2. Un organe de contrôle auprès du Parlement : le Bureau du vérificateur général du Canada

Le vérificateur général du Canada, dont les compétences ont été définies par la loi de 1977 sur le vérificateur général, a pour mission de vérifier l'exactitude des états financiers et d'examiner la façon dont le gouvernement gère ses affaires. Aussi ses travaux ne portent-ils pas sur les choix politiques du gouvernement fédéral, mais sur la façon dont les politiques sont appliquées 29 ( * ) . Ses compétences et sa position institutionnelle peuvent être comparées à celles de la Cour des comptes en France.

Une instance indépendante du gouvernement, rattachée au Parlement

L'indépendance du vérificateur général est garantie par le fait qu'il soit nommé pour un mandat non renouvelable de 10 ans , par le Premier ministre, sur proposition du Parlement. Il a le statut d'un haut fonctionnaire parlementaire et présente ses rapports directement au Parlement.

Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada, a indiqué à votre délégation qu'elle bénéficiait d'une totale indépendance pour décider de ses sujets d'enquête , ainsi que du moment et des modalités de réalisation de ses vérifications.

Elle a précisé que le vérificateur général ne pouvait être révoqué que « sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes » 30 ( * ) , adoptée par les deux tiers des membres du Parlement.

Elle a souligné qu'il lui appartenait de nommer et de définir les conditions d'emploi de son personnel, le Bureau du vérificateur général employant 600 personnes au sein de son administration centrale à Ottawa et dans ses quatre bureaux régionaux à Vancouver, à Edmonton, à Montréal et à Halifax. Elle a indiqué que ses services se caractérisaient par la diversité des connaissances et des expériences, le personnel comprenant notamment des comptables 31 ( * ) , des ingénieurs, des avocats, des spécialistes en gestion et en technologies de l'information, des environnementalistes, des économistes, des historiens et des sociologues.

Le budget annuel du Bureau du vérificateur général s'élève à 70 millions de dollars canadiens (36 millions d'euros).

L'objet des vérifications

Les travaux du vérificateur général peuvent toucher l'ensemble des champs d'activité de l'administration fédérale. Il revient ainsi au vérificateur général de contrôler les états financiers du gouvernement et la performance des ministères. Le rapport de 2004 présente ainsi une évaluation des activités du Conseil du Trésor.

Les sociétés d'Etat, comme Radio-Canada, entrent dans le champ des vérifications, de même que les gouvernements des trois territoires 32 ( * ) (Nunavut, Yukon et Territoires du Nord-Ouest).

En outre, un commissaire à l'environnement et au développement durable est chargé de surveiller l'action du gouvernement fédéral en matière de protection de l'environnement et de faire rapport à ce sujet à la Chambre des communes, au nom du vérificateur général.

Mme Sheila Fraser a précisé à votre délégation que ses services ne pouvaient exercer leurs contrôles que sur les comptes publics, à l'exclusion de toute vérification portant sur des comptes privés.

Les modes de vérification

Le vérificateur général procède à trois types principaux de vérification :

- la vérification d'attestation , qui permet de contrôler l'exactitude des états financiers présentés, le vérificateur évaluant la fiabilité de ces états ;

- la vérification de conformité aux autorisations, qui constitue un contrôle du respect des lois et règlements régissant les compétences des ministères ou des organismes ;

- la vérification de gestion , qui s'apparente le plus à une action d'évaluation, le vérificateur général contribuant à juger de la réussite des politiques menées, soit par une entité définie, soit sur un sujet intéressant plusieurs entités, soit enfin sur une question de portée gouvernementale.

Par ailleurs le vérificateur général évalue la fiabilité des rapports rendus par les administrations sur leur rendement.

Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada, a souligné que son institution pouvait engager des poursuites à l'égard du gouvernement, si celui-ci refusait de lui transmettre les informations qu'elle lui demandait. Elle a précisé qu'en cas de doute sérieux sur l'intégrité d'une opération financière réalisée par le gouvernement, il lui revenait de transmettre les éléments dont elle disposait à la gendarmerie royale du Canada.

Rappelant que le système canadien, reprenant le modèle britannique, rendait chaque ministre entièrement responsable de sa gestion 33 ( * ) , elle a estimé que se posait la question de la responsabilité des sous-ministres, et annoncé que la commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires 34 ( * ) , présidée par le juge John H. Gomery, devrait élaborer des recommandations quant à la responsabilité de certains fonctionnaires devant le Parlement.

Les modalités de compte rendu des vérifications

Le vérificateur général du Canada remet quatre rapports par an à la Chambre des communes, dont un rapport annuel à la fin de l'automne, un rapport au printemps, le rapport du commissaire à l'environnement en septembre et un rapport présentant le suivi des progrès réalisés par le gouvernement pour donner suite aux recommandations formulées dans les rapports antérieurs, déposé en hiver.

