2. Contribution de la BERD au développement économique en Europe centrale et orientale

Lors de sa séance du mardi 28 juin matin, l'Assemblée a tenu son débat annuel sur la contribution de la BERD au développement économique en Europe centrale et orientale.

Mme Liudmila Pirozhnikova (Russie, GDE) a présenté le rapport de la commission des questions économiques et du développement en rappelant que la BERD avait réduit son activité dans les pays baltes et d'Europe centrale qui ont rejoint l'Union européenne et accru son aide aux pays d'Europe orientale, d'Europe du Sud-Est, du Caucase et de l'Asie centrale alors que la Russie recevait un tiers des aides. Elle a souligné l'importance de ces aides dans la lutte contre l'extrémisme islamiste qui prospère souvent à partir d'une situation économique dégradée et a plaidé pour une accentuation des efforts en faveur des infrastructures et des services pour améliorer la vie des gens de manière tangible.

M. Jean Lemierre , Président de la BERD, a alors prononcé l'allocution suivante :

« C'est avec honneur que je représente, une nouvelle fois, l'institution que je dirige auprès de votre Assemblée. Je tiens tout particulièrement à remercier les membres de votre commission des questions économiques et du développement ainsi que votre rapporteur pour l'attention qu'ils portent à notre activité et pour les conseils et orientations qu'ils nous donnent, qui nous sont extrêmement précieux.

Vous savez tout sur la BERD ; le rapport de votre commission est complet. Je me contenterai donc de développer trois points. Je traiterai d'abord des grandes évolutions politiques de la région ; importantes pour nous, elles le sont pour les investisseurs ; puis j'aborderai quelques évolutions de nature économique qui méritent une grande attention de notre part. Enfin, je vous livrerai quelques informations sur les réflexions actuelles au sein de l'institution concernant le futur de l'activité de la Banque.

D'abord, quelques remarques sur les orientations politiques.

Monsieur le Président, vous l'avez indiqué, huit pays récipiendaires des fonds de la Banque ont rejoint l'année dernière l'Union européenne. Nous en sommes très heureux pour eux. C'est le fruit d'un travail remarquable. Depuis, les choses se passent bien contrairement à certaines critiques portées auparavant.

Des défis sont à relever. Nous restons présents en Europe centrale, j'y reviendrai. Nous continuons à investir, mais dans une moindre mesure. La gradation fait son oeuvre et nos collègues de la BEI notamment prennent largement le relais.

A ce groupe de huit pays j'associerais volontiers la Bulgarie et la Roumanie dont nous souhaitons profondément qu'elles rejoignent le groupe le plus vite possible. Les progrès y sont constants : des élections ont eu lieu ; les choix en faveur de la réforme et de l'Europe ont été maintenus, ce qui est essentiel pour le processus en cours. Voilà pour la première évolution politique.

La deuxième évolution a lieu dans les Balkans. Au cours d'auditions précédentes, j'ai eu l'occasion de vous indiquer que la situation y demeurait incertaine. Elle nous paraît se préciser aujourd'hui. La BERD vient de tenir son assemblée générale à Belgrade en liaison étroite avec tous les pays des Balkans de l'Ouest. Le dialogue a été intense, fructueux, avec l'Union européenne, tout cela sur un fond positif. Notamment des messages forts furent donnés à Belgrade, en Serbie-Monténégro en faveur de l'ouverture de discussions avec l'Union européenne. Une étude de faisabilité, que vient de publier l'Union européenne, a été lancée pour progresser dans la stabilisation des Balkans de l'Ouest. On assiste en effet à des progrès économiques importants en Bosnie-Herzégovine, en Albanie, à Skopje, en Croatie. En tout cas, une grande détermination à parcourir un chemin qui reste difficile, et qu'il faut soutenir, se manifeste.

Je veux insister sur la Serbie-Monténégro, où les problèmes politiques traités sont loin d'être négligeables, avec le devenir de la relation entre la Serbie et le Monténégro d'un côté, le devenir du Kosovo de l'autre. Les investisseurs comprennent mieux ce qui se passe et commencent à investir. C'est là un signe fort en termes de réforme.

