SECTION PREMIÈRE


Principales allocutions prononcées au cours de la première partie de la session ordinaire 2004 de l'Assemblée de l'UEO

A. DISCOURS DU PRÉSIDENT DE DECKER (2 JUIN 2004)

À l'ouverture de la première partie de cette session 2004, M. Armand De Decker , s'est adressé à l'Assemblée réunie en séance plénière, en ces termes :

« Chers collègues, cette première partie de notre cinquantième session est très particulière. D'abord, bien sûr, parce qu'elle témoigne de notre cinquantième année d'existence. Ensuite, parce qu'elle se déroule au lendemain de deux élargissements historiques, celui de l'Union européenne et celui de l'OTAN, qui symbolisent la réunification du continent européen que peu, parmi nous, avaient espéré connaître de leur vivant.

Enfin, parce que cette session se déroule à quelques jours du Sommet européen qui devrait clôturer les travaux de la Conférence intergouvernementale et doter l'Union européenne, sous réserve de ratification par les États, d'une constitution commune à 450 millions d'Européens.

C'est en octobre prochain que nous célébrerons le cinquantième anniversaire de la signature des Accords de Paris qui ont modifié et complété le Traité de Bruxelles, créant ainsi l'UEO et son Assemblée parlementaire.

Il va de soi qu'à l'automne prochain, nous célébrerons cet événement avec tout le faste qui convient à cette circonstance exceptionnelle, tout comme nous commémorerons l'été 2005, avec l'aide du Maire de Strasbourg, le cinquantième anniversaire de notre première séance plénière dans cette ville qui, plus que toute autre, symbolise la réconciliation et la volonté d'unification européenne.

Mais il convient de remarquer que la session de cette semaine est aussi un événement particulier au regard de la situation politique internationale actuelle, en comparaison avec celle qui existait en juin 1954. A cette époque, les Européens travaillaient encore à un projet qui aurait été très audacieux pour l'intégration européenne s'il avait pu se réaliser. Je veux parler du projet de Communauté européenne de défense (CED). Il s'est cependant avéré quelques mois plus tard, en août 1954, que l'Europe n'était pas encore mûre pour ce projet, malgré la menace très lourde que la confrontation Est-Ouest faisait peser sur la sécurité et la liberté de l'Europe occidentale, alors en pleine guerre froide.

Or, l'échec de la CED a marqué le début d'une coopération européenne en matière de défense, sur une base certes beaucoup plus traditionnelle et moins ambitieuse dans le cadre de l'UEO, mais qui avait néanmoins l'avantage d'exister et d'associer la Grande-Bretagne à la politique de défense européenne, ce qui n'était pas le cas de la CED.

Où en sommes-nous aujourd'hui presque cinquante ans plus tard ? Tout d'abord, il y a lieu de se réjouir que notre détermination et celle de nos prédécesseurs aient porté leurs fruits, que la division entre l'Est et l'Ouest ait disparu et que la menace d'une guerre classique en Europe soit écartée.

Qu'au contraire, nous ayons réussi à mettre sur pied une coopération européenne tellement intense qu'elle ait permis de franchir un grand pas sur la voie de l'unification européenne dans le cadre d'une Union européenne qui compte désormais 25 pays membres.

Mais cette Europe heureusement réunifiée se trouve confrontée à de nouveaux défis et de nouvelles menaces qui pèsent depuis la fin de la guerre froide sur notre sécurité : il s'agit de trouver les moyens appropriés pour combattre le terrorisme international sous ses formes nouvelles, pour lutter contre la prolifération des armes de destruction massive et pour pacifier les régions de crise qui existent au Proche et Moyen-Orient, dans le Caucase, en Asie centrale et en Afrique. Enfin, il ne faut pas négliger la nécessité de veiller à ce que les problèmes non résolus dans les Balkans ne conduisent pas à un nouveau conflit armé.

L'accès aux ressources naturelles, avant tout au pétrole, indispensable pour le développement futur des pays industrialisés, est aussi une source de conflit potentiel, de même que les tensions entre religions et ethnies qui continuent de menacer la stabilité et la sécurité internationales. Des conflits dits classiques, comme ceux qui opposent l'Inde et le Pakistan, sont toujours latents, et il y a toujours des Etats dotés de régimes autoritaires qui inquiètent leurs propres populations, leurs voisins et la communauté internationale. Enfin, il y a des puissances émergentes comme la Chine, dont la politique n'est pas encore assez transparente pour que l'on puisse prévoir quel rôle cet important pays jouera prochainement dans les relations internationales.

