DEUXIÈME PARTIE

LA SITUATION DES DROITS DES FEMMES
DANS LES DIX NOUVEAUX ÉTATS MEMBRES
DE L'UNION EUROPÉENNE
AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Il y a un peu plus d'un an, le 1 er mai 2004, dix pays rejoignaient l'Union européenne, la faisant passer de 15 à 25 États membres : deux îles méditerranéennes, Chypre, divisée en deux parties, la République de Chypre Nord n'étant reconnue que par la Turquie, et Malte, une ancienne république yougoslave, la Slovénie, quatre anciens « satellites » de l'Union soviétique, la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque, et les trois républiques baltes, partie intégrante de l'Union soviétique jusqu'en 1991, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

L'hétérogénéité de ces nouveaux États membres est frappante, en particulier d'un point de vue géographique et démographique, Malte comptant à peine 400.000 habitants et la Pologne plus de 38 millions.

Si le principe de l'adhésion de ces dix États avait été arrêté par le Conseil européen de Copenhague, en décembre 2002, les critères d'adhésion, eux, avaient été déterminés dès juin 1993, lors du Conseil européen qui s'était également tenu dans la capitale danoise. Ces critères sont de trois ordres : des critères politiques - institutions stables garantissant la démocratie et l'État de droit ; des critères économiques - économie de marché viable capable de supporter la concurrence ; des critères juridiques permettant la poursuite des objectifs de l'Union et la reprise de l'acquis communautaire, dont les principes d'égalité et de non-discrimination.

Lors du Conseil européen de Madrid de décembre 1995, la Commission européenne avait été chargée de suivre et d'évaluer les progrès réalisés par chacun des pays candidats pour remplir les critères fixés à Copenhague.

Le 15 juillet 1997, la Commission européenne adoptait une communication intitulée « Agenda 2000 - Pour une Europe plus forte et plus large », dans laquelle elle décrivait les principaux défis que l'Europe aurait à relever au début du XXI e siècle, après l'élargissement de ses frontières. L'Agenda 2000 a été approuvé lors du sommet de Luxembourg, en décembre 1997, et le processus d'élargissement a alors été officiellement engagé.

De leur côté, les pays candidats devaient arrêter un programme national d'adoption de l'acquis communautaire, répertorié en 31 chapitres couvrant l'ensemble des politiques européennes.

L'Agenda 2000 citait les droits des femmes parmi les priorités à étudier au cours du processus d'adhésion, en raison de leur plus grande vulnérabilité sur le marché du travail. De surcroît, dans sa résolution du 4 décembre 1997 sur l'Agenda 2000, le Parlement européen considérait que le rapprochement des législations des futurs États membres de l'acquis communautaire en matière d'égalité des chances devait figurer parmi les conditions d'adhésion. Il estimait également que les critères politiques d'adhésion devaient comporter explicitement le respect des libertés et des droits fondamentaux des femmes.

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* *

Votre délégation a décidé, au cours de sa réunion du 1 er mars 2005, de consacrer le présent rapport d'activité au thème de la situation des droits des femmes dans les dix nouveaux États membres de l'Union européenne.

Dès l'année dernière, elle avait adressé à nos ambassades dans chacun de ces pays un questionnaire sur ce sujet. Les réponses apportées ont fourni de précieuses informations pour la rédaction du présent rapport.

Il n'en demeure pas moins que celle-ci s'est heurtée à une difficulté tenant à l'hétérogénéité des sources statistiques. Les comparaisons internationales constituent toujours un exercice délicat, rendu plus ardu, en l'espèce, par la très grande rapidité avec laquelle les changements se mettent en place dans ces pays. Ainsi, des statistiques économiques peuvent se révéler caduques en quelques mois, par exemple en matière d'écarts salariaux dans certains secteurs professionnels et de recours accru au temps partiel.

On notera d'ailleurs avec satisfaction que la Commission européenne vient de présenter au Conseil des ministres une proposition de règlement en vue de créer un Institut européen pour l'égalité entre les hommes et les femmes, qui aura pour tâche principale de collecter et de diffuser des données comparables et fiables et de réaliser des recherches dans le domaine de l'égalité, afin de donner une meilleure visibilité à ces questions, et qui pourrait avoir son siège à Prague.

La jeunesse des gouvernants et des cadres dirigeants se traduit, en outre, par le style très dynamique de l'action des représentantes des femmes. La vitesse de ces évolutions contraste avec le caractère plus modéré des rythmes du changement qui prévaut plus volontiers en Europe de l'Ouest.