La troisième réforme politique de l'année écoulée réside dans les changements politiques intervenus en Géorgie, puis en Ukraine et en Moldavie, où l'orientation politique générale s'est davantage tournée vers l'Ouest. N'oublions pas les événements particulièrement importants intervenus en République Kirghize. Je fais référence à la Géorgie et à l'Ukraine, où les nouvelles autorités sont installées et où l'ordre du jour accorde une priorité à la lutte contre la corruption et à la réforme économique.

Après l'élargissement, les pays des Balkans et l'Ukraine notamment, regardent de plus en plus vers l'Union européenne. Vous comprenez le sens de ma remarque: les événements internes à l'Union européenne suscitent actuellement des questions dans ces pays quant à la soutenabilité des démarches.

Dernier commentaire politique que j'ai déjà eu l'occasion de présenter ici : la situation en Ouzbékistan.

La Banque a récemment eu l'occasion de condamner les violences meurtrières qui s'y sont produites. Nous avons une stratégie, une vision, sur l'Ouzbékistan qui nous conduisent à marquer notre engagement envers ce pays et à insister sur le secteur privé. Nous n'intervenons quasiment pas dans le secteur public.

Je porterai simplement à la connaissance de votre Assemblée que le conseil d'administration de la Banque, comme nous le faisons régulièrement, reverra son analyse sur l'Ouzbékistan au mois de juillet; nous prendrons alors une nouvelle position. Il est prématuré que je vous indique ce qu'elle sera, mais nous allons, une nouvelle fois, procéder à un examen de la situation en Ouzbékistan, car elle est préoccupante.

Sur le plan économique, votre rapporteure a évoqué les grandes évolutions. Je partage totalement ses conclusions. En Russie, au Kazakhstan, en Azerbaïdjan, la croissance a été forte, tirée par plusieurs éléments, particulièrement les prix du pétrole et du gaz, mais pas seulement : sont venues s'ajouter des réformes économiques, une ouverture accrue, notamment vers la Chine, qui a tiré les exportations de l'acier et de l'aluminium.

Des difficultés apparaissent toutefois. La croissance de certains de ces pays, par exemple la Russie, a quelque peu tendance à se ralentir actuellement, ce qui conduit à réfléchir en profondeur à ce qui se passe. Que voit-on ? D'un côté, une très bonne politique macro-économique. Dans les trois pays, l'afflux de ressources issues du gaz et du pétrole est bien géré. Des fonds de stabilisation importants sont créés parallèlement à une bonne politique macroéconomique, même s'il existe des tensions inflationnistes et si la devise à tendance à s'apprécier mais c'est un phénomène à peu près inéluctable face à des rentrées élevées de recettes.

Ce n'est donc pas au niveau macro-économique que se posent les questions : elles se posent davantage en termes de diversification de l'économie et commencent à se poser avec acuité dans plusieurs pays de la région. Fonder une croissance sur les matières premières et l'énergie est toujours extraordinairement difficile. Le Président Poutine a insisté sur le fait que c'était une opportunité, mais non le moyen de créer des emplois ni une économie prospère à moyen terme. Pour y parvenir, il faut s'engager dans ce que l'on appelle «la diversification de l'économie», c'est-à-dire créer des activités en dehors des secteurs énergétiques. Sont concernées l'industrie agroalimentaire, l'industrie automobile, toutes les industries manufacturières.

Une telle politique est essentielle dans les trois pays mentionnés. A cet égard, les questions qui sont apparues en Russie sur la direction de l'économie, le sens général à donner, l'ouverture, l'accentuation du contrôle par l'État, le rôle de l'investissement étranger par rapport à l'investissement domestique, l'importance de la règle de droit - comment doit-elle être appliquée ? - sont centrales pour soutenir la diversification de l'économie.

Au début de la semaine dernière, j'étais à Saint-Pétersbourg. J'ai eu l'occasion de constater que l'engagement en faveur de la diversification de l'économie était sans ambiguïté. Le message doit être clarifié, véhiculé auprès des investisseurs qui sont prêts à répondre, à investir. La question, en tout cas, est fondamentale pour l'avenir de la région. Il faut une économie fondée certes, sur le gaz et le pétrole, mais également sur l'investissement, l'investissement national et étranger, sur l'ouverture.

