3. Des officiers de police judiciaire « en première ligne »

Un rôle déterminant en amont de la procédure

L'article 41 du code de procédure pénale prévoit que « le procureur de la République peut procéder lui-même à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale. A cette fin, il dirige l'activité des officiers et agents de police judiciaire dans le ressort de son tribunal ».

Le parquet s'appuie largement sur les officiers de police judiciaire (OPJ) dont le rôle stratégique dans le déroulement de la procédure a été reconnu par tous les magistrats entendus par la mission.

Les constatations initiales des services enquêteurs sont en effet à la source de la décision, le parquet ordonnant peu de compléments d'enquête dans la suite de la procédure. Le contenu des procès-verbaux dressés par les services de police ou de gendarmerie sert de fondement au choix de la procédure par le parquet et guide la décision qui sera rendue par le tribunal . Sous l'impulsion du traitement en temps réel, la réactivité et la qualité de l'expression orale des OPJ deviennent essentielles car c'est sur la base de leur compte rendu téléphonique que les magistrats du parquet se décident.

Il arrive même que les magistrats du parquet sollicitent l'avis des OPJ sur la qualification d'une infraction ou sur l'orientation de la procédure 83 ( * ) .

La fiabilité de l'enquêteur , interlocuteur privilégié du parquet, conditionne donc fortement la réussite de la procédure. Elle est un sujet de préoccupation pour plusieurs magistrats.

En effet, une dégradation de la qualité des procédures a parfois été constatée par le corps judiciaire.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation :

- les enquêtes sont de plus en plus souvent confiées à des agents de police judiciaire (APJ), moins gradés que les OPJ et dont le niveau de qualification n'est pas toujours suffisant . De plus, au sein même des fonctionnaires ayant la qualité d'OPJ -accessible aussi bien aux commissaires, aux officiers (lieutenants, capitaines, commandants) qu'aux gradés des gardiens de la paix (brigadiers) et aux gardiens de la paix-, le niveau n'est pas homogène ;

- de nombreux magistrats se plaignent de ne pas être suffisamment en contact avec les OPJ les plus gradés de la police (commissaires et officiers) comme de la gendarmerie (officiers), bien qu'ils estiment que ces derniers ont un rôle important à jouer dans la conduite des enquêtes en supervisant l'activité des enquêteurs, en hiérarchisant les affaires selon leur importance et leur complexité et en opérant un travail de tri pour déterminer l'orientation des affaires.

Un colonel de gendarmerie entendu à Lyon a d'ailleurs reconnu que les commandants de brigades étaient accaparés par de multiples tâches -notamment liées à la politique de la ville-, et n'étaient de ce fait pas toujours en mesure de s'impliquer réellement dans les enquêtes. Ainsi, le contact s'établit bien souvent directement entre le représentant du parquet et l'APJ sans que la procédure ait fait au préalable l'objet d'un contrôle de l'échelon supérieur . M. Olivier Damien, secrétaire général adjoint du syndicat des commissaires et des hauts fonctionnaires de la police nationale, a estimé nécessaire qu'un « filtre rigoureux soit assuré par la hiérarchie ».

A cet égard, la réforme des corps et carrières de la police nationale mise en oeuvre depuis juin 2004 qui prévoit une réduction du nombre d'officiers 84 ( * ) inquiète les magistrats.

La qualité des procédures est également affectée par les contraintes liées au traitement en temps réel , en particulier dans les grands parquets . En effet, les services de police n'ont parfois pas le sentiment de disposer du temps nécessaire pour exposer tous les détails d'une affaire à cause des délais d'attente, parfois excessifs (45 minutes en moyenne dans les juridictions de grande taille), pour joindre le magistrat du parquet de permanence et du temps d'écoute nécessairement limité dont ils bénéficient de la part de l'autorité judiciaire.

En outre, la mobilité de plus en plus grande des cadres et des enquêteurs pose une difficulté supplémentaire au parquet en rendant plus délicat le maintien de liens personnalisés et durables. Les magistrats rencontrés à Laval et Bobigny ont notamment insisté sur le fait qu'ils ne connaissaient pas toujours parfaitement les enquêteurs avec qui ils collaboraient en raison d'un taux de rotation des personnels trop élevé.

La formation juridique des enquêteurs mériterait d'être améliorée . Plusieurs interlocuteurs rencontrés à Lyon ont indiqué que, notamment s'agissant des APJ dans la gendarmerie comme dans la police, la formation s'effectuait surtout « sur le terrain ».

Les concours de recrutement des gardiens de la paix devraient accorder une place plus importante à la procédure pénale. De même, la formation continue dispensée à ces professionnels devrait encore davantage mettre l'accent sur le perfectionnement et l'actualisation des connaissances juridiques 85 ( * ) .

De plus, dans le cadre de la réforme des corps et carrières mise en oeuvre depuis 2004 86 ( * ) , il conviendra d'être particulièrement vigilant à ce que l'attribution de la qualité d'OPJ à un plus grand nombre de fonctionnaires ne se traduise pas par une détérioration du niveau moyen des connaissances des OPJ constatée par les magistrats.

Enfin, un partenariat entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice paraît souhaitable pour réfléchir au moyen de doter les enquêteurs d'un savoir et d'un savoir-faire suffisants pour être pleinement opérationnels. Les magistrats du parquet eux-mêmes doivent également s'impliquer pour actualiser le niveau des compétences des services de police . Ainsi, le parquet de Reims, conscient de cet impératif, organise des réunions avec les services de police à échéance régulière afin de leur exposer les évolutions de la législation.

Une telle démarche pourrait être adoptée par d'autres parquets et mériterait d'être encouragée par le garde des sceaux .

Des liens étroits avec le parquet

Les relations étroites qui lient le parquet aux services enquêteurs supposent qu'une grande confiance s'instaure entre eux et que le parquet trouve la disponibilité nécessaire pour exercer un contrôle effectif sur les officiers ou les agents de police judiciaire.

A cet égard, la situation paraît satisfaisante. Comme l'a souligné M. Christian Raysséguier, inspecteur général des services judiciaires, « le traitement en temps réel a permis de réduire la césure entre le parquet et les services de police. Les services de police semblent satisfaits du mode de suivi de l'action publique par le parquet . »

* 83 Tel est par exemple le cas à Lyon.

* 84 Aux termes du repyramidage hiérarchique prévu par la réforme statutaire, les effectifs du corps de commandement qui regroupe les officiers qui s'établissent actuellement à 15.000, devraient accuser une forte baisse pour se situer à 9.000 d'ici 2012.

* 85 Cette priorité a d'ailleurs été inscrite dans la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure n° 2002-1094 du 29 août 2002.

* 86 Qui prévoit de rééquilibrer le ratio OPJ-APJ actuellement de 1 pour 4 en le portant à près de 8 pour 10.

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