N° 400

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 juin 2006

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 19 au 28 mai 2006 en Chine,

Par M. Serge VINÇON, Mme Hélène LUC, MM. André BOYER, Jean-Guy BRANGER, Philippe NOGRIX et Jean-Pierre PLANCADE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Asie centrale.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Du 19 au 28 mai 2006, une délégation de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s'est rendue en Chine, à Pékin et Shanghaï.

La délégation était conduite par M. Serge Vinçon, Président de la commission, et composée de MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, de Mme Hélène Luc, et de MM. André Boyer et Jean-Guy Branger.

L'objet de la mission était moins d'analyser la seule performance économique de la Chine que d'apprécier le rôle que ce pays entend jouer sur la scène mondiale.

Sa croissance économique exceptionnelle est évidemment un élément majeur de la stratégie diplomatique de la République populaire, ne serait-ce que pour l'accès aux matières premières ou l'approvisionnement énergétique dont cette croissance a précisément besoin pour se pérenniser.

Ressort économique donc, mais ressort politique aussi : dans son environnement régional, dans ses relations avec les Etats-Unis, dans son implication croissante dans le continent africain, à quelles motivations politiques et stratégiques correspond l'action internationale de la Chine ? Est-il légitime de percevoir la République populaire comme une menace autre que commerciale ou, au contraire, la pérennisation de son développement économique n'est-il pas la meilleure garantie que la Chine veille, partout où elle peut agir, à assurer une stabilité qui sert ses intérêts dans tous les domaines ?

Dès lors, à quoi correspond l'effort substantiel consenti par la Chine pour moderniser son armée, se doter d'équipements de haute technologie, donner à ses forces une capacité de projection dont elle est aujourd'hui dépourvue ?

Cette démarche donne-t-elle du poids à la thèse de la « menace chinoise » ou n'est-elle que le corollaire de cette volonté de reconnaissance que souhaitent les responsables chinois pour leur pays, du statut de grande puissance, responsable et respectable, qu'exprime la notion d'« émergence pacifique » supposée caractériser le rôle international de la Chine aujourd'hui ?

C'est à ces différentes interrogations que votre délégation a souhaité trouver des éléments de réponse auprès des nombreux interlocuteurs qu'elle a pu rencontrer.

La délégation tient à remercier l'ensemble des interlocuteurs rencontrés pour la qualité de leur accueil, ainsi que les services de l'Ambassade de France, pour la contribution apportée à la qualité du programme de travail et au bon déroulement de ce déplacement, tout particulièrement Son Exc. M. Jinjun Zhao, Ambassadeur de Chine en France, S. Exc. M. Philippe Guelluy, Ambassadeur de France en Chine, et M. Jean-Marin Schuh, Consul général à Shanghaï.

I. LES DÉTERMINANTS DE LA DIPLOMATIE D' « ÉMERGENCE PACIFIQUE » DE LA CHINE

A. ASSURER LA NÉCESSAIRE PÉRENNISATION D'UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE EXCEPTIONNELLE

1. Les besoins générés par la croissance chinoise...

La Chine avance à pas de géant dans de multiples secteurs économiques. Elle abrite 45 métropoles de plus d'un million d'habitants. Elle s'attaque à des projets d'infrastructures de grande ampleur : ponts, ports, barrages. Elle accueille des investisseurs internationaux dans les domaines de la distribution commerciale des produits et services et dans les projets concernant l'environnement, l'eau, les infrastructures ; parallèlement, les entreprises chinoises réalisent des progrès techniques considérables et exportent leur savoir-faire, notamment dans les pays émergents ou en développement.

La croissance économique chinoise, depuis la fin des années 1980, a reposé sur les exportations et les investissements liés aux exportations pour compenser une consommation intérieure insuffisante. L'accroissement rapide des capacités de production chinoises dans de nombreux secteurs a fait naître des déséquilibres internationaux générant destructions d'emplois et déficits commerciaux en Europe, au Japon, aux Etats-Unis. La Chine est désormais le quatrième exportateur mondial (derrière les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon) et ses secteurs exportateurs se sont diversifiés (des domaines des textiles et jouets à ceux des matériels électriques et de l'électronique).

Les conséquences de cette expansion sur les échanges internationaux inquiètent. Ainsi, sur un déficit extérieur américain de 725 milliards de dollars en 2005, le déficit bilatéral avec la Chine a dépassé 200 milliards de dollars.

Malgré la réévaluation du renmibi 1 ( * ) (+ 2,1 %) en juillet 2005, l'excédent global commercial chinois s'est envolé pour atteindre approximativement 7 % du PNB ; les réserves de change chinoises atteignent désormais des proportions gigantesques (plus de 10 % du PNB) et leur montant est supérieur à celles du Japon.

L'exceptionnelle croissance chinoise ne se fonde plus seulement, désormais, sur un commerce extérieur florissant. L'excédent commercial demeure mais ne repose plus sur la faiblesse de la demande intérieure. Au contraire, au premier semestre 2006, les importations de matières premières, d'énergie et de biens d'équipement étaient toutes orientées à la hausse, mais cette augmentation a été compensée par un accroissement encore plus marqué des exportations.

De plus, la croissance chinoise est basée sur un taux d'investissement qui atteindra sans doute cette année un nouveau record, de l'ordre de 45 % du PIB.

