N° 317

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 mai 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 18 au 23 avril 2004 en Russie ,

Par MM. André BOYER, Claude ESTIER,
Jean PUECH et Xavier de VILLEPIN,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. André Dulait, président ; MM. Robert Del Picchia, Jean-Marie Poirier, Guy Penne, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Ernest Cartigny, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Paul Dubrule, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Jean Faure, Philippe François, Jean François-Poncet, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Bernard Mantienne, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean Puech, Yves Rispat, Roger Romani, Henri Torre, Xavier de Villepin, Serge Vinçon.

Europe. Asie

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Du 18 au 23 avril 2004, une délégation de votre commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées s'est rendue en Russie en vue principalement de mieux évaluer la situation politique intérieure après la réélection du président Poutine et d'analyser les grandes évolutions de la politique extérieure et de la politique de défense russes.

Conduite par M. André Boyer, vice-président de la commission, cette délégation était également composée de MM. Claude Estier, Jean Puech et Xavier de Villepin.

Ce déplacement a permis d'établir des contacts avec de nombreuses personnalités russes 1 ( * ) , à savoir :

- à la Douma et au Conseil de la Fédération, des parlementaires membres des commissions compétentes en matière d'affaires étrangères et de défense ;

- des conseillers du président Vladimir Poutine , notamment le secrétaire du Conseil de sécurité, M. Igor Ivanov ;

- au ministère des Affaires étrangères, le vice-ministre, M. Troubnikov, et plusieurs directeurs du ministère ;

- des responsables de l'État-major général des armées ;

- des experts, universitaires ou chercheurs.

Ces contacts ont été complétés par des rencontres avec des journalistes français ainsi que des représentants de nos entreprises installées en Russie. Enfin, tout au long de cette visite, la délégation a bénéficié de l'assistance et des éclairages très précieux de l'Ambassadeur de France à Moscou, M. Jean Cadet, et de ses collaborateurs, auxquels elle tient à exprimer sa plus vive gratitude.

En dehors des entretiens sur les questions politiques, qui constituaient l'objet principal de la mission, la délégation a assisté depuis le Centre de contrôle des vols, dans la périphérie de Moscou, à l'arrimage d'un vaisseau Soyouz à la station spatiale internationale, ce qui lui a permis d'aborder les différents enjeux de la coopération franco-russe et russo-européenne dans le domaine spatial 2 ( * ) .

Par ailleurs, la délégation a effectué un déplacement d'une journée à Samara, où elle a notamment rencontré le gouverneur de la région, M. Konstantin Titov, et le président de l'Assemblée législative régionale, M. Victor Sazonov, au cours d'entretiens consacrés au rôle des pouvoirs régionaux au sein de la Fédération. À Samara, la délégation a également visité l'une des 6 Alliances françaises de Russie, où s'effectue un remarquable travail autour de la langue française.

*

* *

Ce début d'année 2004 constituait à bien des égards un moment particulièrement opportun pour réaliser une mission d'information en Russie.

Avec le renouvellement de la Douma en décembre 2003, puis la réélection de Vladimir Poutine le 14 mars dernier, l'horizon politique des quatre prochaines années est clairement dégagé. Il se caractérise, pour l'exécutif, par une assise sans précédent depuis l'effondrement de l'Union soviétique. Le renforcement du pouvoir présidentiel alimente, dans le monde occidental, un débat sur l'évolution du régime, entre ceux qui s'inquiètent d'un possible retour à des pratiques autoritaires et d'autres qui soulignent le besoin d'une remise en marche de l'appareil d'Etat. Mais au delà de ce débat se pose la question de la capacité des autorités à engager la Russie, au cours de ce second mandat, sur la voie de la modernisation économique et sociale.

Le printemps 2004 marque également l'élargissement de l'Union européenne et celui de l'OTAN. Ce processus était en marche depuis de nombreuses années, mais nous commençons désormais à mesurer très concrètement les conséquences du voisinage direct entre la Russie et deux entités où nous ont rejoint d'anciens pays satellites et les trois pays baltes, issus de l'URSS. Cette recomposition majeure du continent européen nourrit en Russie des appréhensions et parfois même des griefs dont la délégation a reçu un large écho durant ses contacts. Elle impose un dialogue approfondi dont le cadre institutionnel a été mis en place, tant avec l'Union européenne qu'avec l'OTAN.