La diversité des structures démographiques, socio-économiques et politiques des nouveaux États membres, qu'illustre la subsistance de spécificités nationales, ne saurait cependant masquer l'existence de caractéristiques et tendances comparables entre ces pays. Une tendance à l'harmonisation des conditions de travail des femmes dans l'Europe élargie au sein des nouveaux États membres, mais aussi et surtout entre ces pays et ceux de l'Union européenne à Quinze peut, en effet, être observée, ce qui aboutit à des conditions généralement comparables, en termes de segmentation du marché du travail, de ségrégation et de disparités salariales.

*

* *

L'objectif de l'adhésion à l'Union européenne a indéniablement constitué le principal moteur de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes dans les nouveaux États membres. Les obstacles à la mise en oeuvre des principes égalitaires sont toutefois loin d'être levés dans ces pays.

I. L'OBJECTIF DE L'ADHÉSION À L'UNION EUROPÉENNE A CONSTITUÉ LE PRINCIPAL MOTEUR DE LA POLITIQUE D'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES DANS LES NOUVEAUX ÉTATS MEMBRES

L'adhésion des dix nouveaux États membres à l'Union européenne - et les efforts entrepris pour atteindre cet objectif - a indéniablement été le principal levier d'action qui a permis aux femmes de voir leurs droits progresser, même si ces pays, pour la plupart d'entre eux, garantissaient déjà, avant le 1 er mai 2004, les droits élémentaires des femmes, et parfois depuis plus longtemps que certains « anciens » États membres, en matière électorale par exemple.

A. LA SITUATION DES DROITS FONDAMENTAUX DES FEMMES DANS LES NOUVEAUX ÉTATS MEMBRES AVANT L'ADHÉSION

1. Les conventions internationales

Il convient de rappeler que, dès avant l'adhésion à l'Union européenne, les dix pays candidats étaient tous membres du Conseil de l'Europe, depuis plusieurs décennies dans le cas de Chypre et Malte, et qu'ils avaient ratifié la Convention européenne des droits de l'Homme de 1950 ainsi que ses protocoles postérieurs, dont le protocole 12 relatif aux discriminations, ce qui n'est pas le cas de la France.

Le tableau ci-dessous rappelle la date d'adhésion au Conseil de l'Europe des dix nouveaux membres de l'Union européenne, qui s'étend entre 1961 pour Chypre et 1995 pour la Lettonie , la première moitié des années 1990 ayant vu l'ensemble des pays de l'ancien bloc de l'Est rejoindre cette institution européenne :

Date d'adhésion
des dix nouveaux États membres
de l'Union européenne
au Conseil de l'Europe

Pays

Date d'adhésion

Chypre

24 mai 1961

Malte

29 avril 1965

Hongrie

6 novembre 1990

Pologne

26 novembre 1991

Estonie

14 mai 1993

Lituanie

14 mai 1993

Slovénie

14 mai 1993

République tchèque

30 juin 1993

Slovaquie

30 juin 1993

Lettonie

10 février 1995

Source : Conseil de l'Europe.

De même avaient-ils tous, avant le 1 er mai 2004, ratifié la Convention de New York sur l'élimination des discriminations à l'encontre des femmes (CEDAW).

Ainsi Mme Marie-Cécile Moreau, présidente de l'Association des femmes de carrières juridiques, a-t-elle souligné, au cours de son audition, que l'intégration de ces dispositions dans l'ordre juridique de ces États leur avait déjà donné une bonne connaissance des questions de discrimination, alors que ce sujet avait parfois été découvert par certains États membres plus anciens au moment de leur adhésion.

Mme Marie-Cécile Moreau a également noté que les dix nouveaux États membres possédaient tous des mécanismes prévoyant l'élimination des discriminations, qui ont été mis en place au titre de l'application de la Convention européenne des droits de l'Homme et de la Convention de New York. Selon elle, les mécanismes les plus efficaces sont ceux mis en oeuvre par les ministères de plein exercice et qui, s'agissant des droits des femmes, sont le plus souvent celui des affaires sociales, de la santé, voire de la famille.

2. Les dispositions constitutionnelles

En ce qui concerne la mention explicite des droits des femmes ou de la parité dans la constitution de chacun des nouveaux États membres, la situation est partagée.