Face à cette situation, nous, Européens, avons entrepris de nouveau un grand projet politique qui dépasse largement les dimensions de la CED des années 1950 : il s'agit de doter l'Union européenne élargie d'une Constitution qui puisse lui fournir les bases nécessaires pour devenir un acteur primordial dans la gestion de la politique internationale, tout en gardant pour objectif la promotion de la paix, de ses valeurs et du bien-être de ses peuples.

Malgré toutes les lacunes que présente le projet de Constitution, et sur lesquelles l'Assemblée n'a pas cessé d'attirer l'attention des membres de la Convention et des gouvernements participant à la Conférence intergouvernementale, je suis convaincu que l'adoption et la ratification de ce projet constitueront un énorme progrès qualitatif pour nous tous, surtout dans la mesure où il simplifiera la « decision making process ». C'est pourquoi je souhaite que la CIG réussisse à surmonter les derniers obstacles qui subsistent et à trouver un accord qui pourra être soumis à la ratification des parlements et des peuples.

Je veux dire par là qu'un projet aussi ambitieux ne peut réussir que s'il est compris et soutenu par l'opinion publique et par nos sociétés. Malgré la transparence des discussions plénières de la Convention, le citoyen a toujours eu l'impression que les décisions vitales ont été prises à huis clos,soit dans le présidium de la Convention, soit au sein de la CIG plus fermée encore.

Je me réjouis d'autant plus de la contribution publiée récemment dans le Financial Times par M. Giuliano Amato, ancien Vice-président de la Convention européenne, une contribution à laquelle il a donné un titre très pertinent : « l'unité européenne commence chez soi ». M. Amato commence son article par les deux phrases suivantes, je cite : « Une constitution peut être rédigée de façon parfaite.Mais si elle ne trouve pas sa place dans le coeur et l'esprit des gens, elle ne recueillera pas leur adhésion ».

Après avoir proposé de donner aux parlements nationaux un droit accru en matière de surveillance de l'application du principe de subsidiarité et de proportionnalité, M. Amato souligne que le vrai débat sur le projet de Traité constitutionnel n'a pas encore vraiment commencé et que ce sont les parlements nationaux qui constituent le centre de gravité démocratique de l'Europe moderne, où ce débat doit avoir lieu. Je ne peux que l'appuyer sans réserve lorsqu'il demande que les parlements nationaux constituent un réseau de débat politique européen de façon à contribuer plus efficacement au devenir de l'Europe.

Car c'est exactement le travail qui se fait depuis cinquante ans au sein de notre assemblée. Les activités des différentes commissions et le dialogue régulier avec les membres du Conseil permanent de l'UEO qui siègent en même temps au COPS, les discussions avec les ministres, les colloques et séminaires et les débats sur les rapports en séance plénière sont des moyens indispensables pour lancer le débat public au niveau européen et national. Ils fournissent aussi à nos parlementaires des éléments indispensables pour leurs dialogues avec leurs électeurs.

Les rapports que nos commissions soumettront cette semaine à l'approbation de l'Assemblée témoignent des progrès réalisés ces derniers temps en matière de politique européenne de sécurité et de défense, mais ils font aussi état des grands problèmes qui restent à résoudre. Parmi les rapports dans lesquels nos commissions ont pu signaler les progrès de l'action européenne, figurent le rapport Wilkinson sur les missions de stabilisation de l'UE dans l'Europe du sud-est, le rapport Kucheida sur les forces terrestres européennes projetables ainsi que le rapport Rigoni et Sedlickas sur la sécurité et la défense des pays baltes.

Un document particulièrement important est le rapport de M. Braga sur l'Agence européenne de défense qui met en évidence les grandes opportunités mais aussi les défis qui se présentent pour réaliser une coopération européenne efficace en matière d'équipements, qui est depuis toujours un souci constant de notre Assemblée. Parmi les sujets problématiques figurent la coopération spatiale entre l'Europe et la Chine et j'espère que le rapport extrêmement intéressant de M. O'Hara, élaboré sur la base de la visite de la Commission technique et aérospatiale en Chine, sera l'occasion de relancer un débat plus fondamental sur les relations futures entre l'Europe et ce pays, dont nous ne connaissons pas encore suffisamment les intentions politiques.

Le rapport de M. Le Guen sur le terrorisme chimique, biologique et radiologique aborde un aspect essentiel des défis et des dangers grandissants auxquels la société internationale reste confrontée.

