C. LES QUESTIONS POLITIQUES ET SOCIALES

1. L'abolition des restrictions au droit de vote

Lors de sa séance du vendredi 24 juin matin, l'Assemblée a examiné le rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme sur l'abolition des restrictions au droit de vote. Le rapport de M. Mehdi Eker (Turquie, PPE), devenu ministre depuis l'adoption du rapport, a été présenté par M. Serhyi Holovaty (Ukraine, ADLE), Président de la commission, qui a introduit les débats en insistant sur les problèmes posés par le droit de vote des expatriés, des détenus, des membres des forces armées et des personnes vulnérables ainsi que sur l'age minimal pour pouvoir voter et être élu.

M. Marc Reymann a axé son intervention sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, celui des détenus et des personnes malades avant de conclure en abordant le problème du développement de l'abstention :

« Garanti par de très nombreux textes juridiques parmi lesquels on peut citer l'article 23 de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, l'article 3 du protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme ou encore l'article 3 de la Constitution française, le droit de vote est un élément essentiel dans toute société démocratique.

S'il apparaît aujourd'hui aller de soi, il ne faut pas oublier qu'il est le fruit d'une longue évolution historique et que de nombreuses batailles ont du être menées partout dans le monde pour l'imposer.

Ainsi, en France, le droit de vote est-il né après la Révolution française avec la Constitution de 1791 mais il s'agissait alors d'un vote censitaire et il a fallu attendre 1848 pour que les citoyens soient admis à voter sans conditions de ressources bien que plusieurs catégories, comme les militaires, les habitants des colonies et surtout les femmes restent exclues du suffrage. La Troisième République rétablit ce droit mis entre parenthèse sous le Second Empire. Finalement, ce n'est qu'en 1945 que les femmes ont enfin été admises à voter et en 1975 que la majorité électorale a été abaissée à dix-huit ans. Il a donc fallu près de deux siècles pour que le droit de vote exercé dans les conditions actuelles s'installe en France.

Si j'ai procédé à ce court rappel historique, mes chers collègues, c'est tout d'abord pour rappeler que ce qui nous apparaît aujourd'hui comme une évidence ne l'a pas toujours été. Les nombreux pays où ce droit s'exerce, peu ou mal, suffit d'ailleurs à le prouver.

Mais c'est aussi pour dire que ce droit est fragile et doit être protégé. Ce qu'une évolution historique a fait, une autre peut le défaire et je ne voudrais pas que le phénomène de l'abstention qui se développe dans nombre de nos pays, et sur lequel je reviendrai, soit le début d'une tendance dangereuse. Notre Assemblée est donc complètement dans ses fonctions et dans son rôle de protecteur de la démocratie lorsqu'elle aborde un sujet comme celui de ce matin.

Dans son rapport, M. Eker insiste sur la nécessité de lever plusieurs restrictions au droit de vote et il en cite notamment trois sur lesquelles je voudrais insister.

Tout d'abord, il aborde la question du droit de vote des étrangers en situation régulière aux élections locales.

Ce sujet fait l'objet en France de vives controverses, mais je tiens à souligner ici que je suis favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales, même si je pense que la meilleure solution, dans ce domaine est, lorsque cela est souhaité par les intéressés, de leur faciliter l'obtention de la nationalité française. Que des personnes travaillant et payant leurs impôts locaux puissent voter pour élire les responsables des collectivités locales où elles sont installées me semble tout à fait naturel et de nature à renforcer leur implication dans la vie de la cité et, par là, de leur pays d'accueil.

Le deuxième élément que je souhaiterais évoquer est le droit de vote des détenus.

Il est tout à fait justifié de demander que tout soit fait pour faciliter le vote des détenus mais, pour autant, je ne peux entièrement souscrire aux développements du rapporteur quand il demande de limiter les cas où une peine peut être accompagnée d'une privation des droits civiques aux seuls infractions à la législation électorale. Il est, en effet, des situations où il serait choquant qu'un juge ne puisse pas prononcer la déchéance des droits civiques en complément de peine et il convient de sauvegarder cette possibilité au-delà des seuls cas de fraude électorale.