Enfin, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, reste un acteur important sur les grands sujets internationaux. La lutte contre le terrorisme a bien entendu influé sur sa relation de sécurité avec les pays occidentaux. Par ailleurs, des évolutions significatives sont intervenues dans ses rapports avec son environnement immédiat, au sein de la Communauté des Etats indépendants, auxquels elle accorde une priorité marquée.

Le présent rapport s'attachera a présenter succinctement les principales impressions recueillies par la délégation dans ces différents domaines et traitera successivement de la situation intérieure au début du second mandat de Vladimir Poutine, des relations avec l'Union européenne et l'OTAN élargies et enfin des ambitions de la Russie dans sa politique extérieure, notamment à l'égard des pays de la CEI.

I. LA SITUATION INTÉRIEURE EN RUSSIE À L'AMORCE DU SECOND MANDAT DE VLADIMIR POUTINE

Le second mandat de Vladimir Poutine s'engage dans un contexte de renforcement considérable du pouvoir présidentiel alors que la situation économique et financière s'est améliorée, en grande partie en raison des exportations pétrolières. Ses enjeux se concentrent sur la mise en oeuvre de profondes réformes de modernisation administrative et économique, en vue de faire franchir à la Russie une étape décisive de sa transition. Le conflit tchétchène, que les autorités souhaitaient contenir en transférant sa gestion aux autorités locales, donne cependant à nouveau des signes de dégradation.

A. UN POUVOIR PRÉSIDENTIEL CONSIDÉRABLEMENT RENFORCÉ

1. La double séquence électorale de 2003-2004 : un succès massif pour Vladimir Poutine

L'ascendant pris par Vladimir Poutine au fil de son premier mandat s'est concrétisé avec force lors des élections législatives du 7 décembre 2003 qui ont assuré une majorité massive à Russie unie , le parti constitué autour du soutien à sa personne.

Si l'on a constaté un fléchissement de la participation électorale 3 ( * ) , attribué à la faible incertitude pesant sur le résultat final et à un réel désenchantement des citoyens vis à vis de la classe politique, le succès du parti présidentiel est néanmoins particulièrement net, du fait de l'affaiblissement ou de l'élimination de ses principaux rivaux. Le parti communiste a perdu la moitié de ses voix et presque tout autant en sièges, et les partis libéraux, divisés, n'atteignent pas le seuil requis pour l'attribution de sièges au scrutin de liste. Les formations développant des thèmes nationalistes, populistes et protestataires enregistrent en revanche une poussé significative - qu'il s'agisse du parti libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski ou de Rodina (la Patrie), nouveau mouvement qui a capté une partie de l'électorat communiste - mais elles apparaissent davantage en convergence qu'en opposition avec le Kremlin.

Dans la nouvelle Douma, la fraction parlementaire Russie unie totalise ainsi 300 des 450 sièges , le restant se répartissant entre le parti communiste (52 sièges), le parti libéral démocrate (36 sièges), Rodina (26 sièges) et les non-inscrits (23 sièges) 4 ( * ) . Russie unie atteint la majorité des deux tiers, nécessaire pour toute révision constitutionnelle, et l'influence de l'exécutif semble en mesure de s'exercer au delà de ce seul groupe parlementaire.

Intervenant trois mois après le renouvellement de la Douma, l' élection présidentielle faisait figure de formalité, en l'absence de réelle concurrence. C'est d'ailleurs à la fin du mois de février, trois semaines avant le scrutin, que Vladimir Poutine a nommé un nouveau premier ministre et remanié le gouvernement, anticipant sur le renouvellement de son mandat acquis le 14 mars avec 71% des voix et un niveau de participation suffisant (64%) pour valider cette élection au 1 er tour.

* 1 Voir en annexe la liste des personnalités rencontrées

* 2 Voir en annexe une présentation de la coopération spatiale franco-russe et de ses perspectives.

* 3 Le taux de participation s'est élevé à 55,8% contre 61,9% aux élections législatives de 1999.

* 4 À la veille des élections, le Douma comportait 142 députés de Russie unie, 83 communistes pouvant compter sur le renfort de 43 agrariens, 48 libéraux répartis entre l'Union des forces de droite et Iabloko, 14 libéraux-démocrates, 16 indépendants et 90 députés répartis dans deux groupes de centre-droit (parti du peuple et régions de Russie).

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