C. LES AXES DE RENFORCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LA PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE

À la suite des crises de prolifération de ces deux dernières années, et au delà du traitement des cas de la Corée du Nord et de l'Iran, le renforcement du régime de non-prolifération mobilise de nouveau les organisations internationales et les chancelleries.

Le directeur général de l'AIEA, M. ElBaradei, a évoqué plusieurs propositions lors de son discours du 2 novembre 2003 devant l'Assemblée générale des Nations-Unies, et il a été conduit à les préciser depuis lors dans de multiples enceintes. Le président Bush a lui aussi lancé plusieurs idées dans son discours du 11 février 2004 devant la National Defence University . La session préparatoire à la prochaine conférence d'examen du TNP a également permis à plusieurs pays, au printemps dernier, d'avancer leurs suggestions. À cette occasion, la France a diffusé un document de travail intitulé « Pour un renforcement du régime de non-prolifération ».

On pourrait parler, sur ce point, d'un foisonnement d'initiatives , combinant des approches politiques, juridiques ou techniques et impliquant de multiples enceintes multilatérales. Si la diversité des réponses proposées peut laisser une impression de complexité, par rapport à une solution visant, par exemple, à rassembler dans un seul instrument international et universel toutes les améliorations nécessaires au régime de non-prolifération, il est toutefois probable qu'une plus grande efficacité sera obtenue en renforçant, de manière pragmatique, chacun des cadres existants, afin de lier plus solidement les Etats à tout un réseau d'engagements de nature différente mais concourrant à la non-prolifération.

Parmi toutes ces propositions, votre rapporteur souhaiterait distinguer celles qui relèvent d'objectifs politiques généraux auxquels il faudra rallier le plus grand nombre d'Etats, et d'autres, plus concrètes et sans doute plus faciles à mettre en oeuvre rapidement si elle recueillaient un consensus minimal. Elles touchent à deux points particulièrement importants pour l'avenir de la non-prolifération : l'encadrement international des activités sensibles liées au cycle du combustible nucléaire ; les sanctions vis-à-vis des Etats ne respectant pas leurs engagements de prolifération.

Ces différentes propositions ne nécessiteraient pas d'amender le TNP ni nécessairement d'adopter des instruments internationaux nouveaux. Elles pourraient faire l'objet de décisions au sein de l'AIEA, de déclarations lors de la prochaine conférence d'examen du TNP, voire de décisions du Conseil de sécurité pour les questions touchant le plus directement à la paix et à la sécurité internationale.

1. Les objectifs généraux à vocation politique

Au titre des objectifs généraux de nature politique, trois priorités devraient être privilégiées au cours des prochains mois.

La première concerne l' accélération de l'entrée en vigueur des protocoles additionnels aux accords de garanties que 53 Etats membres de l'AIEA n'ont toujours pas signés, 26 Etats ayant signé un protocole additionnel sans l'avoir ratifié en vue de son entrée en vigueur. Nul ne peut contester aujourd'hui, au vu des manquements constatés dans plusieurs pays, que le protocole additionnel ne peut demeurer l'exception, mais doit devenir la règle, pour tout Etat partie au TNP . Il s'agit en effet du seul instrument de nature à apporter une garantie sinon absolue, du moins crédible, du respect des obligations inhérentes au TNP.

Comment accélérer la mise en oeuvre des protocoles additionnels ? Le Président Bush a proposé que seuls les Etats signataires d'un tel protocole soient autorisés à importer du matériel pour leurs programmes nucléaires civils. Les propositions françaises rejoignent cette idée sans lui donner une application aussi générale. Elles visent à conditionner tout transfert de technologies sensibles présentant un risque de prolifération à la mise en oeuvre d'un protocole additionnel, mais aussi à réserver aux Etats disposant de protocoles additionnels les garanties d'accès au combustible nucléaire qui pourraient être apportées par les fournisseurs nucléaires. Il paraît indispensable, aux yeux de votre rapporteur, que le principe selon lequel le protocole additionnel conditionne la possibilité de certaines coopérations ou importations soit clairement posé .