Pour répondre à l'ensemble des nouveaux risques, l'Union européenne commence à réaliser des progrès sensibles sur le plan tant pratique que conceptuel. Le projet de constituer des groupements tactiques, des battle groups pour les mettre à la disposition des Nations unies peut être considéré comme une importante contribution venant compléter l'Objectif global européen à l'horizon 2010. Une modeste ébauche d'État-major européen est en place et une agence de l'armement est attendue avant la fin de cette année. Maintenant, il s'agit de mettre en oeuvre la Stratégie européenne de sécurité, arrêtée par le Conseil sur proposition du Haut Représentant pour la PESC.

Mais malgré tous ces progrès, nous attendons toujours de savoir si tous les pays de l'Union européenne élargie seront prêts à assumer sans équivoque toute la gamme des responsabilités et des obligations en matière de défense dans le cadre d'une Constitution qui doit être finalisée par le Sommet européen des 17 et 18 juin prochains. C'est le thème principal du rapport van Winsen qui sera discuté vendredi prochain et dont je vous recommande vivement la lecture.

Sans vouloir anticiper le débat, permettez-moi de dire que je partage l'avis du rapporteur : il n'est pas trop tard pour qu'en matière de défense, la CIG adopte des formules équivalentes au Traité de Bruxelles modifié et fournisse aux parlements nationaux le Forum interparlementaire dont ils ont besoin pour pouvoir dialoguer avec l'exécutif et se concerter sur tous les domaines qui revêtent un intérêt spécial pour eux. Car les dispositions actuelles du projet de Traité constitutionnel ne sont pas suffisantes pour pouvoir se substituer au Traité de Bruxelles modifié. Certes, on peut réaliser beaucoup de projets en matière de défense sur la base d'arrangements ponctuels, mais nous voulons une Europe de la défense qui englobe si possible tous les pays de l'Union européenne et donne à tous les parlements nationaux la possibilité de participer collectivement à la politique européenne. Une telle participation devra se faire en coopération étroite avec le Parlement européen et dans un esprit de complémentarité avec celui-ci.

Il est évident qu'il appartient à chacun d'entre nous de maintenir une discussion intensive avec son gouvernement et son parlement pour les convaincre du bien-fondé de nos arguments. Pour ma part, je n'ai épargné aucun effort pour exposer nos préoccupations et nos propositions. C'est ainsi que j'ai pu m'exprimer dans ce sens, au mois de janvier, devant le Sénat français, fin janvier devant le COPS à Bruxelles, lors des entretiens que j'ai eus lors de ma visite en Finlande au mois de mars et lors des réunions de nos commissions à l'OTAN, également en mars. En avril, j'ai eu l'occasion de discuter de ces problèmes avec M. Brok, Président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen, lors d'une conférence organisée au Parlement européen. En outre, j'ai écrit à tous les présidents des parlements membres de l'Union européenne et organisé une réunion avec eux lors de la Conférence des présidents des parlements tenue les 18 et 19 mai derniers au Conseil de l'Europe à Strasbourg.

Enfin, le 25 mai dernier, l'association des sénats européens a adopté à Varsovie une déclaration commune qui demande, à mon initiative, de renforcer le rôle joué par les parlements nationaux dans la mise en oeuvre de la politique européenne de sécurité et de défense, le Parlement européen n'ayant pas de compétences suffisantes dans ce domaine. Cette déclaration demande également de réfléchir à la création d'un forum interparlementaire composé de délégations représentant tous les parlements nationaux de l'Union européenne, ce forum devant leur permettre de se concerter sur les problèmes de subsidiarité et de proportionnalité et de créer de nouvelles formes de contrôle parlementaire pour les questions relevant du domaine intergouvernemental.

Seule la création d'un forum interparlementaire de l'Union Européenne serait de nature à assurer un accompagnement parlementaire de la politique étrangère de sécurité et de défense équivalent à celui que notre Assemblée a réalisé ces cinquante dernières années et permettrait d'éviter un déficit démocratique indigne de l'Union Européenne et de la mémoire de ses pères fondateurs.

Il nous faut poursuivre les efforts en vue de convaincre les gouvernements et les parlements, processus long et difficile mais qui commence à porter ses fruits. Je suis sûr que nos débats de cette semaine vont contribuer à convaincre les Chefs d'État et de gouvernements de la pertinence de nos arguments et de nos propositions. »

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