EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une réunion tenue le mercredi 22 juin 2005, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Yves Fréville, rapporteur spécial , sur le maintien en condition opérationnelle de la flotte.

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Yves Fréville, rapporteur spécial des crédits de la défense , a présenté une communication sur le maintien en condition opérationnelle des équipements et l'exercice de la fonction logistique au sein de la marine nationale.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a indiqué que la dégradation importante des matériels militaires avait attiré l'attention sur ces questions dès la fin des années 1990. Il a précisé que la publication du rapport particulier de la Cour des comptes en décembre 2004 sur le maintien en condition opérationnelle des matériels des armées avait notamment souligné la réduction préoccupante de la disponibilité des équipements de la marine nationale.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a rappelé qu'en 2004, sur les six sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) dont disposait la France, un seul était opérationnel, alors que ces bâtiments constituaient un élément essentiel du dispositif de défense nationale. Il a donné des indications sur la disponibilité et l'état de fonctionnement d'un certain nombre de systèmes d'arme utilisés par la flotte, rappelant que la situation atteignait parfois de telles extrémités que les équipements étaient réaffectés d'un bâtiment à un autre, en fonction des besoins, afin d'assurer au mieux l'exécution du contrat opérationnel de la marine nationale.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a estimé que la dégradation de la disponibilité des bâtiments de la marine nationale était due à la combinaison de causes financières et structurelles. Il a relevé que la professionnalisation de l'armée française avait induit, par contrecoup, une réduction des crédits alloués aux autres postes de dépense de la défense nationale. Il a précisé que l'achat de constructions neuves avait été préservé autant que possible, et que par conséquent, le financement du maintien en condition opérationnelle des bâtiments avait été réduit et trop souvent utilisé comme variable d'ajustement.

Il a considéré que des problèmes d'organisation et de cohérence des fonctions logistiques au sein de la marine nationale avaient renforcé les effets de la diminution des crédits. Il a précisé que durant la même période, l'outil industriel de la flotte avait été profondément transformé par la création d'une société anonyme de droit privé, DCN-SA et du service de soutien de la flotte (SSF), en lieu et place de l'ancienne direction des constructions navales.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a indiqué qu'il avait diligenté un contrôle sur pièce et sur place de la fonction logistique dans la marine nationale, en application de l'article 57 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), afin d'évaluer l'impact et l'efficacité des réformes structurelles menées.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a rappelé que les équipements militaires de la flotte avaient une longue durée de vie, la période d'utilisation d'un porte-avions étant d'environ 40 ans, auxquels il convenait d'ajouter 10 ans de développement et près de 10 ans de démantèlement.

Il a précisé que l'entretien des bâtiments nécessitait des procédures de maintenance particulières afin de prendre en compte la réalisation du contrat opérationnel de la marine nationale, c'est-à-dire concrètement, la succession de périodes en mer longues. Il a souligné le rôle particulier des équipages dans cette perspective.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a noté que la durée de vie d'un bâtiment était rythmée par la réalisation d'un entretien très poussé tous les six à sept ans : l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER). Il a indiqué que cette période était l'occasion d'une mise à niveau des équipements, voire d'une refonte permettant d'implanter de nouveaux systèmes d'arme.

Il a précisé que la première IPER du porte-avions nucléaire français coûterait près de 230 millions d'euros et durerait quinze mois, le dépassement de cette période d'indisponibilité entraînant la perte de qualification opérationnelle de l'équipage. Il a ajouté que l'IPER d'un sous-marin nucléaire d'attaque entraînait également une longue immobilisation de l'équipement et atteignait 120 millions d'euros ; l'indisponibilité pour entretiens intermédiaires d'une frégate telle que « le Courbet » coûtait 10 millions d'euros, qu'il convenait de majorer de 30 % pour prendre en compte la valeur du travail réalisé par l'équipage du bâtiment.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a observé que le maintien en condition opérationnelle des navires supposait, entre les périodes d'entretien, une gestion efficace des pièces de rechanges, soit près de 500.000 références pour la seule base navale de Toulon.

Il a relevé que le service de soutien de la flotte (SSF) avait été créé en juillet 2000, à la suite d'un long processus de séparation entre les activités étatiques et les activités industrielles exercées par le service à compétence nationale d'une part, et d'évolution de DCN vers le statut de société anonyme, d'autre part.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a remarqué que le SSF, composé de 700 personnes issues de la marine et de la délégation générale pour l'armement (DGA), était chargé du soutien technique et logistique des bâtiments de surface et des sous-marins, et qu'il exerçait, à ce titre, sous l'autorité de l'état-major de la marine, la maîtrise d'ouvrage des activités concourant à la disponibilité technique de la flotte. Il a souligné le fait que le SSF avait également reçu compétence sur des secteurs que personne, ni la DGA, ni DCN-SA, ne souhaitait prendre en charge, en raison de leur poids financier et des risques qu'ils représentaient, tels que la pyrotechnie.