Le deuxième objectif général concerne le renforcement des contrôles à l'exportation , qui passe par toute une série de mesures : aide aux Etats pour se doter du cadre réglementaire et des structures appropriées ; mise en place de sanctions pénales ; l'élargissement du nombre des Etats participant au groupe des fournisseurs nucléaires (NSG) et l'intensification des échanges avec les Etats qui n'y participent toujours pas ; l'intensification des relations entre ce groupe de fournisseurs et l'AIEA, afin de mieux coordonner les activités de vérification de l'Agence et les informations en possession du NSG ; l'obligation d'inscrire certains types de transfert dans un cadre juridique préalable, par exemple un accord intergouvernemental.

La sécurisation des sites abritant des matières fissiles est un sujet connexe, dans la mesure où il participe à la prévention des trafics illicites. Elle exige des actions concrètes, comme l'enlèvement de l'uranium enrichi dans certains réacteurs de recherche civils, et des efforts financiers importants.

Enfin, la troisième priorité serait de relancer la négociation du traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires , qui figurait parmi les engagements pris lors de la prorogation du TNP, en 1995, et dont la négociation, inscrite à l'ordre du jour de la Conférence du désarmement en 1998, n'a jamais démarré. Il est difficilement acceptable que cette question soit « prise en otage » par des pays qui la subordonnent à d'autres exigences, que ce soit la course aux armements dans l'espace pour la Chine, ou le désarmement généralisé pour les Non-alignés.

2. L'accès aux activités du cycle du combustible : la nécessité d'un encadrement international

La maîtrise des technologies du cycle du combustible nucléaire - enrichissement et retraitement -constitue la clef d'accès pour le développement d'un programme nucléaire militaire . Ces technologies ne peuvent donc être diffusées sans prise en compte du risque qu'elles soient un jour utilisées pour la fabrication d'armes nucléaires.

Les pays du groupe des fournisseurs nucléaires adoptent déjà des lignes de conduite en la matière, mais elles devraient être généralisées et prendre une forme obligatoire.

Dans son discours du 11 février 2004, le président Bush a préconisé une solution que l'on pourrait qualifier de radicale. Estimant que l'enrichissement et le retraitement ne sont pas nécessaires dans le cadre d'un usage civil et pacifique de l'énergie nucléaire, il a souhaité que le Groupe des fournisseurs nucléaires réserve la vente des équipements et technologies servant aux activités du cycle du combustible aux seuls Etats qui possèdent déjà des installations d'enrichissement et de retraitement en activité et bien contrôlées. Une telle approche pourrait être ressentie comme une remise en cause le principe du libre accès à l'énergie nucléaire civile.

Les propositions françaises, partant du même constat, visent à généraliser au plan international les règles de conduite adoptées au Groupe des fournisseurs nucléaires. Il s'agirait de subordonner l'exportation de biens et matériels sensibles (uranium hautement enrichi et plutonium séparé, installations d'enrichissement, de retraitement ou de production d'eau lourde, équipements et technologies connexes) à des conditions très précises : des besoins énergétiques avérés dans le pays considéré, un programme électronucléaire crédible justifiant les besoins correspondant en matière d'enrichissement et de retraitement, un plan de mise en oeuvre économiquement rationnel, un protocole additionnel avec l'AIEA en vigueur et appliqué ainsi que des engagements de non-prolifération au plus haut niveau; un système de contrôle des exportations efficace et assorti de sanctions ; des normes de sûreté et de sécurité nucléaire situées au plus haut niveau et enfin une analyse de la stabilité du pays et de son environnement régional. Ces différents critères permettraient de ne plus transférer de biens ou d'équipements dès lors qu'il n'apparaît pas clairement que les activités projetées en matière de cycle du combustible ont une vocation exclusivement civile.

Considérant que dans la grande majorité des cas, le développement de programmes nucléaires civils ne nécessite pas de technologies sensibles présentant un risque de prolifération, la France souhaiterait qu'en contrepartie les règles de transfert des équipements et installations non sensibles soient assouplies. Dans le même esprit, une garantie d'accès au combustible nucléaire, à long terme et aux prix du marché, pourrait être accordée par un fournisseur donné ou un groupe de fournisseurs, ce qui rendrait inutile, dans le pays qui en bénéficierait, la mise en place d'un cycle complet du combustible.