Dans cinq de ces États, il n'existe aucune disposition constitutionnelle spécifique aux droits des femmes : la Lettonie , l' Estonie , Chypre , la République tchèque et la Pologne , cette dernière prévoyant tout de même que « la femme et l'homme bénéficient de droits égaux ».

Tel était aussi le cas de la Constitution française jusqu'à la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, qui a notamment prévu, à l'article 3, que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », les partis et groupements politiques contribuant, selon l'article 4, alinéa 2, à la mise en oeuvre de ce principe.

En revanche, la constitution des cinq autres nouveaux États membres comporte de telles dispositions.

C'est le cas en Hongrie , dont l'article 66 de la constitution de 1989 comporte une disposition générale affirmant l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'ensemble des droits, mais aussi des dispositions plus spécifiques concernant, d'une part, la protection spéciale et le soutien auxquels ont droit les mères de famille avant et après la naissance de leurs enfants, et, d'autre part, la protection des femmes dans le cadre de leur travail.

En Slovénie , la constitution de 1991 a été amendée en 2001, précisément pour favoriser une plus grande participation des femmes à la vie publique.

En Lituanie , les articles 38 et 39 de la constitution de 1992 sont relatifs, respectivement, à l'égalité entre époux et à la discrimination positive en faveur des femmes dans l'exercice de leur profession.

En Slovaquie , la constitution prévoit, dans son article 38, que « les femmes, les mineurs et les personnes âgées doivent bénéficier de protections sociales étendues et de conditions de travail spéciales », tandis que l'article 41, alinéa 2, dispose que « les femmes enceintes doivent faire l'objet de traitements, de contrats d'emploi et de conditions de travail spécifiques ». Ces normes constitutionnelles représentent le fondement d'une législation, reprise en particulier dans le code du travail, prohibant les discriminations fondées sur le sexe.

C'est sans doute la constitution de Malte qui va le plus loin dans ce domaine. Elle définit le cadre juridique de la protection contre la discrimination fondée sur le sexe, et l'article 14 stipule que « l'État favorisera le droit égal pour les hommes et les femmes de bénéficier de tous les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, et prendra à cette fin des mesures appropriées afin d'éliminer toutes les formes de discrimination entre les sexes de la part de toute personne, organisation ou entreprise. L'État devra en particulier veiller à garantir que les femmes qui travaillent jouissent des mêmes droits et des mêmes salaires que les hommes, pour un travail identique ».

L'article 45 est encore plus détaillé. Son alinéa 3 définit le concept de discrimination comme le fait d'accorder un traitement différent à des personnes différentes, imputable en totalité ou en partie, notamment à leur sexe. Son alinéa 11 prévoit l'introduction de mesures positives « destinées à accélérer l'égalité de fait entre les hommes et les femmes », sous le forme de dérogations aux dispositions de droit commun, « uniquement si de telles mesures, tenant compte du tissu social de Malte, sont raisonnablement justifiées dans une société démocratique ».

3. Le droit de vote des femmes

La participation des femmes au processus électoral est relativement ancienne dans la majorité des nouveaux États membres, puisqu'elle apparaît, dans six d'entre eux, comme une conséquence politique de la Première Guerre mondiale.

Elle est en tout cas, pour les femmes de ces six pays, plus ancienne que pour les Françaises qui n'ont obtenu le droit de vote qu'en 1944. Si on ajoute à ce groupe de pays la Hongrie et la Slovénie 3 ( * ) , où le droit de vote a été accordé aux femmes en 1945, ce sont huit nouveaux États membres sur dix dans lesquels les femmes peuvent voter depuis au moins aussi longtemps qu'en France. Seuls Malte et surtout Chypre, respectivement en 1947 et 1960, n'ont accordé le droit de vote aux femmes qu'après la France.

Année d'obtention
du droit de vote des femmes
dans les dix nouveaux États membres
de l'Union européenne

Année

Pays

1918

Estonie
Lettonie
Pologne
République tchèque
Slovaquie

1921

Lituanie

1945

Hongrie
Slovénie

1947

Malte

1960

Chypre

Il convient néanmoins de souligner qu'à l'exception de ces deux derniers États, le régime politique en place jusqu'à la chute du Mur de Berlin vidait de l'essentiel de son sens la portée du vote pour l'ensemble de la population, y compris pour les hommes.

Il n'en demeure pas moins que les femmes de ces dix États avaient acquis une « culture électorale » bien avant l'adhésion de leur pays à l'Union européenne.

* 3 Rappelons qu'à l'époque, cette république faisait partie de la Yougoslavie.

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