A ce titre, les négociations d'accession à l'OMC dans la région sont l'un des moteurs de modernisation des économies citées. Ce processus d'ouverture externe, de participation à l'économie globale à travers un processus rigoureux, qui est celui de l'accession à l'OMC et qui fournit des précisions importantes, doit être soutenu. La région change donc profondément. Elle a connu des bouleversements en 2004 et 2005.

J'insisterai sur l'importance des travaux de votre assemblée.

Au regard des investisseurs étrangers, le rapport de votre Assemblée sur la Fédération de Russie, les réponses ou les commentaires apportés par le Président Poutine, sont des éléments très importants pour comprendre ce qui se passe et ce que la direction russe envisage de faire. Vos travaux sont donc essentiels pour la communauté des investisseurs. Dans cette perspective, le suivi de l'évolution dans les pays que j'ai évoqués - l'Ukraine, la Géorgie, la Moldavie, la République Kirghize et l'Ouzbékistan - méritera beaucoup d'attention de la part de votre Assemblée au cours des mois qui viennent.

Cela me conduit à évoquer brièvement mon troisième point : la BERD.

Nous sommes, en 2005 et en 2006, face à une évolution très importante. Votre rapporteure l'a mentionné : nous partons de forts engagements en Europe centrale et le centre de gravité de la Banque se déplace nettement vers l'est et le sud-est, ce qui comporte un certain nombre d'enjeux.

Le premier est de savoir comment traiter les pays pauvres. Comme vous l'avez indiqué, Madame la rapporteure, il existe dans la région plusieurs pays pauvres endettés et qui sont un peu les oubliés des investisseurs. Nous avons essayé de développer une méthode particulière, que nous appelons Early Transition Countries, dans laquelle nous prenons davantage de risques avec le soutien de grands donateurs. Je tiens à remercier ici tous les pays qui contribuent à cette politique avec générosité et efficacité, sans surcharge pour les pays concernés, puisque nous ne demandons pas de garanties souveraines.

La seconde orientation importante pour la Banque est l'accroissement de nos approches en matière de PME et d'entreprises de taille moyenne. Nous renforçons actuellement nos programmes, notamment le programme TAM auquel votre rapport fait référence. Il est en effet très important de soutenir le développement de l'entreprenariat dans tous ces pays.

Ma troisième remarque concerne l'efficience énergétique et la sûreté nucléaire. Plus la Banque évolue vers l'est et le sud-est, plus les questions énergétiques prennent de l'importance. Nous mettons en place, notamment avec le soutien de l'Union européenne, des grands programmes pour économiser l'énergie et des programmes encore plus volumineux en montants pour traiter les questions de sûreté nucléaire. Je suis particulièrement heureux d'annoncer ici les progrès qui viennent d'être accomplis grâce au soutien des donateurs et de l'Ukraine dans la mise en place des différents mécanismes liés à la catastrophe de Tchernobyl. Des travaux d'envergure viennent d'aboutir et nous passons à une deuxième phase décisive.

J'en viens à l'environnement.

Nous sommes naturellement très attentifs aux questions environnementales. L'an passé, nous avons travaillé sur le grand projet de pipe-line dans le Caucase. Nous travaillons actuellement sur d'autres projets à fort impact environnemental. Je tiens ici à souligner l'apport considérable de la société civile et des ONG au travail de la Banque et l'importance que nous accordons à ce dialogue.

En fait, l'évolution de la Banque, c'est davantage d'investissements dans des zones que les investisseurs considèrent comme plus risquées. C'est en quelque sorte une deuxième jeunesse pour l'institution. Je vais proposer à l'assemblée annuelle de 2006, à Londres, pour les cinq années à venir, une nouvelle stratégie définissant les nouvelles orientations pour la Banque. Nous pouvons le faire et prendre davantage de risques essentiellement grâce à deux paramètres: d'une part, ayant accumulé des réserves, nous avons la capacité de prendre davantage de risques dans des zones plus difficiles, et, d'autre part, les équipes de la Banque ont acquis de l'expérience et savent faire des choses beaucoup plus difficiles.