La question de l'accès au cycle du combustible a été abordée au sommet du G8 à Sea Island, le 9 juin 2004, et il a été décidé un moratoire d'un an sur tout nouveau transfert de technologies ou d'équipements sensibles, en demandant aux autres Etats d'adopter une position analogue, en l'attente de la définition d'une règle définitive.

Le directeur général de l'AIEA, M. ElBaradei , a pour sa part proposé de confier les phases les plus sensibles du cycle du combustible nucléaire à des structures multinationales , en se référant à l'Urenco Corporation créée et dirigée en commun par les Britanniques, les Allemands et les Néerlandais. Cette internationalisation présenterait l'avantage de garantir un meilleur contrôle des ces activités. La production d'uranium hautement enrichi ou de plutonium dans le cadre d'un programme nucléaire civil ne serait possible que dans le cadre d'installations placées, d'une manière ou d'une autre, sous un contrôle non exclusivement national. La même approche pourrait être étendue à la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs. Ici encore, il faudrait assortir ce mécanisme de règles préservant la concurrence et assurant un approvisionnement constant et abordable pour les utilisateurs. Un groupe de travail a été créé au sein de l'AIEA sur cette question. Il étudiera également la possibilité de développer, en matière d'énergie nucléaire, de nouvelles technologies permettant d'envisager des installations dont la conception même interdira l'usage de matières pouvant être détournées pour un usage militaire.

3. Le respect des traités : la nécessité de sanctions plus visibles

Une seconde série de propositions concerne les sanctions aux violations des engagements internationaux de non-prolifération.

La situation la plus grave est celle d'un retrait du TNP , surtout si, comme dans le cas de la Corée du Nord, elle survient après une violation du traité. Il est particulièrement choquant qu'en raison des réticences chinoises, appuyées par les autorités russes, le Conseil de sécurité n'ait pas pu statuer sur une question aussi grave, mettant en cause la paix et la sécurité internationale.

Le Conseil de sécurité devrait se fixer pour règle de se saisir automatiquement dès lors qu'un retrait du TNP est constaté. Il serait également nécessaire que le Conseil de sécurité prenne une position de principe soulignant la gravité d'un acte de retrait et précisant la gamme de mesures ou sanctions qu'il pourrait être amené à édicter dans un tel cas de figure. M. ElBaradei a précisé à votre rapporteur qu'il pourrait être décidé, sur ce type de situation, de ne pas faire jouer le droit de veto.

La France suggère en outre qu'en cas de retrait du TNP, l'Etat concerné soit tenu de ne plus faire usage des matières, installations, équipements ou technologies acquis précédemment auprès d'un pays tiers, de les restituer, de les geler ou de les démanteler sous contrôle international.

Par ailleurs, il apparaît nécessaire d'établir, dans le cadre de l'AIEA ou de la prochaine Conférence d'examen du TNP, une ligne de conduite en cas de manquement aux obligations vis à vis du TNP, des accords de garanties ou des protocoles additionnels.

La France a demandé que toutes les coopérations nucléaires dans le domaine civil soient suspendues dès lors que des manquements graves, des violations ou des risques de détournement ont été constatés par l'AIEA dans un pays donné, ou que l'AIEA n'est pas en mesure d'exercer sa mission. Cette règle paraît élémentaire, mais elle n'existe pas en l'état actuel du droit international. La suspension pourrait être rendue obligatoire auprès de tous les Etats par une décision du Conseil de sécurité. Le Conseil de sécurité pourrait interdire à l'Etat en infraction de développer ou mettre en oeuvre des installations du cycle du combustible ou lui imposer de démanteler celles qui existent, sous contrôle international.

Un régime de sanctions plus visibles et préalablement définies est indispensable pour dissiper un sentiment de vide juridique qui laisserait penser que les manquements ou les violations restent sans conséquences pour les Etats qui les commettent.

Il sera important, dans les mois qui viennent, d'activer le débat sur ce point afin que des actions concrètes puissent être engagées dans des délais suffisamment rapides.

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