Je veux enfin parler de la proposition du rapporteur de mieux protéger les droits électoraux d'autres personnes vulnérables : les malades. Cette suggestion rencontre mon entier soutien car il serait déplorable d'ajouter à l'exclusion par la maladie, l'exclusion par la non-participation à la vie civique. Tant pour des raisons liées à la psychologie des malades que pour des raisons morales, il faut que nos pays mettent en place toutes les mesures nécessaires pour que les malades disposant de toutes leurs capacités de discernement puissent voter.

Je terminerai mon intervention en abordant une limitation au droit de vote qui se développe malheureusement, de plus en plus, à savoir l'abstention.

En l'espèce, il conviendrait d'ailleurs de parler d'autolimitation plutôt que de limitation, mais, malheureusement, le phénomène est bien réel dans nos démocraties où le désintérêt pour la chose publique est une attitude de plus en plus répandue. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, cette tendance est dangereuse. Les démocraties ne peuvent fonctionner durablement que si elles sont légitimes et la légitimité ne peut s'acquérir que par le vote. Elle est d'autant plus réelle que le nombre de votants est élevé. Il faut donc tout mettre en oeuvre pour lutter contre l'abstentionnisme et inciter les électeurs à accomplir leur devoir.

Abraham Lincoln disait qu'un bulletin de vote est plus fort qu'une balle de fusil. Cela ne restera vrai que si nous parvenons à mobiliser les citoyens pour participer à la vie publique. Le rapport de notre collègue M. Eker s'inscrit dans cette démarche et c'est la raison pour laquelle je lui apporte mon soutien, compte tenu des réserves faites sur la question des cas de privation des droits civiques. »

M. Gilbert Meyer a insisté sur les solutions retenues en France pour limiter les restrictions au droit de vote :

« Pouvoir voter, c'est pouvoir participer à la vie de la cité. C'est pourquoi il est fondamental que tous les citoyens bénéficient de ce droit. Le rapporteur dresse une longue liste de conditions posées par les États pour pouvoir voter. Il les exhorte à réexaminer les conditions et à abolir toute limitation.

La France fut le premier pays sur le continent européen à accorder le droit de vote à tous ses citoyens. En mars 1848, le gouvernement provisoire a proclamé l'adoption du suffrage universel. Ce droit avait été étendu aux Françaises en 1945 par le général de Gaulle. C'est pourquoi, forte de cette pratique de longue date, la France répond à la majorité des recommandations préconisées par le rapporteur. Il en va ainsi en ce qui concerne l'âge, les conditions de résidence ou la capacité des personnes.

Depuis 1974, pour avoir la qualité d'électeur, il suffit d'être âgé de dix-huit ans. De plus, afin d'encourager les jeunes électeurs à voter, le législateur a nouvellement décidé de les inscrire d'office sur les listes dès qu'ils atteignent l'âge de la majorité.

Aucune catégorie de la population ne se voit privée de sa liberté de vote en raison de sa profession. Ainsi, les militaires relèvent du droit commun.

Seules des conditions d'inéligibilité pour certaines professions ont été édictées pour prévenir tout risque de collusion. Ainsi, par exemple, un préfet ne peut se présenter aux élections législatives dans la circonscription de ressort où il a exercé depuis moins de trois ans.

En ce qui concerne la capacité des personnes, seuls les citoyens privés de leur droit civique à la suite d'une condamnation sont exclus du droit de vote. Quant aux détenus, non privés de leur droit, ils peuvent voter par le biais d'une procuration.