Il a précisé que les fonctions du SSF étaient complexes car elles reposaient sur l'imbrication fonctionnelle des orientations définies par l'état-major d'une part, et les prestations fournies par des partenaires industriels, d'autre part.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a constaté que l'état-major définissait les priorités d'action du SSF en fonction du contrat opérationnel de la marine, et que le « gouverneur de crédit » exerçait ses arbitrages financiers sur la même base.

S'agissant des relations entre le SSF et ses partenaires industriels, il a relevé que la transition se poursuivait entre les contrats internes passés lors de la transformation de DCN en société, et des contrats passés selon les règles du code des marchés publics, exception faite du secteur nucléaire où DCN bénéficiait d'un monopole prévu par le contrat d'entreprise signé avec l'Etat.

Il a indiqué que le SSF mettait désormais en place des contrats globaux forfaitaires d'entretien, prévoyant l'achat de jours de disponibilité des matériels et non le paiement des travaux de réparation. Il a ajouté qu'une note était attribuée, correspondant à l'évaluation de différents points techniques du matériel, afin de mesurer l'état de disponibilité de l'équipement. Il a observé que lorsque cette note, après s'être dégradée, atteignait un certain seuil, la marine nationale ne payait plus DCN. Il a précisé qu'une commission d'arbitrage était prévue pour régler d'éventuels litiges. Il a souligné l'intérêt de l'industriel au bon entretien des équipements afin d'optimiser le paiement qui lui était versé.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a considéré qu'il était difficile de juger de l'efficacité réelle de ces contrats globaux, en l'absence d'un marché dans ce secteur permettant d'effectuer des comparaisons. Il a, toutefois, estimé nécessaire de suivre l'évolution de ces contrats, qui semblaient permettre, à ce jour, d'améliorer la disponibilité des matériels et de réduire leur coût d'entretien, et notamment leur réelle ouverture à la concurrence.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a précisé que l'entretien des navires devait prendre en compte la présence de l'équipage à bord, indispensable pour assurer sa formation et sa capacité à réparer une panne en mer. Il a observé qu'il était difficile, à ce jour, de ne pas réaliser les IPER dans les ports de Toulon ou de Brest, sans mécontenter les équipages, d'une part, ni augmenter les coûts, notamment ceux des primes d'équipage, d'autre part. Toutefois, la diminution drastique des effectifs des équipages depuis cinquante ans réduit la portée de ce problème.

Il a indiqué que l'imbrication des missions du SSF et des autres acteurs du maintien en condition opérationnelle des équipements de la marine se traduisait également sur le plan géographique, la base de Toulon étant un lieu de cohabitation entre l'état-major, le SSF et DCN. Il a relevé que DCN disposait d'autorisations d'occupation temporaire (AOT) et de conventions d'occupation temporaire (COT) sur les terrains de Toulon, lui permettant d'exercer son activité sans être propriétaire des équipements utilisés.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a présenté le rôle du SSF dans la gestion des stocks de pièces de rechange. Il a précisé que le SSF passait des appels d'offre pour acheter les pièces, qui étaient ensuite stockées, gérées et distribuées par le commissariat de la marine. Il a noté que, dans ce domaine, la gestion de l'obsolescence des pièces, du savoir technique des sous-traitants et de la complexification des systèmes d'armes rendait indispensable la mise en oeuvre d'une bonne gestion logistique. Il a ajouté que cette mission, qui n'avait passionné ni les personnels de DCN, ni ceux de la DGA, semblait correctement accomplie par le SSF et le commissariat de la marine.