Une fois déposés à la Chambre des communes, les rapports du vérificateur général sont soumis au Comité permanent des comptes publics de cette assemblée, le rapport du commissaire à l'environnement étant remis au Comité permanent de l'environnement et du développement durable. Les autres comités parlementaires, y compris ceux du Sénat canadien, peuvent appuyer leurs travaux sur les rapports du vérificateur général.

Le Comité des comptes publics , traditionnellement présidé par un membre de l'opposition officielle, choisit ensuite les parties du rapport sur lesquelles il souhaite travailler et convoque des fonctionnaires des organisations ayant fait l'objet de la vérification pour qu'ils viennent lui expliquer les conclusions du vérificateur général.

Mme Sheila Fraser a souligné que le Bureau du vérificateur général et les comités parlementaires travaillaient ensemble afin d' assurer la reddition de comptes la plus efficace de la part du gouvernement.

Une grande partie des travaux du Comité des comptes publics, soit 90 à 95 % de ses réunions, sont consacrés à l'examen des rapports du vérificateur général.

Enfin, Mme Sheila Fraser a indiqué à votre délégation que le travail du vérificateur général était lui-même évalué . Elle a déclaré qu'une équipe internationale dirigée par le bureau de vérification du Royaume-Uni (le National Audit Office ) et comprenant des membres de la Cour des comptes française, ainsi que des organismes norvégiens et néerlandais, avaient effectué un examen des pratiques du vérificateur général du Canada en 2003. Elle a estimé que ce type d'exercice constituait une première internationale.

Votre délégation a relevé que l'organisation et le fonctionnement du Bureau du vérificateur général se caractérisaient par sa grande proximité avec le Parlement, assurant un suivi efficace de ses travaux , en particulier au sein du comité des comptes publics.

L'impact des travaux du vérificateur général du Canada :

l'exemple du programme de « commandites »

Après le résultat très serré du référendum tenu au Québec le 30 octobre 1995, le gouvernement du Canada décida de rendre la présence fédérale plus visible dans tout le pays, mais surtout au Québec, au moyen de publicités et d'affichages lors d'événements communautaires, culturels et sportifs. Cette mission fut confiée au service de publicité de Travaux publics et services gouvernementaux du Canada (TPSGC) qui, ne disposant pas de personnel suffisant, signa des contrats avec des agences de publicité qui furent amenées à gérer et administrer les « commandites » .

Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada, a indiqué à votre délégation que les premières recherches sur cette affaire avaient été effectuées par des journalistes en 2002, puis par le Bureau du vérificateur général, dans le cadre d'une enquête à l'échelle gouvernementale.

Le rapport de la vérificatrice générale du Canada de novembre 2003 sur la vérification à l'échelle gouvernementale du programme de commandites et des activités publicitaires a mis au jour un non-respect généralisé des règles de passation des contrats dans la gestion du programme, que ce soit pour la sélection des agences de communications, la gestion des contrats, ou la mesure et la communication de l'information sur les résultats.

Ce rapport a établi qu'en raison de l'effondrement quasi total des mécanismes de surveillance et des contrôles essentiels, ces violations n'avaient pas été décelées, ni prévenues pendant plus de quatre ans. Au cours de cette période, le programme a coûté aux contribuables canadiens 250 millions de dollars, dont plus de 100 millions de dollars en honoraires et commissions versés à des agences de communications.

Le rapport a révélé que la Direction générale des services de coordination des communications (DGSCC) utilisait des méthodes fort compliquées et discutables pour transférer des fonds de commandite, certains paiements étant fondés sur de fausses factures et de faux contrats, d'autres constituant en fait des subventions.

Aussi, M. Paul Martin, devenu Premier ministre en décembre 2003, a-t-il mis un terme au programme des « commandites » et mis en place une commission d'enquête confiée au juge John Gomery, afin « de faire enquête et de faire rapport sur les questions soulevées, directement ou indirectement, par les chapitres 3 et 4 du rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, de novembre 2003 (...) » 35 ( * ) .

Agissant dans le cadre de la loi sur les enquêtes qui lui donne des pouvoirs plus étendus que ceux du vérificateur général, la commission d'enquête a pu vérifier les actions et la conduite des agences de communication qui étaient censées agir au nom du gouvernement pour gérer les projets de commandites, sur les commissions et honoraires que ces agences ont facturés et sur l'utilisation des fonds du programme 36 ( * ) .