La France consent un effort particulier en direction des personnes vulnérables. Ainsi les personnes handicapées et invalides peuvent voter par procuration. Le code électoral a par ailleurs été modifié en février 2005 pour encourager l'utilisation des machines à voter afin de permettre aux citoyens handicapés de voter de façon autonome. Une étape supplémentaire a été franchie afin de permettre à tous, y compris les majeurs sous tutelle, d'être des citoyens à part entière. Le projet de loi sur l'égalité des lois et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, voté en février 2005, permet aux majeurs sous tutelle après autorisation du juge de voter.

L'inscription sur les listes électorales est soumise à des conditions de résidence. Cependant, la législation française s'est adaptée pour permettre aux Français de l'étranger de participer à la vie électorale. En 2003, 150 412 Français résidant hors de nos frontières étaient inscrits sur les listes.

En effet, pour l'élection présidentielle et les opérations référendaires, des centres de vote sont ouverts dans les postes diplomatiques et consulaires. Le vote par procuration leur permet d'accomplir leur devoir électoral pour les autres élections. Dans ce cas, les conditions d'inscription sur les listes électorales sont facilitées ; les Français peuvent choisir notamment comme centre de vote leur commune de naissance, la commune d'un de leurs ascendants ou descendants.

Quant aux personnes en situation d'exclusion et sans domicile fixe, la loi du 29 juillet 1998 leur permet de se domicilier dans des associations pour pouvoir être inscrits sur les listes.

On le voit, en France, le droit de vote est largement accordé aux citoyens. Une seul restriction subsiste toutefois : la nationalité. Pour pouvoir voter et être élu, il faut jouir de la nationalité française ou européenne pour les élections municipales et européennes. De nombreuses voix s'élèvent pour demander d'accorder aux étrangers résidant sur notre territoire depuis des années, le droit de vote, limité aux élections locales.

Plusieurs propositions de loi ont été déposées à l'Assemblée nationale. Sur ce sujet aucune n'a encore abouti. Pour favoriser la participation des citoyens étrangers aux décisions de leur commune, quelques municipalités ont constitué des conseils municipaux associés. Ce sujet reste délicat. Il nécessite une maturité politique de la part des opinions publiques, maturité que nous n'avons sans doute pas encore atteinte en France.

Lamartine affirmait : «Le suffrage universel est la démocratie». C'est pourquoi il importe que tous les citoyens d'un État puissent jouir de leurs droits civils et politiques. Toutefois, nous devons nous interroger sur un autre point tout aussi important. En effet, l'abstentionnisme est grandissant dans les pays de vieille tradition démocratique où le droit de vote est le plus largement accordé. Dès lors, ne devons-nous pas nous intéresser à ces électeurs, qui représentent en moyenne 35 % du corps électoral et sont donc bien plus importants que ceux privés du droit de vote ?

Donner le droit de vote passe aussi par la nécessité d'intéresser les électeurs à la vie publique.

Mes chers collègues, pour conclure je tiens à apporter mon soutien aux propositions de notre rapporteur. »

M. Yves Pozzo di Borgo est revenu sur les cas d'exclusion du droit de vote retenus par le rapporteur :

« Avant mon intervention, je souhaiterais préciser que je suis non inscrit. Je regrette qu'il n'y ait pas de groupe des non inscrits dans cette assemblée. Cette restriction au droit des parlementaires est contraire à l'esprit de démocratie du Conseil de l'Europe. Les partis politiques n'ont pas le monopole de la représentation parlementaire.

J'en viens au sujet, la commission des questions juridiques nous propose une résolution dans un domaine évidemment fondamental pour le fonctionnement de la démocratie : les limitations qui peuvent être apportées à l'exercice du droit de vote.

En la matière, la jurisprudence, tant des tribunaux nationaux que notre Cour européenne des droits de l'homme, a établi que la liberté est la règle, et les restrictions, l'exception. En effet, on ne saurait attenter à une liberté aussi fondamentale sans motifs graves, énoncés avec précision dans les textes de loi.

