3. Les garanties dans la façon de faire

9.1.1. Les garanties d'égalité de traitement, l'impartialité et la difficulté des missions asymétriques. La première des garanties que l'on peut attendre des Autorités administratives indépendantes réside dans leur impartialité. C'est en effet ce pourquoi la loi les a conçues comme indépendantes, l'indépendance étant la condition préalable de l'impartialité 244 ( * ) , cette impartialité étant garantie par l'absence d'injonction possible d'un Ministre. Cela constitue une garantie majeure pour les parties prenantes, qui peuvent ainsi se fier aux Autorités administratives indépendantes, lesquelles peuvent à leur tour s'engager 245 ( * ) . Une difficulté peut à première vue surgir du fait que les Autorités administratives indépendantes, qu'on ne saurait réduire à des juridictions, même si l'exercice de certains de leurs pouvoirs prend la forme nécessaire de l'activité juridictionnelle, ont en charge de construire : construire une éthique de la santé, construire un marché concurrentiel, construire une égalité des chances, etc. Dès lors, dans cette mission, il peut arriver que le législateur désigne en quelque sorte un interlocuteur dont les intérêts sont contraires, par exemple un opérateur historique naguère monopolistique, ou des intermédiaires dans un marché financier qu'il s'agit de rendre plus fluide, etc. L'expression de « régulation asymétrique » résume cette situation en ce qui concerne les régulateurs économiques, mais cela peut valoir également pour les régulateurs sociaux, dès l'instant qu'il s'agit par exemple de protéger ou promouvoir une minorité, ou d'aider des citoyens face à un pouvoir important, par exemple le pouvoir de « régulation asymétrique » résume cette situation en ce qui concerne les régulateurs économiques (notamment l'ARCEP, ou avant elle l'ART), mais cela peut valoir également pour les régulateurs sociaux, dès l'instant qu'il s'agit par exemple de protéger ou promouvoir une minorité, ou d'aider des citoyens face à un pouvoir important, par exemple le pouvoir administratif (si l'on songe à la CADA ou au Médiateur de la République). Mais précisément la garantie d'un traitement à la fois asymétrique et neutre est requise, et il faut que les Autorités administratives indépendantes donnent à voir que leur sévérité accrue par rapport à telle ou telle partie prenante est la conséquence, ni plus ni moins, de la mission qui leur est confiée.

9.1.2. La nécessité pour les Autorités administratives indépendantes de donner à voir leur neutralité, leurs compétences et l'adéquation de leurs actions. La difficulté d'une telle démonstration repose en grande partie sur l'Autorité administrative indépendante elle-même. On peut éventuellement considérer que la charge de prouver la connivence ou la partialité devrait revenir à celui qui critique l'Autorité, mais parce que celle-ci est le principal auteur de sa propre crédibilité 246 ( * ) , il est plus adéquat qu'elle montre chaque jour sa neutralité, car c'est le législateur qui dessine sa mission éventuellement asymétrique non l'Autorité elle-même, qu'elle montre sa compétence, socle véritable de son indépendance 247 ( * ) , qu'elle accepte la contestation rationnelle (c'est-à-dire portant sur les raisonnements qui l'ont conduite à prendre telle ou telle décision) et la contestation juridique (à travers principalement les voies de recours devant une juridiction exercés contre ses décisions), et le fait plus général de rendre des comptes 248 ( * ) , pour éloigner d'une façon plus sûre ce qui relève d'un discours de suspicion. En effet, c'est à l'Etat de protéger ses Autorités administratives indépendantes qui, soustraites de la hiérarchie de l'exécutif, sont aussi moins protégées que l'administration traditionnelle, plus visibles et plus exposées 249 ( * ) .

9.1.3. L'importance centrale de la transparence. L'ensemble de ces développements montre que la transparence, qui n'est pas nécessairement le mode usuel de bon fonctionnement de l'Etat 250 ( * ) , doit gouverner les Autorités administratives indépendantes dans le principe.

9.1.3.1. La transparence comme principe. Cela est encore plus vrai lorsque l'Autorité en cause doit elle-même imposer la transparence aux parties prenantes, comme c'est le cas pour l'Autorité des Marchés Financiers. Le principe doit être la transparence (ce qui est déjà une exception par rapport à l'organisation générale de l'Etat) et il aurait vocation à être mentionné comme telle dans une éventuelle loi-cadre sur les Autorités administratives indépendantes. Cela ne signifie en rien que le législateur, au cas par cas, ne puisse porter exception à ce principe. L'enjeu de méthode est ici de désigner ce qui est principe et ce qui est exception, et non pas d'imposer un principe absolu.

9.1.3.2. La transparence, un principe qui supporte des exceptions. C'est pourquoi l'on peut estimer que certains pouvoirs se prêtent plus que d'autres à ce principe de transparence, par exemple davantage le pouvoir de sanction que le pouvoir de négociation. De la même façon, certaines missions, comme celles rattachées à la régulation bancaire et prudentielles, ou d'une façon plus générale les missions qui concernent les risques, leur prévention et leur gestion (aussi bien sanitaires que financiers, notamment). Le législateur a le pouvoir de limiter le principe de transparence, sauf si celui-ci croise des garanties constitutionnelles, comme les droits de la défense. La conséquence est plutôt de méthode, en ce qu'en premier lieu, l'exception - ici l'absence de transparence - doit être justifiée, et en ce qu'en second lieu, dans le silence de la loi, l'interprète, c'est-à-dire l'Autorité administrative indépendante elle-même, et le juge après elle, devraient verser plutôt en faveur du principe de transparence, s'il n'y a pas de bonnes raisons de l'écarter.

9.1.4. La sauvegarde du principe de légalité. Par ailleurs, il est à la fois élémentaire et nécessaire de le rappeler, les parties prenantes sont garanties par le principe de légalité, qui interdit aux Autorités administratives indépendantes comme à quiconque d'exercer sur autrui une contrainte sans se conformer à un texte pour y procéder, et dans son principe et dans ses modalités. La place importance du contrôle de l'excès de pouvoir à l'occasion des recours ouverts contre les décisions des Autorités administratives indépendantes atteste de l'effectivité du principe de légalité. On remarquera que l'alternative peut être le pouvoir exercé en accord avec les parties prenantes, le pouvoir de négociation et la contractualisation de l'action des Autorités administratives indépendantes offrant une alternative à la rigueur du principe de légalité qui régit avant tout les manifestations unilatérales de pouvoir.

* 244 Sur une définition plus précise de l'impartialité, v. infra.

* 245 Sur cette capacité d'engagement, v. supra.

* 246 V. supra.

* 247 V. supra.

* 248 Sur la reddition des comptes comme forme de l'indépendance et non pas comme limite de l'indépendance, v. infra.

* 249 C'est d'ailleurs pourquoi le mécontentement des parties prenantes peut être un signe d'efficacité et le contentement de celles-ci un signe d'inefficacité. Sur ce point, v. infra.

* 250 Ce qui renvoie à la question de savoir si les Autorités administratives indépendantes sont une exception à l'organisation ordinaire de l'Etat ou l'anticipation de l'évolution de celle-ci. Sur ce point, v. supra.

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