Sachant que, pour favoriser en Chine l'avènement d'une « société de petite prospérité », l'objectif de Pékin est de doubler le PIB national d'ici à 2020, on comprend que la croissance économique chinoise suscite des inquiétudes.

Toutefois, selon les interlocuteurs de votre délégation, ces craintes doivent être relativisées :

- les données chiffrées doivent être rapportées au nombre d'habitants (1,3 milliard), soit 21 % de la population mondiale. De plus, le produit intérieur brut national, même s'il a connu une très forte augmentation, ne constitue que 4 % du PIB mondial. Quand bien même le produit intérieur brut chinois doublerait d'ici dix ou quinze ans, compte tenu du développement dans le même temps du PIB mondial, il ne représentera toujours que 5 % du total. Pour certains interlocuteurs de votre délégation : « la Chine sera toujours un pays en développement en 2020 » ;

- les niveaux de développement économique sont extrêmement inégaux d'une région à l'autre : « Pékin et Shanghai ont un fort niveau de développement, mais les villes et les villages de l'Est ressemblent à ceux de l'Afrique ». Cette inégale répartition des richesses fragilise considérablement la Chine d'un point de vue tant économique que politique. Ce problème a d'ailleurs été évoqué lors de la dernière réunion de l'Assemblée nationale populaire en mars 2006.

Seul le développement économique pourra réduire ces inégalités qui sont source potentielle d'instabilité.

La Chine doit, en effet, en priorité, préserver son développement économique. Les mécontentements liés aux inégalités de développement ne peuvent être contenus que dans un contexte de croissance économique ininterrompue, dont chacun espère profiter, même à un faible niveau. Une pause de la croissance pourrait conduire le pays vers une grave crise sociale.

La Chine doit également sécuriser et étendre ses accès aux marchés extérieurs et aux sources de matières premières. L'exemple de l'énergie est particulièrement frappant. La croissance chinoise s'accompagne en effet d'une forte augmentation de la demande d'énergie. Les industries de base composent l'essentiel de l'activité industrielle (ciment, sidérurgie, industries chimiques et métallurgiques, bâtiment, travaux publics, infrastructures de transport) et sont très consommatrices d'énergie. De plus, avec l'élévation du niveau de vie moyen, la Chine connaît une urbanisation croissante : en conséquence, les besoins énergétiques augmentent fortement (consommation des ménages, secteur des transports) et se tournent essentiellement vers les produits pétroliers et l'électricité.

Depuis 1993, les importations chinoises de pétrole et de produits raffinés vont croissant. En 2003, la consommation s'est élevée à 275 millions de tonnes, couverte à hauteur de 175 millions de tonnes par la production locale et de 100 millions de tonnes par l'importation, qui représente plus de 5 % des échanges internationaux de pétrole. Les réserves pétrolières du pays sont faibles (2,5 milliards de tonnes, soit 1,7 % des réserves mondiales).

Les importations pétrolières chinoises proviennent aujourd'hui, à 60 %, du Moyen-Orient. L'Arabie saoudite et l'Iran sont respectivement ses premier et deuxième fournisseurs en pétrole brut. Le souci de la Chine de diversifier ses sources d'approvisionnement constitue aujourd'hui un des principaux moteurs de rapprochement en direction de la Russie, de l'Asie centrale, et tout particulièrement de l'Afrique (Soudan, Nigeria, Angola, Gabon, Congo) ainsi que de l'Amérique latine (Venezuela). La stabilité de l'approvisionnement énergétique constitue donc une priorité de la diplomatie chinoise.

La dépendance énergétique de la Chine va également croître pour le gaz naturel que le Gouvernement privilégie par rapport au charbon (si la consommation de charbon doublait pendant la période 2001-2025, la Chine serait à l'origine d'un quart des émissions de gaz carbonique produites dans le monde...). Le Gouvernement chinois multiplie les efforts et les investissements pour les explorations de gaz naturel et son transport vers les métropoles du Sud et de la côte Est (construction d'un pipeline de 4 000 km de Xinjiang à Shanghaï). Mais au-delà de 2010, il ne sera sans doute plus possible de couvrir le besoin en recourant à la seule production nationale. De nombreux terminaux d'importation de gaz naturel liquéfié vont être construits. Les importations proviendront en premier lieu de la région asiatique et du Pacifique (Australie, Indonésie, Malaisie, Brunei, Timor-Oriental). La Chine aura vraisemblablement ensuite recours à la région du Golfe persique (Qatar, Iran, Oman) et à la Sibérie orientale.

Il apparaît clairement que les dirigeants chinois jugent indispensable d'assurer à terme la sécurité de leurs approvisionnements énergétiques dont l'interruption aurait des conséquences très perturbatrices sur l'économie, mais également sur la stabilité sociale et politique.

Cette contrainte énergétique qui ne peut que croître, n'est pas sans lien avec l'inquiétude suscitée par l'économie chinoise pour l'environnement : pays sans doute le plus pollué au monde, la Chine a vu ses émissions de dioxyde de souffre augmenter de 26 % en 5 ans ; la moitié des nappes phréatiques sont polluées ; 70 % des villes ne correspondent pas aux standards définis par l'OMS 2 ( * ) ... L'engagement international de la Chine sur les thèmes environnementaux sera vite l'une des grilles d'analyse de la capacité du pays à assumer ou non son ambition de puissance globale responsable.

* 1 Equivalent du Yuan

* 2 Dont d'ailleurs la Direction générale vient d'être confiée à une chinoise, Mme Margaret CHAN.

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