Cependant, certaines des propositions de notre rapporteur tout comme les amendements soumis par notre commission des questions politiques, me laissent perplexe. Limiter l'exclusion du droit de vote aux seuls délits de fraude électorale, de pressions illégales ou de participation à un coup d'état militaire me semble méconnaître l'équilibre nécessaire, dans une société démocratique, entre le droit de participer à la vie collective et le devoir d'en respecter les lois.

Les condamnés pour traite d'êtres humains, les proxénètes, par exemple ou les hommes politiques qui ont dérapé devraient-ils pouvoir non seulement voter, mais se présenter à des fonctions électives ? Je pense qu'il est très difficile d'établir la liste des crimes qui devraient exclure du droit de vote et de l'éligibilité. Le code pénal de chacun de nos États membres prévoit cette peine, généralement accessoire, et il faut laisser aux magistrats la faculté de la prononcer. Ce n'est pas remettre en cause la croyance fondamentale dans la faculté de tout homme de se réinsérer dans la collectivité, une fois sa peine accomplie, que de suspendre l'exercice du droit de suffrage à l'encontre de ceux qui ont commis des crimes qui ont révolté l'opinion publique.

Une autre proposition de nos rapporteurs vise à élargir le droit de vote et d'éligibilité dans l'État de résidence à toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité. Comme mon collègue M. Reymann, je comprends parfaitement l'inspiration généreuse de cette extension du droit de suffrage. Je me bornerai à rappeler qu'elle ne débouche tout au plus que sur une citoyenneté de deuxième ordre. Le temps et une volonté d'intégration sont nécessaires. La tradition française est d'offrir une pleine citoyenneté à ceux qui sont entrés légalement dans notre pays et se montrent désireux de s'intégrer à la communauté nationale. Plus de 150 000 personnes bénéficient chaque année d'une naturalisation qui leur donne plein accès à tous les droits des Français. Ainsi tous les deux ans, c'est près de l'équivalent du corps électoral du Luxembourg qui s'intègre à la communauté nationale française.

Enfin, notre Assemblée, conformément d'ailleurs à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, a considéré que les restrictions en matière électorale étaient justifiées à l'encontre de partis politiques professant un programme contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. Peut-être aurait-il été opportun de rappeler que les grandes libertés politiques étaient garanties aussi longtemps qu'elles n'empiétaient pas sur les droits et libertés d'autrui et sur les mesures nécessaires au bon fonctionnement d'un État démocratique ?

Telles sont, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler en toute responsabilité : élus par nos concitoyens, nous devons veiller à l'équilibre du corps social. Cet équilibre nous conduit à concilier, d'une part, les mesures organisant la réinsertion des condamnés, ou encore la politique la plus favorable à l'intégration des étrangers résidant dans un pays dont ils n'ont pas la nationalité, d'autre part, le besoin de nos concitoyens de voir le respect des lois s'imposer à tous et d'avoir une définition de la citoyenneté qui n'ait pas perdu tout sens juridique.

A l'heure où se manifeste, de la part des électeurs, dans nombre de nos États membres, une crainte de perte d'influence sur les orientations des politiques nationales ou européennes - nous l'avons vu en France le 29 mai - il convient de peser les mesures proposées afin que puisse être pleinement acceptée l'ouverture la plus large possible de l'exercice du droit de suffrage. »

A l'issue de ses débats, l'Assemblée a adopté :

- la recommandation n° 1714 qui demande aux États membres de signer et ratifier la Convention de 1992 du Conseil de l'Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, d'accorder des droits électoraux actifs et passifs aux élections locales aux étrangers en situation régulière et de réexaminer les restrictions existantes aux droits électoraux des détenus et des membres des forces armées ;

- la résolution n° 1459 qui reprend les demandes de la recommandation précitée en rajoutant des demandes visant à abaisser à 18 ans l'âge nécessaire pour voter, à 25 ans maximum l'âge nécessaire pour être élu, et à prendre des mesures appropriées pour garantir le droit de vote des personnes vulnérables.

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