moins importantes que celles des pays du Moyen-Orient et que leur mise en valeur ne pourrait se faire sans l'aide des investissements étrangers. S'agissant du secteur gazier, il a souligné que si les ventes à l'étranger constituaient un facteur de stimulation, le contexte était néanmoins différent en raison du monopole de l'entreprise d'Etat Gazprom et de l'importance de la consommation domestique de gaz. A cet égard, a-t-il fait valoir, ce secteur soutient l'ensemble de l'économie russe, notamment par le biais des factures impayées qui grèvent la rentabilité de Gazprom. Insistant sur les potentialités de développement de ce secteur (38 % des réserves mondiales de gaz), il a indiqué que la Russie envisageait d'augmenter ses exportations à destination de l'Union européenne, à qui elle fournissait déjà un tiers de sa consommation en gaz. Il a souligné les incertitudes concernant la date de l'ouverture et de la libéralisation du marché gazier en Russie qui, a-t-il ajouté, sont lourdes d'enjeux économiques et sociaux. Il a, par ailleurs, fait valoir que si le pétrole et le gaz occupaient une place privilégiée dans la politique énergétique russe, le Gouvernement russe n'en négligeait pas pour autant les autres sources d'énergie, comme en témoignaient la relance du nucléaire et l'encouragement à l'extraction du charbon. Il a alors évoqué une optimisation de l'utilisation énergétique en Russie combinant, d'une part, exportations de pétrole et de gaz et, d'autre part, consommation domestique de l'énergie nucléaire, thermique et hydraulique.

Abordant ensuite l'agriculture russe, il a estimé qu'elle se caractérisait par trois traits essentiels :

- une surface agricole immense (220 millions d'hectares), gérée de manière extensive dans le cadre de vastes domaines (8.000 à 10.000 hectares) hérités des structures collectives soviétiques. Le rachat récent de plusieurs de ces vastes fermes par des groupes industriels et financiers conduit, a-t-il précisé, à la formation d'immenses complexes agricoles rapprochant la Russie d'un modèle latifundiaire très éloigné du modèle agricole européen ;

- un manque évident de capitaux pour acheter des machines agricoles, des traitements phytosanitaires et des engrais, en raison de la faible solvabilité des exploitations et de l'insuffisance du crédit agricole ;

- une production agricole qui se redresse, en particulier dans le secteur céréalier et celui de l'élevage, même si la Russie demeure déficitaire sur le plan alimentaire.

Constatant que l'agriculture russe offre un potentiel considérable, il a toutefois estimé que sa transition n'était pas encore accomplie, puisque la culture du lopin de terre familial représentait encore plus de la moitié de la production agricole.

Enfin, soulignant que dans un pays aussi vaste que la Russie, le secteur des transports revêtait une importance capitale en termes d'aménagement du territoire, M. Gérard Larcher, président , a considéré que son réseau d'infrastructures (plus de 900.000 km de routes, 87.000 km de voies ferrées, 450 aéroports) était satisfaisant, sauf dans le domaine maritime et portuaire, pour lequel le partage réalisé lors de l'éclatement de l'URSS s'était fait à son détriment. Il a indiqué que les transports collectifs étaient également très développés. Il a expliqué que si l'ensemble du secteur avait subi les conséquences d'un effondrement de la demande durant les années 90, la reprise du trafic était aujourd'hui au rendez-vous sur tous les réseaux, tirée notamment par le fret. Il a noté que la problématique du transport des matières énergétiques était très présente, la saturation des conduites (notamment les oléoducs) imposant de trouver des solutions nouvelles, alors que parallèlement les ports se restructurent en vue de faire face à l'exportation du pétrole. Il a toutefois constaté que le secteur des transports restait fragilisé financièrement, notamment en raison de la sous-évaluation des tarifs pour les passagers, rappelant, à cet égard, que 46 millions de personnes empruntaient gratuitement les transports en commun. Or, a-t-il insisté, les besoins de financement pour rénover les réseaux et remplacer le matériel sont considérables. Observant que, dans ce domaine comme dans d'autres, l'avenir passait par des coopérations internationales, il a rappelé, en ce qui concerne la France, que la compagnie aérienne Aeroflot était sur le point d'adhérer à l'alliance Skyteam et qu'un groupe de travail franco-russe avait été instauré pour mettre à profit l'expérience française en matière de péages routiers.