Le rapport de la commission d'enquête sur l'établissement des faits , intitulé Qui est responsable ?, et publié le 1 er novembre 2005, fait notamment apparaître 37 ( * ) :

- « un manque de supervision de la part des échelons les plus élevés de la fonction publique, ce qui a permis aux gestionnaires du programme de contourner les procédures normales des marchés publics et de court-circuiter les voies hiérarchiques ;

- une surfacturation flagrante des agences de communication pour les heures travaillées et les biens et services fournis ;

- un écheveau complexe de transactions financières entre Travaux publics et services gouvernementaux Canada (TPSGC), des sociétés d'État et des agences de communication, comprenant des pots-de-vin et des contributions illégales à un parti politique, dans le contexte du programme de commandites ».

M. Gomery doit par ailleurs formuler des recommandations à partir des faits constatés, dans le but de prévenir la mauvaise gestion des programmes de commandites et des activités publicitaires à l'avenir. Ces recommandations feront l'objet d'un rapport complémentaire, qui doit être rendu public le 1 er février 2006.

Le gouvernement de M. Paul Martin (Parti libéral), minoritaire à la Chambre des Communes depuis les élections de juin 2004, déjà marquées par le « scandale des commandites », a été renversé par une motion de censure adoptée le 28 novembre 2005 38 ( * ) .

*

* *

A la lumière des nombreux entretiens conduits par votre délégation, il apparaît que la réforme de l'Etat mise en oeuvre au Canada et au Québec a d'abord été conçue comme un facteur de redressement des finances publiques , en voie de dégradation accélérée au début des années 1990. Si les résultats obtenus, qui font aujourd'hui du Canada un modèle de maîtrise budgétaire, tiennent également à une situation économique plus favorable, ce premier mouvement de réforme, d'inspiration financière, semble avoir révélé une aptitude durable à l'évolution des structures administratives , sur laquelle se fonde une action soutenue de modernisation.

Aussi la réforme de l'Etat est-elle devenue au Canada une oeuvre continue, comme si le changement de culture initié dans les années 1990 pour rétablir les finances publiques avait entraîné le développement d' une culture du changement qui facilite, dix ans plus tard, la poursuite d'un mouvement de rationalisation de l'organisation administrative.

Les actions concourant à la réforme de l'Etat en France ont indéniablement quelques traits communs avec l'entreprise canadienne. En, effet, la LOLF tend à substituer à la logique de moyens une logique de performance, les lois de simplification du droit contribuent à la modernisation de l'action administrative, grâce à l'allègement des procédures, et les citoyens français peuvent recourir à des services d'administration électronique de plus en plus étendus.

Toutefois, il semble que l'oeuvre de réforme de l'Etat conduite dans notre pays pourrait encore être approfondie, en s'inspirant des évolutions initiées par le Canada afin de réaliser des économies d'échelle dans le domaine des services aux administrations et de responsabiliser davantage les gestionnaires. L'expérience canadienne et québécoise nous enseigne par ailleurs que le Parlement et les organismes de contrôle peuvent et doivent rassembler leurs efforts pour jouer un rôle de premier plan dans cette réforme sans cesse poursuivie.

* 29 Chaque province est également dotée d'un vérificateur qui rend compte de ses travaux à l'assemblée législative provinciale.

* 30 Article 3 de la loi sur le vérificateur général du Canada de 1977.

* 31 Environ 50 % des employés du Bureau du vérificateur général sont des comptables.

* 32 Le vérificateur général du Canada rend compte de ses travaux portant sur ces trois territoires à leurs assemblées respectives.

* 33 La loi et la tradition canadiennes veulent que ce soit le ministre seul qui assume la responsabilité de la gestion et de la direction de son ministère.

* 34 Cf. infra, encadré sur le programme de commandites.

* 35 Les travaux du juge Gomery devaient porter notamment sur : la création du programme de commandites, la sélection d'agences de communication et de publicité, la gestion du programme de commandites et des activités publicitaires par les responsables à tous les niveaux, la réception et l'usage, par toute personne ou organisation, de fonds ou de commissions octroyés à l'égard du programme de commandites et des activités publicitaires, toute autre question directement liée au programme de commandites et aux activités publicitaires que le commissaire juge utile à l'accomplissement de son mandat.

* 36 Les audiences publiques de la commission ont commencé le 7 septembre 2004 à Ottawa et se sont poursuivies jusqu'au 17 juin 2005 à Montréal. Elles ont permis d'entendre 172 témoins pendant plus de 136 jours d'audience.

* 37 Une synthèse du rapport est disponible sur le site Internet de la commission d'enquête, à l'adresse : http://www.gomery.ca/fr/phase1report/summary/french_es_full_v01.pdf

* 38 M. Jean Chrétien, Premier ministre de 1993 à 2003, à qui la commission d'enquête attribue une responsabilité tenant en particulier à des omissions et à un manque de précautions, a engagé le 30 novembre une action en justice auprès de la Cour fédérale afin de contester les conclusions du rapport Gomery.

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