Il a remarqué, toutefois, que la gestion des pièces de rechange donnait lieu, actuellement, à un important débat, la DGA souhaitant conserver la responsabilité des équipements de la marine, pièces de rechange incluses, jusqu'à la première IPER. Il a souligné, qu'en revanche, l'état-major de la marine désirait assumer la responsabilité de l'équipement, et la gestion des pièces de rechange, par le biais du SSF, dès l'admission en service du bâtiment. Enfin, il a fait valoir que la mise en place de contrats globaux d'entretien, confiant en fait à DCN la gestion d'une partie des pièces de rechange des navires concernés, compliquait encore le problème.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial, a constaté que la disponibilité de la flotte avait progressé de 33 % entre décembre 2003 et avril 2005. Il a présenté plusieurs documents sur l'indisponibilité des systèmes d'armes et des équipements de la flotte. Il a ensuite rappelé que la disponibilité technique d'un navire ne suffisait pas à garantir l'accomplissement du contrat opérationnel de la marine, tant que l'équipement et son équipage n'avaient pas reçu leur qualification opérationnelle.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité savoir si chaque bateau disposait de son propre équipage, ou si une organisation plus économe en personnel avait été envisagée afin de tenir compte des longues périodes d'indisponibilité pour entretien de la flotte.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a indiqué que les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et les SNA disposaient de deux équipages chacun, afin d'assurer la rotation du personnel entre les périodes d'immersion et les périodes dites de réoxygénation. Il a noté que les bâtiments de surface disposaient chacun de leur propre équipage qui, durant les périodes d'entretien, assurait près d'un tiers du travail de réparation et de mise à niveau des équipements. Il a constaté, lors du contrôle sur pièces et sur place réalisé à la base navale de Toulon les 18 et 19 mai 2005, que la valeur des travaux réalisés par l'équipage commençait à être évaluée, mais n'était pas encore intégrée dans les coûts globaux d'entretien de la flotte.

Il a présenté, enfin, les nouvelles modalités de suivi des opérations d'équipement de l'armée française. Il s'est félicité de la prise en compte, sur un seul document, de l'ensemble des étapes relatives à la conception, l'utilisation et le démantèlement d'un bâtiment. Il a précisé que la révision des instructions militaires afférentes entraînait la répartition de la responsabilité des coûts de développement d'un matériel entre l'Etat et l'industriel. Il a relevé que la suppression de l'étape de « développement » d'un équipement et sa prise en compte dans l'étape de « conception » et dans celle d'« utilisation » était bienvenue et résolvait un point d'achoppement fréquent des dossiers. Il a constaté que ces fiches de suivi de chaque armement permettraient d'en déterminer le coût de possession, respectant en cela les prescriptions de la LOLF.

M. Jean Arthuis, président , a remercié le rapporteur spécial pour la qualité de sa présentation et la richesse des enseignements tirés de ce contrôle réalisé en application de l'article 57 de la LOLF. Il a souhaité savoir à quel moment et à quel rythme les dépenses d'équipement de l'armée étaient intégrées dans le bilan de l'Etat.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a noté que le système d'avances versées aux industriels, et en l'occurrence à la DCN, pour la réalisation des équipements militaires, permettait à l'entreprise concernée de disposer d'une trésorerie confortable et parfois d'actifs financiers importants. Il a fait valoir que ce système était généralisé à tous les pays européens et à de nombreux autres secteurs d'investissements publics. Il a regretté que les investissements réalisés par l'Etat dans le domaine de la défense ne donnent pas lieu à des amortissements visibles dans le compte général de l'administration des finances.

M. Jean Arthuis, président , s'est inquiété des très médiocres résultats d'activité et de disponibilité des équipements militaires, notamment au sein de l'armée de terre.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a rappelé que la situation s'était dégradée depuis les années 1990, pour atteindre son paroxysme en 2000. Il a estimé que la situation s'améliorait depuis, comme en témoignaient les différents indicateurs opérationnels des services visités à Toulon, notamment ceux du commissariat de la marine.

M. Michel Mercier a souhaité savoir si l'amélioration de la fonction logistique dans la marine n'était liée qu'à l'accroissement des moyens financiers mis à sa disposition. Il a estimé préoccupante la durée pendant laquelle le porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle serait immobilisé pour entretien.

M. Yves Fréville, rapporteur spécial , a observé que, de 1995 à 2000, les crédits d'équipement de la défense avaient diminué, en euros constants, de près de 35 %, et que dans cette perspective la construction neuve avait été épargnée autant que possible, au détriment des crédits alloués au maintien en condition opérationnelle des équipements. Il a considéré, toutefois, que des causes structurelles profondes s'étaient ajoutées aux restrictions budgétaires et avaient conduit à la dégradation préoccupante de la disponibilité de la flotte.

Il a constaté que la durée de l'IPER du Charles-de-Gaulle était évaluée et connue depuis longtemps. La marine nationale en avait tiré les conséquences et s'interrogeait, en fait, sur la seconde IPER du porte-avions, prévue en 2013, et la qualification opérationnelle éventuelle d'un second porte-avions, à cette date. Il a souligné que la réflexion sur de tels équipements devait être engagée très en amont, dans une perspective de très long terme.

A l'issue du débat, la commission a donné acte , à l'unanimité, à M. Yves Fréville, rapporteur spécial, de sa communication et décidé d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information .

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