Pour conclure, M. Gérard Larcher, président , a considéré que la Russie vivait des mutations importantes, en dépit des immobilismes. Estimant qu'elle avait sans aucun doute le potentiel pour rejoindre les pays développés, il a souligné le rôle que devrait jouer en ce sens la jeune génération.

M. Henri Revol s'est félicité de l'exhaustivité du rapport qui venait d'être présenté. Evoquant le secteur de l'énergie nucléaire, il a signalé la reprise des travaux qui avaient été arrêtés à la fin des années 80, comme l'illustraient les opérations de sécurisation en cours à la centrale nucléaire de Leningrad, visitée par la délégation sénatoriale au cours de son déplacement. A cet égard, il a regretté que les experts français du nucléaire soient peu présents, alors que les Allemands approfondissent leur coopération avec la Russie dans ce domaine.

Prenant acte de l'enjeu stratégique considérable que représentent le pétrole et le gaz russes, M. Bernard Barraux a également insisté sur l'importance des réserves pétrolières et gazières des pays voisins de la Russie, en particulier autour de la Mer Caspienne.

M. Georges Gruillot a souligné l'ampleur de la tâche à accomplir pour moderniser la société russe, indiquant que son succès dépendrait largement de la formation qui serait donnée aux jeunes générations. Il a considéré que, dans ce domaine, la transition prendrait du temps. Estimant que la Russie faisait partie de l'Europe, il a plaidé en faveur d'une implication plus forte de la France qui, a-t-il insisté, a des atouts à partager, par exemple en matière d'élevage et de formation vétérinaire. Il a, en outre, souligné le rôle que pouvaient jouer les associations, saluant en particulier l'action menée dans le domaine de la culture et de l'environnement par l'association Europe-Baïkal.

M. François Gerbaud a souhaité savoir quelle était l'infrastructure la plus utilisée pour les exportations de gaz en Russie. Il s'est également interrogé sur la situation sanitaire de la population.

En réponse, M. Gérard Larcher, président , a indiqué que l'essentiel des exportations gazières russes transitait par des gazoducs. A propos de l'état sanitaire de la population, il a insisté sur les ravages de l'alcoolisme et sur la réapparition de certaines maladies comme la tuberculose, notamment dans les prisons, ajoutant que le milieu pénitentiaire russe comptait quelque 40.000 séropositifs. Il a relevé que les responsables politiques russes rencontrés par la délégation avaient manifesté l'intention de réintroduire de véritables politiques de santé publique.

En complément, M. Georges Gruillot a mentionné l'impact de la disparition des soins qui étaient auparavant dispensés dans le cadre de l'action sociale conduite par les entreprises en Russie.

M. Christian Gaudin s'étant inquiété du sentiment de « désespérance sociale » que semblait éprouver une partie de la société russe, M. Gérard Larcher, président , a indiqué que ce découragement se reflétait sur le plan politique, soulignant que les récentes élections législatives avaient été marquées par une importante abstention (44 %). A cet égard, il a précisé qu'une analyse des résultats de ces élections figurait dans le rapport. Enfin, il a mis l'accent sur la nécessité de diffuser la culture française auprès des jeunes Russes, notamment par le biais de l'enseignement, afin de ne pas laisser la place à la seule influence anglo-saxonne. Estimant également que la Russie fait partie de l'Europe, il a souhaité que l'Union européenne se rapproche davantage de ce pays qui pourrait, sinon, s'enfermer dans une alliance avec les Etats-Unis.

A l'issue de ce débat, la commission a approuvé ce rapport à l'unanimité.

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