En tant que président de l'institution, c'est donc avec confiance que je vois se dessiner cette évolution vers l'est et vers le sud-est. C'est avec plaisir que j'aurai l'occasion, en juin prochain, de vous exposer les orientations que les gouverneurs de la Banque auront retenues pour notre avenir.

En conclusion, je remercie de nouveau votre Assemblée, monsieur le Président, pour votre soutien et vos conseils. C'est avec grand intérêt, et, soyez-en conscients, grand profit, que j'écouterai les débats qui vont intervenir. »

Intervenant dans la discussion générale, M. Jean-Pierre Kucheida a jugé l'orientation de la BERD un peu trop libérale :

« Depuis 1991, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD, est synonyme d'espoir et de développement économique pour de très nombreux pays d'Europe et même d'Asie. Elle lutte aussi contre la corruption qui ravage certains États, voire de nombreux États. En quatorze années, elle a soutenu 1140 projets pour un montant total de 78,5 milliards d'euros. En 2004, 4,13 milliards d'euros ont été investis contre 3,7 en 2003, soit une augmentation de 11,62 %. Que de choses réalisées !

J'en profite pour féliciter Mme Pirozhnikova pour son rapport. Je tiens aussi à remercier M. Lemierre de nous faire l'honneur de sa présence.

En lisant le rapport, quelques points m'ont interpellé. En effet, on nous parle de privatisations des infrastructures, par exemple. Pourquoi ne pas développer, au contraire, les services publics dans certains secteurs ? On voit ce qu'a donné la privatisation des réseaux ferrés chez nos voisins d'Outre-Manche. De plus, je pense qu'il faudrait renforcer la vigilance sur certains pays qui avaient entamé les réformes demandées par la BERD avant leur adhésion à l'Union européenne en 2004 et qui, ne les ayant pas achevées, se tournent maintenant uniquement vers des réformes fondées sur l'amélioration du marché et des affaires, c'est-à-dire axées sur le libéralisme. Libéralisme, il est vrai, un peu encouragé par la BERD,... un peu trop à mon goût !

Dans le rapport de Mme Pirozhnikova, il est précisé que la BERD va, d'ici deux ou trois ans, se retirer des nouveaux États membres pour investir davantage à l'Est ou au Sud-est, dans des régions encore plus défavorisées. Cette décision me paraît lourde de conséquences. En effet, aider les plus pauvres, c'est normal. Mais là où le bât blesse, c'est qu'il existe encore des régions très pauvres dans certains pays riches à l'Ouest, qui n'auront pas, ou plus, d'aide. Les nouveaux entrants n'auront pas résolu tous leurs problèmes d'ici cette échéance. Qui viendra à leur secours si la BERD continue sa course effrénée vers l'Est en les laissant choir ? Ne risquons-nous pas de voir des peuples désespérés se révolter face à une situation qui se dégrade sans cesse ? Le «non» du peuple français au référendum concernant le projet de Constitution européenne en est un exemple annonciateur. Pour empêcher de telles situations, il serait souhaitable que l'activité s'oriente vers des zones qui restent en forte difficulté, parfois dans l'Europe de l'ouest, après les crises qui les ont secouées.

D'autre part, dans le rapport, le cas de l'enclave de Kaliningrad est examiné. A cet égard, il faut agir avec une grande prudence pour qu'aucune partie ne se trouve lésée et que Kaliningrad ne soit pas le Danzig de demain.

Enfin, il serait, je pense, important et intéressant, que la BERD précise aussi quels sont ses autres partenaires financiers et l'origine des fonds utilisés dans les opérations qu'elle mène en commun. »

À l'issue de cette délibération, l'Assemblée a adopté la résolution n° 1451 qui encourage la BERD à accentuer son engagement en Asie centrale, appuie sa nouvelle stratégie pour la Russie, soutien sa politique de tolérance zéro concernant tous les cas de fraude ou de corruption, lui demande de porter une attention particulière à l'amélioration de l'efficience et des économies énergétiques et souhaite le développement d'actions menées conjointement avec la Banque de développement du Conseil de l'Europe.

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